jeudi 28 avril 2011

1137 : Un mariage de rêve

L'année marque l'apothéose du règne de Louis VI le Gros. Le 25 juillet, quelques jours avant sa mort, son fils Louis épouse Aliénor d'Aquitaine. Une chance fabuleuse pour le royaume en train de se former.
Cette année-là, la vingt-neuvième de son règne, Louis VI le Gros, cinquante-six ans, n'avait point cessé d'exercer une activité surhumaine en nettoyant vigoureusement le pays de quelques grands seigneurs qui n'étaient que de grands brigands, de même qu'en aidant puissamment à la naissance des communes de France qui reçurent leurs premières chartes - véritables viviers de libertés florissantes. Nous l'avons déjà vu à l'oeuvre dans L'AF 2000 du 5 mars 2008. Nous l'avons également suivi en 1124 dans son combat victorieux, grâce à la mobilisation des chevaliers et des bourgeois, contre l'empereur germanique Henri V, époux de Mathilde, la petite- fille de Guillaume le Conquérant, et nous avons montré alors dans L'AF 2000 du 19 juin 2008 le sentiment national en train de naître. En outre, à la suite de son père Philippe 1er, Louis VI avait mis fin aux pratiques simoniaques en matière de charges ecclésiastiques et réglé pour le mieux la question de son droit de regard dans la nomination des évêques.
L'abbé Suger,ami du roi
Avec tout cela la dynastie s'était considérablement affermie, la paix et la sécurité régnaient dans le royaume, et le fidèle abbé Suger pouvait écrire : « Le prince Louis ayant dans sa jeunesse mérité l'amitié de l'Église en la défendant généreusement, soutenu la cause des pauvres et des orphelins, dompté les tyrans par sa puissante vaillance, s'est trouvé ainsi, avec le consentement de Dieu, amené au faîte du royaume suivant le voeu des prud'hommes et pour le plus grand malheur des méchants dont les machinations l'en auraient exclu si la chose avait été possible. » On ne saurait trop insister sur le rôle extraordinaire de cet abbé Suger, enfant de pauvre devenu dès les bancs de la petite école de Saint-Denis l'ami du futur roi. Orateur, théologien, dialecticien, poète, le jeune clerc avait vite acquis une expérience affinée des affaires tant religieuses que séculières et administratives. Il resta toujours auprès du Gros un collaborateur indispensable, jamais servile, jamais courtisan, pour qui la politique était essentiellement une affaire de mesure et d'arbitrage.
1137 allait marquer l'apothéose du règne. Le fils aîné de Louis VI, Philippe, associé au trône dès sa jeunesse, étant mort à quinze ans en 1131, le roi avait aussitôt fait sacrer (la préoccupation restait nécessaire...) son deuxième fils Louis, né en 1120, lequel, ce 25 juillet 1137, à dix-sept ans, contractait en la cathédrale de Bordeaux le plus brillant mariage dont il pouvait rêver.
La belle Aliénor
Guillaume X, duc d'Aquitaine, était mort quelques mois plus tôt en confiant au roi son unique héritière, la superbe Aliénor, âgée de quinze ans. En grand politique, Louis VI s'était empressé de conclure... le mariage de la jeune duchesse avec le jeune roi. Et quelle chance fabuleuse pour le royaume en train de se former ! Elle apportait en dot l'Aquitaine, c'est-à-dire le Poitou, le Limousin, une grande partie de l'Auvergne, le Périgord, le Bordelais et la Gascogne (dix-neuf de nos actuels départements !).
Cette héritière de la plus opulente maison ducale était la deuxième à épouser un Capétien. Souvenons-nous du mariage d'Hugues Capet avec Adélaïde. Les ducs d'Aquitaine, tous lettrés et amis des arts, épataient depuis longtemps l'Europe entière. Les empereurs les traitaient comme des égaux. Guillaume IX, le grand-père d'Aliénor, le premier troubadour, avait été un personnage romanesque qui n'avait consenti qu'une apparition furtive à la Croisade avant de découvrir l'amour courtois et de le chanter. En somme Aliénor héritait d'une lignée d'hommes et de femmes pieux et généreux mais aussi de gaillards enivrés de culture et de plaisir, peu enclins à supporter trop de contraintes...
Peur de rien
Les jeunes époux étaient aux anges. Dès leur première rencontre, le très aimable Louis, bien fait de sa personne, tomba irrésistiblement amoureux de cette fille du soleil fine et raffinée. Quant à elle, elle vit en lui l'image d'un prince des contes et légendes chevaleresques à la mode.
Hélas le deuil vint les frapper sur le chemin du retour, quand, alors qu'ils séjournaient à Poitiers, la nouvelle leur parvint de la mort du roi Louis VI le 8 août à Paris. Il laissait à son fils ce conseil : « Souvenez-vous, mon fils et ayez toujours devant les yeux que l'autorité royale n'est qu'une charge publique, dont vous rendrez un compte très exact après votre mort. »
Voici donc Louis et Aliénor, alors qu'ils viennent juste de faire connaissance, roi et reine de France ! Lourde responsabilité sur des épaules bien jeunes ! Si follement épris l'un de l'autre, ils n'avaient peur de rien... Mais la mariée n'était-elle pas trop belle ? Réponse dans notre prochain numéro...
MICHEL FROMENTOUX L’ACTION FRANÇAISE 2000 du 2 au 15 juillet 2009

