mardi 30 septembre 2008

La catastrophe africaine

Le président libérien Samuel Doe découpé en morceaux, en direct, devant les caméras de la télévision, les massacres qui ensanglantent périodiquement les townships noires du Transvaal ou le spectacle lamentable de milliers d'Ethiopiens faméliques nous rappellent régulièrement l'ampleur du naufrage dans lequel l'Afrique subsaharienne sombre depuis une dizaine d'années.
Dans un continent noir où explosion démographique rime avec implosion économique, ruine écologique, régression alimentaire et réveil des grandes endémies, on regrettera bientôt, si ce n'est déjà le cas, l'heureux temps de la « pax europea »... Au terme d'une étude foisonnant d'informations originales et d'interprétations nouvelles, c'est à cette conclusion qu'arrive Bernard Lugan, un universitaire africaniste peu suspect de complaisance à l'égard de la religion tiers-mondiste.
Dans son Afrique, l'Histoire à l'endroit, parue voici deux ans, il avait déjà fait justice de diverses idées reçues et autres escroqueries historiques qui prévalent généralement. Il récidive en utilisant abondamment des sources documentaires indiscutables et en citant même les Africains les plus lucides qui, tel Bechir ben Yamed, n'hésitent pas à évoquer aujourd'hui les « trente non glorieuses de l'indépendance africaine ».
Trois décennies après l'accès à l'indépendance de presque tous les pays d'Afrique noire, le temps est en effet venu de faire les comptes et d'en tirer les conclusions qui s'imposent. Il y va de l'intérêt des Européens, en particulier des Français, engagés dans des politiques de coopération aussi inutiles que ruineuses, mais aussi et surtout de celui des Africains, entretenus dans une situation d'assistés qui se révèle aussi catastrophique qu'humiliante.
Contrairement à ce qu'affirmait René Dumont, qui mettait déjà en lumière, dès le début des années 60, certaines insuffisances africaines, le continent noir avait tout pour «bien partir» à cette époque. A des degrés divers selon les pays concernés, les colonisateurs laissaient derrière eux un embryon d'administration locale. des infrastructures importantes et d'immenses ressources naturelles. Trente ans plus tard, le bilan se révèle très lourd. Alors que le continent assurait à peu près son autosuffisance alimentaire en 1960, 40 % des Africains dépendent aujourd'hui pour manger de l'aide internationale. Dans le domaine sanitaire, la situation apparaît tout aussi grave. Tout le réseau de dispensaires et d'hôpitaux est en ruine et n'est plus adapté à la croissance de la population et à la résurgence des grandes endémies. Sur le plan commercial, l'Afrique noire, qui assurait 9 % du commerce international en 1960, n'en représente plus que 3 % en 1990. Le désastre écologique consécutif au surpâturage et à la déforestation abusive accélère la désertification de régions entières, alors que l'exode rural vient gonfler la population des bidonvilles qui prolifèrent à proximité des cités jadis établies par le colonisateur. La démographie galopante qui affecte le continent, en assurant un taux d'accroissement naturel supérieur à 3 % annuels, a d'ores et déjà créé une situation de surpopulation qui ne peut aller qu'en s'aggravant.
Pour les tenants de l'école tiers-mondiste, les causes du malheur de l'Afrique ne font aucun doute. Le seul responsable de la déroute actuelle, c'est le «colonialisme», source de tous les maux d'un continent qui, sans lui, aurait conquis depuis longtemps la place qui aurait dû être la sienne dans le grand concert de la civilisation mondiale.
Le «néocolonialisme» sournois qui s'est instauré depuis et la scandaleuse inégalité des «termes de l'échange» n'ont fait qu'aggraver une situation dont «l'Occident» est à l'évidence responsable. Depuis quelques années, Carlos Rangel (L'Occident et le Tiers Monde) ou Pascal Bruckner (Le sanglot de l'homme blanc) ont fait justice de cette langue de bois culpabilisante.
Reprenant la remarquable étude que Jacques Marseille a consacrée aux relations de l'Empire colonial et du capitalisme français, Bernard Lugan démontre sans appel que les colonies ont coûté infiniment plus cher à la France qu'elles ne lui ont rapporté et il chiffre le poids considérable de l'aide qui continue, depuis trente ans, à être déversée sur l'Afrique noire, en pure perte pour les populations souffrantes mais pour le plus grand profit des apparatchiks locaux. Il fait également justice des prétendus «échanges inégaux», en montrant que, dans de nombreux secteurs, les cours mondiaux des produits alimentaires et des matières premières ont connu, en valeur réelle, une hausse continue depuis l'indépendance et en expliquant surtout que les pays africains, attachés à leurs rentes de situation, ont été progressivement dépassés par des concurrents asiatiques autrement dynamiques et travailleurs. Le cas de la Malaisie est à cet égard très éclairant.
L'auteur, qui connaît parfaitement la réalité d'un monde africain qu'il a longuement pratiqué, n'a aucune peine à faire valoir que le seul pays qui n'a connu ni la colonisation, ni la christianisation (à peine 10 % de la population) et qui, au contraire, a été doté dès son origine d'institutions «démocratiques», à savoir le Liberia, est le premier à retomber dans le chaos le plus total.
Il lui est facile, en revanche, d'établir le diagnostic des maux véritables qui hypothèquent lourdement l'avenir de l'Afrique, Même s'il n'a pas été la, cause principale de l'effondrement en cours, le socialisme à la sauce tropicale a été un facteur aggravant. Du Bénin au Congo en passant par le Burkina Faso du capitaine Sankara ou l'Ethiopie du sinistre Mengistu, le bilan est catastrophique. La Zambie, qui fut la richissime Rhodésie du Nord, est en faillite au même titre que Madagascar, sagement gérée au cours de la première décennie d'indépendance avant d'être ruinée par une quinzaine d'années d'expérience «socialiste». Le cas le plus exemplaire demeure cependant la Tanzanie de Julius Nyéréré, idole des tiers-mondistes, champion du «développement autocentré» bénéficiaire des aides les plus volumineuses, dont le modèle «communautaire» a sombré lui aussi dans la faillite.
Les conflits ethniques dominent toute l'histoire récente de l'Afrique noire et il serait fastidieux de les énumérer, des guerres civiles tchadienne, soudanaise, nigérienne, zaïroise, angolaise ou éthiopienne aux massacres rwandais ou libériens. Le colonisateur a sans doute une part de responsabilité dans cette situation pour avoir bâti des Etats multi-ethniques aux frontières généralement artificielles, mais il est bien difficile de lui imputer une «balkanisation» africaine qu'il a, au contraire, tenté de limiter.
Autre fléau : la corruption, qui entrave tout effort de développement cohérent et contribue au détournement généralisé de l'aide occidentale dont les effets pervers sont largement analysés par Bernard Lugan qui nous montre comment l'aide alimentaire ruine les agricultures locales et décourage les paysans, seuls véritables producteurs de richesses, et la manière dont l'aide financière est régulièrement recyclée sur les comptes personnels des représentants de l'oligarchie indigène. Enfin, et c'est sans doute là que réside le message essentiel de l'ouvrage, l'Afrique est avant tout victime des virus idéologiques qui sévissent dans les pays du Nord. La culpabilisation de l'Occident ne sert en rien les intérêts d'un continent qui devra fatalement se prendre en mains un jour et appliquer à son profit la vieille devise « Aide-toi, le ciel t'aidera ». L'exemple d'un pays asiatique tel que la Corée du Sud qui, à la fin des années 50, en était au même point que le Ghana, montre qu'il n 'y a pas de fatalité du sous-développement.
A condition toutefois de rejeter les préjugés universalistes qui voudraient faire des Zaïrois des Européens ou des Japonais à la peau plus foncée. Le poids de la tradition et de l'héritage culturel est déterminant pour faire démarrer une économie arriérée. L'avoir négligé en attribuant, au nom du prétendu «genre humain» les mêmes possibilités aux Africains qu'aux Européens, c'était nier des millénaires d'histoire, ignorer l'importance des comportements collectifs, rêver en plein XXe siècle à un «bon sauvage» disponible pour toutes les expérimentations économiques et sociales. On a négligé ainsi, en pratiquant un racisme à rebours particulièrement pervers, une identité africaine qui n'a peut-être que faire de l' « american way of life ».
• Philippe Fraimbois : le Choc du Mois • Janvier 1992
Bernard Lugan : Afrique, Bilan de la décolonisation. Collection « Vérités et légendes ». Librairie Académique Perrin. 306 pages.

lundi 29 septembre 2008

21 avril 753 avant J.-C. : LA FONDATION DE ROME

Rome. Peu de lieux ont marqué aussi profondément l'Histoire. Une empreinte qui continue et qui a commencé il y a 2 761 ans, si l'on en croit la chronologie de Varron (avocat lié à Cicéron, savant et prolifique écrivain, ayant vécu de 116 à 27 avant l'ère chrétienne). La tradition concernant la fondation de Rome repose sur des auteurs latins (Tite-Live, Virgile, Cicéron, Properce) et grecs (Denys d'Halicarnasse et Plutarque).
Que dit cette tradition ? Enée (d'où l'Enéide de Virgile), un prince ayant été un des chefs de son camp pendant la guerre de Troie, réussit à fuir sa ville, prise par les Grecs, en emportant sur ses épaules son père Anchise (la mère d'Enée étant tout simplement - si l'on peut dire - la déesse Aphrodite, que les Romains appelèrent Vénus ... ) Après moult pérégrinations, Enée arrive sur les côtes italiennes, débarque au Latium où il prend contact amicalement avec le roi Latinus, dont il épouse la fille Lavinia. Enée fonde Lavinium et, après lui, son fils Ascagne, appelé aussi Iule (ce qui devait permettre, plus tard, à l'illustre famille des Iulii d'en faire son ancêtre ... ), fonde Albe-la-Longue. Ce sont leurs descendants, Romulus et Rémus, fils jumeaux de la vestale Rhéa et du dieu Mars, qui, livrés au Tibre mais recueillis par la louve du Lupercal, fondent Rome. Rémus, ayant commis une profanation en franchissant le sillon sacré déterminant les limites de la nouvelle ville, est tué par son frère, qui devient le premier roi de Rome, où il accueille les Sabins.
On est, bien sûr, en droit de s'interroger sur la crédibilité de récits si émouvants, en lesquels certains n'ont voulu voir que d'édifiantes forgeries, façonnées a posteriori pour constituer une Histoire officielle. Mais l'archéologie leur apporte, au moins partiellement, un démenti. En effet, des fonds de cabane, découverts sur le Palatin en 1907 mais dégagés en 1949, sont situés près de l'endroit où les Romains conservaient pieusement le souvenir d'une casa Romuli (« la maison de Romulus »). Les morceaux de céramique recueillis sur le site ont été datés du milieu du VIIIe siècle, ce qui correspond à l'époque de la fondation de Rome transmise par la tradition.
D'autres fonds de cabane de même époque ont été trouvés en un autre endroit du Palatin, ainsi que sur l'emplacement du futur Forum, où 41 tombes ont été identifiées, les unes liées à des rites de crémation, les autres d'inhumation. Puis, en 1988, les vestiges de plusieurs murs ont été mis au jour, semblant correspondre à une enceinte défensive.
- Le Palatin paraît bien avoir été le berceau de Rome, dominant le Tibre sur les bords duquel devait s'installer plus tard le Forum boarium (le marché aux bestiaux). L'emplacement de la future capitale impériale avait été judicieusement choisi, si l'on en croit Tite-Live : « Ce n'est pas sans raisons que les dieux et les hommes ont choisi ce lieu pour bâtir notre ville : ces collines à l'air pur ; ce fleuve qui nous apporte les produits de l'intérieur et par où remontent les convois maritimes ; une mer à portée de nos besoins, mais à distance suffisante pour nous garder des flottes étrangères ; notre situation au centre même de l'Italie : tous ces avantages forment le plus privilégié des sites pour une cité promise à la gloire. »
Ces éléments, que nous qualifierions aujourd'hui de géostratégiques, ont été, logiquement, pris en compte par un Romulus qui ne fut peut-être, selon le grand historien Marcel Leglay, que le chef d'une bande d'éleveurs quelque peu pillards, ces bergers célébrant un culte du loup qu'on retrouve dans le rite très ancien des lupercales. A juste titre, Leglay faisait remarquer dans son Histoire romaine (PUF, 1991, en collaboration avec Jean-Louis Voisin et Yann Le Bohec) que la date traditionnelle de fondation de Rome, le 21 avril, était aussi celle des Palilia, fête de la déesse Pales, protectrice des troupeaux et dont le nom a la même racine que celui du Palatin.
Fondée par des pasteurs indo-européens (Dumézil a mis en évidence le rôle symbolique des premiers rois de Rome, incarnant chacun l'une des trois fonctions de souveraineté, action guerrière et force de production), Rome allait étendre, au fil des siècles, son pouvoir à toute l'Italie, puis à une grande partie de l'Europe et à tout le bassin méditerranéen. Les aigles de ses légions planent encore sur notre longue mémoire.
Pierre Vial Rivarol du 25 avril 2008

