La
pathétique histoire des derniers rois carolingiens nous est désormais
familière grâce à Ivan Gobry. À la fin de son livre passionnant sur le
sage et autoritaire Charles II le Chauve (843-877) (1), il nous laissait
attendre une ultime étincelle en la personne de
l’arrière-arrière-petit-fils de Charlemagne, Charles III le Simple
(898-929). Il a tenu parole, et voici donc aujourd’hui le destin
décevant mais jamais dérisoire d’un roi qui sut garder un peu de dignité
alors que le système successoral le rendait inapte à gérer le bien
commun.
Il fallut, pour s’affirmer, une volonté peu commune à cet enfant posthume du roi Louis II le Bègue (877-879). Ses demi-frères aînés Louis III, seize ans, et Carloman, treize ans, sacrés ensemble en 879 à Ferrières-en-Gâtinais, eurent juste le temps de laisser le souvenir de vaillants guerriers, avant de mourir, le premier en 882, le second en 884, et d’être remplacés sur le trône de France, de par l’aveuglement des Grands, par un cousin germanique, l’incapable empereur Charles le Gros.
Quand les Grands finirent par condamner celui-ci à mort, ils ne songèrent nullement à placer le jeune Charles sur le trône de ses pères, car ils n’avaient d’yeux que pour Eudes comte de Paris, l’héroïque défenseur de la vallée de la Seine contre les Vikings. Ils élirent donc roi ce fils du célèbre Robert le Fort dont la lignée commençait à se signaler par ses services pour le bien public. Toutefois Eudes, qu’Ivan Gobry connaît fort bien (2), était un homme de paix autant que de courage. S’il avait paré au plus pressé en acceptant la couronne, il ne voulait pas forcer l’histoire de France, d’autant que Charles, devenu adolescent, et soutenu par certains Grands, dont Foulques, archevêque de Reims, et quelques partisans bourguignons, n’entendait pas se faire oublier. Après force conciles et combats, malgré le jeu parfois trouble de cousins ou alliés souvent bâtards, sur fond de luttes acharnées contre l’envahisseur danois, Eudes négocia, offrant « une part » du royaume à Charles, lequel allait bientôt recouvrer le royaume tout entier à la mort d’Eudes le 1er janvier 898.
Naissance de la Normandie
À dix-neuf ans, Charles était, nous dit Gobry, « un brave jeune homme, loyal et animé de bons sentiments, parmi lesquels la bienveillance ». De là le qualificatif point du tout péjoratif de “Simple” qui fut attribué à ce roi, élevé sans père, et qui devait son trône plus aux circonstances qu’à son génie. Les Grands s’accommodèrent de lui de mauvaise grâce ; pour se les attacher il nomma quelques abbés laïcs, chose fréquente en ces temps de décadence de la hiérarchie romaine.
Toutefois le jeune roi se révéla capable d’initiatives audacieuses, comme l’installation des Barbares scandinaves sur le sol qui allait être la Normandie - le pays des hommes du Nord. Charles le Simple partageait pleinement les vues de Robert, nouveau comte de Paris (frère du défunt Eudes) lequel était incité par le nouvel évêque de Reims Hérivée à « obtenir la paix plus par l’amour que par le glaive ». Le roi et le comte proposèrent le baptême au chef des envahisseurs, le célèbre Rollon, et les choses allèrent vite puisque dès octobre 911, celui-ci rencontrait le roi à Saint-Clair-sur-Epte et recevait un territoire - un comté - entre la Somme et l’Eure. L’année suivante, à Pâques, il était solennellement baptisé dans l’église de Rouen ; le comte de Paris était son parrain. Rollon, fils d’un peuple en errance, révéla aussitôt une singulière capacité d’adaptation et d’intégration... Expérience à méditer : sous le signe de la Croix on intègre plus aisément que sous celui de la laïcité...
Plus complexes furent les affaires de la Lotharingie, ce vieil et encombrant héritage des partages de l’empire de Charlemagne... Charles réussit toutefois à s’emparer de cette terre et à s’y faire élire roi, concluant une paix solide avec l’ambitieux Henri roi de Germanie, et consolidant le royaume de France à l’est, mais alors les relations se détériorèrent dramatiquement entre le roi et Robert comte de Paris.
Pourtant le frère d’Eudes ne briguait point la couronne. Il fallut que le roi Charles en vînt à ériger en favori un grossier personnage nommé Haganon, pour que Robert, tout dévoué au service du royaume, se mît à douter de ce roi trop fantasque. Il y fut surtout porté par les Grands, car face au pâle Charles, Robert, sans être ambitieux, était « le représentant et l’espoir de toute une caste qui [était] à la fois la richesse de la France par l’abondance de ses possessions et son salut par le maniement des armes ». Le conflit, alors inévitable, aboutit en 922 à la fuite de Charles en Lotharingie et au sacre de Robert roi de France ! Mais dès le 15 juin 923, dans un affrontement sans merci à Soissons, les Lotharingiens conduits par Charles tuèrent Robert.
