samedi 30 juin 2012

Maurras contre Rousseau

Les penseurs contre-révolutionnaires se sont appliqués à critiquer les théories rousseauiste dès le commencement du XIXe siècle, avec notamment Joseph de Maistre(1) et Louis de Bonnal. Au siècle suivant, Maurras prolongea l'attaque dans un texte célèbre, le début de La politique naturelle, en opposant à l'utopie rousseauiste les évidences les plus concrètes.
Rousseau n'y est pas nommé, mais le début du texte maurrassien montre qu'il s'agit bien d'une réponse au Contrat social. Le livre de Rousseau s'ouvre par cette déclaration : « L'homme est né libre, et partout il est dans les fers. » Celui de Maurras s'ouvre sur ce constat : « Le petit poussin brise sa coquille et se met à courir. Peu de choses lui manque pour crier : "Je suis libre... " Mais le petit homme ? Au petit homme, il manque tout. »
« Il est né. Sa volonté n'est pas née, ni son action proprement dite. Il n'a pas dit "Je" ni "Moi", et il en est fort loin, qu'un cercle de rapides actions prévenantes s'est dessiné autour de lui. Le petit homme presque inerte, qui périrait s'il affrontait la nature brute, est reçu dans l'enceinte d'une autre nature empressée, clémente et humaine : il ne vit que parce qu'il en est le petit citoyen. »
Maurras détruit l'utopie
C'est par là que Maurras discute le principe d'un Contrat social originel. Non seulement l'homme n'est pas libre lorsqu'il naît au sein de cette société déjà constituée, mais loin de pouvoir prétendre à aucune forme d'égalité, il bénéficie sans réciprocité d'une inégalité protectrice : « à la première minute du premier jour, quand toute vie personnelle est fort étrangère à son corps (...), il attire et concentre les fatigues d'un groupe dont il dépend autant que de sa mère lorsqu'il était enfermé dans son sein. » Ce groupe « auquel il participe est parfaitement pur de toute égalité : aucun pacte possible, rien qui ressemble à un contrat. Ces accords moraux veulent que l'on soit deux. Le moral de l'un n'existe pas encore. On ne saurait prendre acte en termes trop formels, ni assez admirer ce spectacle d'autorité pure, ce paysage de hiérarchie absolument net. »
En conséquence, conclut Maurras, « personne ne s'est trompé autant que la philosophie des "immortels principes", quand elle décrit les commencements de la société humaine comme le fruit de conventions entre des gaillards tout formés, pleins de vie consciente et libre, agissant sur le pied d'une espèce d'égalité, quasi pairs sinon pairs, et quasi contractants, pour conclure tel ou tel abandon d'une partie de leurs "droits" dans le dessein exprès de garantir le respect des autres. »
Rousseau n'est toujours pas nommé, mais il est évidemment ciblé. Contre l'utopie, Maurras, fidèle à sa méthode, en appelle aux faits, qui « mettent en pièce et en poudre ces rêveries. La Liberté en est imaginaire, l'Égalité postiche. »
Les défenseurs de Rousseau répondent que la première phrase du Contrat social, affirmant que l'homme est né libre, n'est pas à prendre au pied de la lettre : pour Benjamin Barbier, elle « ne signifie pas que l'homme est né libre par nature et que la société l'asservisse. Elle signifie plutôt que la liberté naturelle est une abstraction, tandis que la dépendance est la réalité humaine concrète. Le but de la politique n'est donc pas tant de préserver la liberté naturelle, mais de rendre la dépendance légitime par la citoyenneté et d'établir la liberté politique grâce à la communauté démocratique. »
La question est importante, car elle permet d'appréhender l'anthropologie rousseauiste.
Le chapitre II du contrat contribue à y voir plus clair. L'auteur du Contrat social y admet que « la plus ancienne de toutes les sociétés et la seule naturelle est celle de la famille. »
Mais c'est pour y introduire aussitôt le germe de la lutte pour le pouvoir et l'indépendance : « Encore les enfants ne restent-ils liés au père qu'aussi longtemps qu'ils ont besoin de lui pour se conserver. Sitôt que ce besoin cesse, le lien naturel se dissout. Les enfants exempts de l'obéissance qu ils devaient au père, le père exempt des soins qu'il devait aux enfants, rentrent tous également dans l'indépendance. S'ils continuent de rester unis ce n'est plus naturellement, c'est volontairement, et la famille elle-même ne se maintient que par convention. »
Il n'est ici question que d'intérêt personnel, d'autorité, de pouvoir : « La famille, poursuit Rousseau, est donc si l'on veut le premier modèle des sociétés politiques ; le chef est l'image du père, le peuple est l'image des enfants, et tous étant nés égaux et libres n'aliènent leur liberté que pour leur utilité. » Cette société politique vaut à peine mieux que les autres : « Toute la différence est que dans la famille l'amour du père pour ses enfant [quand même !] le paye des soins qu'il leur rend, et que dans l'Etat le plaisir de commander supplée à cet amour que le chef n'a pas pour ses peuples. »
Dans la famille rousseauiste, on ne demande pas la mère
On remarquera que dans la famille rousseauiste, il manque la mère, qui est au contraire présente dans celle de Maurras : « Contrairement aux grandes plaintes du poète romantique, la lettre sociale, qui paraît sur l'épaule nue, n'est pas écrite avec le fer, écrit celui-ci. On n'y voit que la marque des baisers et du lait : sa Fatalité se dévoile, il faut y reconnaître le visage d'une Faveur. »
Le contrat existe aussi chez Maurras, car « Il faut s'associer pour vivre. Pour bien vivre, il faut contracter. »
Mais il se noue au sein d'une société ordonnée et non pas tyrannique. Et il n'est pas surprenant que de ces conceptions si différentes du contrat social soient issues deux conceptions tout aussi différentes de la société : le citoyen contractant de Rousseau se trouve en définitive seul en face de l'État (c'est d'ailleurs pourquoi le Genevois récuse jusqu'au principe de la représentativité, au bénéfice d'une démocratie directe).
Le contrat maurrassien, au contraire, est construit sur l'association, et l'individu trouve sa place au sein d'un ordre échafaudé sur des sociétés naturelles protectrices.
Hervé Bizien monde & vie 16 juin 2012
I. Cité par Alain de Benoist dans Eléments, avril/juin 2012.

vendredi 29 juin 2012

Léon Bloy

Léon Bloy est né le 11 juillet 1846, dans une famille qui compta sept enfants. Son père était fonctionnaire aux Ponts et Chaussées, et probablement franc-maçon. Sa mère, d'ascendance espagnole était très pieuse. L'enfant avait un caractère rêveur et enclin aux larmes. Ses parents furent cependant contraints de le retirer du lycée, parce que considéré comme insociable et paresseux, après qu'il se fut rué, armé d'un couteau, sur des camarades qui l'avaient, il est vrai frappé. Il occupera divers petits métiers jusqu'à la guerre de 1870. Enclin à la révolte, imperméable à toute discipline, il a perdu la foi et professe des idées républicaines et anarchisantes. Il semble avoir bien connu le futur communard Vallès. La rencontre de l'écrivain Barbey d'Aurevilly, qui le pousse à lire les écrivains contre-révolutionnaires tels Maistre ou Bonald, l'amène à abandonner ses idées républicaines et le ramènent à la foi. Il prit part, pendant la guerre de 1870, aux opérations de l'Armée de la Loire et se fit remarquer par sa bravoure. Il racontera cette expérience dans Sueur de sang. Démobilisé, sans situation et sans but, il va errer jusqu'en 1873 où, grâce à Barbey d'Aurevilly il entre à L'Univers, le grand quotidien catholique dirigé par Louis Veuillot qui lui donne des conseils de modération. Conseils que Léon Bloy s'empresse de ne pas suivre. Très vite, en raison de son intransigeance religieuse et de sa violence, il se brouille avec Veuillot et quittera le journal dès juin 1874. Sa vie bascule à nouveau en 1877. Il rencontre Anne-Marie Roulé, prostituée occasionnelle, qu'il recueille et convertit en 1878. Rapidement, la passion que vivent Bloy et la jeune femme se transforme en aventure mystique, avec visions et pressentiments apocalyptiques. Elle se met à prophétiser. Elle passe de dix à quinze heures en prière, s'adressant à Jésus-Christ comme s'il était devant elle. Elle est persuadée, et Léon Bloy tout autant, que des événements extraordinaires vont se produire le jour de la saint-Joseph, le 19 mars 1879. Léon Bloy écrira : « Jésus-Christ crucifié ne peut plus attendre que quelques jours. » Rien ne se passe. L'échéance est repoussée à 1880. Léon Bloy en gardera rancune à... Dieu. Il écrira : « En récompense tout m'est refusé. Cette œuvre était uniquement à la gloire de Dieu. Eh bien, j'aurais honte de traiter un chien galeux comme Dieu me traite. » ! Bloy, qui était aussi exalté que son épouse, prétendra disposer d'« un secret inouï, effroyable que je ne puis communiquer à personne », « un secret à déconcerter l'équilibre des constellations et de l'entendement des deux. » Il prétendait avoir « reçu le don de "l'intelligence" des réalités profondes » qu'il n'avait pas le droit de divulguer, prétendant « vivre en contact permanent avec un être tout à fait exceptionnel. » Début 1882, Anne-Marie commence à donner des signes de folie. Elle sera internée en juin à l'hôpital Sainte-Anne de Paris. Léon Bloy est atteint au plus profond de lui-même, mais ne la reverra plus. Il restera convaincu toute sa vie que la fin du monde était proche et qu'il aurait un rôle à y jouer. Ce curieux catholique n'hésite pas à flirter dangereusement avec les hérésies, expliquant dans Le salut par les juifs que la Rédemption n'était pas achevée, Jésus toujours crucifié, bafoué par la populace et maudit par Dieu lui-même. Il reprendra même à son compte une vieille hérésie, défendue notamment par les Cathares, celle dite « des deux fils », selon laquelle Satan est le second fils de Dieu. Curieusement, la lecture de ce livre permit la conversion de Jacques et Raïssa Maritain, cette dernière étant juive, qui furent des personnalités intellectuelles et mondaines de premier plan en ce début de siècle, qui convertirent eux-mêmes de nombreuses personnalités du monde littéraire notamment, dont cet étonnant Maurice Sachs, personnage tout à fait fascinant, excellent écrivain auteur du Sabbat, qui porte bien son nom, juif qui voulut entrer dans les ordres, qui a escroqué et volé ses protecteurs, dont l'écrivain juif Marcel Schwob, qui travailla avec la Gestapo, dénonçant des juifs avant de tenter d'escroquer les Allemands. Il disparut dans un camp allemand, décapité, dit-on, par des résistants qu'il avait aussi trahis.
Mais revenons à Léon Bloy et à ses idées politiques. Il pratique aisément l'invective, l'insulte, mais sans aucune profondeur dans la pensée. Il n'aime pas la République et méprise le suffrage universel mais ne dit pas vraiment pourquoi. Le 14 juillet, c'est « la fête de la canaille ». Il poursuit par : « Les nuages et le tonnerre étaient refoulés, pourchassés au-delà des monts, pour que les bombes et pétards de l'anniversaire des Assassins puissent être ouïs exclusivement sur le territoire de la République. » Léon Bloy hait le monde moderne et admire le Moyen-Âge. Il exalte la pauvreté, qu'il écrit avec un P majuscule, alors qu'il fut en permanence à la recherche d'un riche mécène, qu'il ne trouva jamais. Il se déclare cependant adversaire de l'argent et de la bourgeoisie, patriote et opposé à la colonisation. Ce très curieux personnage s'éteint à Bourg-la-Reine,le 3 novembre 1917.
R. S. Rivarol du 1er juin 2012