dimanche 28 septembre 2008

Soljenitsyne revisité

LES grands hommes sont encensés aussi longtemps qu'il est de l'intérêt des puissants de le faire. Tant que l'on crut que Alexandre Issaïevitch Soljenitsyne, né en 1918 et décédé le 3 août dernier à Moscou, se contenterait de traiter du Goulag, appendice naturel du système soviétique, il fut considéré comme un héros. Les portes de la liberté - et de l'exil - s'étant ouvertes devant lui après l'obtention de son Prix Nobel de littérature, il était reçu partout avec tous les honneurs. Un peu comme le Dalaï Lama actuellement et pour les mêmes raisons. Mais après un long séjour dans le Vermont où il ne parvint pas à s'acclimater à l'american way of life et étant revenu dans sa chère Russie, il eut cette réflexion désabusée : « L'iniquité existait avant nous et ce n'est pas nous qui y mettrons fin. »
On attendait donc de Soljenitsyne qu'il se cantonnât dans la dénonciation du Goulag qu'il connaissait si bien - et qu'on a coutume d'attribuer commodément au seul Staline. Seulement voilà : les conséquences, c'était bien, mais les causes le passionnaient encore plus. Rentré chez lui où il eut accès aux documents et archives qui l'intéressaient, il put donc disséquer la fameuse Révolution de 1917 avec une patience d'entomologiste. Ses recherches autour du système théorisé par Marx et Engels ne lui laissèrent guère de doutes sur ceux qui, à l'intérieur, avaient été les promoteurs les plus ardents de cette révolution et sur ceux qui, de l'extérieur, lui apportèrent l'aide la plus efficace.
Nombreux sont ceux qui aujourd'hui croient ou feignent de croire que les habiroux furent les victimes du système mis en place à la révolution d'Octobre. Quelle erreur ! L'encyclopédie Juive Universelle citée par Soljenitsyne dans son remarquable ouvrage « Deux siècles ensemble*» ainsi que de très nombreuses citations d'articles tirés de la presse juive de l'époque ne laissent guère de doutes à ce sujet : les habiroux furent les promoteurs de cette révolution et en revendiquèrent toujours l'honneur.
Cet ouvrage en deux volumes est incontournable pour qui veut connaître les relations qui existèrent entre le peuple russe et les habiroux de 1800 à nos jours. Le premier décrit l'arrivée de plus en plus nombreuse et bientôt très organisée des émigrants habiroux dans l'empire des tsars, leurs luttes pour l'obtention des droits réservés jusqu'alors aux nationaux, leur installation dans les grandes cités où ils souhaitaient pratiquer leurs activités traditionnelles ; tout cela en opposition avec les autorités de l'époque qui auraient préféré des colons pour développer des territoires potentiellement riches mais trop dépeuplés pour être mis en valeur.
Ce n'était pas si exceptionnel que cela. Il y a peu de temps encore, les candidats à l'émigration en Australie avaient l'obligation d'un passage de plusieurs années dans le bush avant de s'installer dans une grande ville. Les habiroux ne pouvaient pas s'installer à Moscou, soit, mais ils ne devinrent jamais paysans pour autant. Des terres agricoles, du matériel, du bétail, des semences leur étaient attribués gratuitement, mais toujours sans le moindre résultat. On finissait toujours par les retrouver dans la distillation et le commerce de la vodka, ou, autour de grands ports comme Odessa, ayant monopolisé le commerce du blé ou d'autres matières premières. Tout cela nous est décrit avec force documents dans « Deux siècles ensemble ».
Le deuxième volume, qui va de 1917 à nos jours, décrit la part de plus en plus grande prise par les mêmes dans les activités politiques du pays et qui, fatalement, allait amener la chute du Tsar. Il y a peu de doute non plus qu'ils furent la colonne dorsale de la nouvelle administration et qu'on les retrouva en assez grand nombre dans tout ce qui touchait le goulag. Sur ce sujet, force est de faire confiance à l'auteur : dix ans de bagne, il sait de quoi il parle.
Au sujet de la Loi Lénine du 27 juillet 1918 qui était dans l'URSS l'équivalent de ce qu'est la loi Gayssot chez nous, l'auteur évoque une étude rédigée en 1926 sur la question : Les habiroux et l'antisémitisme en URSS et qui disait : « Les méthodes pour combattre l'antisémitisme sont parfaitement claires. Il faut d'abord organiser dans les usines des sessions publiques, informer les éléments attardés, réprimer les éléments actifs. Il faut appliquer la Loi Lénine.» Or, cette fameuse loi disait : « Les antisémites actifs doivent être placés hors la loi. » Ce qui à l'époque signifiait, toujours d'après Soljenitsyne : être fusillé. Il suffisait de s'être rendu coupable d'« incitation à pogrom ». Il n'était pas nécessaire d'y avoir participé. La loi encourageait les habiroux à dénoncer toute atteinte à leur dignité nationale.
Et en 1929 un certain Silberman se plaignit dans les colonnes de l'hebdomadaire La Justice soviétique que trop peu d'affaires liées à l'antisémitisme eussent été jugées au cours de l'année devant les tribunaux moscovites - 34 à Moscou, ce qui équivalait pourtant à un procès pour antisémitisme tous les dix jours, dans la seule capitale !
A méditer aussi, cette déclaration d'A. Voronef à l'époque : « Les habiroux devraient se préoccuper un peu moins d'antisémitisme et un peu plus de ce que font les habiroux. »
Vous ne serez, je pense, pas autrement surpris de savoir que dans Le Figaro du 5 août 2008, qui tirait à la une : « Soljenitsyne, hommage à un géant de l'histoire, quatre pages spéciales consacrées à l'écrivain. », pas la moindre ligne ne faisait état de cet important ouvrage. Heureusement que, chez nous, existe une presse libre. Belle illustration. Et bien dans la ligne de ce que pensait Sacha Guitry de ce journal.
Léon ARNOUX. Rivarol du 5 septembre 2008
* « Deux siècles ensemble ». Fayard éditeur. 30 € le volume.

vendredi 26 septembre 2008

Pires que les OGM, les «nanoparticules» agro-alimentaires

Tapies dans l'ombre des OGM, cent fois plus terrifiantes, manipulant l'atome et la molécule, elles attendent sournoisement pour sortir au grand jour que les dernières barrières de résistance biologique aient été emportées ; les nanotechnologies. Mais leur banalisation se généralise. A travers le monde, des dizaines de milliers de chercheurs sont au travail, des milliards distribués, des technopoles spécialisées - en France : Grenoble - construites pour étendre sans cesse la recherche tous azimuts. Sans aucune étude à long terme des conséquences dévastatrices qu'elles pourraient entraîner, sans contrôle, sans législation. elles ont déjà partout pénétré le marché. Au point, alors que la plupart l'ignorent et que les media le taisent, de s'être introduites dans les cosmétiques, la pharmacologie industrielle, l'alimentation, les vêtements, les peintures, ustensiles de cuisine et de table, X-Boxes, I-Pods, filtres à air, produits anti-bactériens domestiques et animaliers etc.
L'affaire fait grand bruit en Australie où le gouvernement vient d'être interpellé par la plus grande fédération de syndicats, l'ACTU. Laquelle, en l'absence de toutes garanties et précautions spécifiques, exige une législation. « Il semble, proteste-t-elle, que le monde des affaires ait reçu le feu vert pour développer les nanotechnologies mais que du côté des régulations de sécurité et de santé on soit toujours au rouge ». En réalité, comme tous ses collègues des pays développés, le gouvernement australien fait l'âne et se retranche derrière les nécessités économiques. Si son livre blanc « Options pour une stratégie nationale sur les Nanotechnologies » recommande d'approfondir leurs effets sur la santé, la sécurité et l'environnement, il est clairement souligné qu'aucune nouvelle régulation ne saurait venir alourdir celles en vigueur dans le monde industriel. Le National Nano-Technology Coordination Office américain va même plus loin dans son refus d'une législation adaptée car cela « pourrait gêner tout développement en ce domaine ». Il ne saurait donc être question d'imposer des tests de sécurité particuliers aux nanotechnologies avant qu'elles ne soient mises sur le marché. Ce qu'avait suggéré en 2004 outre-Manche la Royal Society sans pour autant être suivie. « Pourtant, dénonce Steve Mullins, de l'ACTU, nous avons maintenant suffisamment de preuves pour imputer aux nanotechnologies des effets toxiques sur l'organisme ».
Face à ceux qui, appartenant au monde industriel ou chercheurs eux-mêmes, affirment largement exagérés les effets pervers des nanoparticules - on parle ainsi de "pièces" pouvant mesurer un millionième d'un millionième de mètre -, nombre de spécialistes exigent un renforcement des sécurités. Le Pr Paul Wright, directeur du programme de recherches NanoSafe Australia souligne que « les effets des nanoparticules de synthèse sur l'organisme sont totalement inconnus ». Le Dr Sam Bruschi, qui vient d'achever sur le sujet une étude commandée par l'Australian Safety and Compensation Council, est beaucoup plus sévère. Il affirme avoir trouvé des lésions précancéreuses chez des animaux ayant respiré des nanotubes de carbone. Ou des tumeurs induites par des nanoparticules de titane issues de pare-soleil utilisés chez des animaux de laboratoire. Leur taille microscopique leur permet de passer, à travers filtres respiratoires et défenses immunitaires, dans les systèmes circulatoire et nerveux et de se déposer dans tous les organes y compris le cerveau. Pour beaucoup, les nanotechnologies pourraient être l'amiante de demain.
L'HÉGÉMONIE DÉMENTIELLE DE LA SCIENCE
Pour ceux qui doutent encore, une sociologue de la ruralité de l'Université Griffith dans le Queensland, Kristin Lyons, a présenté avec son équipe, en juillet dernier à Canberra, la capitale australienne, dans le cadre d'une conférence sur « Les futurs ruraux », un rapport fort inquiétant. Le Pr Lyons y observe d'abord qu'en dépit des investissements considérables effectués dans les nanotechnologies de l'agro-alimentaire - Syngenta, Kraft, Monsanto et Heinz à eux seuls devraient en 2010 atteindre 20 milliards de US$ -, aucune régulation de ce secteur n'a été considérée. Or, en agronomie, les nanotechnologies visent à obtenir une plus grande efficacité d'application des pesticides, en rendant les émulsions « plus stables, plus toxiques et mieux absorbées par les plantes et les insectes prédateurs ». Sauf que, en pénétrant dans les parties comestibles des plantes, elles représenteront un danger accru pour la faune, la flore et les humains. De la même façon les nanoparticules pesticides se diffuseront en nouvelles contaminations des sols, des eaux, de la chaîne alimentaire; Déjà existent des "nano-senseurs" ayant vocation à contrôler le PH, les oligo-éléments, les niveaux d'humidité de la flore ou du sol, à déceler la présence d'insectes pathogènes. Ou des nanosemences avec insecticide incorporé, contrôlées à distance par GPS. Les uns et les autres, disséminés dans les champs, deviendront vecteur d'une nanopollution plus périlleuse que celle provoquée par la chimie industrielle. L'argument privilégié des promoteurs de ces techniques étant qu'ainsi, comme le revendique l'agriculture de précision, on ne donnerait à chaque culture que la dose minimale dont elle aurait besoin. Les faiseurs d'OGM tinrent le même discours. On sait qu'il advint, hélas, le contraire. En introduisant dans le pesticide un gène protecteur des plantes cultivées, on ouvrit la porte à un déferlement chimique jamais atteint auparavant.
Selon Kristin Lyons, il existe déjà des nanocapsules directement implantées dans l'estomac de l'insecte. On voit toutes les dérives possibles d'une telle technique en train de se développer sous le manteau. Pas plus que pour les émulsions pesticides contenant des nanoparticules, les nanocapsules ne font l'objet de contrôle. On ne sait d'ailleurs pas qui fabrique ces capsules et en quelles quantités elles circulent déjà sur le marché. Ce dont est sûre en revanche l'universitaire australienne, c'est que des nanocapsules contenant du calcium ou du fer sont déjà ajoutées à un certain nombre d'aliments industriels. Il existerait ainsi quelques 300 "nanoaliments" dans le monde dont en 2005 la valeur était estimée à 5,3 milliards de US$. La revue spécialisée US Small Times Magazine a publié la liste des 80 produits contenant des nanoparticules manufacturés dans les seuls Etats-Unis.
Les tenants des nanotechnologies alimentaires, comme le font depuis des années ceux des OGM, se justifient par la nécessité de faire progresser la science et d'ouvrir à la médecine et à la pharmacopée des espaces illimités. Mais c'est aussi le prétexte invoqué pour déverser des milliers de milliards de dollars dans la conquête spatiale et l'imbécile tocade de la colonisation marsienne. Par lesquels se légitiment le renforcement du gouvernorat mondial et la mise au pas de tous ceux qui refusent l'hégémonie insensée des professeurs Tournesol mâtinés de Dr Folamour.
Petrus AGRICOLA. Rivarol du 4 avril 2008