Le pauvre Charles n’allait pas pour autant retrouver son trône. Les Grands, très montés contre les Carolingiens, élirent et firent sacrer le 13 juillet 923 à Soissons Raoul duc de Bourgogne. Réduit à lutter contre ses propres vassaux Charles se retrouva séquestré à Château-Thierry, puis à Péronne d’où il fut retiré en 927 pour une équipée sans lendemain, et finalement ramené à Péronne où il mourut le 7 octobre 929, à cinquante ans.
Une autre monarchie
Cette vie riche de turbulences plus que de grandeurs n’en est pas moins l’illustration dramatique de deux conceptions opposées de la monarchie qu’Ivan Gobry analyse très finement : d’un côté celle d’une famille qui voit dans la couronne son bien personnel, la partageant et l’attribuant comme elle veut, de l’autre celle d’un souverain désigné « par les forces majeures de la nation ». C’est qu’alors les affaires politiques prenaient un nouveau visage : avec les invasions normandes, ce n’était plus une dynastie qui était menacée, mais l’identité nationale. « Le trône [appartiendrait] de droit à celui qui [délivrerait] le territoire des Barbares païens et [ramènerait] la paix. »
En somme les Grands avaient adopté une si haute conception de la monarchie qu’ils ne pouvaient plus tolérer un roi médiocre. Mais les changements de cette importance doivent s’effectuer sur le long terme : la grande sagesse, capétienne avant le mot, du fils de Robert, Hugues le Grand, comte de Paris, duc des Francs, fut de ne point brusquer les choses et d’user de son autorité militaire et morale pour, à la mort de Raoul (936), imposer sur le trône le fils de Charles le Simple, Louis IV d’Outremer (il avait vécu son enfance en Angleterre), puis le fils de celui-ci Lothaire, père du minable et éphémère Louis V mort sans postérité. Les Carolingiens s’étaient épuisés d’eux-mêmes.
On était alors en 987 : les temps étaient venus pour une royauté de salut public : fils d’Hugues le Grand, héritier de trois générations d’exploits pour sauver la France, Hugues Capet allait fonder la monarchie et l’hérédité elle-même sur la seule notion de service. Cette mission dura huit siècles et nous sommes sûrs qu’elle n’est pas finie.
Michel FROMENTOUX L’Action Française 2000 du 1er au 14 novembre 2007
* Ivan Gobry : Charles III, fils de Louis II. Éd Pygmalion, 214 pages, 20 euros.
(1) Ivan Gobry : Charles II (voir L’AF 2000, du 19 juillet 2007).
(2) Ivan Gobry : Éudes fondateur de la dynastie capétienne (voir L’AF 2000 du 16 juin 2005).
Il fallut, pour s’affirmer, une volonté peu commune à cet enfant posthume du roi Louis II le Bègue (877-879). Ses demi-frères aînés Louis III, seize ans, et Carloman, treize ans, sacrés ensemble en 879 à Ferrières-en-Gâtinais, eurent juste le temps de laisser le souvenir de vaillants guerriers, avant de mourir, le premier en 882, le second en 884, et d’être remplacés sur le trône de France, de par l’aveuglement des Grands, par un cousin germanique, l’incapable empereur Charles le Gros.
Quand les Grands finirent par condamner celui-ci à mort, ils ne songèrent nullement à placer le jeune Charles sur le trône de ses pères, car ils n’avaient d’yeux que pour Eudes comte de Paris, l’héroïque défenseur de la vallée de la Seine contre les Vikings. Ils élirent donc roi ce fils du célèbre Robert le Fort dont la lignée commençait à se signaler par ses services pour le bien public. Toutefois Eudes, qu’Ivan Gobry connaît fort bien (2), était un homme de paix autant que de courage. S’il avait paré au plus pressé en acceptant la couronne, il ne voulait pas forcer l’histoire de France, d’autant que Charles, devenu adolescent, et soutenu par certains Grands, dont Foulques, archevêque de Reims, et quelques partisans bourguignons, n’entendait pas se faire oublier. Après force conciles et combats, malgré le jeu parfois trouble de cousins ou alliés souvent bâtards, sur fond de luttes acharnées contre l’envahisseur danois, Eudes négocia, offrant « une part » du royaume à Charles, lequel allait bientôt recouvrer le royaume tout entier à la mort d’Eudes le 1er janvier 898.
Naissance de la Normandie
À dix-neuf ans, Charles était, nous dit Gobry, « un brave jeune homme, loyal et animé de bons sentiments, parmi lesquels la bienveillance ». De là le qualificatif point du tout péjoratif de “Simple” qui fut attribué à ce roi, élevé sans père, et qui devait son trône plus aux circonstances qu’à son génie. Les Grands s’accommodèrent de lui de mauvaise grâce ; pour se les attacher il nomma quelques abbés laïcs, chose fréquente en ces temps de décadence de la hiérarchie romaine.