mardi 26 avril 2011

La grande manip antifasciste de Münzenberg

Willi Münzenberg, né en 1889, milita dans sa jeunesse au sein du vieux parti social-démocrate. En contact avec Lénine et les bolcheviks à Zurich dès 1916, il se ralliera en 1918 au mouvement que l'on appelle alors spartakiste.
En 1920 il représente les jeunesses internationales au Deuxième Congrès de l'IC.
En 1921, alors âgé de 32 ans, il se rend à Moscou. (1)
Dès 1922, lors du Quatrième congrès de l'IC il est en mesure de quantifier à hauteur de 40 millions les “êtres humains exposés directement” et de 3 millions de morts les conséquences de la famine en URSS. Le nombre réel de décès semble plus proche de 5 millions. Mais son rôle de propagandiste habile et acharné consistera à s'impliquer dans une “commission internationale de secours aux affamés”, dissimulant les responsabilités et entravant la mise en cause du système affameur.
À partir de 1924 et jusqu'en 1933, de retour en Allemagne, il siège au Reichstag élu sur les listes du KPD, parti communiste allemand.
Lorsque le brillant essayiste Philippe Muray le décrit comme un “compagnon de route du bolchevisme”, et le plus talentueux de l'espèce, une telle litote introduit donc un grave contresens. Simple et naïf “compagnon de route” ? Non : agent du Komintern stalinien et du NKVD.
Plus réaliste, Stephen Koch souligne au contraire (2) que Münzenberg met tout simplement en œuvre les directives de Staline : “Son objectif était de susciter chez les Occidentaux non communistes et bien pensants le préjugé politique qui allait dominer toute l’époque : la conviction que toute opinion favorable à la politique étrangère de l’union soviétique était fondée sur les principes de l’honnêteté la plus élémentaire.”
Créateur de multiples organisations, comme la “ligue contre l'Impérialisme” il apparaît dès 1926 comme l'inspirateur de la fameuse campagne en faveur de Sacco et Vanzetti. Mais divers témoignages permettent de le situer, comme apparatchik stalinien, au centre de la manipulation d'ensemble.
L'écrivain alors communiste Manès Sperber qui collabora avec lui de 1927 à 1937 décrit de la sorte son rôle : “Münzenberg poussait des écrivains, des philosophes, des artistes de tout genre à témoigner, par leur signature, qu'ils se plaçaient au premier rang de combattants radicaux […] constituant ainsi des caravanes d'intellectuels qui n'attendaient qu'un signe de lui pour se mettre en route; il choisissait aussi la direction.” (3)