samedi 20 septembre 2008

La légende du ralliement total des combattants de Narvik à la France Libre

Le cinquantenaire de l'Appel du 18 juin a provoqué au début de cet été une avalanche d'articles commémoratifs où le souci de se placer « dans le sens de l'histoire » a souvent éclipsé la vérité historique dans son indispensable rigueur et dans sa radicale opposition aux légendes aujourd'hui établies. La plupart des soldats français repliés en Angleterre qui, à l'inverse de leurs camarades combattants encore sur le front de France, ont été au courant de la démarche du général de Gaulle refusèrent dans leur grande majorité de le suivre et demandèrent à être au plus vite rapatriés vers une parcelle de l'Empire soumise à l'autorité du maréchal Pétain. Ce n'est certes pas diminuer le mérite et le courage des volontaires de la France Libre que de constater qu'ils furent en réalité fort peu nombreux.
Travaillant à un livre sur les combats de Narvik, j'ai été très surpris de découvrir, dans un grand nombre d'articles et de livres, des chiffres totalement fantaisistes sur le pourcentage des légionnaires et des chasseurs alpins rapatriés de Norvège qui rejoignirent la France Libre. On parle ainsi de la totalité de la 13e demi-brigade de Légion étrangère, soit près de deux mille hommes, et d'environ trois cents chasseurs alpins...
Rien que pour ces derniers, le chiffre est à diviser par dix, tandis que celui des légionnaires est à diviser par deux !
Après un premier séjour en Angleterre - ou plutôt en Ecosse - à leur retour du cercle polaire, les rescapés de cette expédition, que l'on considère comme « la seule victoire française de l'été 1940 » (malgré le fait que le général Dietl resta finalement le maître du terrain que nos troupes avaient abandonné sur ordre), sont envoyés dans le fameux « réduit breton ». Ils arrivent trop tard pour jouer le moindre rôle et sont alors dirigés sur Brest, où la plupart réussissent à s'embarquer pour gagner l'Angleterre.
Ainsi les légionnaires des deux bataillons de la 13e DBLE et chasseurs des 6e, 12e et d'une faible partie du 14e BCA.
Ils sont alors dirigés sur le camp de Trentham Park dans le Stafford-shire non loin de Birmingham, où ils arrivent pour la plupart le samedi 22 juin. Groupés sous les arbres pour se mettre à l'abri de la pluie qui commence à tomber, ils s'endorment, épuisés, dans les couvertures que l'on vient de leur distribuer. Des tentes marabouts sont rapidement montées, à raison d'une pour huit hommes environ.
Le général Béthouart, commandant en Norvège de la 1ère division légère de Chasseurs, s'installe dans un baraquement dénommé « le Chalet vert ».
Emile Béthouart, cinquante ans, est un camarade de promotion de Saint-Cyr de Charles de Gaulle, qu'il tutoie tout naturellement, même s'il ne l'a guère revu depuis 1912. Dans ses Mémoires (1) écrits bien après la guerre et dans lesquels il retrace son passé d'indéniable résistant à la politique de Vichy au Maroc en 1942, il semble un peu embarrassé pour expliquer son attitude de juin 1940 : « Je téléphone à de Gaulle ... Tel que je le connaissais, son initiative ne me surprenait pas ; elle correspondait d'ailleurs à mes propres réactions. Le 26 (juin) nous déjeunons ensemble à l'hôtel Rubens... De Gaulle est calme, souriant, détendu. D'emblée, il aborde le sujet pour lequel nous sommes réunis :
- Tu as vu ce que j' ai fait ?
- Naturellement !
- Et qu'est-ce que tu en penses ?
- Je pense que tu as raison .. il faut que quelqu'un reste et combatte avec les alliés, mais personnellement j'ai sept mille hommes à rapatrier (2) et je ne peux pas, en conscience, les abandonner avant qu'ils soient en sécurité. Par ailleurs, je voudrais me rendre compte de ce qui se passe de l'autre côté. Je ne comprends pas l'attitude de ces chefs en lesquels nous avions confiance. Noguès avait fait une proclamation excellente et digne. Pourquoi a-t-il rallié Pétain ? Y a-t-il une raison majeure qui m'échappe ?
- Tu verras, c'est une bande de vieux dégonflés.
- S'il en est ainsi, je reviendrai.
- Tu ne le pourras pas. »
Le général Béthouart ajoute alors dans ses Mémoires que de Gaulle n'est pas encore reconnu par Churchill et ne le sera que le surlendemain. Pour sa part le vainqueur de Narvik rencontre le colonel britannique de Chair, du War Office, avec qui il évoque le transport des légionnaires et des chasseurs alpins du Maroc. Celui-ci lui dit alors :
- « Naturellement, si quelques-uns d'entre vous veulent rester avec nous, ils peuvent le faire. » Cela est dit sur un tel ton que Béthouart demande :
- « Vous n'avez pas l'air d'y tenir. »
L'anglais acquiesce par un «Non» catégorique.
Entre de Gaulle et Béthouart il n'y a guère d'affinités personnelles et ces deux jeunes généraux se connaissent assez mal. Suffisamment sans doute pour ne pas sympathiser.
Des légionnaires « rouges » qu'on interne
Comment vont réagir les anciens combattants de Narvik ?
Une grande partie des légionnaires est d'origine espagnole. Ce sont pour la plupart d'anciens combattants de l'armée républicaine, des « Rouges », parmi lesquels il y a indiscutablement des meneurs communistes. Deux cent cinquante à trois cents d'entre eux jettent leurs armes et refusent d'obéir à leurs chefs, croyant qu'ils vont... être livrés à Franco ! On signale aussi des désertions individuelles. La « Treize » perd environ 15 % des éléments arrivés au camp le 22 juin. Ces Espagnols refuseront de rallier le Maroc, mais ne rejoindront pas pour autant la France Libre. Ils seront pour la plupart internés en Angleterre.
Les officiers de légion sont en très grande majorité « de carrière ». Ils veulent tous poursuivre la guerre. Mais comment ? Ils sont déchirés entre l'obéissance à la hiérarchie, c'est-à-dire Vichy, et l'aventure héroïque, c'est-à-dire Londres.
Leur chef, le lieutenant-colonel Magrin-Vernerey, en dépit d'une anglophobie légendaire, reste en Angleterre, ce qui correspond bien à son tempérament de baroudeur non-conformiste.
Une majorité (environ 60 %) d'officiers veulent rester en Angleterre avec leur chef de corps, mais les 40 % restant désirent gagner le Maroc avec le commandant Boyer-Resses.
Comme l'écrit un historien de la Légion : « La majorité des légionnaires de la 13e DBLE n'a pas rallié la France Libre, contrairement à ce qu'affirment certaines sources, puisque sur les 2 170 hommes débarqués à Brest, moins de 900 restent en Angleterre. » (3)
Les chiffres sont encore plus faibles chez les chasseurs alpins. C'est le 6e BCA, bataillon d'active de Grenoble, qui fournit le« gros» des effectifs ralliés à la France Libre. Soit sept officiers (deux capitaines, deux lieutenants, deux sous-lieutenants et un médecin-aspirant). Se rallient aussi un lieutenant-médecin du 14e BCA et un lieutenant du 12e BCA.
Accueil réfrigérant des Anglais
Le « Bataillon de chasseurs de la France Libre » comprendra en réalité trente à quarante rescapés de Narvik et quatre cents jeunes évadés de France au péril de leur vie, souvent sur des bateaux de pêche. Ce bataillon sera placé sous les ordres du capitaine Hucher, ancien commandant de la 2e compagnie du 6e BCA en Norvège.
Au cours d'une enquête parmi des anciens combattants de Narvik, j'ai entendu, en général sous promesse de l'anonymat, quelques-unes des raisons de ceux qui n'ont pas voulu rallier de Gaulle.
D'un lieutenant d'active, chef d'une compagnie de mitrailleuses:
- « On avait appris par le Daily Mail que de Gaulle était en Angleterre avec sa femme. Alors que nous étions séparés de nos familles. Cela a produit un effet désastreux. »
D'un lieutenant, chef d'une section d'éclaireurs-skieurs :
- « De Gaulle était pour nous un inconnu total... Il n'avait jamais servi aux Alpins. De ma section, un adjudant et un caporal sont restés. Les autres voulaient retrouver leurs fermes. Et le fait que Béthouart, plus ancien que de Gaulle, ait refusé de se mettre sous ses ordres a été déterminant. »
D'un lieutenant de réserve, chef d'une section de mortiers :
- « L'accueil en Angleterre avait été réfrigérant. Un soldat de la Military Police avait voulu, dès le débarquement, me prendre mon pistolet : "Give me", me disait-il. J'ai répondu : "Never" ! Nous nous méfions beaucoup des Anglais. Le lieutenant-colonel Valentini, commandant notre demi-brigade, nous a dit : "Ils sont en train de nous préparer un sale coup" . Mers el-Kébir ne m'a pas tellement étonné. »
D'un lieutenant de réserve, alors séminariste :
- « De Gaulle est venu faire "la tournée des popotes" à Trentham Park... C'était le dimanche 30 juin et il y restera une heure de 19 h à 20 h. Il prononce devant les officiers une brève allocution, où il évoque la certitude de la victoire.»
« On était tous alignés, poursuit l'ancien lieutenant de Narvik. Ceux qui avaient envie de rester en Angleterre le disaient. Il y a eu une demi-douzaine d'officiers de notre bataillon pour le suivre. De Gaulle a dit alors, avec un souverain mépris, à ceux qui partaient pour le Maroc :
- Messieurs, vous ne m'intéressez pas ...
La plus extraordinaire histoire que j'ai entendue sur ce rapatriement vers la zone libre est celle d'un fringant « bigor », ainsi nomme-t-on les artilleurs de la Coloniale. Il décide de rejoindre le Maroc, mais le bateau que les Anglais mettent à la disposition des Français est d'une saleté repoussante. L'officier se soucie fort peu de descendre dans la cale puante, pour y vivre une traversée incertaine, dans la promiscuité des hommes de troupe, les coques suintantes de rouille et les ponts vite englués de vomi.
- Pas question de rester à bord de cet infect rafiot, dit-il. »
Et c'est ainsi que la France Libre a récupéré un officier qui servira dans ses rangs avec autant de panache que d'efficacité.
Les volontaires de la France Libre seront, à la fin de juillet 1940, 2 548 très exactement, malgré le renfort des évadés de France et quelques ralliements.
Pourtant la légende des légionnaires et des chasseurs alpins de Narvik rejoignant de Gaulle aura la vie dure.
(1) Cinq années d'espérance, Plon, 1968.
(2) En réalité 4 441, il en restera moins de 1 000 en Angleterre et les trois quarts rejoindront le Maroc.
(3) André-Paul Comor : L'épopée de la 13e demi-brigade de Légion étrangère, Nouvelles Editions Latines, 1988.
Jean Mabire LE CHOC DU MOIS- Septembre 1990

