LES grands hommes sont encensés aussi longtemps qu'il est de l'intérêt des puissants de le faire. Tant que l'on crut que Alexandre Issaïevitch Soljenitsyne, né en 1918 et décédé le 3 août dernier à Moscou, se contenterait de traiter du Goulag, appendice naturel du système soviétique, il fut considéré comme un héros. Les portes de la liberté - et de l'exil - s'étant ouvertes devant lui après l'obtention de son Prix Nobel de littérature, il était reçu partout avec tous les honneurs. Un peu comme le Dalaï Lama actuellement et pour les mêmes raisons. Mais après un long séjour dans le Vermont où il ne parvint pas à s'acclimater à l'american way of life et étant revenu dans sa chère Russie, il eut cette réflexion désabusée : « L'iniquité existait avant nous et ce n'est pas nous qui y mettrons fin. »
On attendait donc de Soljenitsyne qu'il se cantonnât dans la dénonciation du Goulag qu'il connaissait si bien - et qu'on a coutume d'attribuer commodément au seul Staline. Seulement voilà : les conséquences, c'était bien, mais les causes le passionnaient encore plus. Rentré chez lui où il eut accès aux documents et archives qui l'intéressaient, il put donc disséquer la fameuse Révolution de 1917 avec une patience d'entomologiste. Ses recherches autour du système théorisé par Marx et Engels ne lui laissèrent guère de doutes sur ceux qui, à l'intérieur, avaient été les promoteurs les plus ardents de cette révolution et sur ceux qui, de l'extérieur, lui apportèrent l'aide la plus efficace.
Nombreux sont ceux qui aujourd'hui croient ou feignent de croire que les habiroux furent les victimes du système mis en place à la révolution d'Octobre. Quelle erreur ! L'encyclopédie Juive Universelle citée par Soljenitsyne dans son remarquable ouvrage « Deux siècles ensemble*» ainsi que de très nombreuses citations d'articles tirés de la presse juive de l'époque ne laissent guère de doutes à ce sujet : les habiroux furent les promoteurs de cette révolution et en revendiquèrent toujours l'honneur.
Cet ouvrage en deux volumes est incontournable pour qui veut connaître les relations qui existèrent entre le peuple russe et les habiroux de 1800 à nos jours. Le premier décrit l'arrivée de plus en plus nombreuse et bientôt très organisée des émigrants habiroux dans l'empire des tsars, leurs luttes pour l'obtention des droits réservés jusqu'alors aux nationaux, leur installation dans les grandes cités où ils souhaitaient pratiquer leurs activités traditionnelles ; tout cela en opposition avec les autorités de l'époque qui auraient préféré des colons pour développer des territoires potentiellement riches mais trop dépeuplés pour être mis en valeur.
Ce n'était pas si exceptionnel que cela. Il y a peu de temps encore, les candidats à l'émigration en Australie avaient l'obligation d'un passage de plusieurs années dans le bush avant de s'installer dans une grande ville. Les habiroux ne pouvaient pas s'installer à Moscou, soit, mais ils ne devinrent jamais paysans pour autant. Des terres agricoles, du matériel, du bétail, des semences leur étaient attribués gratuitement, mais toujours sans le moindre résultat. On finissait toujours par les retrouver dans la distillation et le commerce de la vodka, ou, autour de grands ports comme Odessa, ayant monopolisé le commerce du blé ou d'autres matières premières. Tout cela nous est décrit avec force documents dans « Deux siècles ensemble ».
Le deuxième volume, qui va de 1917 à nos jours, décrit la part de plus en plus grande prise par les mêmes dans les activités politiques du pays et qui, fatalement, allait amener la chute du Tsar. Il y a peu de doute non plus qu'ils furent la colonne dorsale de la nouvelle administration et qu'on les retrouva en assez grand nombre dans tout ce qui touchait le goulag. Sur ce sujet, force est de faire confiance à l'auteur : dix ans de bagne, il sait de quoi il parle.
Au sujet de la Loi Lénine du 27 juillet 1918 qui était dans l'URSS l'équivalent de ce qu'est la loi Gayssot chez nous, l'auteur évoque une étude rédigée en 1926 sur la question : Les habiroux et l'antisémitisme en URSS et qui disait : « Les méthodes pour combattre l'antisémitisme sont parfaitement claires. Il faut d'abord organiser dans les usines des sessions publiques, informer les éléments attardés, réprimer les éléments actifs. Il faut appliquer la Loi Lénine.» Or, cette fameuse loi disait : « Les antisémites actifs doivent être placés hors la loi. » Ce qui à l'époque signifiait, toujours d'après Soljenitsyne : être fusillé. Il suffisait de s'être rendu coupable d'« incitation à pogrom ». Il n'était pas nécessaire d'y avoir participé. La loi encourageait les habiroux à dénoncer toute atteinte à leur dignité nationale.
Et en 1929 un certain Silberman se plaignit dans les colonnes de l'hebdomadaire La Justice soviétique que trop peu d'affaires liées à l'antisémitisme eussent été jugées au cours de l'année devant les tribunaux moscovites - 34 à Moscou, ce qui équivalait pourtant à un procès pour antisémitisme tous les dix jours, dans la seule capitale !
A méditer aussi, cette déclaration d'A. Voronef à l'époque : « Les habiroux devraient se préoccuper un peu moins d'antisémitisme et un peu plus de ce que font les habiroux. »
Vous ne serez, je pense, pas autrement surpris de savoir que dans Le Figaro du 5 août 2008, qui tirait à la une : « Soljenitsyne, hommage à un géant de l'histoire, quatre pages spéciales consacrées à l'écrivain. », pas la moindre ligne ne faisait état de cet important ouvrage. Heureusement que, chez nous, existe une presse libre. Belle illustration. Et bien dans la ligne de ce que pensait Sacha Guitry de ce journal.