Comme on ne prête qu'aux riches on lui a aussi attribué l'inspiration de l'école de Francfort, le recrutement de Kim Philby, le traitement d'André Breton pape infaillible du surréalisme, etc.
Mais son indiscutable et majeure invention s'identifie à “l'antifascisme”. Non qu'en Italie les militants communistes ne se soient trouvés en opposition au gouvernement de Mussolini et souvent en prison ou en exil. Mais d'une part les relations inter-étatiques entre Rome et Moscou ont parfaitement fonctionné jusqu'en 1941. D'autre part jamais jusqu'au milieu des années 1930 les communistes n'ont accepté d'opérer de différence entre leurs adversaires, leurs rivaux, et les “sociaux-traîtres”. “Feu sur le Blum” écrit le poète Aragon. Et surtout la confusion entre les diverses formes de ce qu'on désigne du terme générique de “fascismes” n'a été mise en œuvre que très tardivement, et artificiellement, par la propagande soviétique. Que M. Poutine affuble, aujourd'hui encore l'Allemagne hitlérienne de cette épithète, (4) qui devient, dans le cas précis dérisoire, en dit long sur cette imprégnation.
L'idée géniale d'un front commun antifasciste va fonctionner à plein régime à l'occasion de la guerre d'Espagne, entre 1936 et 1938, lorsque les relations germano-soviétiques paraissent glaciales.
En réalité, le point essentiel découle de la ligne définie en 1920. Celle-ci dominera presque constamment la politique extérieure de Moscou. Elle inspire donc sans mystère la conduite du Komintern, en vertu de l'obligation statutaire de “solidarité internationale”. Vis-à-vis de l'Allemagne, elle avait donné naissance au traité de Rapallo de 1922, par lequel la Reichswehr allait recevoir un soutien permanent de l'Urss, en matériel et en formation de ses cadres. Cet accord sera complété en 1926 par un traité d'amitié. Or à partir de 1933 le gouvernement de Berlin prendra, seul, et de manière provisoire, l'initiative d'un relatif refroidissement de ces relations. Jamais le Kremlin, de son côté n'a varié dans sa remise en cause du traité de Versailles, ce que ses stratèges appellent “la paix des Alliés” et ce que les hitlériens et les nationalistes allemands dénoncent comme le “diktat”.
En 1933 le procès de Leipzig consécutif à l'incendie du Reichstag avait donné à Münzenberg l'opportunité d'exprimer tout son talent. Il orchestre une campagne visant à décrédibiliser l'enquête menée de façon expéditive sous la houlette de Goering, ministre de l'Intérieur de Prusse. L'incendiaire Van der Lubbe, militant d'extrême gauche hollandais, est ainsi présenté tour à tour comme un “nazi puisqu'homosexuel” ou malheureux fantoche conduit sur les lieux de son forfait par des provocateurs policiers. Le procès tournera à la confusion de la dictature allemande, et permettra au dirigeant communiste bulgare Dimitrov, accusé de complicité, de quitter le pays. En fait, protégé par le Guépéou, il sait que sa propre libération a été négociée en coulisse avec la Gestapo, et il se montre étonnamment combattif lors des audiences. (5)
En 1935 à Paris, Münzenberg organise encore “en sous-main” (6) à la demande d'André Malraux le “Congrès des écrivains pour la défense de la culture”. Il fait venir de Moscou, le temps d'une intervention, Isaac Babel. Celui-ci sera arrêté après son retour, et assassiné par la police en 1940.
Durant la guerre civile espagnole, à partir de 1936, certes l'Internationale communiste s'engage aux côtés des républicains. Mais en fait elle soutient les Rouges comme la corde soutient le pendu. Et la grande épuration des “antifascistes” commence dès cette époque. Elle se prolongera pendant 15 ans, selon les pays, à partir de la guerre, pendant les luttes secrètes au sein de la résistance ou après le partage de Yalta et Potsdam de 1945, qui transforment la libération en occupation soviétique de l'Europe centrale et orientale.
À partir de 1939 l'activité de propagande en direction des bonnes consciences ne sert donc plus à rien. Dès le mémorandum de Lord Halifax, lui-même consécutif à la délimitation de la frontière des Sudètes, en octobre 1938 la Grande-Bretagne se prépare au conflit. Au Kremlin, on souhaite que celui-ci abatte l'immense puissance maritime qui domine alors le quart des terres émergées. Certes les radicaux socialistes français, conduits par Daladier président du Conseil, imaginent encore de finasser. La diplomatie de la Wilhelmstraße et les discours du chancelier ménagent ces interlocuteurs, tels des petits cochons roses qui ne voient pas le danger du grand méchant loup.
Dès lors le grand manipulateur de l'antifascisme Mûnzenberg n'apparaît plus comme un rouage nécessaire. Il devient désormais encombrant. Et au lendemain du pacte du 23 août 1939, il se rebellera. Voici ce qu'il écrit le 6 octobre en direction des communistes français, qui eux-mêmes appliquent sans broncher les directives soviétiques et, au lendemain du partage de la Pologne du 28 septembre demandent dès le 1er octobre la “paix immédiate”.
“Vous cherchez des arguments pour expliquer les changements à Moscou et leur donner une signification “socialiste” ? écrit-il. Il n'y en a pas (…) le grand fauteur de guerre se trouve aujourd'hui à Moscou et s'appelle Staline”. (7)
En 1940 on retrouvera son cadavre dans la campagne française. 