jeudi 28 juin 2012

L’ENARCHIE DANS TOUTE SA NUISANCE … ET SA LÂCHETE (2)

Au commencement fut la « révolution culturelle » de mai 68. C’est le début du grand chambardement destiné à faire arriver la gauche au pouvoir. Ce qui sera chose faite treize ans plus tard. Un temps mis à profit par les diverses organisations gauchistes qui vont se mettre à pulluler, pour saper les fondements d’une France traditionnelle destinée à faire place aux lendemains radieux promis par les révolutionnaires.
Cette volonté de faire table rase va se trouver déclinée sous diverses formes. Nous allons nous pencher sur l’une d’entre elles, parmi les plus discrètes, mais non les moins virulentes : le Gisti et ses mystérieux fondateurs.
 Sous ce sigle extrêmement peu connu se cache le Groupe d'Information et de Soutien aux Travailleurs Immigrés, qui, dès sa création en 1971, a œuvré dans l’ombre et au plus haut niveau de l’Etat pour promouvoir l’immigration musulmane massive à présent installée en France. Pourquoi ses fondateurs énarques continuent-ils à faire preuve d’une telle modestie, en refusant obstinément de se nommer ? Ils ont pourtant magistralement réussi leur coup et sont parfaitement en droit de le revendiquer. Malgré leur retenue de rosière, nous disposons d’un certain nombre d’éléments permettant de les identifier, comme nous le verrons plus tard.
A partir de maintenant, nous allons nous appuyer sur les travaux d’une sociologue et d’une doctorante en science politique (quel beau titre, j’adore !) qui se sont penchées sur les débuts du Gisti. Le premier article s’intitule : « Faire émerger le droit des étrangers en le contestant, ou l’histoire paradoxale des premières années du Gisti », par Liora Israël, sociologue (article paru dans la revue Politix (volume 16, n° 62/2003) [ed. Lavoisier].
Le second est d’Anna Marek, Doctorante en science politique, Institut d’études politiques de Paris, sous le titre « Immigration : trente ans de combat par le droit - Des « anciens » témoignent » (Article paru dans Plein Droit n° 53-54, mars 2002).
Ce dernier article commence ainsi : « Respectivement élève à l’Ecole nationale d’administration (ENA), travailleur social, membre de l’équipe Cimade de Nanterre, et responsable du secteur migrants de la Cimade, Gérard Moreau, Bruno Ehrmann et André Legouy ont bien voulu échanger leurs souvenirs sur les raisons qui les ont amenés, il y a trente ans, à créer une structure comme le Gisti et sur les circonstances de leur rencontre ».
Ce qui m’amène à préciser tout de suite une chose importante: très vite se sont agrégés au noyau central et initiateur du Gisti divers types de travailleurs sociaux et des avocats, tous venus de la gauche ou de l’extrême-gauche. Leurs noms à eux sont complaisamment étalés pour faire oublier ceux du saint des saints qui avaient une carrière à protéger et qui restent secrets. Tous, sauf celui effectivement de l’énarque Gérard Moreau, dont nous reparlerons plus tard.
Voici un florilège de citations provenant de ces articles, qui vous situeront la philosophie du projet Gisti:
« Il s'agit d'une association née dans les années 1970, se situant très nettement à gauche, dont les membres sont des professionnels du droit ou des personnes ayant acquises [sic] des compétences précises dans ce domaine. Enfin, l'objet même de l'association a bien été, dès sa fondation, de s'inscrire sur le terrain du droit. »
« Au sein de la nébuleuse contestataire qui s’est créée, dans les années 70, autour de la défense de l’immigration, l’approche juridique du Gisti est singulière. Les événements de mai 1968 se sont, comme chacun sait, déployés au gré de manifestations multiples, d’affrontements de rue et autres formes expressives et peu institutionnalisées de protestation. Il s’agit alors de défier le pouvoir en ayant recours à l’outil juridique et en plaçant ainsi l’Etat devant ses propres contradictions. Dans ce contexte, l’utilisation du droit tranche non seulement avec les usages protestataires « routinisés » de l’époque, mais surtout, avec l’approche qu’en ont la plupart des organisations politiques militant aux côtés des travailleurs immigrés.
Le droit est en effet perçu, dans la lignée des thèses marxistes, comme un instrument formalisé et monopolisé par le pouvoir dominant en vue d’asseoir son autorité. Il est l’outil du pouvoir par excellence contre lequel il faut lutter par des coups d’éclats protestataires. A cet égard, les fondateurs du Gisti opèrent un véritable renversement de perspective en justifiant leur approche par l’efficacité attendue d’une démarche appréhendée sur le même terrain que celui des autorités. Si le droit symbolise l’instrument du pouvoir, la meilleure manière de le contester est de lutter sur le même terrain.
La spécificité de cette approche et le poids de cette atmosphère sont attestés par le discours rétrospectif des fondateurs. L’un d’entre eux, issu de la branche « énarque » évoque en ces termes ce contexte : « On est dans cette floraison de clubs de pensée et de mouvements gauchistes avec l’idée qu’il y a une classe dominante qui ne changera que par des luttes multiformes, en se manifestant, en criant, en pétitionnant, en allant sur le terrain... C’est par les luttes que l’on renversera le rapport des forces dominantes, dont le droit n’est que l’expression : c’est l’outil du pouvoir, par conséquent il faut lutter contre le droit parce qu’il appartient au pouvoir. Le point de départ du Gisti consistait à dire le droit est notre outil de travail, on le fabrique d’une certaine manière. C’est un outil de gauche, il faut que nous l’instrumentalisions en faveur de nos thèses. On va donc le mettre dans la bagarre, à notre service. »
Demain, nous poursuivrons notre petit périple au pays mystérieux du Gisti.

