Mars 1943 - mars 1944 : Les « terroristes de l'air » en pleine action
8 mars 1943. La ville de Rennes baigne dans une atmosphère de liesse. Le printemps est déjà là et incite à flâner. C'est le Lundi Gras, beaucoup de magasins sont fermés et la fête foraine, sur le Champ-de-Mars, attire nombre de Rennais. Les enfants, surtout, se pressent autour des manèges. Ils sont en vacances. Ils sont à la fête.
Une fête qui, à 14h30, se transforme en enfer. Des avions américains, appartenant à la 8th US Army Air Force, lâchent leurs bombes (539 engins de 250 kilos) qui, censées toucher la gare de triage, tombent en fait sur la foule amassée sur l'esplanade du Champ-de-Mars. Des cadavres d'enfants jonchent le sol au milieu des débris de manèges déchiquetés. On entasse les corps dans une chapelle ardente improvisée à l'intérieur d'une baraque de foire encore debout.
Trois jours plus tard, lors des obsèques des 299 morts, Mgr Roques, archevêque de Rennes, déclare en chaire : « Le 8 mars restera une date tragique dans l'histoire de la ville et de la Bretagne. En quelques minutes, avec un acharnement furieux, des monstres aériens ont semé la ruine et la mort. Celle-ci a emporté, sans distinction, des hommes, des femmes et des enfants ( ... ) Il est impossible que nous ne fassions pas entendre notre souffrance et notre indignation, car la guerre, même avec toutes ses incidences, n'autorise pas le massacre des innocents et des populations civiles. »
Rennes devait être bombardée à nouveau un an plus tard (les 9 et 12 juin et le 17 juillet : 280 morts). Mais bien d'autres villes ont subi le même sort. Est tristement éloquente la liste dressée par Jean-Claude Valla dans sa remarquable étude, La France sous les bombes américaines 1942-1945 (Les Cahiers Libres d'Histoire n° 7, Editions de la Librairie nationale, 2001). Lugubre litanie:
Sotteville-les-Rouen, Lille, Saint-Nazaire, Rennes, Banlieue parisienne, Istres, Paris, Le Portel, Nantes, Modane, Toulon, Saint-Quentin, Biarritz, Arras, Metz, Troyes, Reims, Sarreguemines, Valenciennes, Cambrai, Mézières, Mantes, Sartrouville, Conflans-Sainte-Honorine, Creil, Epinai, Mulhouse, Tourcoing, Amiens, Charleville, Givors, Carnoules, Grenoble, Chambéry, Saint-Etienne, Lyon, Nice, Marseille, Avignon, Nîmes, Rouen, Caen, Saint-Lô, Coutances, Argentan, Falaise, Flers, Valognes, Condé-sur-Noireau, Vire, Avranches, L'Aigle, Aunay-sous-Odon, Le Havre, Saint-Malo, Calais, Royan. Près de 70 000 civils français sont morts sous les coups de l'aviation anglo-américaine.
« Dégâts collatéraux » comme dit aujourd'hui Washington pour justifier les massacres commis aux quatre coins de la planète ? En mars 1944, un réseau de résistance de Saint-Quentin adresse à Londres un message pour dénoncer le résultat désastreux d'un bombardement, qui n'a en rien paralysé le réseau ferré (objectif annoncé) mais détruit de nombreuses maisons d'habitation et tué leurs occupants. En mai, fou furieux, le capitaine Hubert de Lagarde, chef du deuxième bureau de l'état major des FFI (arrêté plus tard par les Allemands et mort à Dora), dénonce à Londres les bombardements anglo-américains en les qualifiant de « travail d'ivrognes » ! Il récidive trois jours plus tard en stigmatisant « l'imbécillité criminelle de certains bombardements de l'aviation alliée qui exterminent des Français par centaines sans même atteindre des objectifs militaires ». « Il faut croire, accuse-t-il, que les chefs de la-dite aviation n'attachent que peu d'importance à l'avis de leurs meilleurs informateurs, car on assiste depuis quelque temps à une débauche de bombardements auxquels peut fort bien s'appliquer le qualificatif de "terroristes" ( ... ) Ces gens-là semblent atteints d'une fureur de destruction qui confine à l'hystérie la plus stupide. »
Le 1er mai 1944, Mgr Chollet, secrétaire de la commission permanente de l'assemblée des cardinaux et archevêques de France, ainsi que les trois cardinaux français, Mgr Gerlier, archevêque de Lyon, Mgr Suhard, archevêque de Paris et Mgr Liénart, évêque de Lille, adressent un appel solennel « aux cardinaux, archevêques et évêques de l'Empire britannique et des Etats-Unis d'Amérique » : « Frères vénérés, les bombardements aériens qui s'intensifient à l'heure présente sur la France, notre patrie, emplissent nos cœurs de tristesse et d'angoisse. Presque chaque jour, nous sommes témoins, nos collègues de l'épiscopat et nous-mêmes, des ravages cruels que font dans la population civile les opérations aériennes menées par les puissances alliées ( ... ) Au nom de tant de victimes qui crient pitié, nous osons vous demander instamment d intercéder auprès de vos gouvernements respectifs pour que les populations civiles de France et d'Europe soient épargnées. » Est-il nécessaire de dire que cet appel n'eut ni effet ni réponse ?