Léon ARNOUX. Rivarol du 5 septembre 2008
* « Deux siècles ensemble ». Fayard éditeur. 30 € le volume.
On attendait donc de Soljenitsyne qu'il se cantonnât dans la dénonciation du Goulag qu'il connaissait si bien - et qu'on a coutume d'attribuer commodément au seul Staline. Seulement voilà : les conséquences, c'était bien, mais les causes le passionnaient encore plus. Rentré chez lui où il eut accès aux documents et archives qui l'intéressaient, il put donc disséquer la fameuse Révolution de 1917 avec une patience d'entomologiste. Ses recherches autour du système théorisé par Marx et Engels ne lui laissèrent guère de doutes sur ceux qui, à l'intérieur, avaient été les promoteurs les plus ardents de cette révolution et sur ceux qui, de l'extérieur, lui apportèrent l'aide la plus efficace.
Nombreux sont ceux qui aujourd'hui croient ou feignent de croire que les habiroux furent les victimes du système mis en place à la révolution d'Octobre. Quelle erreur ! L'encyclopédie Juive Universelle citée par Soljenitsyne dans son remarquable ouvrage « Deux siècles ensemble*» ainsi que de très nombreuses citations d'articles tirés de la presse juive de l'époque ne laissent guère de doutes à ce sujet : les habiroux furent les promoteurs de cette révolution et en revendiquèrent toujours l'honneur.
Cet ouvrage en deux volumes est incontournable pour qui veut connaître les relations qui existèrent entre le peuple russe et les habiroux de 1800 à nos jours. Le premier décrit l'arrivée de plus en plus nombreuse et bientôt très organisée des émigrants habiroux dans l'empire des tsars, leurs luttes pour l'obtention des droits réservés jusqu'alors aux nationaux, leur installation dans les grandes cités où ils souhaitaient pratiquer leurs activités traditionnelles ; tout cela en opposition avec les autorités de l'époque qui auraient préféré des colons pour développer des territoires potentiellement riches mais trop dépeuplés pour être mis en valeur.
Ce n'était pas si exceptionnel que cela. Il y a peu de temps encore, les candidats à l'émigration en Australie avaient l'obligation d'un passage de plusieurs années dans le bush avant de s'installer dans une grande ville. Les habiroux ne pouvaient pas s'installer à Moscou, soit, mais ils ne devinrent jamais paysans pour autant. Des terres agricoles, du matériel, du bétail, des semences leur étaient attribués gratuitement, mais toujours sans le moindre résultat. On finissait toujours par les retrouver dans la distillation et le commerce de la vodka, ou, autour de grands ports comme Odessa, ayant monopolisé le commerce du blé ou d'autres matières premières. Tout cela nous est décrit avec force documents dans « Deux siècles ensemble ».
Le deuxième volume, qui va de 1917 à nos jours, décrit la part de plus en plus grande prise par les mêmes dans les activités politiques du pays et qui, fatalement, allait amener la chute du Tsar. Il y a peu de doute non plus qu'ils furent la colonne dorsale de la nouvelle administration et qu'on les retrouva en assez grand nombre dans tout ce qui touchait le goulag. Sur ce sujet, force est de faire confiance à l'auteur : dix ans de bagne, il sait de quoi il parle.
Au sujet de la Loi Lénine du 27 juillet 1918 qui était dans l'URSS l'équivalent de ce qu'est la loi Gayssot chez nous, l'auteur évoque une étude rédigée en 1926 sur la question : Les habiroux et l'antisémitisme en URSS et qui disait : « Les méthodes pour combattre l'antisémitisme sont parfaitement claires. Il faut d'abord organiser dans les usines des sessions publiques, informer les éléments attardés, réprimer les éléments actifs. Il faut appliquer la Loi Lénine.» Or, cette fameuse loi disait : « Les antisémites actifs doivent être placés hors la loi. » Ce qui à l'époque signifiait, toujours d'après Soljenitsyne : être fusillé. Il suffisait de s'être rendu coupable d'« incitation à pogrom ». Il n'était pas nécessaire d'y avoir participé. La loi encourageait les habiroux à dénoncer toute atteinte à leur dignité nationale.
Et en 1929 un certain Silberman se plaignit dans les colonnes de l'hebdomadaire La Justice soviétique que trop peu d'affaires liées à l'antisémitisme eussent été jugées au cours de l'année devant les tribunaux moscovites - 34 à Moscou, ce qui équivalait pourtant à un procès pour antisémitisme tous les dix jours, dans la seule capitale !
A méditer aussi, cette déclaration d'A. Voronef à l'époque : « Les habiroux devraient se préoccuper un peu moins d'antisémitisme et un peu plus de ce que font les habiroux. »
Vous ne serez, je pense, pas autrement surpris de savoir que dans Le Figaro du 5 août 2008, qui tirait à la une : « Soljenitsyne, hommage à un géant de l'histoire, quatre pages spéciales consacrées à l'écrivain. », pas la moindre ligne ne faisait état de cet important ouvrage. Heureusement que, chez nous, existe une presse libre. Belle illustration. Et bien dans la ligne de ce que pensait Sacha Guitry de ce journal.
Léon ARNOUX. Rivarol du 5 septembre 2008
* « Deux siècles ensemble ». Fayard éditeur. 30 € le volume.
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