BUFFON : Vulgarisateur, scientifique et philosophe

Pline l’Ancien fut, au premier siècle de notre ère, l’auteur d’une Histoire naturelle dans laquelle, les siècles suivants, jusqu’à Darwin lui-même, ne cessèrent de puiser (1). L’année 1707 a vu naître un “Pline du Nord”, le Suédois Karl von Linné, et un “Pline français”, Georges-Louis Leclerc, futur comte de Buffon. Pour célébrer ce tricentenaire, une sélection de textes et d’illustrations de l’oeuvre de celui-ci a été publié dans la collection de la Pléiade (2).
Intendant au Jardin du Roi
Au muséum, une exposition : Buffon et Linné, un regard croisé sur la science, marque le début de l’année Buffon. En 1735, paraît le de Linné qui présente une classification de plantes, fondée sur les caractères tirés du nombre et de la disposition des étamines, ainsi qu’un ouvrage similaire consacré aux animaux. L’un et l’autre feront autorité pendant plusieurs siècles.
En 1739, Buffon, fils d’un conseiller au Parlement de Bourgogne, originaire de Montbard, est nommé Intendant du Jardin du Roi, peu après la mort de Charles-François de Cistenay du Fay. Ce savant avait eu le mérite d’insuffler un esprit nouveau à une institution jusqu’alors gérée de façon strictement professionnelle par des médecins. Il en a fait un jardin d’essai, ouvert à toutes les espèces, et non plus seulement aux végétaux de la pharmacopée. Se sentant décliner, il avait écrit à Maurepas, secrétaire de la Maison du Roi et ministre de la Marine, soucieux de promouvoir la production du bois destiné à la construction de navires, pour y recommander Buffon. Car ce jeune homme avait fait dans ses propres forêts des observations dont les résultats avaient donné lieu à des mémoires, rédigés en collaboration avec lui et présentés à l’Académie des Sciences. Ainsi, Buffon a pu l’emporter sur de redoutables concurrents : Maupertuis, Duhamel de Monceau.
Son intendance dure cinquante ans. Il achète des terrains, double la superficie du Jardin, enrichit ses collections et s’entoure d’un brillante équipe dont Antoine-Laurent de Jussieu et Louis Daubenton, son compatriote de Montbard. Indiscutablement, Buffon se révèle un grand administrateur. Il s’intéresse aux flores d’outre-mer, entretient par exemple une correspondance avec un médecin de Cayenne, et, pour encourager les envois d’échantillons, il fait créer un brevet honorifique de “Correspondant du Jardin du Roy”. Mais alors que dans sa jeunesse il avait été un “touche à tout” intellectuel (3), Buffon reçoit de son ministre une mission précise : entreprendre un catalogue des collections accumulées dans ce “cabinet du Roy” qui dépend du jardin. De cette tâche, naîtra l’Histoire naturelle. Buffon se trouve encouragé par la parution de l’Histoire générale des voyages de l’abbé Prévost (4) dont le succès montre le goût du public pour la nature et l’exotisme.
L’Histoire naturelle
En septembre 1749, paraissent les trois premiers volumes in-4° de l’Histoire naturelle générale et particulière. Cette première édition (entre 500 et 1 000 exemplaires) est épuisée en six semaines. Suivent une édition in-12°, où les illustrations sont réduites, une édition hollandaise en français, une traduction allemande.
Dans tous les cercles où l’on se pique de sciences ou de belles lettres on lit, ou on affirme avoir lu Buffon. De fait, ses descriptions d’un style à la fois clair et majestueux, sont très vivantes (5). On lit et on fait lire aux enfants des textes appelés à devenir célèbres : sur le chien, sur le chat, sur le loup, sur le cheval, « la plus belle conquête que l’homme ait jamais faite », etc. (6). Consécration de son talent littéraire, Buffon est élu à l’Académie française. Au lieu de faire l’éloge de son prédécesseur, ainsi qu’il est de tradition, il prononce, le 25 août 1753, un Discours sur le style, « un classique de l’art oratoire » que des générations d’élèves étudieront jusqu’au XX° siècle...
Cependant, on remarque dans ce texte que ce n’est pas l’esthétique des Lumières que Buffon admire, mais celle du Grand Siècle. Il est alors au sommet de sa gloire. Drouais exécute de lui un portrait où, selon le mot de David Hume, il semble vêtu comme un maréchal de France ! Il continue à publier des tomes de l’Histoire naturelle présentant des animaux sauvages d’Europe, et commençant, conformément au plan initial, l’étude des espèces exotiques.
Sa vie semble pleinement réussie, d’autant plus qu’il a épousé une demoiselle de vieille noblesse bourguignonne qui lui a donné un fils, surnommé “Buffonet”, chargé en 1783, d’aller offrir à Catherine II le buste de son père par Pajou (7).
Buffon a des collaborateurs de talent, dont l’abbé Bexon, Lamarck dont il soutiendra la publication de La Flore française, Lacepède qui écrira le volume consacré aux cétacés et aux reptiles. Il est ami de Mme Necker et apparaît parfois dans son salon. Il devient industriel : des forges installées à Buffon, près de Montbard, sont une affaire fructueuse. En outre, elles lui permettent de réaliser l’expérience, puérile, de boulets portés au rouge pour étudier le refroidissement de la terre.
Autorité scientifique ?
Il se pose en autorité scientifique et ose critiquer les travaux de Linné, alors que l’ensemble de son Histoire naturelle relève de la synthèse de travaux antérieurs et de leur vulgarisation bien plus que de la présentation de résultats de recherches personnelles.
Dans son Histoire de l’homme, il affirme que les différentes races humaines relèvent d’ensembles bien distincts, existant depuis les origines. Toutefois, s’il ne s’affirme pas, comme Voltaire, polygéniste, il n’en appartient pas moins au courant “philosophique” alors en vogue. Il témoigne de la sympathie à Diderot emprisonné à Vincennes, et à Rousseau, en conflit avec ses compatriotes. Mais si les philosophes reconnaissent en lui un membre de leur famille de pensée, il se montre personnellement d’une extrême prudence.
Extrême prudence
Le 15 janvier 1751, les députés et syndic de la faculté de théologie de Paris « lui font parvenir une liste de quatorze extraits de l’Histoire naturelle jugés non conformes à l’enseignement de l’Église. Le 12 mars, il fait amende honorable, du moins formellement, sur tous les points relevés par la Sorbonne. Il proteste de sa bonne foi, et affirme que son intention n’a jamais été de contredire le texte de la Bible. Comme son système personnel est purement hypothétique, dit-il, “[je] ne peux nuire aux vérités révélées qui sont autant d’axiomes immuables, indépendants de mes hypothèses personnelles, et auxquels [j’] ai soumis et [je] soumets mes pensées”. » (8)
À la tension intellectuelle, qui prend de plus en plus d’importance, et aboutira plus tard aux thèses évolutionnistes de Lamarck et de Darwin, Buffon offre une solution, en opérant une coupure radicale entre sciences (de la nature) et théologie (de la Création). Comme Linné, il a choisi la voie d’un accommodement prudent.
Les pages consacrées à la mort, dans son Histoire naturelle de l’homme, « sans être fondamentalement irréligieuses, n’ont assurément rien de très chrétien ; elles ont des accents éminemment épicuriens, évoquant le ton de Lucrèce dans le chapitre III du De rerum natura » (9).
René PILLORGET, professeur émérite d’histoire à l’université d’Amiens et à l’Institut catholique de Paris L’Action Française 2000 du 6 au 19 septembre 2007
1 - Jacques Arnould : Dieu versus Darwin. Éd. Albin Michel, (pp. 168-170).
2 – Buffon : OEuvres. Préface de Michel Delon. Textes choisis, présentés et annotés par Stéphane Schmitt, avec la collaboration de Cédric Crémière. Remarquable illustration, notamment. Éd. Gallimard, 2007.
3 - Pierre Chaunu : La Civilsation de l’Europe des Lumières. Éd. Flammarion, 1982 (p.220).
4 – Abbé Prévost : Histoire générale des voyages. Paris, Didot, 1746- 1780. 20 volumes. Manon Lescaut est du même auteur.
5 – Ed. La Pléiade : ex. Le chien (p. 640, 688), Le chat (p. 689), Le loup (768), etc.
6 – Ibid : Le cheval (p.503)
7 – Georges-Louis-Marie Buffon dit Buffonet. « Le plus pauvre chapitre de l’Histoire naturelle » selon Rivarol. Ce malheureux garçon, compromis dans un hypothétique complot, fut exécuté le 22 messidor an II.
8 – Ed. La Pléiade. Correspondance avec la Sorbonne (pp. 411-420).
9 – Ibid, pp. 1462-1463, note 19. Buffon mourut à Paris, le 16 avril 1788, en présence de Mme Necker, et après avoir reçu l’extrême onction : « On le doit au culte public » aurait-il déclaré à Hérault de Sechelles (cf. Ibid. p. LXXVI). Ses obsèques furent célébrées en grande pompe.

mercredi 27 juin 2012

Le lavage de cerveau dans les camps Viêts Minh

Le lavage de cerveau dans les camps

« J’ai eu l’occasion de comparer les méthodes des Nazis et des Viêts. Juifs, Tziganes, Résistants de tous bords, s’ils nous réduisaient en une sous-humanité, les nazis ne cherchaient pas à nous convertir. Par la faim, les privations, les Viêts nous amenaient au même état que les nazis, mais ils exigeaient en plus que nous adhérions à leur système, en reniant toutes nos valeurs, notre foi en la justice, en notre pays. »
Colonel Eric WEINBERGER,
ancien déporté à Buchenwald et prisonnier du Vietminh
Chronique de l'horreur et du goulag
« Les mensonges écrits avec de l’encre ne sauraient obscurcir la vérité écrite avec du sang ».
Lu Xuan
écrivain chinois.
Introduction
A l’instar de ce qui se passa dans tous les pays communistes, URSS et Chine en particulier, le lavage de cerveau fut pratiqué dans la plupart des camps de prisonniers du Viet Minh. Les modalités en varièrent en fonction des zones géographiques, des périodes de la guerre, et de la nature de la population carcérale : européens, maghrébins, africains, asiatiques.

Il eut sur les détenus un impact psychologique certain et causa la mort d’un grand nombre d’entre eux.
Il découle des principes fondamentaux du marxisme léninisme qui cherche à imposer aux « masses» une pensée unique. Et, selon le général Giap, le commandant en chef de l’Armée populaire de la République démocratique du Vietnam, c’est un procédé d’action à l’intention du peuple et de l’ennemi, considéré comme l’instrument du « prosélytisme populaire du communisme ».

Pour en comprendre les mécanismes, il faut d’abord remonter aux sources du marxisme-léninisme ferment de la « rééducation permanente » pratiquée au détriment de tout captif. Sa culpabilité est établie à priori et proclamée comme postulat de base, puisqu’il est entre les mains de la Révolution.

Il y a lieu ensuite de décrire la manière dont elle fut mise en œuvre au sein du Viet Minh par le Dich Van, organisme chargé de l’action psychologique à l’égard de l’ennemi.

De là découle le processus de son adaptation à la mentalité des prisonniers, sous une forme insidieuse, et cynique, en exploitant le meilleur et le pire de l’être humain, ses angoisses et ses espoirs, son isolement et son délabrement physique et moral.
La doctrine : de Marx à Ho chi minh
Le lavage de cerveau et les hommes qui le mirent en œuvre furent imprégnés des doctrines du marxisme-léninisme et de l’internationalisme prolétarien. Ces hommes furent Ho-Chi-Minh, Pham-Van-Dong, Le-Duc-Tho, Le-Duan, et Vo-Nguyen-Giap.

Ces personnages jouèrent un rôle clé dans la création en 1930 puis l’évolution du parti Communiste Indochinois, le LAO-DONG rattaché au Komintern. Il donna naissance à une organisation patriotique, le « Vietnam doc lap dong minh hoï » dont la branche militaire devint le Viet-Minh, qui canalisa et absorba tous les mouvements patriotiques à son profit.
S’inspirant des écrits de Mao-Tsé-Tung, « le grand frère chinois », Giap élabora les règles de la prise en main et de l’exploitation des masses par la propagande. Il définit le lavage de cerveau comme le prosélytisme, populaire du communisme, susceptible de retourner le peuple pour l’amener à détruire l’ordre ancien et à créer un monde nouveau.

Pour pratiquer cette stratégie d’enrôlement des masses, il faut recruter des cadres entreprenants, intègres et convaincus, les can-bôs.

Toujours sous l’influence du « Grand timonier » (Mao), il crée en particulier le DICH-VAN chargé de l’action et du prosélytisme à l’égard de l’ennemi,qui se consacrera particulièrement aux prisonniers de toutes races et nationalités issus du CEFEO (Corps Expéditionnaire Français d’Extrème Orient), et aux déserteurs provenant aussi de celui-ci.    
Ses principes d’action étaient tirés du Petit Livre Rouge de Mao où était écrit : convaincre progressivement une population neutre en recourant à un mélange de terrorisme sélectif, d’intimidation, de persuasion et d’agitation massive.