jeudi 18 septembre 2008

21 août 1941 : l'arme terroriste

En ce 21 août 1941, il fait très beau à Paris. Un officier allemand, de haute taille, attend le prochain métro à la station Barbès-Rochechouart, l'aspirant Moser, de la Kriegsmarine, savoure la perspective d'une journée d'été dans ce Paris dont il rêvait depuis des années.
Le métro arrive dans un bruit de ferraille et s'arrête en couinant. Les portes s'ouvrent. Deux coups de feu claquent. Touché dans le dos, l'aspirant Moser s'effondre. Un homme quitte en courant le quai de la station. Il vient d'entrer dans l'histoire en réalisant ce qui sera présenté comme la première opération terroriste visant un soldat allemand en uniforme (en fait, quelques jours plus tôt, le 13 août, deux jeunes communistes ont tué un Allemand à coups de baïonnette, près de la porte d'Orléans). Le terroriste s'appelle Pierre Georges. Il sera plus connu, à la fin de la guerre, sous le nom de colonel Fabien. Membre de la direction des jeunesses communistes ; il a réuni en juillet et août 1941 des militants décidés, parmi lesquels Gilbert Brustlein, Simon Lichtenstein, Liliane Lévy, Isidore Grinberg, Ascher Semhaya, Madeleine Pefferkorn. Les consignes qu'il leur donne sont claires : « On sabote et on descend des officiers allemands (...) Nous devons tuer des Allemands. Sans cela rien n'est possible. »
La stratégie est celle, classique, du terrorisme : en réalisant des attentats contre l'occupant on va pousser celui-ci à une répression forcément plus ou moins aveugle, susciter ainsi contre lui l'hostilité de la population, qu'on pourra du coup entraîner dans la résistance ... Henri Amouroux résume le calcul : « En frappant un grand coup, les communistes espèrent faire basculer la France dans la guerre totale (...) Il s'agit, pour eux, de provoquer l'irréparable. »
Le problème, pour les communistes, c'est que ce schéma ne correspond pas à la réalité, en tout cas en 1941 : la population n'approuve en rien l'assassinat des officiers allemands. C'est pourquoi les journaux et tracts communistes, fabriqués dans la clandestinité, ne revendiquent pas des attentats trop impopulaires.
Il faut dire que le parti communiste paye encore, en 1941, un cheminement politique pour le moins ondoyant depuis 1939. En pointe de la propagande cocardière, dans les dernières années de l'avant-guerre, il a dû effectuer un virage aussi rapide que spectaculaire en août 1939, à l'annonce du pacte germano-soviétique, pour s'aligner sur les choix de Moscou. Staline levant son verre à la santé d'Hitler, le 23 août... Cette image a perturbé plus d'un communiste, habitué à entendre et à répandre le discours habituel sur l'hydre fasciste. Le parti a du coup enregistré de nombreux départs, y compris au plus haut niveau (vingt-deux parlementaires sur soixante-quatorze). Ebranlé par ces abandons, condamné à la clandestinité par Daladier, le parti communiste a cependant vaille que vaille appliqué les consignes de démoralisation des troupes et de sabotage des armements.
Quand arrive la défaite de la France, les communiste demandent aux autorités allemandes le droit de faire reparaître L'Humanité dès le 20 juin 1940, six jours après l'entrée de la Wehrmacht à Paris ...
Bien plus, la presse communiste se félicite à trois reprises, au cours de juillet 1940, des bons rapports existant entre l'armée allemande et la population française.
Tout change, évidemment, avec l'entrée des troupes allemandes en URSS le 22 juin 1941. Du jour au lendemain, les communistes entrent en résistance (bien entendu, leur version officielle de l'Histoire, depuis 1945, soutient qu'ils ont été résistants avant tout le monde, dès juin 1940). C'est pourquoi l'action terroriste de "Fabien" sera suivie de beaucoup d'autres. Ce qui finira par déclencher l'engrenage sanglant que voulaient les communistes.
Pierre VIAL National Hebdo du 21 au 27 août 1997

Nicolas Tesla (3e partie - Tradition védique)

(en construction)

Nicolas Tesla (1ère partie - Biographie)

Nikola Tesla - Energie du vide :



http://www.youtube.com/watch?v=yCUan_fBA88


Neutrino & Tesla, l'énergie gratuite :



http://www.youtube.com/watch?v=wbvN-5saWuc

(en construction - à suivre...)

mardi 16 septembre 2008

Les « terroristes de l'air » en pleine action


Mars 1943 - mars 1944 : Les « terroristes de l'air » en pleine action

8 mars 1943. La ville de Rennes baigne dans une atmosphère de liesse. Le printemps est déjà là et incite à flâner. C'est le Lundi Gras, beaucoup de magasins sont fermés et la fête foraine, sur le Champ-de-Mars, attire nombre de Rennais. Les enfants, surtout, se pressent autour des manèges. Ils sont en vacances. Ils sont à la fête.
Une fête qui, à 14h30, se transforme en enfer. Des avions américains, appartenant à la 8th US Army Air Force, lâchent leurs bombes (539 engins de 250 kilos) qui, censées toucher la gare de triage, tombent en fait sur la foule amassée sur l'esplanade du Champ-de-Mars. Des cadavres d'enfants jonchent le sol au milieu des débris de manèges déchiquetés. On entasse les corps dans une chapelle ardente improvisée à l'intérieur d'une baraque de foire encore debout.
Trois jours plus tard, lors des obsèques des 299 morts, Mgr Roques, archevêque de Rennes, déclare en chaire : « Le 8 mars restera une date tragique dans l'histoire de la ville et de la Bretagne. En quelques minutes, avec un acharnement furieux, des monstres aériens ont semé la ruine et la mort. Celle-ci a emporté, sans distinction, des hommes, des femmes et des enfants ( ... ) Il est impossible que nous ne fassions pas entendre notre souffrance et notre indignation, car la guerre, même avec toutes ses incidences, n'autorise pas le massacre des innocents et des populations civiles. »
Rennes devait être bombardée à nouveau un an plus tard (les 9 et 12 juin et le 17 juillet : 280 morts). Mais bien d'autres villes ont subi le même sort. Est tristement éloquente la liste dressée par Jean-Claude Valla dans sa remarquable étude, La France sous les bombes américaines 1942-1945 (Les Cahiers Libres d'Histoire n° 7, Editions de la Librairie nationale, 2001). Lugubre litanie:
Sotteville-les-Rouen, Lille, Saint-Nazaire, Rennes, Banlieue parisienne, Istres, Paris, Le Portel, Nantes, Modane, Toulon, Saint-Quentin, Biarritz, Arras, Metz, Troyes, Reims, Sarreguemines, Valenciennes, Cambrai, Mézières, Mantes, Sartrouville, Conflans-Sainte-Honorine, Creil, Epinai, Mulhouse, Tourcoing, Amiens, Charleville, Givors, Carnoules, Grenoble, Chambéry, Saint-Etienne, Lyon, Nice, Marseille, Avignon, Nîmes, Rouen, Caen, Saint-Lô, Coutances, Argentan, Falaise, Flers, Valognes, Condé-sur-Noireau, Vire, Avranches, L'Aigle, Aunay-sous-Odon, Le Havre, Saint-Malo, Calais, Royan. Près de 70 000 civils français sont morts sous les coups de l'aviation anglo-américaine.
« Dégâts collatéraux » comme dit aujourd'hui Washington pour justifier les massacres commis aux quatre coins de la planète ? En mars 1944, un réseau de résistance de Saint-Quentin adresse à Londres un message pour dénoncer le résultat désastreux d'un bombardement, qui n'a en rien paralysé le réseau ferré (objectif annoncé) mais détruit de nombreuses maisons d'habitation et tué leurs occupants. En mai, fou furieux, le capitaine Hubert de Lagarde, chef du deuxième bureau de l'état major des FFI (arrêté plus tard par les Allemands et mort à Dora), dénonce à Londres les bombardements anglo-américains en les qualifiant de « travail d'ivrognes » ! Il récidive trois jours plus tard en stigmatisant « l'imbécillité criminelle de certains bombardements de l'aviation alliée qui exterminent des Français par centaines sans même atteindre des objectifs militaires ». « Il faut croire, accuse-t-il, que les chefs de la-dite aviation n'attachent que peu d'importance à l'avis de leurs meilleurs informateurs, car on assiste depuis quelque temps à une débauche de bombardements auxquels peut fort bien s'appliquer le qualificatif de "terroristes" ( ... ) Ces gens-là semblent atteints d'une fureur de destruction qui confine à l'hystérie la plus stupide. »
Le 1er mai 1944, Mgr Chollet, secrétaire de la commission permanente de l'assemblée des cardinaux et archevêques de France, ainsi que les trois cardinaux français, Mgr Gerlier, archevêque de Lyon, Mgr Suhard, archevêque de Paris et Mgr Liénart, évêque de Lille, adressent un appel solennel « aux cardinaux, archevêques et évêques de l'Empire britannique et des Etats-Unis d'Amérique » : « Frères vénérés, les bombardements aériens qui s'intensifient à l'heure présente sur la France, notre patrie, emplissent nos cœurs de tristesse et d'angoisse. Presque chaque jour, nous sommes témoins, nos collègues de l'épiscopat et nous-mêmes, des ravages cruels que font dans la population civile les opérations aériennes menées par les puissances alliées ( ... ) Au nom de tant de victimes qui crient pitié, nous osons vous demander instamment d intercéder auprès de vos gouvernements respectifs pour que les populations civiles de France et d'Europe soient épargnées. » Est-il nécessaire de dire que cet appel n'eut ni effet ni réponse ?
Pierre VIAL. Rivarol du 4 avril 2008

jeudi 11 septembre 2008

Quand des socialistes assassinaient la république

Le 10 juillet 1940, par 569 voix contre 80 et 17 abstentions, l'Assemblée nationale votait les pleins pouvoirs au maréchal Pétain. Sur les 149 parlementaires socialistes, 29 seulement s'opposèrent au texte proposé. Beau démenti à la légende entretenue par certains historiens, qui soutiennent que le gouvernement de Vichy fut enfanté par la droite.
De même qu'il paraît injuste d'oublier tous ces socialistes qu'on rencontrait dans les allées du pouvoir d'alors et sur les chemins de la collaboration.
Comme on en use avec César, il convient de rendre à la gauche ce qui est à la gauche.