JG Malliarakis   http://www.insolent.fr/
2petitlogo
Apostilles
  1. Cf. Jean-Louis Panné “Boris Souvarine” Ed. Robert Laffont 1993 page 115
  2. Cf. Il lui consacre un livre essentiel : “La fin de l'innocence” (The End of Innocence, The Free Press, New-York, 1994, La fin de l'innocence, les intellectuels d'Occident et la tentation stalinienne : 30 ans de guerre secrète, Grasset, Paris, 1995) Lire à ce sujet la notice que Denis Touret consacre à l'auteur.
  3. Cf. Wikipedia
  4. Cf. par exemple sa tribune libre au Figaro en mai 2005 pour le 60e anniversaire de la victoire alliée.
  5. Cf. Panné page 213
  6. Cf. Panné page 221
  7. Cité par Alexandra Viatteau “Staline assassine la Pologne” (ed. Seuil 1999 coll. Archives du communisme) pp 308-309 et par le “Dossier Münzenberg” (Revue “Communisme” Nos 38-39 1994).
“L'Alliance Staline Hitler”
Ashs Sous ce titre paraîtra un ouvrage de l'auteur de ces lignes retraçant le contexte de la politique soviétique pendant toute l'entre deux guerres. Il comprend en annexe, et expliquant, plus de 80 documents diplomatiques, caractéristiques de cette alliance. Il sera en vente à partir du 15 mai au prix de 29 euros. Les lecteurs de L'Insolent peuvent y souscrire jusqu'au 30 avril au prix de 20 euros, soit en passant par la page spéciale sur le site des Éditions du Trident, soit en adressant directement un chèque de 20 euros aux Éditions du Trident 39 rue du Cherche Midi 75006 Paris. Tel 06 72 87 31 59.