L’ensemble des règles et théories découle des œuvres des penseurs initiaux du matérialisme dialectique et du déterminisme historique, en un mot du bolchevisme inspiré par le stalinisme triomphant.

En effet le PCI (Parti Communiste Indochinois), transformé en Parti du Travail, inscrit dans ses statuts dès 1951 : « Le parti du travail reconnaît la théorie de Marx, Engels, Lénine, Staline et les idées de Mao-Tsé-Tung, adaptées à la Révolution vietnamienne, comme fondement théorique de sa pensée, et comme l’aiguille aimantée qui indique la direction de toutes ses activités ».

Découlant de tout cela, l’émulation socialiste et le stakhanovisme appelant chacun à se dépasser pour accéder au camp de la paix, provoqueront la mort de nombreux prisonniers, hantés par la promesse et le mirage d’une libération inconditionnelle, présentée comme l’ultime récompense de leur conversion et des efforts faits par eux pour devenir des hommes nouveaux.

En 1950, après la défaite de Tchang-Kaï-Shek, réfugié à Formose, la Chine de Mao (qui désormais borde le Tonkin), reconnaît le régime d’Ho-Chi-Minh, et va lui fournir une aide substantielle, en particulier des conseillers en rééducation. Fort de cette assistance nouvelle, Giap intensifie avec succès ses actions contre le CEFEO, qui se vide peu à peu de son sang.

Le nombre des militaires du CEFEO, capturés, répartis dans une centaine de lieux de détention, s’élèvera à 37979 dont 28% seulement survivront, soit 10754. Leur mortalité sera donc supérieure à celle des camps de déportations nazis considérés déjà comme la honte de l’humanité.

Le niveau des effectifs dans les camps ne cessa de fondre en dépit de la constante arrivée de nouveaux captifs qui ne parvenait pas à compenser la forte mortalité journalière.

L’organisation des camps fut la tâche du « Bureau central des prisonniers de guerre »,département ministériel (Khu) intégré au Ministère de la Défense, et chargé de tirer le meilleur parti de ces « otages », qualifiés « d’hôtes forcés de l’accueillant peuple vietnamien ».

Un journaliste français, Léo Figuières, membre du Bureau Central du PCF (Parti Communiste Français), envoyé au Tonkin en octobre 1950, conseilla de sauvegarder ce patrimoine humain pour l’utiliser le jour venu comme monnaie d’échange et favoriser ainsi des contacts susceptibles d’ouvrir la voie à des pourparlers de paix. Il proposa aussi de l’inoculer la doctrine Marxiste au Corps Expéditionnaire par petites doses savamment calculées sous la forme de prisonniers convertis au combat pour la paix et libéré de façon "inconditionelle".

Le Dich Van

« N’est pas révolutionnaire qui a pitié de quelque chose dans le monde ».
Catéchisme du révolutionnaire de Nétchaïev

En charge de l’Action psychologique à l’encontre de l’ennemi, au sein de son dispositif, le Dich Van met en œuvre les actions de formation et de rééducation, ainsi que celles de la persuasion morale auprès des prisonniers de guerre (appelés thu-binh), en appliquant un principe simple : exclure tout esprit d’humanité.

Cette doctrine, conforme aux règles élaborées par Giap, fut mise au point avec la participation déterminante du PCF, qui envoya de nombreuses délégations au Tonkin et y maintient des permanents. Il sugerra les données de l'endoctrinement et de la persuasion, les notions d'homme nouveau et de combattant de la paix devant aboutir aux libérations inconditionnelles.

Maurice Thorez était conscient du bénéfice à en tirer. Il délégua en permanence dans le maquis un certain André, qui y joua un rôle modérateur. La liaison avec le Lao-Dong fut maintenue par de nombreuses délégations parmi lesquelles doit être citée l’Union des femmes françaises, qui garda un contact étroit avec le Viet Minh à Prague.

La ligne politique du Tong Bô
(Bureau politique du Lao Dong, le parti communiste indochinois)

Elle fut définie entre 1950 et 1952, avec la participation des conseillers français et chinois. Elle retint trois idées majeures : la clémence du Président Ho-Chi-Minh, le combat pour la paix et le rapatriement du Corps Expéditionnaire. Ceci impliquait l’usage constant de l’autocritique et le principe de la responsabilité collective, la hiérarchie et le groupe faisant confiance aux prisonniers, au lieu de les châtier pour leurs crimes.

En contrepartie, toute tentative de fuite (évasion) étant considérée comme une trahison de cette confiance et une désertion déshonorante du camp de la paix, méritait un châtiment exemplaire : la peine de mort. Il fut appliqué au commandant de Cointet et au lieutenant Chaminade fusillés à Tuyen-Quang en 1951,après l’échec de leur évasion.

Dès lors étaient crées les conditions de la dépersonnalisation de l’individu qui, privé de ses repères, était amené à s’identifier à la masse, et à porter ses jugements en fonction des tendances de celle-ci,évidemment manipulée par le Can Bô. Le groupe secrettait ainsi sa propre police interne entraînant, sans déviance possible, l’individu sur la voie du combat pour la paix dont dépendait la fin du conflit, c’est-à-dire le rapatriement si ardemment souhaité. Entre temps pouvait survenir pour les plus méritants une libération inconditionnelle anticipée.

Les esprits déboussolés devenaient hallucinés par le mirage de la libération condition de leur survie.

S’inspirant des expériences soviétiques et chinoises, le Tong-Bô définit les normes établissant la durée de rééducation nécessaire à l’obtention d’un résultat tangible à l’action entreprise : 12 à 18 mois pour un homme du rang : 18 à 24 pour un sous-officier ; deux à trois ans pour un officier. Quant aux « réfractaires », dits « irréductibles », ils étaient inutiles et dangereux, et devaient être impitoyablement éliminés.

L’effarante mortalité contraignit le Dich-Van à revoir à la baisse ces normes, car elles dépassaient largement l’espérance de vie du prisonnier moyen : six à neuf mois pour un européen !

Nul n’a le droit de juger les réactions des gens à ce traitement s’il ne l’a lui-même subi, et connu les horreurs de la vie carcérale où, selon J.J. Beucler : « La pénurie, le climat et la désespérance suffirent à détruire les corps les plus robuste et les âmes les mieux trempées ».

Tout au long du conflit, des prisonniers de tous grades et nationalités furent donc libérés individuellement ou collectivement, dans les lieux les plus divers et des conditions toujours différentes.
La suite ici http://www.anapi.asso.fr

mardi 26 juin 2012

28 juin 1919 Paix bâclée à Versailles

Le 28 juin 1919, un traité entre l'Allemagne et les Alliés règle le conflit qui débuta à Sarajevo 5 ans plus tôt, jour pour jour, et se termina par l'armistice de Rethondes. 8 millions de morts (dont 1.400.000 pour la France) témoignent de l'horreur exceptionnelle de cette guerre sansprécédent dans un continent qui avait réuni au XIXe siècle tous les atouts de la prospérité, de la grandeur et de l'harmonie.

Un bouleversement sans précédent

Des traités de paix avec chacun des pays vaincus concluent la Grande Guerre de 1914-1918. La carte du continent européen en sort complètement transformée avec la disparition de quatre empires, l'allemand, l'austro-hongrois, le russe et l'ottoman, au profit de petits États nationalistes, souvent hétérogènes, revendicatifs... et impuissants.
L'Europe après la Première Guerre mondiale (1923)
Cliquez pour agrandir
Cette carte montre l'Europe après la Première Guerre mondiale et les traités qui ont fait éclater les 4 empires de 1914. Noter la multiplication de petits pays inaptes à se défendre et le couloir de Dantzig qui partage en deux le territoire allemand.

Des négociateurs divisés

Le premier des traités de paix et le plus important est signé avec l'Allemagne dans la galerie des Glaces au château de Versailles, sur les lieux mêmes où fut fondé l'empire allemand le 18 janvier 1871.
Pour la forme, les représentants de 27 pays alliés font face aux Allemands. Mais le traité de Versailles a été concocté en cercle fermé par quatre personnes seulement. Les quatre négociateurs sont le Français Georges Clemenceau, le Britannique David Lloyd George, l'Américain Thomas Woodrow Wilson sans oublier l'Italien Vittorio Orlando.
Ce sont des hommes du centre gauche, méfiants à l'égard de l'Église et des catholiques autrichiens, hostiles d'autre part aux communistes qui tiennent la Russie sous leur botte et sèment la Révolution en Europe centrale.
Le président Wilson est un idéaliste qui veut imposer le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes conformément à ses 14 Points de janvier 1918, au risque de créer en Europe centrale des États-croupions non viables.
Malgré la contribution tardive de ses troupes, il se présente en véritable leader du monde civilisé. À la différence des pays européens, les États-Unis ont en effet accru leur puissance économique du fait même de la guerre et des ventes d'armement aux Alliés franco-anglais.
Le Premier ministre britannique Lloyd George lorgne sur les colonies allemandes et le marché intérieur des vaincus.
Pour Clemenceau et les Français, la récupération de l'Alsace-Lorraine, annexée en 1871 par l'Allemagne, est un minimum.
Clemenceau veut par ailleurs humilier de toutes les façons possibles l'Allemagne et détruire l'Autriche-Hongrie, coupable à ses yeux d'être modérée, catholique et monarchiste. Le «Tigre» n'a cure de l'équilibre de l'Europe et du nécessaire rétablissement de relations harmonieuses.
Le quatrième négociateur est le Premier ministre italien Vittorio Orlando. Plein de faconde, il ne souhaite rien d'autre que des annexions autour de la mer Adriatique, au détriment de l'Autriche-Hongrie (il quitte provisoirement la table des négociations en mai 1919 pour appuyer ses revendications).