Pierre VIAL. Rivarol du 4 avril 2008
8 mars 1943. La ville de Rennes baigne dans une atmosphère de liesse. Le printemps est déjà là et incite à flâner. C'est le Lundi Gras, beaucoup de magasins sont fermés et la fête foraine, sur le Champ-de-Mars, attire nombre de Rennais. Les enfants, surtout, se pressent autour des manèges. Ils sont en vacances. Ils sont à la fête.
Une fête qui, à 14h30, se transforme en enfer. Des avions américains, appartenant à la 8th US Army Air Force, lâchent leurs bombes (539 engins de 250 kilos) qui, censées toucher la gare de triage, tombent en fait sur la foule amassée sur l'esplanade du Champ-de-Mars. Des cadavres d'enfants jonchent le sol au milieu des débris de manèges déchiquetés. On entasse les corps dans une chapelle ardente improvisée à l'intérieur d'une baraque de foire encore debout.
Trois jours plus tard, lors des obsèques des 299 morts, Mgr Roques, archevêque de Rennes, déclare en chaire : « Le 8 mars restera une date tragique dans l'histoire de la ville et de la Bretagne. En quelques minutes, avec un acharnement furieux, des monstres aériens ont semé la ruine et la mort. Celle-ci a emporté, sans distinction, des hommes, des femmes et des enfants ( ... ) Il est impossible que nous ne fassions pas entendre notre souffrance et notre indignation, car la guerre, même avec toutes ses incidences, n'autorise pas le massacre des innocents et des populations civiles. »
Rennes devait être bombardée à nouveau un an plus tard (les 9 et 12 juin et le 17 juillet : 280 morts). Mais bien d'autres villes ont subi le même sort. Est tristement éloquente la liste dressée par Jean-Claude Valla dans sa remarquable étude, La France sous les bombes américaines 1942-1945 (Les Cahiers Libres d'Histoire n° 7, Editions de la Librairie nationale, 2001). Lugubre litanie:
Sotteville-les-Rouen, Lille, Saint-Nazaire, Rennes, Banlieue parisienne, Istres, Paris, Le Portel, Nantes, Modane, Toulon, Saint-Quentin, Biarritz, Arras, Metz, Troyes, Reims, Sarreguemines, Valenciennes, Cambrai, Mézières, Mantes, Sartrouville, Conflans-Sainte-Honorine, Creil, Epinai, Mulhouse, Tourcoing, Amiens, Charleville, Givors, Carnoules, Grenoble, Chambéry, Saint-Etienne, Lyon, Nice, Marseille, Avignon, Nîmes, Rouen, Caen, Saint-Lô, Coutances, Argentan, Falaise, Flers, Valognes, Condé-sur-Noireau, Vire, Avranches, L'Aigle, Aunay-sous-Odon, Le Havre, Saint-Malo, Calais, Royan. Près de 70 000 civils français sont morts sous les coups de l'aviation anglo-américaine.
« Dégâts collatéraux » comme dit aujourd'hui Washington pour justifier les massacres commis aux quatre coins de la planète ? En mars 1944, un réseau de résistance de Saint-Quentin adresse à Londres un message pour dénoncer le résultat désastreux d'un bombardement, qui n'a en rien paralysé le réseau ferré (objectif annoncé) mais détruit de nombreuses maisons d'habitation et tué leurs occupants. En mai, fou furieux, le capitaine Hubert de Lagarde, chef du deuxième bureau de l'état major des FFI (arrêté plus tard par les Allemands et mort à Dora), dénonce à Londres les bombardements anglo-américains en les qualifiant de « travail d'ivrognes » ! Il récidive trois jours plus tard en stigmatisant « l'imbécillité criminelle de certains bombardements de l'aviation alliée qui exterminent des Français par centaines sans même atteindre des objectifs militaires ». « Il faut croire, accuse-t-il, que les chefs de la-dite aviation n'attachent que peu d'importance à l'avis de leurs meilleurs informateurs, car on assiste depuis quelque temps à une débauche de bombardements auxquels peut fort bien s'appliquer le qualificatif de "terroristes" ( ... ) Ces gens-là semblent atteints d'une fureur de destruction qui confine à l'hystérie la plus stupide. »
Le 1er mai 1944, Mgr Chollet, secrétaire de la commission permanente de l'assemblée des cardinaux et archevêques de France, ainsi que les trois cardinaux français, Mgr Gerlier, archevêque de Lyon, Mgr Suhard, archevêque de Paris et Mgr Liénart, évêque de Lille, adressent un appel solennel « aux cardinaux, archevêques et évêques de l'Empire britannique et des Etats-Unis d'Amérique » : « Frères vénérés, les bombardements aériens qui s'intensifient à l'heure présente sur la France, notre patrie, emplissent nos cœurs de tristesse et d'angoisse. Presque chaque jour, nous sommes témoins, nos collègues de l'épiscopat et nous-mêmes, des ravages cruels que font dans la population civile les opérations aériennes menées par les puissances alliées ( ... ) Au nom de tant de victimes qui crient pitié, nous osons vous demander instamment d intercéder auprès de vos gouvernements respectifs pour que les populations civiles de France et d'Europe soient épargnées. » Est-il nécessaire de dire que cet appel n'eut ni effet ni réponse ?
Pierre VIAL. Rivarol du 4 avril 2008
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