lundi 25 avril 2011

La Grande Guerre / La censure et comment la tourner

Au moment où le gouvernement, acculé à la déroute par le chômage, la récession et la corruption, croit gagner du temps en rétablissant la censure des Idées et des Affaires, il est à la fois cocasse et réconfortant de rappeler ce qu’écrivait le docteur Lucien-Graux dans son copieux ouvrage Les Fausses Nouvelles de la guerre dont il commença la publication dès 1917.
« La censure, tout en faisant de son mieux, n’a pu empêcher que les petits combats de l’arrière ne fussent engagés en permanence et que la guérilla des journaux ne conservât toute son activité malgré les coupures… La censure, pour faire son métier, passa ses nuits à taillader les articles de Clemenceau, d’Hervé, de Jacques Dhur, de Maurras, de Charles Humbert. Chacun de ces hommes représentait une forme d’opinion, un groupe de Français, de points de vue souvent diamétraux.
Almeyreda(1) et Arthur Meyer(2) sentirent entre leurs côtes la même insinuation du fatal ciseau. Ils laissèrent une part deux-mêmes à la chirurgienne mais l’épiderme et les os reconstitués redonnèrent corps, sous des apparences atténuées, aux propos condamnés la veille.
Personne ne s’y méprenait. Chacun avait pris l’habitude de lire entre les lignes. On était exercé (qu’on lût Le Gaulois, ou Le Bonnet Rouge, L’Homme enchaîné ou L’Eveil, Le Journal ou L’Action française, La Victoire ou La Croix) à suppléer par la pensée tout ce qui n’était pas écrit et il est à présumer que plus d’une fois l’imagination du lecteur outrepassa la pensée de l’écrivain.
Ce n’était donc rien entraver du tout que de barrer la route, par un travers de ciseaux, à des idées qui, plus troubles et plus nuisibles que si elles eussent été imprimées, éclataient dans le blanc des “censuré” et résonnaient fréquemment avec plus de vacarme que si elles eussent été épargnées par la grande étouffeuse. »
Et Lucien-Graux ajoute cette précision assez étonnante quand on sait la suite : Clémenceau et son journal, L’Homme enchaîné, avaient été décrétés par la censure « perturbateurs de l’union sacrée ».
Guère ému par cette dénonciation, le futur “Père la Victoire” commença d’envoyer sous pli fermé à ses abonnés, ainsi qu’aux sénateurs et députés, ses articles qui avaient été censurés. « Cette adroite mesure, raconte Lucien-Graux, constitua ainsi une catégorie de “gens bien informés” qui répandaient à travers la ville des informations et des commentaires dont ils avalent seuls connaissance. » Voilà un précédent qui, le Libre Journal l’assure à ses lecteurs, n’est pas tombé dans la cervelle d’un acéphale. Et Monsieur Toubon pourrait bien, avant qu’il soit longtemps, être involontairement le bienfaiteur de la Poste qui aura à acheminer à titre privé les opinions politiquement incorrectes dont la future loi Gayssot empirée Toubon interdira la publication dans les journaux imprimés.
On verra alors si les flics de la pensée oseront ressusciter le sinistre “cabinet noir” où, à en croire les historiens républicains, la censure royale prenait connaissance des correspondances privées.
Mais, pour en revenir à la Grande Guerre, Lucien-Graux met en évidence un effet pervers de la censure : plus elle est pointilleuse, plus elle favorise la multiplication des fausses nouvelles, suivies de démentis qui en augmentent encore le bruît et de contre-démentis qui ajoutent à la confusion. « La censure, par ses excès, agit comme si elle prenait à tâche d’affoler l’opinion. »
Plus encore que maladroite, elle est stupide. Dans Le Figaro du 8 septembre 1916, Polybe écrit : « La censure a supprimé de mon article d’avant-hier le nom de deux généraux qui commandent sur le front de la Somme. Mais hier, les portraits du général Fayolle et du général Micheler illuminent la première page d’un journal alors qu’un autre ne peut encore désigner ces deux admirables chefs de guerre que par leurs initiales. »
Confusion due aux troubles de la belligérance, dira-t-on ? Ce n’est pas aujourd’hui que l’on verrait semblable chose.
C’est sûr. Aujourd’hui, dans la France du XXIe siècle, on ne voit que Toubon promettre en même temps qu’il fera écraser financièrement tout journal suspect d’antisémitisme mais qu’il interdira aux parquets de poursuivre les injures antichrétiennes. Et on laisse les porcs de Charlie Hebdo traiter le Pape de vieux salaud quand on condamne le directeur de Présent parce qu’il a appelé L… L… ?
Et l’on n’est pas en guerre.

Du moins contre les Allemands…    par Serge de Beketch  http://www.france-courtoise.info
Notes :
(1) Socialiste pro-allemand, il écrivait au Bonnet Rouge, financé par le ministre Malvy. Débusqué par l’Action française, il fut arrêté et suicidé. Malvy fut condamné à l’indignité nationale.

(2) Directeur du Gaulois. Il se déshonora dans un duel en empoignant, au mépris de la règle, la lame de son adversaire, le polémiste antisémite Drumont.