Un traité excessivement dur

Les plénipotentiaires allemands ont été tenus à l'écart des débats sur la préparation du traité. Selon les termes de celui-ci, leur nation est en premier lieu amputée du huitième de son territoire et du dixième de sa population. Elle est par ailleurs soumise à des limitations de souveraineté humiliantes.
–  L'Allemagne perd l'Alsace et la Lorraine du nord (Metz), annexées en 1871. Le territoire est restitué à la France sans référendum mais conserve ses particularités de l'époque impériale. À la différence du reste de la République française, les trois départements demeurent ainsi soumis au Concordat de 1801 qui régit les rapports entre l'État et l'Église catholique.
–  L'Allemagne perd aussi les villes d'Eupen et Malmédy au profit de la Belgique et surtout une grande partie de ses provinces de l'Est à l'exception de la Prusse orientale (Koenigsberg) au profit d'une Pologne ressuscitée.
–  L'Allemagne est dépouillée de ses colonies africaines au profit de la France, de la Belgique, de la Grande-Bretagne et de l'Union sud-africaine ; elle cède aussi la province chinoise du Chan-tong au Japon, ce qui provoque les protestations de la Chine, qui quitte la conférence en mai 1919.
–  Aux marges orientales de la nouvelle Allemagne, le traité ressuscite une Pologne hétérogène (avec une forte minorité germanophone) dont le seul accès à la mer passe par les territoires allemands. C'est le corridor de Dantzig qu'elle se montrera inapte à défendre.
– Les royaumes et les principautés qui composaient l'Empire allemand et pouvaient servir de contrepoids à l'autoritarisme prussien sont dissous. Il est vrai que leurs souverains avaient abdiqué avant même l'armistice du 11 novembre 1918. À la place de l'Allemagne impériale s'installe un État démocratique et républicain, ce dont se réjouissent les Français. Mais cette «République de Weimar», du nom de la ville où se réunit l'assemblée constituante, aura bien des difficultés à résister aux pressions de la rue.
– L'armée allemande est réduite à 100.000 soldats de métier et la marine de guerre à 16.000 hommes. Les forces armées sont interdites d'artillerie lourde, de cuirassés et d'avions. Il ne leur est pas permis de faire appel à des conscrits.
– Les Alliés prévoient d'occuper militairement pendant 15 ans la rive gauche du Rhin ainsi que trois têtes de pont sur le Rhin (Mayence, Cologne, Coblence). Il est prévu également une zone démilitarisée de 50 km de large sur la rive droite du Rhin.
– Le gouvernement allemand doit reconnaître sa responsabilité dans le déclenchement de la guerre, ce qui relève d'une interprétation pour le moins tendancieuse de l'Histoire. On lui demande qui plus est de livrer l'ex-empereur Guillaume II (alors en exil) pour le juger comme criminel de guerre ainsi que quelques autres hauts responsables.
– Enfin, l'Allemagne est astreinte à de très lourdes «réparations» matérielles et financières. Le montant final en sera fixé après la signature du traité de Versailles, en 1921, à 269 milliards de mark-or. C'est plus qu'une année du revenu national de l'Allemagne. L'économiste britannique John Maynard Keynes, qui recommandait de ne pas aller au-delà de 70 à 80 milliards pour ne pas compromettre la reconstruction de l'économie allemande et les échanges internationaux, démissionne de sa fonction d'expert à la conférence.
«L'Allemagne paiera !» répondra plus tard Clemenceau à qui l'interpellera sur les difficultés de la reconstruction de la France. Dans les faits, l'incapacité (et la mauvaise volonté) de l'Allemagne à payer les réparations seront à l'origine de graves crises financières et politiques dans l'ensemble de l'Europe.
– Le traité de Versailles prévoit par ailleurs la création d'une Société des Nations pour le règlement des conflits à venir, selon les généreux principes du président américain.
Très dur et injuste à bien des égards, le traité de Versailles ne sera qu'en partie appliqué et suscitera un très vif ressentiment chez les Allemands.

lundi 25 juin 2012

Lyautey contre Lavigerie et Crémieux

L’échec de l’Algérie française date du lendemain de la guerre de 1870 quand le régime civil remplaça le régime militaire. La colonisation de l’Algérie se fit alors au nom de l’universalisme républicain qui prétendait transformer les musulmans en Français grâce à l’ « école de la République ».
Dans ce numéro spécial de l’Afrique Réelle [de Juin 2012], est reproduit un document peu connu. Daté du 1er décembre 1870, au lendemain donc de la défaite française face à la Prusse, ce texte fut écrit de la main de Mgr Lavigerie (1) à l’intention d’Adolphe Isaac Crémieux (2), alors en charge des affaires algériennes. Le prélat y livre ses intentions résolument jacobines au sujet de l’Algérie, faisant ainsi cause commune avec le farouche républicain qu’était Crémieux. Les deux hommes se trouvèrent alliés pour détruire les Bureaux arabes, cette élite de l’armée française qui avait réussi la pacification de l’Algérie avec peu de moyens, pratiquant la politique du prestige, du respect et de la différence, à l’image de ce que feront plus tard les Affaires Indigènes au Maroc sous Lyautey (3) et ses successeurs. Or, Mgr Lavigerie et Adolphe Isaac Crémieux considéraient tous deux, à juste titre d’ailleurs, que les Bureaux arabes étaient un obstacle à la colonisation, protecteurs qu'ils étaient des indigènes et de leurs biens. Crémieux dénonçait également leur peu de zèle républicain, ce corps d’élite étant effectivement largement monarchiste. Leur disparition signa l’échec de l’Algérie française. A l’opposé de Mgr Lavigerie et de Crémieux, Lyautey ne voulut pas changer l’homme et c’est pourquoi il a réussi au Maroc. Il ne s’était en effet pas fixé pour but de donner aux Marocains d’autres ancêtres que les leurs. Il n’avait pas, comme le déclara avec arrogance le président Sarkozy dans son « discours de Dakar », l’intention de les faire « entrer dans l’Histoire », eux qui en ont une, glorieuse et ancienne.
La vision de Lyautey présentait deux caractéristiques principales qui sont l’exact contre-pied de ce que voulaient Crémieux et Mgr Lavigerie :
  •  – Selon lui, la colonisation n’était pas éternelle car il avait bien vu que les colonies, départements d’Algérie compris, étaient à la France, mais n’étaient pas la France. Transposée aujourd’hui cette idée permettrait de parler d’islam en France et non d’islam de France, ce qui n’est pas la même chose
  • – C’était une forme d’ « ethno-différentialisme » avant l’heure car elle n’impliquait ni assimilation, ni intégration, qui sont d’abord des pertes de substance vive pour les uns comme pour les autres. Elle ne débouchait ni sur l’acculturation républicaine, ni sur la christianisation des musulmans. Lyautey était pourtant plus que « bon » catholique, mais, tout comme Charles Maurras, il faisait la part entre le politique et le religieux. Homme de terrain, il avait tout simplement observé que les peuples du Maghreb sont « autres ».
L’histoire a donné raison à Lyautey contre Lavigerie et Crémieux. Quant à De Gaulle, s’il voyait juste quand il déclara à Jacques Soustelle que l’intégration était « un danger pour les Blancs, une arnaque pour les autres », la manière dont il s’y prit pour « soulager » la France de ce qu’il nommait « le fardeau algérien » fut à la fois odieuse par son inhumanité, honteuse par sa mise en oeuvre et criminelle par ses conséquences. D’autant plus que la victoire militaire française étant totale dès 1959-1960, des solutions autres que celle de la remise du pouvoir à la clique du FLN étaient envisageables.
Bernard Lugan éditorial  L’Afrique Réelle http://www.polemia.com
15/06/2012
Notes de la rédaction :
(1) homme d’Eglise, nommé en 1867 archevêque d’Alger et de Carthage, fondateur de la société des missionnaires d’Afrique (les Pères blancs) en 1869.
(2) avocat, homme politique français, franc-maçon, député, membre du gouvernement provisoire de 1848 et ministre de la Justice dans le gouvernement de Défense nationale de 1870, surtout connu par le décret du 24/10/1870, à qui il a laissé son nom, octroyant la citoyenneté française aux juifs d’Algérie, mesure parfaitement discriminatoire à l’égard des « indigènes musulmans ».
(3) militaire français, officier pendant les guerres coloniales, premier résident général du protectorat français au Maroc en 1912, ministre de la Guerre lors de la Première Guerre mondiale, puis maréchal de France en 1921, académicien.

dimanche 24 juin 2012

Antoine de Rivarol

Après Bossuet, qui nous a rappelé les principes immuables d'un bon gouvernement, redécouvrons aujourd'hui le journaliste indomptable dont notre journal s'honore déporter le nom et qui dans la tourmente révolutionnaire qui continue, reste un exemple à suivre...