Toutefois le jeune roi se révéla capable d’initiatives audacieuses, comme l’installation des Barbares scandinaves sur le sol qui allait être la Normandie - le pays des hommes du Nord. Charles le Simple partageait pleinement les vues de Robert, nouveau comte de Paris (frère du défunt Eudes) lequel était incité par le nouvel évêque de Reims Hérivée à « obtenir la paix plus par l’amour que par le glaive ». Le roi et le comte proposèrent le baptême au chef des envahisseurs, le célèbre Rollon, et les choses allèrent vite puisque dès octobre 911, celui-ci rencontrait le roi à Saint-Clair-sur-Epte et recevait un territoire - un comté - entre la Somme et l’Eure. L’année suivante, à Pâques, il était solennellement baptisé dans l’église de Rouen ; le comte de Paris était son parrain. Rollon, fils d’un peuple en errance, révéla aussitôt une singulière capacité d’adaptation et d’intégration... Expérience à méditer : sous le signe de la Croix on intègre plus aisément que sous celui de la laïcité...
Plus complexes furent les affaires de la Lotharingie, ce vieil et encombrant héritage des partages de l’empire de Charlemagne... Charles réussit toutefois à s’emparer de cette terre et à s’y faire élire roi, concluant une paix solide avec l’ambitieux Henri roi de Germanie, et consolidant le royaume de France à l’est, mais alors les relations se détériorèrent dramatiquement entre le roi et Robert comte de Paris.
Pourtant le frère d’Eudes ne briguait point la couronne. Il fallut que le roi Charles en vînt à ériger en favori un grossier personnage nommé Haganon, pour que Robert, tout dévoué au service du royaume, se mît à douter de ce roi trop fantasque. Il y fut surtout porté par les Grands, car face au pâle Charles, Robert, sans être ambitieux, était « le représentant et l’espoir de toute une caste qui [était] à la fois la richesse de la France par l’abondance de ses possessions et son salut par le maniement des armes ». Le conflit, alors inévitable, aboutit en 922 à la fuite de Charles en Lotharingie et au sacre de Robert roi de France ! Mais dès le 15 juin 923, dans un affrontement sans merci à Soissons, les Lotharingiens conduits par Charles tuèrent Robert.
Le pauvre Charles n’allait pas pour autant retrouver son trône. Les Grands, très montés contre les Carolingiens, élirent et firent sacrer le 13 juillet 923 à Soissons Raoul duc de Bourgogne. Réduit à lutter contre ses propres vassaux Charles se retrouva séquestré à Château-Thierry, puis à Péronne d’où il fut retiré en 927 pour une équipée sans lendemain, et finalement ramené à Péronne où il mourut le 7 octobre 929, à cinquante ans.
Une autre monarchie
Cette vie riche de turbulences plus que de grandeurs n’en est pas moins l’illustration dramatique de deux conceptions opposées de la monarchie qu’Ivan Gobry analyse très finement : d’un côté celle d’une famille qui voit dans la couronne son bien personnel, la partageant et l’attribuant comme elle veut, de l’autre celle d’un souverain désigné « par les forces majeures de la nation ». C’est qu’alors les affaires politiques prenaient un nouveau visage : avec les invasions normandes, ce n’était plus une dynastie qui était menacée, mais l’identité nationale. « Le trône [appartiendrait] de droit à celui qui [délivrerait] le territoire des Barbares païens et [ramènerait] la paix. »
En somme les Grands avaient adopté une si haute conception de la monarchie qu’ils ne pouvaient plus tolérer un roi médiocre. Mais les changements de cette importance doivent s’effectuer sur le long terme : la grande sagesse, capétienne avant le mot, du fils de Robert, Hugues le Grand, comte de Paris, duc des Francs, fut de ne point brusquer les choses et d’user de son autorité militaire et morale pour, à la mort de Raoul (936), imposer sur le trône le fils de Charles le Simple, Louis IV d’Outremer (il avait vécu son enfance en Angleterre), puis le fils de celui-ci Lothaire, père du minable et éphémère Louis V mort sans postérité. Les Carolingiens s’étaient épuisés d’eux-mêmes.
On était alors en 987 : les temps étaient venus pour une royauté de salut public : fils d’Hugues le Grand, héritier de trois générations d’exploits pour sauver la France, Hugues Capet allait fonder la monarchie et l’hérédité elle-même sur la seule notion de service. Cette mission dura huit siècles et nous sommes sûrs qu’elle n’est pas finie.
Michel FROMENTOUX L’Action Française 2000 du 1er au 14 novembre 2007
* Ivan Gobry : Charles III, fils de Louis II. Éd Pygmalion, 214 pages, 20 euros.
(1) Ivan Gobry : Charles II (voir L’AF 2000, du 19 juillet 2007).
(2) Ivan Gobry : Éudes fondateur de la dynastie capétienne (voir L’AF 2000 du 16 juin 2005).
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