30 avril 1863 : La Légion résiste à Camerone

Le 30 avril 1863, dans le village de Camerone, au Mexique, soixante-trois légionnaires français, sous les ordres du capitaine Jean Danjou, résistent à une armée mexicaine de plus de deux mille hommes.
Un exploit propre à adoucir l'amertume d'une guerre absurde engagée contre le Mexique par Napoléon III.
Joseph Savès
La guerre du Mexique
Deux ans plus tôt, en 1861, la France, l'Angleterre et l'Espagne sont intervenues avec avec quelques troupes pour obliger le président mexicain Juarez à honorer les dettes de son pays.
En 1862, tandis que les Anglais et les Espagnols se retirent, l'empereur français Napoléon III forme le projet de renverser le président mexicain et de transformer le Mexique en un empire latin et catholique. Mais les Français se heurtent à la résistance farouche et inattendue des Mexicains qui prennent le parti de Juarez.
Une première armée de 7.000 hommes est repoussée devant Puebla, une ville fortifiée sur la route de Mexico. Il faut envoyer en catastrophe 28.000 hommes en renfort, sous le commandement du général Forey, pour enfin avoir raison de la résistance de la ville.
C'est pendant le siège de Puebla que se produit le drame de Camerone.
Une compagnie de légionnaires chargée de protéger les lignes de ravitaillement de l'armée française voit surgir des cavaliers juaristes.
Après avoir repoussé une première charge, le capitaine Jean Danjou (35 ans) décide de placer ses hommes dans le village abandonné de Camerone (Camaron pour les Mexicains).

Suite à une première démonstration de force, les Mexicains du colonel Milan offrent la reddition à la Légion étrangère.
Le capitaine refuse et jure de ne jamais se rendre. Ses hommes font de même. Danjou est bientôt tué en inspectant les positions. Le colonel Milan lance enfin un assaut auquel la Légion résiste héroïquement.
Les huit survivants se retranchent dans un hangar où ils tiennent encore plus d'une heure avant d'être faits prisonniers. Ils acceptent de se rendre à condition de conserver leurs armes et que leurs blessés soient soignés, ce qu'acceptent les Mexicains.
300 Mexicains auront été au total mis hors de combat par les 63 légionnaires mais l'héroïsme de ces derniers n'empêchera pas l'échec final de Napoléon III.
Succès de la résistance mexicaine
Après la prise de Puebla et l'entrée des Français à Mexico, un simulacre d'assemblée nationale octroie la couronne de l'Empire du Mexique à Ferdinand-Maximilien. Mais en avril 1866, Napoléon III doit rapatrier le corps expéditionnaire en catastrophe. Ferdinand-Maximilien est pris et fusillé par les juaristes le 19 juin 1867.
De ce fiasco reste le souvenir de Camerone. Depuis 1906, l'anniversaire de ce fait d'armes est commémoré avec faste par la Légion étrangère. Les légionnaires réunis à Aubagne rendent à cette occasion les honneurs à… la main en bois du capitaine Danjou.

dimanche 24 avril 2011

Desouche Histoire : Les universités médiévales (XIIIe-XIVe)

L’université est une invention européenne qui n’a aucun précédent historique ou équivalent dans une autre région du monde. Elle est la conséquence du développement urbain en Occident, et naît dans les premiers temps d’initiatives spontanées d’association de maîtres et d’élèves, à la fin du XIIe siècle. Ces groupements de maîtres et d’élèves font pression tant auprès des pouvoirs ecclésiastiques que des pouvoirs civils pour obtenir les privilèges propres à toute corporation.
Vers le milieu du XIIIe siècle, l’Université parvient à s’affranchir des pouvoirs laïcs et épiscopaux pour ne dépendre que de la papauté. L’Université a alors le monopole de la collation des grades et cooptation, dispose de l’autonomie administrative (droit de faire prêter serment à ses membres et d’en exclure), de l’autonomie judiciaire et de l’autonomie financière.
Les papes du XIIIe ont tout intérêt à accompagner et contrôler le développement des universités : elles fournissent les meilleurs cadres de l’Église, apporte aux prédicateurs une argumentation contre les hérésies, et permet de mieux définir l’orthodoxie par ses recherches théologiques (l’Université de Toulouse sera ainsi fondée en 1229 par la papauté pour contrer l’hérésie cathare, dès 1217 une bulle pontificale appelle maîtres et étudiants à venir étudier et enseigner dans le Midi). Les professeurs étaient quasiment tous des clercs. A noter que l’enseignement était alors (théoriquement) gratuit : en effet, le savoir étant perçu comme un don de Dieu, le vendre serait se rendre coupable de simonie (trafic et vente des biens et sacrements de l’Église). Les cours cesseront d’être gratuits lorsque les autorités civiles remettront les mains sur les universités à partir du XIVe siècle.