Antoine de Rivarol naquit le 26 juin 1753 à Bagnols (aujourd'hui Bagnols-sur-Cèze dans le Gard), où son père, dit-on, d'origine piémontaise, était aubergiste à l'enseigne des Trois Pigeons. Aîné de seize enfants, il montra très tôt de bonnes dispositions pour les études et fut reçu au séminaire de Sainte-Garde d'Avignon, mais sans réelle vocation. En 1777 il "monta" à Paris, fréquenta les salons où son esprit brillant et polémiste fit merveille, mais ne lui attira pas que des amitiés. Il connut Voltaire et collabora au Mercure de France. Sainte-Beuve devait plus tard le décrire ainsi : « Une figure aimable, une tournure élégante, un port de tête assuré, soutenu d'une facilité rare d'élocution, d'une originalité fine et d'une urbanité piquante, lui valurent la faveur des salons [...] Rivarol semblait ne mener qu'une vie frivole, et il était au fond sérieux et appliqué. Il se livrait à la société le jour et travaillait la nuit. Sa facilité de parole et d'improvisation ne l'empêchait pas de creuser solitairement sa pensée, il étudiait les langues, il réfléchissait sur les principes et les instruments de nos connaissances, il visait à la gloire du style. »
DÉFENSEUR DE LA LANGUE FRANÇAISE
Oui, il avait de l'ambition et son discours De l'universalité de la langue française fut en 1784 l'occasion d'acquérir une grande notoriété qui lui valut le prix de l'Académie de Berlin fondée par le roi de Prusse Frédéric II. Comparant le français aux autres langues et notre histoire à celle de nos voisins, il montrait que la langue française s'était perfectionnée au rythme de la lutte contre le désordre et le mauvais goût dans toute la société : « Enfin le bon goût ne se développa tout entier que dans la perfection même de la société ; la maturité du langage et celle de la nation arrivèrent ensemble. » Ce fut sous Louis XIV : « Le poids de l'autorité fit rentrer chacun à sa place : on connut mieux ses droits et ses plaisirs ; l'oreille, plus exercée, exigea une prononciation plus douce ; une foule d'objets nouveaux demandèrent des expressions nouvelles : la langue française fournit à tout, et l'ordre s'établit dans l'abondance. »
C'était en fait exposer à quelques siècles de distance le Politique d'abord de Charles Maurras et énoncer une vérité qui se vérifie tous les jours dans la France d'aujourd'hui : quand le pouvoir politique laisse la société s'émietter, les communautés naturelles s'étioler, l'école se clochardiser, les gens venus d'ailleurs importer leurs sabirs, comment s'étonner que le peuple français passe de la maturité à la débilité, que notre langue même s'abâtardise et qu'elle n'inspire plus le moindre respect dans le monde ? « Le goût qu'on a dans l'Europe pour les Français, écrivait encore Rivarol, est inséparable de celui qu'on a pour leur langue et [...] l'estime dont cette langue jouit est fondée sur celle que l'on sent pour la nation. »
L'auteur en arrive dans une très belle page au génie propre de notre langue : « Ce qui distingue notre langue des langues anciennes et modernes, c'est l'ordre et la construction de la phrase. Cet ordre doit toujours être direct et nécessairement clair. Le français nomme d'abord le sujet du discours, ensuite le verbe qui est l'action et enfin l'objet de cette action ; voilà la logique naturelle à tous les hommes ; voilà ce qui constitue le sens commun. Or cet ordre, si favorable, si nécessaire au raisonnement, est presque toujours contraire aux sensations qui nomment le premier l'objet qui frappe le premier. C'est pourquoi tous les hommes, abandonnant l'ordre direct ont eu recours aux tournures plus ou moins hardies, selon que leurs sensations ou l'harmonie des mots l'exigeaient ; et l'inversion a prévalu sur la terre parce que l'homme est plus impérieusement gouverné par ses passions que par la raison. » Façon de dire que l'étude du français est une cure de raisonnement sain.
On sait bien que là où prédominent les parlers anglo-saxons à la syntaxe souvent bizarre, ou l'allemand mettant l'action avant la pensée, on a peut-être de quoi se livrer efficacement aux affaires commerciales ou aux épanchements sentimentaux, mais il manque de quoi approfondir une réflexion. D'où l'urgence aujourd'hui encore de ne pas laisser notre langue se corrompre par le style de tant de plumitifs qui se prennent pour des écrivains. « Une langue, disait Rivarol, vient à se corrompre lorsque confondant les limites qui séparent le style naturel du figuré, on met de l'affectation à outrer les figures et à rétrécir le naturel pour charger d'ornements superflus l'édifice de l'imagination. C'est ce défaut qui perd les écrivains des nations avancées ; ils veulent être neufs et ne sont que bizarres ; ils tourmentent leur langue pour que l'expression leur donne la pensée et c'est pourtant celle-ci qui doit toujours amener l'autre. »
LE TACITE DE LA RÉVOLUTION
Cet homme bien de son temps - d'un temps où, comme devait le dire Pierre Gaxotte, « il existait une Europe et elle était française », parlait français et pensait clair -, avait déjà prouvé par son discours De l'universalité de la langue française, qu'il n'était pas qu'un improvisateur spirituel. Mais c'est la Révolution qui devait opérer en lui un changement remarquable, le critique élégant et caustique du Petit almanach de nos grands hommes (1788) devenant alors le défenseur intransigeant de l'ordre social traditionnel, au point d'être salué par Edmund Burke, lui-même contre-révolutionnaire, mais anglais, comme « le Tacite de la Révolution ».
Changement soudain ? Moins qu'on ne le croie. Nous entretenant il y a quelques années avec Éric Vatré, celui-ci nous disait très justement : « Je crois que le combat de Rivarol résulte d'une pensée politique mûrie avant la Révolution : il sait trop ce que la civilisation française et, partant, sa langue doivent à nos Rois. Lecteur positif de Montesquieu, il défend vigoureusement le principe de la continuité monarchique, ne cesse d'invoquer les nécessaires réformes de l'institution, adjurera le roi de "faire le Roi", le conseillera pertinemment (création de clubs royalistes, visites aux provinces, etc.) Mais en vain. »
Rivarol, que Voltaire désignait comme « le Français par excellence », ne pouvait évidemment pas assister sans réagir au meurtre et au suicide de son pays. Il se mit à poursuivre de son ironie vengeresse la sottise et prétention révolutionnaires et notamment ce monstre d'ineptie que fut dès août 1789 la déclaration des Droits de l'Homme, « préface criminelle d'un livre impossible ». Dans un article des Actes des Apôtres, para en 1792, il en publia un pastiche qui, sous la dérision, ne manquait pas d'audace et de colère rentrée :
«  Article premier : À compter du 14 juillet prochain, les jours seront égaux aux nuits pour toute la surface de la terre, le jour commençant à cinq heures. Article second : Au moment où le jour finira, la lune commencera à luire et elle sera dans son plein jusqu'au lever du soleil.
Article troisième : Il régnera constamment d'une extrémité du globe à l'autre une température modérée et toujours égale. » On n'a jamais si justement montré la perfidie des révolutionnaires de vouloir recréer le monde d'après leurs principes... Il entreprit alors d'écrire l'histoire de la Révolution au jour le jour dans son Journal politique national (1792) (1) en des formules si fortes qu'elles sont passées en maximes. « Son génie, dit Jean Dutourd, était fait d'ironie, de gaieté dans l'écriture, de plaisanteries, de blâmes implacables cachés sous des louanges ambiguës, toutes choses qui font mal et qu'on ne pardonne pas. » On se souvient de M. de Launay, gouverneur de la Bastille qui, le 14 juillet 1789, « avait perdu la tête avant qu'on la lui coupât »... Façon de montrer que le pauvre homme croyait trop en la bonté naturelle de l'homme conquérant la liberté. Dans ses écrits Rivarol aimait donner la mesure exacte des prétendus grands philosophes du XVIIIe siècle. Jean-Jaçques Rousseau n'est qu'« un maître sophiste, le paradoxe incarné » Voltaire ne méritait pas d'être mieux traité : « Le dictionnaire philosophique de Voltaire, si fastueusement intitulé la Raison par alphabet est un ouvrage de très mince portée philosophique. » « J'aime mieux Racine que Voltaire par la raison que j'aime mieux le jour et les ombres que l'éclat et les taches. » Pourtant, il sut rendre justice même à Jean-Jacques : « Toutes les fois qu'il n'écrit pas sous l'influence despotique d'un paradoxe et qu'il raconte ses sensations ou dépeint ses propres passions, il est aussi éloquent que vrai. »
Il dénonçait aussi le dogmatisme intolérant de la Révolution : « La philosophie a ses bulles et le Palais Royal est son Vatican », ainsi que son caractère passionnel : « La philosophie moderne n'est rien autre chose que les passions armées de principes » et sa violence intrinsèque : « La Révolution est sortie tout à coup des lumières comme une doctrine armée. »
La préface du Petit dictionnaire des grands hommes de la Révolution (1792) (2) résume son interprétation des événements de 1789 : « C'est par un accord parfait entre le rebut de la Cour et le rebut de la fortune que nous sommes parvenus à cette misère générale qui atteste seule notre égalité. Quoi de plus injuste en effet que cette inégale distribution des biens qui forçait le pauvre à travailler pour le riche, ce qui donnait à l'argent une circulation mal entendue et à la terre une fertilité dangereuse ! Grâces au ciel, tout est rétabli dans l'état sauvage où vivaient les premiers hommes. Le parti de plus fort s'est trouvé naturellement le plus juste ; et comme tout le monde s'est mis à gouverner, les cris des mécontents ont été étouffés. »
Dès 1791, Rivarol prévoyait Napoléon Bonaparte : « Ou le roi aura une armée ou l'armée aura un roi. » Observateur lucide et analyste pénétrant, il décrivit plus tard le processus révolutionnaire commencé dans l'euphorie, mais devant aboutir au drame et à la mise à mort du roi : « L'assemblée constituante tua la royauté et par conséquent le roi : la Convention ne tua que l'homme. La première fut régicide et l'autre parricide ». Le roi... il voulut tant l'avertir et l'aider, d'où ces mots cruels : « La sottise mérite toujours ses malheurs » ou « Autrefois les rois avaient leur couronne sur le front, ils l'ont aujourd'hui sur les yeux. »
Rivarol, eut, comme il le dit lui-même, l'esprit méchant, mais le cœur bon. Il sut transcender sa douleur pour la faire servir à l'instruction de la postérité, et quand il dut se résoudre à l'émigration en Allemagne, il cria que l'injustice de quelques hommes ne le détacherait jamais de sa patrie. Il écrivit alors De l'homme intellectuel et moral (1797) : « Il est dur sans doute de n'avoir que des fautes ou des crimes à raconter et de transmettre à la postérité ce qu'on ne voudrait que reprocher à ses contemporains ; mais comme dit un Ancien, quand on ne peut faire peur aux hommes il faut leur faire honte. » Cet homme que l'on nous présente trop souvent comme léger, n'a-t-il pas écrit ce mot sublime à l'adresse de ceux qui depuis la Révolution tentent d'établir en France le laïcisme : « Tout État, j'ose le dire, est un vaisseau mystérieux qui a ses ancres dans le Ciel »? Il devait mourir à Berlin le 4 avril 1801.
On le voit, les raisons de s'enrichir intellectuellement et spirituellement en relisant Rivarol sont multiples...
M.F Rivarol du 27 avril 2012
1) Domaine public. Ed. Flammarion.
2) Lire aussi Bernard Fay : Rivarol et la Révolution. Perrin 1978.
Réédité en 1988 aux Ed. Desjonquères.