« L'Assemblée nationale donne tout pouvoir au gouvernement de la République, sous l'autorité et la signature du maréchal Pétain, à l'effet de promulguer par un ou plusieurs actes une nouvelle Constitution de l'Etat français. Cette de la famille et de la patrie.
Elle sera ratifiée par la nation et appliquée par les Assemblées qu'elle aura crées. »
Née d'une défaite au lendemain de 1870, la IIIe République meurt ce 10 juillet 1940 d'une autre défaite. Les paroles de la chanson n'existent pas encore et personne n'a vraiment envie de chanter, aussi le peuple français s'accorde-t-il, en une majorité qui frise l'unanimité, à soupirer :
- Maréchal, nous voilà ...
Seule fausse note dans ce concert d'actions de grâces, la réflexion d'un glorieux soldat :
- Pétain, il est comme moi, deux heures de lucidité par jour...
Propos aussitôt dénaturé.
Le général de Castelnau, qui connaît le poids des ans, entend protester contre l'attitude de ceux qui chargent du poids de leurs erreurs les épaules d'un vieillard. C'est bien dans la manière directe de ce catholique intransigeant sur les principes et sur les devoirs. En raison de ses convictions, la gauche d'après la victoire de 1919 s'était opposée à ce qu'il obtînt un bâton de maréchal pourtant largement mérité. En raison de son ironie, la gauche d'après la défaite de 1940 le taxe de jalousie lorsqu'il sourit de la voir adorer Pétain sans retenue. En tant qu'homme de droite, Castelnau ne peut prétendre qu'au mépris.
Parce que si la gauche, comme en témoigne le comportement de la plupart de ses représentants élus, approuve l'armistice avec l'Allemagne, elle n'envisage nullement la possibilité d'en signer avec la droite, qui demeure l'ennemie.
Certes, pour le moment, il faut donner l'impression de composer. L'entourage du Maréchal est truffé de gens de droite, voire d'extrême droite. Beaucoup, s'ils n'ont pas milité dans les groupes d'Action française, reconnaissent Charles Maurras pour maître à penser. Quelques-uns, tels le Garde des Sceaux Raphaël Alibert et le chef de cabinet Henri Dumoulin de Labarthète, disposent d'une véritable puissance.
Encore que ces éminences ne dissimulent nullement leur hostilité à toutes les formes de la gauche, il importe d'éviter de les provoquer, ce qui renforcerait leurs arguments, et il semble même nécessaire de les ménager, car le bout de chemin en leur compagnie se révèle indispensable si l'on souhaite conserver des postes clés dans le nouvel Etat français. Chacun se plie aux exigences de la tactique et, honnête historien de l'époque, Henri Amouroux pourra plus tard écrire que les gens de gauche ont été pétainisés « avec plus d'obstination et de logique que les autres » .

NE PAS ABANDONNER LE SOL FRANÇAIS
Aussi, à ceux qui regardent le régime de Vichy comme l'expression de la droite, convient-il d'indiquer que cette vision ne devient possible qu'en admettant que la gauche d'alors offrit l'illusion d'effectuer un impeccable demi-tour à droite.
Manœuvre accomplie dans les temps réglementaires.
Le 16 juin, à 23h30, le maréchal Pétain, Président du Conseil désigné dans la journée, annonce la constitution du dernier gouvernement de la IIIe République. Dans son Histoire de Vichy, François-Georges Dreyfus passe la revue de détail :
« Un gouvernement d'union nationale allant des socialistes à la droite non parlementaire. Sur seize ministres et deux sous-secrétaires d'Etat, onze faisaient déjà partie du précédent gouvernement. Sont absents Paul Reynaud, Georges Mandel, le général De Gaulle. Est absent également Laval qui aurait voulu les Affaires étrangères, ce à quoi le général Weygand s'est formellement opposé, et qui a refusé le ministère de la Justice. Chautemps, Baudoin, Bouthillier gardent leur portefeuille du gouvernement Reynaud, et deux socialistes, Février et Rivière, entrent dans te ministère avec l'accord exprès de Léon Blum ... »
Pourtant, la participation à ce gouvernement correspond, sans la moindre équivoque, à l'acceptation d'une politique. Nul dans la classe politique, n'ignore que l'intention de Pétain est de demander l'armistice. Le Maréchal, quelques jours plus tôt à Cangé, l'a signifié très clairement :
« Il est impossible au gouvernement, sans émigrer, sans déserter, d'abandonner le territoire français. Le devoir du gouvernement est, quoi qu'il arrive, de rester dans le pays, sous peine de ne plus être reconnu comme tel. Priver la France de ses défenseurs naturels dans une période de désarroi général, c'est la livrer à l'ennemi, c'est tuer l'âme de la France - c'est par conséquent, rendre impossible sa renaissance. Le renouveau français, il faut l'attendre bien plus de l'âme de notre pays, que nous préserverons en restant sur place, plutôt que d'une reconquête de notre territoire par des canons alliés, dans un délai impossible à prévoir. Je suis donc d'avis de ne pas abandonner le sol français et d'accepter la souffrance qui sera imposée à la patrie et à ses fils. La renaissance française sera le fait de cette souffrance. »

Or, comment rester dans le pays et continuer de gouverner sans qu'intervienne un armistice ? L'armée allemande fonce vers les Pyrénées, et rien ne parait pouvoir l'arrêter. Donc le doute n'est pas permis. En autorisant deux socialistes à participer au gouvernement Pétain, Léon Blum sait qu'ils seront obligatoirement solidaires de la demande d'armistice.
Ces deux socialistes retrouveront dans ce nouveau gouvernement un ancien camarade de leur parti, qui fut en 1936 ministre de Léon Blum, comme il le fut avant et après de beaucoup d'autres, toutes tendances confondues. La carrière de girouette du personnage donnait tellement le tournis que, lorsqu'il devint l'élu de la Martinique, Henri Jeanson, confondant pour le plaisir d'un mot les couleurs d'outre-mer, le surnomma le député de Tahiti. Tour à tour membre de la SFIO, du Parti communiste - dont il fut exclu pour appartenance à la franc-maçonnerie - et de diverses formations dont par extraordinaire les étiquettes s'usèrent plus vite que sa réputation, Ludovic-Oscar Frossard offre au gouvernement Pétain, à défaut de sa fidélité, son incompétence dans la gestion du ministère des Travaux Publics. Quand, la République mise en veilleuse un peu grâce à son vote, le gouvernement de Vichy fera appel à des techniciens pour les ministères techniques. il se retirera à Marseille, où il publiera, jusqu'au dernier jour de l'occupation, un quotidien, Le Mot d'ordre, largement subventionné par l'Etat français. Après la Libération, en 1946, il mourut dans une semi-clandestinité, abandonné par les apôtres du socialisme renaissant. Il ne croyait plus en rien, et son fils André ne croyait pas déjà en un Dieu qu'il n'avait pas encore rencontré.

PÉTAIN FAIT L'UNANIMITÉ
Dans son remarquable ouvrage, 1939-1940 L'année terrible (1). François Brigneau propose une approche peu courante des états d'âme de la gauche française dans les semaines du grand bouleversement :
Le 9 juillet 40, il (Vincent Badie) rassemble un certain nombre de ses amis, sur un texte qui mérite d'être rappelé. Il est peu connu et révèle bien la réalité de ces journées cruciales. C'est la Motion des 27. La voici.
« Les parlementaires soussignés, après avoir entendu la lecture de l'exposé des motifs du projet concernant les pleins pouvoirs à accorder au maréchal Pétain, tiennent à affirmer solennellement :
Qu'ils n'ignorent rien de tout ce qui est condamnable dans l'état actuel des choses et des raisons qui ont entraîné la défaite de nos armées.
« Qu'ils savent la nécessité impérieuse d'opérer d'urgence le redressement moral et économique de notre malheureux pays et de poursuivre les négociations en vue d'une paix durable dans l'honneur.
« A cet effet, ils estiment qu'il est indispensable d'accorder au maréchal Pétain, qui en ces heures graves incarne et parfaitement les valeurs traditionnelles françaises, tous les pouvoirs pour mener à bien cette œuvre de salut public et de paix.
« Mais, se refusant à voter un projet qui aboutirait inéluctablement à la disparition du régime républicain,
« Les soussignés proclament qu'ils restent plus que jamais attachés aux libertés démocratiques, pour la défense desquelles sont tombés les meilleurs de ses fils. »
Les 27 - qui seront finalement 38 - sont presque tous de gauche.
On y trouve sept francs-maçons : Biondi, député de l'Oise, loge La Liberté; Labrousse, sénateur de la Corrèze, vénérable de la loge La Fraternité latine; Michel, sénateur de la Dordogne, vénérable de la loge Vers la Justice ; Noguères, député des Pyrénées-Orientales, loge Action ; Ramadier, député de l'Aveyron, loges La Nouvelle Cordialité et l'internationale ; Roy, député de la Gironde ; Thiébault, député de la Meuse, loges Régénération et Jules Michelet.
On y trouve également des anciens ministres du front populaire comme Ramadier, André Philip, Philippe Serre, disciple de Marc Sangnier et membre important de la jeune république, etc.
Or tous, même Noguères (qui deviendra le président de la haute cour de justice jugeant les ministres du Maréchal), s'ils témoignent de leur attachement aux « libertés démocratiques » et au « régime républicain », « tiennent à affirmer solennellement... qu'il est indispensable d'accorder tous les pouvoirs au maréchal Pétain qui incarne si parfaitement les valeurs traditionnelles françaises ... » et « qu'ils savent la nécessité impérieuse... de poursuivre les négociations en vue d'une paix durable dans l'honneur ».