samedi 23 juin 2012

Charles III Le Simple Le crépuscule des Carolingiens

La pathétique histoire des derniers rois carolingiens nous est désormais familière grâce à Ivan Gobry. À la fin de son livre passionnant sur le sage et autoritaire Charles II le Chauve (843-877) (1), il nous laissait attendre une ultime étincelle en la personne de l’arrière-arrière-petit-fils de Charlemagne, Charles III le Simple (898-929). Il a tenu parole, et voici donc aujourd’hui le destin décevant mais jamais dérisoire d’un roi qui sut garder un peu de dignité alors que le système successoral le rendait inapte à gérer le bien commun.
Il fallut, pour s’affirmer, une volonté peu commune à cet enfant posthume du roi Louis II le Bègue (877-879). Ses demi-frères aînés Louis III, seize ans, et Carloman, treize ans, sacrés ensemble en 879 à Ferrières-en-Gâtinais, eurent juste le temps de laisser le souvenir de vaillants guerriers, avant de mourir, le premier en 882, le second en 884, et d’être remplacés sur le trône de France, de par l’aveuglement des Grands, par un cousin germanique, l’incapable empereur Charles le Gros.
Quand les Grands finirent par condamner celui-ci à mort, ils ne songèrent nullement à placer le jeune Charles sur le trône de ses pères, car ils n’avaient d’yeux que pour Eudes comte de Paris, l’héroïque défenseur de la vallée de la Seine contre les Vikings. Ils élirent donc roi ce fils du célèbre Robert le Fort dont la lignée commençait à se signaler par ses services pour le bien public. Toutefois Eudes, qu’Ivan Gobry connaît fort bien (2), était un homme de paix autant que de courage. S’il avait paré au plus pressé en acceptant la couronne, il ne voulait pas forcer l’histoire de France, d’autant que Charles, devenu adolescent, et soutenu par certains Grands, dont Foulques, archevêque de Reims, et quelques partisans bourguignons, n’entendait pas se faire oublier. Après force conciles et combats, malgré le jeu parfois trouble de cousins ou alliés souvent bâtards, sur fond de luttes acharnées contre l’envahisseur danois, Eudes négocia, offrant « une part » du royaume à Charles, lequel allait bientôt recouvrer le royaume tout entier à la mort d’Eudes le 1er janvier 898.
Naissance de la Normandie
À dix-neuf ans, Charles était, nous dit Gobry, « un brave jeune homme, loyal et animé de bons sentiments, parmi lesquels la bienveillance ». De là le qualificatif point du tout péjoratif de “Simple” qui fut attribué à ce roi, élevé sans père, et qui devait son trône plus aux circonstances qu’à son génie. Les Grands s’accommodèrent de lui de mauvaise grâce ; pour se les attacher il nomma quelques abbés laïcs, chose fréquente en ces temps de décadence de la hiérarchie romaine.
Toutefois le jeune roi se révéla capable d’initiatives audacieuses, comme l’installation des Barbares scandinaves sur le sol qui allait être la Normandie - le pays des hommes du Nord. Charles le Simple partageait pleinement les vues de Robert, nouveau comte de Paris (frère du défunt Eudes) lequel était incité par le nouvel évêque de Reims Hérivée à « obtenir la paix plus par l’amour que par le glaive ». Le roi et le comte proposèrent le baptême au chef des envahisseurs, le célèbre Rollon, et les choses allèrent vite puisque dès octobre 911, celui-ci rencontrait le roi à Saint-Clair-sur-Epte et recevait un territoire - un comté - entre la Somme et l’Eure. L’année suivante, à Pâques, il était solennellement baptisé dans l’église de Rouen ; le comte de Paris était son parrain. Rollon, fils d’un peuple en errance, révéla aussitôt une singulière capacité d’adaptation et d’intégration... Expérience à méditer : sous le signe de la Croix on intègre plus aisément que sous celui de la laïcité...
Plus complexes furent les affaires de la Lotharingie, ce vieil et encombrant héritage des partages de l’empire de Charlemagne... Charles réussit toutefois à s’emparer de cette terre et à s’y faire élire roi, concluant une paix solide avec l’ambitieux Henri roi de Germanie, et consolidant le royaume de France à l’est, mais alors les relations se détériorèrent dramatiquement entre le roi et Robert comte de Paris.
Pourtant le frère d’Eudes ne briguait point la couronne. Il fallut que le roi Charles en vînt à ériger en favori un grossier personnage nommé Haganon, pour que Robert, tout dévoué au service du royaume, se mît à douter de ce roi trop fantasque. Il y fut surtout porté par les Grands, car face au pâle Charles, Robert, sans être ambitieux, était « le représentant et l’espoir de toute une caste qui [était] à la fois la richesse de la France par l’abondance de ses possessions et son salut par le maniement des armes ». Le conflit, alors inévitable, aboutit en 922 à la fuite de Charles en Lotharingie et au sacre de Robert roi de France ! Mais dès le 15 juin 923, dans un affrontement sans merci à Soissons, les Lotharingiens conduits par Charles tuèrent Robert.
Le pauvre Charles n’allait pas pour autant retrouver son trône. Les Grands, très montés contre les Carolingiens, élirent et firent sacrer le 13 juillet 923 à Soissons Raoul duc de Bourgogne. Réduit à lutter contre ses propres vassaux Charles se retrouva séquestré à Château-Thierry, puis à Péronne d’où il fut retiré en 927 pour une équipée sans lendemain, et finalement ramené à Péronne où il mourut le 7 octobre 929, à cinquante ans.
Une autre monarchie
Cette vie riche de turbulences plus que de grandeurs n’en est pas moins l’illustration dramatique de deux conceptions opposées de la monarchie qu’Ivan Gobry analyse très finement : d’un côté celle d’une famille qui voit dans la couronne son bien personnel, la partageant et l’attribuant comme elle veut, de l’autre celle d’un souverain désigné « par les forces majeures de la nation ». C’est qu’alors les affaires politiques prenaient un nouveau visage : avec les invasions normandes, ce n’était plus une dynastie qui était menacée, mais l’identité nationale. « Le trône [appartiendrait] de droit à celui qui [délivrerait] le territoire des Barbares païens et [ramènerait] la paix. »
En somme les Grands avaient adopté une si haute conception de la monarchie qu’ils ne pouvaient plus tolérer un roi médiocre. Mais les changements de cette importance doivent s’effectuer sur le long terme : la grande sagesse, capétienne avant le mot, du fils de Robert, Hugues le Grand, comte de Paris, duc des Francs, fut de ne point brusquer les choses et d’user de son autorité militaire et morale pour, à la mort de Raoul (936), imposer sur le trône le fils de Charles le Simple, Louis IV d’Outremer (il avait vécu son enfance en Angleterre), puis le fils de celui-ci Lothaire, père du minable et éphémère Louis V mort sans postérité. Les Carolingiens s’étaient épuisés d’eux-mêmes.
On était alors en 987 : les temps étaient venus pour une royauté de salut public : fils d’Hugues le Grand, héritier de trois générations d’exploits pour sauver la France, Hugues Capet allait fonder la monarchie et l’hérédité elle-même sur la seule notion de service. Cette mission dura huit siècles et nous sommes sûrs qu’elle n’est pas finie.
Michel FROMENTOUX L’Action Française 2000 du 1er au 14 novembre 2007
* Ivan Gobry : Charles III, fils de Louis II. Éd Pygmalion, 214 pages, 20 euros.
(1) Ivan Gobry : Charles II (voir L’AF 2000, du 19 juillet 2007).
(2) Ivan Gobry : Éudes fondateur de la dynastie capétienne (voir L’AF 2000 du 16 juin 2005).