Le 10 juillet, dans ce Casino de Vichy les jeux sont faits, ils voteront contre le projet des pleins pouvoirs au Maréchal, même s'ils souhaitent - ainsi que leur résolution incline à le croire - que le reste du Parlement l'adopte. D'autres députés et sénateurs de gauche compteront parmi les 80 opposants déclarés, tel Vincent Auriol. Des gens de droite aussi, comme Louis Marin. Mais 120 socialistes accorderont leur confiance à Pétain pour changer de Constitution. Ils ont suivi la voie indiquée dès le 6 par Charles Spinasse, député SFIO de la Corrèze ancien ministre de l'Economie nationale du Front populaire:
« Le Parlement va se charger des fautes communes. Ce crucifiement est nécessaire... Si l'autorité du Maréchal rend possible cette tâche, alors le don qu'il nous fait de sa personne n'aura pas été vain. »
Parmi les « directeurs de conscience qui ont entraîné la majorité de leurs collègues vers le vote de confiance, trois meneurs se distinguent : Adrien Marquet, maire de Bordeaux, ministre du gouvernement Pétain, fondateur avec Marcel Déat du parti néo-socialiste, Paul Faure, pendant des années secrétaire général de la SFIO, Paul Rives, député socialiste de l'Allier. Deux élus socialistes les secondent efficacement dans ces travaux de couloirs qui ressemblent beaucoup à une campagne d'intoxication François Chasseigne et Armand Chouffet. Le « frontiste » Gaston Bergery les appuie, Et la mouche du coche Ludovic-Oscar Frossard bat des ailes en leur faveur.
Le vote acquis, qui décide d'un changement de régime, un journaliste de gauche (sous réserve, Roger Perdriat, rédacteur en chef de La Dépêche de Toulouse) commente :
« Nos amis viennent allègrement d'assassiner la République. »
L'Etat français, c'est bien, pensent quelques ultras originaires de la gauche, un régime fasciste ce serait mieux. Ils lancent l'idée d'un parti unique. Afin de le constituer, des réunions se tiennent à Vichy entre représentants de divers mouvements, censés plus ou moins soutenir la politique du Maréchal. Le projet tourne court, d'une part en raison de l'hostilité de François Valentin et d'autres délégués de la droite traditionnelle, d'autre part à cause de la « guerre des chefs » entre l'ancien communiste Jacques Doriot, leader du PPF et l'ancien socialiste Marcel Déat, leader du RNP.
Déçu, Déat retourne à Paris et lance son journal, le quotidien L'Œuvre, dans la collaboration extrême. Il se pose en donneur de leçons. Aussi en reçoit-il une, Henri Jeanson, avant guerre pacifiste comme lui mais farouchement antinazi et sincèrement hostile à un rapprochement avec l'Allemagne tant que le territoire français demeure occupé, passe à l'attaque dans les colonnes d'Aujourd'hui :
« Vint la guerre.
Vous fûtes, Déat, des quelques courageux intellectuels qui, en septembre, signèrent le tract Louis Lecoin : Pour la paix immédiate.
La police vous traqua.
M. Daladier, qui faisait la pluie et le beau temps avant que de faire la tempête, l'orage et la tourmente, vous convoqua chez un juge d'instruction qui vous reçut, un mandat d'amener à la main...
M. Daladier voulait ainsi s'assurer, par personne interposée, votre neutralité bienveillante.
Vous crûtes bon de protester :
- Moi, je n'ai jamais signé ce tract !
Ces vaines protestations ne trompaient personne.
Ni vos amis.
Ni vos adversaires.
Ni votre juge d'instruction.
Mais quoi ?
Ce n'est pas votre personne que vous vouliez sauver par vos dénégations, mais une liberté politique qui vous est chère et dont vous entendiez ne pas vous priver. »
Déat, pour se défendre, se voit dans l'obligation d'évoquer une provocation policière - et, sans doute, de l'imaginer :
« J'indique d'abord que certains aspects de cette affaire restent suspects, et que j'ai les meilleures raisons de penser qu'un traquenard policier avait été tendu, dans lequel sont tombés quelques innocents, et il me paraît que les initiateurs du tract ont été les instruments inconscients entre les mains de gens qui voulaient à tout prix réduire au silence et à l'immobilité quelques hommes gênants. Cet aspect de l'affaire sera sans doute éclaircie un jour, mais il ne m'intéresse pas pour l'instant.
Je n' ai jamais signé ce tract, parce qu'on ne m'a jamais parlé de tract, j'ai donné mon nom à un effort qui tendait au regroupement et au rassemblement de tous les pacifistes. Cette besogne était, en effet, utile et urgente. »
Ces citations étaient nécessaires afin d'établir un constat : comme elles le démontrent, le leader de la gauche de la collaboration, le parfait dialecticien socialiste, soutient sans rire à la fois qu'il a donné son nom à la cause et qu'il n'a pas signé le tract, qui exposait cette cause. Très habile, Déat. Mais pas très chanceux. Comme les autres chefs des partis « collabos », Doriot, Deloncle ou Bucard, il aspire au gouvernement. Ses rivaux ne parviendront à rien, et lui obtiendra à peine le ministère du Travail, et seulement au printemps 1944, un trimestre avant la Libération.
Ce ministère du Travail sera à Vichy un fief de la gauche. En juillet 1940, Pierre Laval, premier chef du gouvernement du Maréchal, le confie à René Belin, ancien adjoint de Léon Jouhaux et numéro 2 de la CGT. Une étude de Jean-Claude Valla (2)nous renseigne sur l'activité de ce militant syndicaliste :
« A Vichy, Belin fit entrer dans son cabinet deux de ses anciens camarades de la CGT, Raymond Froideval, ancien secrétaire des services de la Seine, et Emilie Lefranc, qui, avec son mari Georges Lefranc, avait fondé le Centre confédéral d'éducation ouvrière. Dès le mois de juin 1940, celui-ci avait écrit dans un article de la revue Esprit que le « moment était venu de confier Ie socialisme à une élite qui aurait l'autorité et la foi ». Lefranc apportera son soutien â la Charte du Travail et il ne sera pas le seul : parmi les vingt-sept membres du Comité d'organisation professionnelle créé par Vichy en février 1941 figurent bon nombre de vétérans de la CGT, parmi lesquels Auguste Savoie, qui avait participé, au début du siècle, aux luttes du syndicalisme révolutionnaire. Et qui en a accepté la vice-présidence.
Bien que le bilan de son action gouvernementale soit, de son propre aveu, plutôt négatif, René Belin peut s'enorgueillir d'avoir fait instituer la retraite des vieux, promesse que ses amis du Front populaire n'avaient pas tenue. Lorsque Pierre Laval revient au pouvoir en avril 1942, il est remplacé par Hubert Lagardelle qui avait été, au début du siècle, l' un des théoriciens du syndicalisme révolutionnaire. »
Lagardelle dont les conceptions inspirèrent en partie Mussolini lorsqu'il définit la doctrine sociale du fascisme,
Lagardelle qui, à Vichy, doit céder son poste à Marcel Déat, considéré comme « fasciste », mais tout de même de moindre envergure que Mussolini.

DES SOCIALISTES AU CONSEIL NATIONAL
Moins chanceux que Déat ou Chasseigne, député socialiste nommé en mars 1944 par Pierre Laval ministre de l'Agriculture, le plus en vue des membres ralliés de la SFIO, l'ancien secrétaire général du parti, Paul Faure, n'obtient aucun ministère malgré son assiduité auprès du pouvoir. Mais Jean-Claude Valla nous rassure sur son sort :
« Au début de 1941, le Maréchal le récompensera de ses bons et loyaux services en le nommant au Conseil national un organisme vichyssois où il retrouvera plusieurs personnalités de gauche : le sénateur
René Gouhin, franc-maçon et ami de Déat, Ludovic-Oscar Frossard, dont nous avons déjà parlé, les députés SFIO Louis l'Hévéder, Albert Paulin, Alexandre Rauzy et René Brunet, les syndicalistes CGT Georges Dumoulin, Auguste Savoie, René Bard, Marcel Roy et Pierre Vigne, pour n'en citer que quelques uns. »
L'examen de la presse de gauche pendant l'occupation ne manque pas non plus d'intérêt. Inutile de s'attarder sur la France au travail, quotidien sans lecteurs, ou sur L'Atelier, hebdomadaire sans audience. Plus significatif paraît le rôle de La France socialiste. Dirigé par René Château, franc-maçon et député élu sur une liste dissidente du Parti radical ce quotidien se pose en concurrent de L'Œuvre et en adversaire de Marcel Déat. Il prône la collaboration, mais condamne les mesures totalitaires que serait amené à prendre le gouvernement français. De même, il affiche une réelle opposition aux partisans d'un national-socialisme français, voire simplement aux membres des partis extrémistes, PPF ou Francisme. Sa clientèle semble se limiter à des intellectuels, qui apprécient les éditoriaux de René Château et les critiques littéraires de Claude Jamet, universitaire et ancien secrétaire de la fédération SFIO de la Vienne. Le journal est la propriété du trust allemand Hibbelen.
Trust qui possède également L'Effort, quotidien dirigé à Lyon par les socialistes Paul Rives et Charles Spinasse, lequel assume en outre, à Paris, la direction d'un hebdomadaire, Le Rouge et le Bleu, présenté comme l'organe de « la pensée socialiste française ». Les deux publications tentent de trouver un terrain d'entente entre le socialisme à la française et les exigences de « l'Europe nouvelle ».
Dans le même but, Paul Rives et Claude Jamet, toujours financés par le trust Hibbelen, font paraître, le 28 avril 1944, Germinal, hebdomadaire qu'ils espèrent voir un jour rivaliser avec les grands du moment. Je suis partout et La Gerbe.
Un jour ...
Il est bien tard mais Je suis partout continue ses piques féroces contre les journaux des Spinasse, Paul Rives et autres Claude Jamet. L'équipe de fascistes français ne supporte pas ces gens de gauche dont la conversion leur paraît suspecte. L'un des plus acharnés s'appelle Alain Laubreaux. Il sait de quoi il parle. Avant de devenir une des vedettes de je suis partout, il était un des piliers de La Dépêche de Toulouse, journal « officieux » des radicaux-socialistes qui avait salué l'arrivée de Pétain au pouvoir.
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(1) Publications FB (56 bis, rue du Louvre. 75002 Paris), 278 p
(2) « Quand les socialistes chantaient Maréchal nous voilà » in Marianne décembre 1985.


Luc Lanvin,  Le Choc du mois. Décembre 1990.

mardi 9 septembre 2008

Non, le «bio» ne peut nourrir le monde !