vendredi 22 juin 2012

18 juin 1812 Les États-Unis en guerre contre les Anglais

Le 18 juin 1812, le Congrès des États-Unis vote une déclaration de guerre. L'ennemi n'est autre que l'ancienne métropole, l'Angleterre.
Cette guerre reste dans l'Histoire sous le nom de «Seconde guerre d'Indépendance» ou plus simplement «guerre de 1812». C'est la première qu'aient livrée les États-Unis. C'est aussi la seule de l'Histoire moderne qui ait mis aux prises deux démocraties.
La faute à Napoléon
La guerre de 1812 est la conséquence directe du conflit qui oppose en Europe Napoléon 1er à l'Angleterre et à ses alliés.
Les deux belligérants font fi de la neutralité des États-Unis et arraisonnent les navires de commerce américains sous prétexte qu'ils traitent avec le camp adverse. Comme si cela ne suffisait pas, il arrive que les Anglais se saisissent de marins américains et les enrôlent sur leurs propres navires.
Le président Thomas Jefferson tente de surmonter le dilemme en faisant voter en décembre 1807 la loi sur l'embargo (Embargo Act) qui interdit à tout navire de faire voile d'un port des États-Unis vers un port étranger. Mais la loi ruine les armateurs de Nouvelle-Angleterre sans pour autant faire plier l'Angleterre, avide de céréales américaines, et l'on doit la rapporter le 1er mars 1809.
Le successeur de Jefferson est son ami James Madison, lui aussi du parti républicain démocrate. Ce Virginien de 61 ans se montre à la Maison Blanche autrement plus médiocre qu'il ne l'a été dans la rédaction de la Constitution.
Une guerre entreprise à la légère
Dans un premier temps, le président Madison interdit le commerce avec la France et l'Angleterre. Puis il décide que cette interdiction ne jouera plus à l'encontre de celui des deux pays qui cessera de porter atteinte au commerce des neutres !
Le 5 août 1810, Napoléon 1er assure Washington qu'il cessera de contrarier le commerce des neutres. Il s'agit d'un mensonge éhonté car cela signifierait la fin du Blocus continental destiné à asphyxier l'Angleterre.
Il n'empêche que les États-Unis font crédit à Napoléon 1er. Leurs relations avec l'Angleterre se tendent et les heurts se multiplient à la frontière avec le Canada. À la Chambre des représentants, Henry Clay, porte-parole des «War Hawks» («Faucons de guerre») fait miroiter l'annexion du Haut-Canada anglophone, du Bas-Canada francophone et de la Floride espagnole.
Finalement, le président convainc le Congrès de voter (à une courte majorité) la déclaration de guerre à l'Angleterre. L'opposition fédéraliste tente de s'y opposer. Elle dénonce la «guerre de M. Madison» («Mr. Madison's War») mais ne réussit pas à l'empêcher et cet échec va amorcer son déclin et sa disparition. Le parti fédéraliste, si influent dans les décennies antérieures, ne va plus conserver que quelques représentants en Nouvelle-Angleterre.
Offensives peu convaincantes
Dans un premier temps, le 12 juillet 1812, les volontaires américains, au nombre d'à peine 5.000, attaquent les Anglais sur les Grands Lacs sous la conduite du général William Hull. Ils vont jusqu'à brûler le parlement du Haut-Canada, à Toronto. Les Anglais, piqués au vif, lancent une contre-offensive bien qu'avec des effectifs moindres. Ils repoussent les Américains jusqu'à Detroit et s'emparent de la ville le 16 août 1812.
Le général Hull sera déféré devant une cour martiale mais échappera à la sentence capitale en raison de ses états de service antérieurs, pendant la véritable guerre d'Indépendance.
Sur mer, pendant ce temps, les Américains, avec trois frégates, remportent quelques succès d'estime sur les navires anglais. Après plusieurs mois de piétinement, un corps expéditionnaire anglais débarque près de Washington. Il remporte un succès à Bladenburg avant de marcher sur la capitale.
La garde nationale qui protège celle-ci se débande et, le 24 août 1814, les Anglais entrent sans coup férir à la Maison Blanche, que le président a dû quitter en catastrophe.
Le général anglais n'a plus qu'à se mettre à table et finir le dîner présidentiel. En partant, il a soin de faire brûler l'auguste palais ainsi que le Capitole, qui contient à ce moment-là la librairie du Congrès. C'est une revanche sur l'incendie du Parlement de Toronto... et une profonde humiliation du côté américain !
Une armée éprouvée de 10.000 soldats britanniques quitte Montréal en direction de New York, sous le commandement de Sir George Prevost. Mais la flotte chargée de son ravitaillement est défaite le 11 septembre 1814 sur le lac Champlain par le capitaine Thomas Macdonough. Du coup, Prevost renonce à son offensive.
Lassée par cette guerre sans enjeu véritable, Londres entame des négociations à Gand, aux Pays-Bas, où la paix est signée le 24 décembre 1814. Il est convenu d'un retour à la situation antérieure, sans prise de guerre. La frontière entre les États-Unis et les possessions britanniques d'Amérique du Nord est prolongée vers l'Ouest suivant le 49e parallèle.
Naissance du patriotisme américain
La nouvelle de la signature du traité de Gand n'arrive à Washington que le 14 février 1815. Entre temps, dans le Sud, les Américains jouent les prolongations. C'est ainsi que le 8 janvier 1815, l'impétueux Andrew Jackson (47 ans) reprend La Nouvelle-Orléans aux Anglais, ce qui lui vaut une immense popularité.
En 1828, Andrew Jackson accèdera à la Maison Blanche, comme d'autres généraux vainqueurs, de George Washington à Dwight Eisenhower en passant par Ulysses Grant.
Ne croyons pas que la guerre de 1812 était une guerre pour rien. Outre qu'elle a donné un héros aux États-Unis en la personne d'Andrew Jackson, elle a aussi éveillé le patriotisme américain et contribué à forger une conscience nationale. C'est à cette époque que naît le personnage de l'Oncle Sam, qui est à la République américaine ce que Marianne est à la République française.
Ayant renoncé à s'agrandir aux dépens du Canada, les États-Unis tournent désormais leurs ambitions vers les espaces vierges du Far West (le Grand Ouest). De leur côté, les Anglais vont mettre en valeur les territoires qui s'étendent à l'ouest du Haut-Canada, le Rupert's Land, une concession de la Compagnie de la baie d'Hudson.
Fabienne Manièrehttp://www.herodote.net

jeudi 21 juin 2012

La Gauche, l’occupation et la collaboration

Qui dit aujourd’hui la vérité est un impertinent...
La vérité est aujourd’hui la limite de la science.
Ludwig Feuerbach
Un livre important a été bienveillamment passé sous silence il y a quelques années ; il s’agit de l’ouvrage de Simon Epstein sur le "Paradoxe français" pendant l’Occupation. Ce paradoxe tient en une phrase : loin d’avoir été l’apanage de l’extrême-droite confondue avec le nationalisme, la collaboration a surtout été l’apanage d’une certaine gauche et d’une non moins certaine extrême gauche bien antiraciste. M. Epstein, spécialiste aussi de la question dreyfusarde et installé en Israël, a eu le courage de l’écrire et le mérite de le démontrer, et nous l’en remercions. On n’aura pas parlé beaucoup de son travail, et il ne faut guère s’en étonner. Je reprendrai à ce propos ce que disait jadis un philosophe allemand d’extrême-gauche : « Enfin moral est le mensonge et le mensonge seul, parce qu’il cache et dissimule le mal de la vérité, ou, ce qui est la même chose, la vérité du mal. »
Les médias qui parlèrent de l’ouvrage s’en tirèrent par leur légendaire haussement d’épaules et incriminèrent le pacifisme (car il faut toujours faire la guerre aux côtés d’Hillary, et surtout à la Russie !), ce qui me semble très limité : il y avait des apparentements plus terribles à faire ! Je ne veux pas me lancer dans des imprécations. Je donne les noms suivants et leurs fiches tels qu’ils ressortent de cet abondant ouvrage. M. Epstein cite les noms suivants. On commencera bien sûr par les gros poissons dont je rappelle les perles.
Marcel Déat, député SFIO, membre du comité de vigilance antifasciste, était un chantre de l’antiracisme dans les années 1920 et 1930 : « Il n’y a pas de pays qui soit plus réfractaire que la France à la notion de race, elle qui est l’admirable résultante historique de mélanges constants et de métissages indéfinis »... On sait que Déat finira en partisan fanatique de la collaboration avec le Reich hitlérien.
Jacques Doriot, dirigeant des Jeunesses communistes à partir de 1923, maire de Saint Denis en 1931, haut responsable du PCF, était l’avocat passionné de l’antimilitarisme et de l’anticolonialisme. Contrairement au reste du Parti communiste, il était alors proche de la LICA.
Poursuivons par du plus menu fretin.
René Belin, numéro 2 de la CGT qui déclarait à la revue antiraciste Droit de vivre en juin 1939 : « La classe ouvrière est profondément antiraciste. Je suis entièrement d’accord avec l’action de la LICA ». Belin fut tout content de devenir ministre de la production industrielle et du travail du maréchal Pétain et de figurer parmi les signataires du statut des Juifs du 8 octobre 1940 !
Gaston Bergery, membre du parti radical, qui écrivait en 1936 : « Le racisme et l’antisémitisme sont contraires à l’idée de Nation... ». Il vota les pleins pouvoirs à Pétain le 10 juillet 1940, devint un militant actif de la Révolution nationale et de la collaboration, avant d’être nommé ambassadeur du maréchal à Moscou puis à Ankara.
Georges Bonnet, député radical-socialiste, ministre des affaires étrangères en 1938 et 1939, qui déclarait en 1938 : « La France doit donner l’hospitalité à tous ceux dont la vie est menacée », devient aussi un notable de Vichy et approuve la rencontre de Montoire entre Pétain et Hitler dont il salue le « caractère historique » car « marquant le début d’une organisation nouvelle de l’Europe dans laquelle la France et l’Allemagne, chacune avec son génie, doivent tenir une place... »
L’auteur cite énormément d’intellectuels et écrivains, connus pour leur engagement gauchiste et antiraciste, dans les années 1920-1930 qui se sont ralliés au régime de Vichy, par pacifisme, et ont soutenu, à des degrés divers, le principe de collaboration : Georges Blondel, René Laforgue, Marcelle Capy, Jean Cocteau, Jean Giono, Maurice Rostand, Marcel Aymé, Pierre Benoit, Jacques de Lacretelle, Marcel Jouhandeau, André Thérive, tous de bons écrivains d’ailleurs. On sait aussi que sous la collaboration, on ne persécuta pas, c’est le moins que l’on puisse dire, Sartre, Camus et quelques autres qui publièrent ou représentèrent toutes les oeuvres qu’ils voulaient.
A l’inverse M. Epstein rappelle que la Résistance trouva en grande partie ses origines dans la droite française, la droite républicaine mais aussi dans les mouvements nationalistes comme les Camelots du Roi, les Jeunesses Patriotes ; et qui rompirent avec Maurras. Parmi ces initiateurs de la Résistance française se trouvent notamment D’Estienne d’Orves, Rémy, Pierre Fourcaud, Maurice Duclos, André Dewavrin, Loustanau-Lacau, Marie-Madeleine Fourcade, le Colonel Groussard, Pierre Nord, Henri Frenay, Pierre de Benouville, Charles Vallin, les frères François et Henri d’Astier de la Vigerie, etc.
Je relisais récemment le très beau texte programmatique du comité de la résistance française. Il me semble qu’il pourrait nous inspirer aujourd’hui avec sa tonalité nationale, populaire et sociale ; comme les autres peuples d’Europe la France est aujourd’hui ruinée par l’euro, cannibalisée par l’universalisme antiraciste, paralysée par la folie bruxelloise, dont on connaît depuis John Laughland les origines totalitaires, ou qu’elle est notre France, déshonorée avec ses soldats assassinés en Afghanistan, bientôt en Syrie, et ses banlieues en flammes, ses frontières ouvertes, ses usines exsangues. Et je ne m’étonne pas, à la lecture du livre de M. Epstein, que la résistance à cet ordre nouveau et aberrant, pour l’instant moins cruel, mais aussi supranational, ruineux et incohérent, vienne de la droite et des nationaux. Face à cette barbarie abrutie et technocratique, toutes les bonnes volontés sont bien sûr bienvenues. Car il est malheureusement écrit que nous ne sommes pas au bout de nos peines...
C’est reparti comme en 40 !