Alors que le Salon de l'Agriculture ouvrait ses portes à Paris dans un climat rendu morose par le renchérissement des prix agricoles et ses répercussions sur le fameux « panier de la ménagère », l'Organisation pour l'Alimentation et l'Agriculture (FAO), appendice de l'ONU, découvrait l'état catastrophique de la planète après un demi-siècle de pillages ... auxquels elle n'est pas étrangère. N'est-ce pas le système mondialement planifié, appuyé sur le productivisme et la prolifération alimentaire génératrice de stocks gigantesques, qui a conçu des procédés de redistribution assurant la survie contre-nature de milliards d'individus, esquivant ainsi la régulation naturelle des flux démographiques ? Ce processus a conduit à l'impasse actuelle. Bientôt sept milliards d'habitants et 9 à l'horizon 2050.
Jusque-là on nous assurait qu'il n'y avait pas lieu de s'inquiéter : la technologie garantirait une croissance des productions alimentaires en rapport avec l'essor démographique. On pourrait même, clamait-on, nourrir 13 milliards de personnes. Tout ne serait qu'affaire de redistribution ! Las, de toutes parts montent d'alarmistes prévisions.
La raréfaction des énergies fossiles, dans une économie mondiale où la croissance industrielle débridée, est le moteur de la survie du système, pose soudain de gigantesques interrogations. Nourrir neuf milliards de terriens requiert l'utilisation d'eau, de biotechnologies, de machinisme, de dérivés pétroliers et de carburants en nombre, en puissance et en quantité accrus. Or au-delà des pénuries il apparaît que les dégradations à l'environnement commises par ces technologies au cours des dernières décennies sont irrévocables tandis que la stérilisation des sols s'étend sur des millions d'hectares. Non seulement les productions ont cessé de croître mais elles diminuent. Les « clubs des 100 (quintaux de blé hectare) » ont des difficultés à recruter. Loin de pouvoir nourrir les populations émergentes, de plus en plus nombreuses à vouloir leur part du gâteau, il devient évident que les terres, arables en général, irrémédiablement détruites au cours du XXe siècle, sauf à être rapidement «régénérées», seront incapables de réaliser l'effort de production que la ruche humaine entend leur imposer.
Afin d'inciter les plus gros consommateurs - majoritairement les Blancs - à se restreindre, au risque de faire capoter l'économie mondiale actionnée par l'endettement et le gaspillage, on les terrorise avec les gaz à effet de serre supposés responsables d'un réchauffement induisant une sécheresse qui ajouterait aux pénuries alimentaires. Attisé par le typhon médiatique, le bobard marche. Mais il ne résoudra rien, s'il peut faire gagner du temps à ceux qui redoutent avant tout la prise de conscience des peuples !
ENTRE STÉRILISATION CHIMIQUE ET FAMINE
C'est ainsi que la FAO vient de publier une étude intitulée « Agriculture biologique et sécurité alimentaire ». selon laquelle l'agriculture bio qui, prétend-elle, couvrirait 31 millions d'hectares dans 120 pays pour un marché global de 40 milliards de US$, devrait voir « intégrer ses objectifs et ses actions dans les stratégies nationales de développement agricole et de réduction de la pauvreté » des gouvernements. Outre l'évidente fausseté des chiffres - quels contrôles sont exercés sur la plus grande partie de ces 31 millions d'hectares ? -, on peut s'interroger sur l'utilisation immédiatement faite de cette annonce par les écologistes qui assurent péremptoirement que « l'agriculture biologique pourrait nourrir le monde ».
On voit bien quelle manœuvre se dessine. L'agriculture productiviste et industrielle, ni durable ni supportable, étant condamnée avec raison, comment nourrir les milliards d'être humains qu'annoncent les statistiques ? A l'évidence, si on ne le dit pas ainsi, il n'y a plus de choix qu'entre l'apocalypse chimique et la famine. Les baudruches du genre « agriculture raisonnée » ont eu tôt fait de se dégonfler, ne ralliant que quelques milliers d'opportunistes. Aussi essaie-t-on de faire croire que cette agriculture "bio", dénoncée il n'y a guère encore par les mêmes progressistes, serait la panacée de nature à sauver le monde. Limitation des carburants fossiles, proclame la FAO, retour à la biodiversité avec rotation de cultures, proximité de la main-d'œuvre et des services, réduction des endettements dus aux achats très coûteux d'engrais et pesticides. C'est beau comme l'antique.
De surcroît plusieurs études, émanant d'organismes technologiques et scientifiques hautement respectables, arrivent, providentiellement, pour montrer que, contrairement aux affirmations des pessimistes qui soulignent la moindre productivité du "bio", celui-ci aurait fait la preuve, dans les pays en développement, d'une bien meilleure efficacité que l'agriculture productiviste mécanisée et chimique. L'égalant dans les pays industrialisés.
Au phytogénéticien suédois Norman Borlaug, couronné hier d'un Prix Nobel pour avoir imposé en Inde l'imbécile «révolution Verte», qui proteste que « nous n'allons pas nourrir 6 milliards d'êtres humains avec des engrais biologiques » (lesquels d'ailleurs ont pratiquement disparu), au chimiste anglais John Emsley, sommité mondiale en matière de toxicité chimique, qui assure qu'une conversion planétaire à l'agriculture biologique provoquerait environ 2 milliards de morts, s'oppose un déferlement de néo-écolos pour lesquels la "bio" banalisée et industrialisée sauvera le monde.
DES MILLIONS D'HECTARES DÉVASTÉS
Ainsi, Bill Liebhardt, chercheur de l'Université de Californie, affirme avoir fait produire à du maïs biologique 94 % d'une récolte conventionnelle, 97 % à du blé biologique, 94 % à du soja. Et 100 % à une tomate biologique. De telles mesures, réalisées en laboratoire, n'ont toutefois aucune valeur réelle. N'est-ce pas ce même type de manipulations qui en un siècle ont conduit au gigantesque fiasco de l'agriculture chimique ? Dans la meilleure des hypothèses - et c'est le cas d'une étude menée par l'Institut de Recherche Suisse pour l'Agriculture Biologique ou d'une compilation, réalisée à partir de 200 études faites en Europe et aux Etats-Unis, par Per Endersen de l'Université Cornell-, l'agriculture biologique atteindrait 80 % de la production chimique. Et on ne discutera pas ici du processus inéluctable de dégradation causé par cette dernière. Non plus que de la certitude qu'un jour l'agriculture bio produira en effet plus que l'autre en train de s'autodétruire. On ne s'étendra pas non plus sur les terribles mises en garde de Lydie et Claude Bourguignon (1) : il faut un hectare de culture par habitant pour nourrir les économies développées quand chaque terrien ne dispose plus que de 2 600 m² de terre cultivée.
Alors que chaque année l'érosion dévaste dans le monde la superficie d'une France, trente mètres de limon s'entassent sous le béton et le bitume de Roissy. Combien de générations faudra-t-il pour réanimer une terre épuisée par la chimie et le machinisme ?
VERS LA GRANDE FAMINE ?
On rappellera en revanche - ce qui échappe aux têtes d' œuf mondialistes - que l'agriculture biologique, véritable sacerdoce, capable en effet de rendements voisins de ceux réalisés par la chimique, exige un savoir-faire exceptionnel, de grandes connaissances techniques et un déchiffrage intuitif de la nature. Ce que ne possèdent plus les agriculteurs modernes couverts de diplômes artificiels, et que n'ont jamais su les paysans du Tiers-Monde sur lesquels on se repose pour la vulgarisation de cette pointilleuse technologie. Après avoir depuis un demi-siècle convaincu l'esprit public citadin de la crasse stupidité du bouseux, il est difficile aujourd'hui de faire admettre au plus grand nombre qu'il n'est pas à la portée du premier venu de produire une alimentation saine, sans chimie et sans gigantisme technologique, et d'élever avec doigté des troupeaux sans antibiotiques, hormones ni compléments de synthèse.
On peut douter qu'avec une telle surpopulation globale, quelque mécanisme puisse empêcher la Grande Famine. En tout cas, pour que l'agriculture biologique puisse nourrir la planète, faudra-t-il encore trouver les millions de magiciens indispensables à cette contre-révolution. Ainsi que les sages capables de les instruire. Et ça c'est la quadrature du cercle.
(1) Claude Bourguignon Le Sol, la Terre et les Champs, éd. Le Sang de la Terre. Epuisé. Réédité en février 2008. Voir aussi toute l'œuvre du Japonais Masanobu Fukuoa.
Petrus AGRICOLA. RIVAROL du 29 février 2008

lundi 1 septembre 2008

Le «brave» général Boulanger


Cent ans après son suicide et la fin de l'aventure boulangiste, un nouveau livre vient de paraître sur celui que l'on surnomma «le général Revanche». Il manqua de prendre le pouvoir, grâce à son incroyable popularité et aux ramifications d'un mouvement qui recrutait tant à l'extrême droite conservatrice qu'à l'extrême gauche révolutionnaire. Renonçant à franchir le pas d'un coup d'Etat, Boulanger fut finalement vaincu par l'ultime sursaut d'une «Ripouxblique» dont les scandales avaient accru la combativité. Le récit de Jean Garrigues (1) évoque parfois des problèmes plus actuels qu'il n'y paraît.
La formule est bien connue : « L'Histoire ne repasse pas les plats » et rien ne serait plus erroné ni même plus nocif que d'essayer de faire de la singulière aventure du général Boulanger la préfiguration d'autres échecs (le 6 février 1934) ou d'autres succès (le 13 mai 1958). On a comparé parfois - et l'auteur de ce livre ne s'en prive pas dans sa conclusion - Boulanger à La Rocque, à Pétain ou à de Gaulle. Ce n'est pas toujours faux. Mais ce n'est pas totalement vrai non plus.
Encore faudrait-il connaître l'homme lui-même et ce livre est un assez bon guide du musée boulangiste. Physiquement, le militaire auquel il ressemble le plus, sur les caricatures du moins, est le général Massu, dont il avait sans nul doute et la bravoure militaire et le sens politique.
On a peine en ces temps paisibles à imaginer la carrière d'un jeune saint-cyrien de 1855 (promotion Crimée-Sébastopol). Né le 29 avril 1837, à Bourg-lès-Comptes, au pays gallo, fils d'un avoué breton et d'une aristocrate écossaise, le sous-lieutenant Georges Boulanger va se battre avec un fantastique courage. On le verra à la tête de ses hommes en Kabylie, en Italie où il est très grièvement blessé d'une balle qui lui traverse la poitrine de part en part, en Cochinchine ou au Cambodge. Promu capitaine au feu, il est à nouveau blessé devant Paris, par les Prussiens en 1890, puis par les Communards en 1871.
Il termine l'année terrible comme lieutenant-colonel. Ses notes sont éloquentes : « Caractère hautain, s'appréciant lui-même d'une façon légèrement exagérée. » En termes plus vifs, ce baroudeur est un ambitieux et même un arriviste. La vantardise et l'art du mensonge apparaissent vite comme ses armes favorites. Cet amateur de chevaux et de jolies femmes (au milieu de tant de passades, on lui connaîtra deux grandes passions : Tunis, son alezan noir, et sa maîtresse Marguerite de Bonnemains) va curieusement montrer autant de pusillanimité politique qu'il a fait preuve dans sa jeunesse de témérité guerrière.
De plus en plus mégalomane, au fur et à mesure qu'il assure sa carrière par un savant mélange d'esbroufe et d'hypocrisie, il se montre à la fois zélé clérical chantant à tue-tête, lors d'un pèlerinage, « Sauvez, sauvez la France, au nom du Sacré-Cœur ! » et républicain avancé, patronné par Gambetta, ce qui ne l'empêche pas de faire sa cour au duc d'Aumale ! Faiseur et charmeur, il obtient ses étoiles en 1880, devenant à quarante-trois ans le plus jeune général de brigade de l'année française.
On n'a sans doute pas prêté assez d'attention au voyage qu'il accomplit en Amérique, pour diriger la mission militaire française, lors des festivités commémorant le centième anniversaire de la bataille de Yorktown.
Il rêve peut-être de devenir un «soldat politique», du style La Fayette. Outre-Atlantique, il découvre cette arme fantastique, inconnue encore en Europe, qu'est la publicité. Il lancera plus tard son mouvement comme Barnum son cirque ! Inculture et affairisme. ce continent a tout pour lui plaire, puisqu'il permet de fulgurantes réussites à qui a le sens de l'opportunité, peu de scrupules et un indéfectible optimisme allié à la certitude d'avoir toujours raison. L'innovation de Boulanger dans la vie politique française, ce sera peut-être d'y avoir tenté une carrière à l'américaine, d'autant qu'il a retrouvé aux States un camarade de Saint-Cyr, converti dans les affaires : le « comte» Dillon, qui va devenir un des hommes clés du boulangisme et son grand argentier.
Directeur de l'infanterie au ministère de la Guerre, Boulanger passe pour un «général républicain» de style radical. Clemenceau, son ancien condisciple au lycée de Nantes, ne jure que par lui. Il en reviendra.
En attendant, après un passage comme général de division commandant les troupes françaises en Tunisie, durant lequel il se fait surtout remarquer pour ses mauvais rapports avec le Résident, il est nommé, au début de l'année 1886, ministre de la Guerre.
Ce poste est pour lui un marchepied, ce qui ne l'empêche pas d'être un bon ministre, obsédé qu'il est par l'idée de revanche.
On ne comprend rien à Boulanger si on ne le replace pas dans le cadre du délire anti-allemand de son époque. Par ses foucades et ses discours, il incarne le coq gaulois contre l'aigle teuton. Son patriotisme belliqueux et revanchard coïncide parfaitement avec le climat, plus chauvin que social, qui constitue alors l'armature même de la République. Parlementaires radicaux ou «opportunistes» savent que le paravent tricolore permet de camoufler bien des intrigues sordides et bien des affaires juteuses, tout en obtenant la neutralité provisoire des conservateurs et des cléricaux. Pour tous ces bourgeois, l'essentiel est d'asseoir le régime des «bleus», tout en évitant le retour des «blancs» ou la revanche des «rouges».
UN CÉSAR D'OPÉRETTE
Quel meilleur éteignoir qu'un képi ? Boulanger sert à merveille les ambitions d'un régime qui ne tient pas à voir ni l'élite ni le peuple se mêler de trop près à des combines dont la plus ignoble sera le trafic des décorations par le propre gendre du président de la République !
Seulement, en intronisant un militaire ambitieux à un poste en vue, le gouvernement joue à l'apprenti-sorcier.
Arrive la revue du 14 juillet 1886. C'est là où tout commence. En une journée Boulanger devient brusquement ultra-populaire, échappant à toutes les tentatives de classification politique. Avant qu'on ne parle de lui comme d'un César, on découvre brutalement, dans ce général de belle prestance, ce que Jean Garrigues nomme très justement « la première star de la vie politique française ». Le retour de Longchamp, c'est-à-dire finalement un non-événement, peut se comparer à la venue de Pétain à Notre-Dame en 1944 ou au discours de De Gaulle à la Bastille une quinzaine d'années plus tard.
Ce qu'Adolf Hitler connaîtra à Nuremberg après la prise du pouvoir de 1933, Boulanger le connaît avant ! Car tout est là : il n'est pas au pouvoir. Il n'est encore que le pion d'une des innombrables combinaisons ministérielles de la IIIe République.
SANS DOCTRINE ET SANS SCRUPULES
Comment prendre le pouvoir ? Telle est la question qui va dominer ces cinq années, dont la courbe fiévreuse, malgré quelques sommets, va aller de la popularité à la solitude, de la griserie à l'échec, du rêve au néant.
Premier point, capital. Boulanger, qui prétend tout décider par lui-même et mener son mouvement comme une armée, n'a ni doctrine, ni méthode, ni clairvoyance, ni même volonté. Que lui reste-t-il alors ? Du charme et de la chance, et aussi une absence totale de scrupules qui permet parfois les plus brillantes manœuvres mais conduit souvent aux plus sombres déroutes, où tout est perdu, et l'honneur avec.
S'il n'a pas d'idées - il est seulement «révisionniste», ce qui veut dire désireux de réviser la Constitution le général a des amis (dont le temps montrera la lassitude et l'infidélité). Sensible à la flatterie, il confie les rouages du mouvement à qui l'encense ou pire encore, à qui le rétribue. Car toute cette aventure coûtera beaucoup d'argent.
Boulanger sera très vite prisonnier des médiocres (les fidèles) et des gredins (les bailleurs de fonds). Cela n'empêche pas une réussite initiale : rassembler des gens que tout séparait.
Cela va du politicard-type Alfred Naquet, sénateur et israélite, à Marie-Clémentine de Rochechouart-Mortemart, duchesse d'Uzès, chouanne richissime et chasseresse. Les deux piliers de l'entreprise boulangiste ne sont certes pas des hommes dépourvus de qualités : l'ex-marquis Henri de Rochefort-Luçay, aristocrate et communard (sur lequel il faut absolument lire le beau livre d'Eric Vatré, paru aux éditions Lattès) et Paul Déroulède, animateur des cent mille volontaires de la redoutable Ligue des Patriotes, dont l'Histoire a fait un pantin, alors qu'il fut un cœur pur et sans doute la meilleure tête politique du boulangisme. Déroulède et Rochefort symbolisent à eux deux la rencontre «nationale» et «socialiste» d'un mouvement que rejoindront, tôt ou tard, entre beaucoup d'autres, l'ancien général de la Commune Emile Eudes et le jeune écrivain nationaliste Maurice Barrès, l'antisémite catholique Drumont et la future communiste Séverine, le marquis de Morès et l'aubergiste Marie Quinton, la Belle meunière.
Tous sont unis par la haine des mêmes ennemis : les parlementaires républicains, qu'ils soient radicaux ou opportunistes, et qui ont depuis quelques années multiplié les faiblesses, les scandales et les trafics. On parle alors de «république des escrocs» comme on dira, sous Stavisky, la république des voleurs et aujourd'hui la «ripouxblique» ...
Voulant à la fois ne pas mécontenter les républicains durs et purs et les partisans de la monarchie, les banquiers juifs et les ouvriers rouges, les cléricaux et les libres penseurs, les bonapartistes et les blanquistes, Boulanger - as du flou artistique - se garde bien de mettre sur pied un grand parti structuré; il se contente d'accumuler les «coups électoraux», d'abord triomphaux puis catastrophiques.
On l'a, à tort, présenté comme une sorte de «pré-fasciste», en invoquant sa faculté de rassembler la droite et la gauche (et surtout l'extrême droite et l'extrême gauche). Mais il n'en a jamais opéré la fusion. Nul d'entre ses partisans ne s'est rallié à une synthèse «nationale-socialiste» mais chacun est resté au contraire prisonnier de ses origines, tout en imaginant que le général partageait ses idées.
L'ÉTERNEL RETOUR DE L'HOMME PROVIDENTIEL
Finalement, il n'y a pas plus de «boulangisme» que de «pétainisme» ou de «gaullisme». Peu d'idées, mais le ralliement à un homme providentiel. Qu'il fût coiffé d'un képi et qu'il traînât un sabre favorisa manifestement les choses, surtout dans les milieux les plus populaires qui sont aussi à l'époque les plus tricolores.
L'habileté de Boulanger a été de faire croire aux républicains qu'il allait épurer la république et aux royalistes qu'il allait ramener le roi, se présentant aux orléanistes comme une sorte de Franco avant la lettre.
Au début de juillet 1887, Boulanger n'est plus ministre et le gouvernement le met au vert à Clermont-Ferrand. Une manifestation monstre à la gare de Lyon marque son départ (on croirait Soustelle quittant Alger !). De son exil provincial, le général de division complote. Ce jacobin notoire n'hésite pas à rencontrer secrètement les chefs royalistes et bonapartistes. Il en obtient des promesses et des subsides qui, après sa mise en non-activité avec demi-solde, suivie d'une mise à la retraite officielle, lui permettront de se faire élire triomphalement député du Nord.
Désormais, il se croit tout permis en cette année 1888, où il conjugue les voix des ouvriers patriotes et des paysans conservateurs, obéissant aux consignes du comte de Paris ou du prince Napoléon.
1889 s'ouvre par son triomphe à Paris, encore plus boulangiste que la province (sauf dans les beaux quartiers). Seulement la république parlementaire, avec l'aide de la toute nouvelle Ligue des Droits de l'homme et des loges maçonniques, va savoir se défendre par tous les moyens y compris les moyens légaux, sous l'impulsion de Jules Ferry qui était peut-être une crapule mais pas un imbécile.
Une des premières manœuvres consiste à modifier la loi électorale quand on s'aperçoit qu'elle peut être favorable à Boulanger! La recette fera école.
On imagine mal l'ampleur de la lutte. Dillon lance une campagne à l'américaine. Fayard imprime à plus de trois millions de livraisons l'Histoire patriotique du général Boulanger. Le journal La Cocarde tire à quatre cent mille exemplaires. On diffuse cent mille de ses bustes en plâtre et des camelots écoulent photographies et images d'Epinal à la gloire de ce candidat que célèbrent les chansonniers. Toute une bimbeloterie fait recette et ses partisans portent même des bretelles boulangistes : «Plus de dos rond», dit la publicité.
Cette agitation fabrique un héros, mais ne peut longtemps cacher la médiocrité d'un homme. Quand le coup d'Etat est possible, le 27 janvier 1889, il se dérobe et se contente de passer la nuit chez sa maîtresse, qui va désormais totalement obérer sa carrière politique, d'autant qu'elle est gravement malade, phtisique au dernier degré. Le général à l'œillet rouge est amoureux fou de la dame aux camélias ...
Le gouvernement comprend vite qu'il a devant lui un irrésolu, si confiant par ailleurs en sa bonne étoile qu'il croit parvenir à la magistrature suprême par les seules élections.
Tandis que le général s'enfuit à Bruxelles, pour éviter la Haute Cour, le pouvoir prononce la dissolution de la Ligue des patriotes, véritable section d'assaut du comité républicain national, puisque telle est l'étiquette du mouvement boulangiste.
LA DÉROUTE
Condamné par contumace à la déportation à vie dans une enceinte fortifiée pour atteinte à la sûreté de l'Etat, trahi par les notables conservateurs après avoir déçu les travailleurs révolutionnaires, isolé et secoué à son tour par ce que la presse révèle des coulisses de son mouvement, Boulanger connaît, à l'automne 1889, une véritable déroute électorale dans un pays dont le cœur ne bat plus pour le beau général. Réfugié à Jersey avec sa maîtresse moribonde, il n'est désormais qu'un proscrit sans aucun avenir politique.
Les élections municipales de Paris, qui fut naguère son plus solide bastion, se soldent par une catastrophe. Au printemps 1890, le boulangisme est fini.
Voici tout juste cent ans, en 1891, Marguerite de Bonnemains meurt à Bruxelles, le 16 juillet. Son amant, le 20 septembre, se suicide d'un coup de pistolet sur sa tombe. Celui qui l'a naguère mis en selle, Georges Clemenceau, prononce la plus cinglante des épitaphes :
« Ci-gît le général Boulanger, qui vécut comme il mourut : en sous-lieutenant. »
Face aux scandales et aux compromissions, il avait incarné, encore plus que la Revanche, ce que l'on pourrait appeler la «Restauration nationale», c'est-à-dire la réconciliation, sous le manteau du patriotisme, des valeurs traditionnelles et des espoirs révolutionnaires.
En refusant un facile coup d'Etat, il a non seulement ruiné toutes les espérances de ses partisans mais, en même temps, il a entraîné dans sa chute ses alliés monarchistes et communards. Son échec n'a fait que consolider la république bourgeoise, qui devait s'épanouir cent ans plus tard dans le consensus parlementaire unissant aujourd'hui socialistes et libéraux.
Les héritiers des vaincus de 1891 se doivent de connaître cette triste aventure. Finalement, ce qui a le plus manqué à l'infortuné général, c'est le courage politique, qui est plus rare que la bravoure guerrière; c'est aussi une doctrine solide, un coup d'œil rapide et une ténacité sans faille. Ambitieux mais limité à sa seule personne, il n'a pas été « celui qui sacrifie tout de lui-même à quelque chose de plus grand que lui-même ».
(1) Jean Garrigues : Le général Boulanger, 380 p., Olivier Orban.
• Jean Mabire le Choc du Mois • Juin 1991