On distingue quatre grandes facultés : la faculté des arts, la faculté de théologie, la faculté de droit (romain et canon) et la faculté de médecine. La faculté des arts est une faculté subalterne qui permet d’accéder à l’une des trois facultés supérieures.
Note : Ici ne sera traité essentiellement que la faculté des arts (on pouvait d’ailleurs très bien arrêter ses études à sa sortie). Cet article ne se veut pas exhaustif, le sujet étant si vaste qu’il est impossible d’être complet. Je laisse par exemple volontairement à l’écart les querelles autour des Mendiants et autour d’Aristote…
I. L’organisation de l’Université
L’Université est une fédération de plusieurs écoles qui sont concurrentes puisque chaque maître dirige un établissement d’enseignement. La fréquentation de l’Université dépend en grande partie du prestige des professeurs, et de nombreux étudiants suivent tel ou tel maître à travers ses pérégrinations en Europe. Dans les universités de renom, les élèves ont des origines géographiques diverses : ils se regroupent au sein de la faculté dans les nations. Dès les années 1220 à Paris, il y a ainsi 4 nations : Français, Normands, Picards et Anglais. Les élèves originaires d’un même pays se groupent ensemble : ceux des pays latins rejoignent les Français, les Germaniques et les Slaves vont avec les Anglais, ceux de l’Ouest se placent avec les Normands tandis que les Flamands se regroupent avec les Picards.
Chaque nation a son représentant, le procureur, qui participe avec les représentants des autres nations à l’élection du recteur de la faculté (qui est un maître es arts). Celui-ci a des pouvoirs étendus : il fait libérer les étudiants arrêtés par les agents du roi pour les faire juger au sein de l’Université, il fixe le loyer des logements et le prix de location des livres, dirige les finances, peut infliger des amendes et des arrêtés de suspension ou d’exclusion. Il est le représentant de l’Université à l’extérieur avec huit bedeaux (à Paris) : agents qui font exécuter les décisions. Son principal rôle est de protéger les privilèges de l’Université : exemption d’impôts, de toute forme de service militaire et surtout de toute juridiction laïque.
Les problèmes de gestion sont simples puisque l’Université ne possède pas de bâtiments propres : le maître loue une salle à ses propres frais quand il ne fait pas cours à l’extérieur ou à son domicile. Les collèges (qui ne sont alors pas des établissements d’enseignement mais des résidences où les étudiants pauvres peuvent trouver gîte et couvert), fondés généralement par des mécènes, peuvent aussi accueillir des cours, comme le fameux collège de Robert de Sorbon (fondé en 1253) qui accueillera la faculté de théologie de Paris. Quant aux rentrées d’argent, elles viennent essentiellement des amendes et des contributions après examen.
II. Cursus et programmes

L’Université médiévale met fin à l’anarchie qui caractérise les écoles du haut Moyen Âge au niveau du cursus et du programme. En général, l’enseignement à la faculté des arts durait 6 ans, l’élève y entrant vers 14 ans et y sortant vers 20 ans ; il comprend deux examens, passés devant un jury de maîtres : le baccalauréat (attesté à Paris en 1231) au bout de deux ans (qui donne le droit de participer aux disputes) et la licence à la fin du cursus.
Les études « supérieures » sont souvent plus ardues et sont enseignées après 20 ans. Les études de théologie sont les plus difficiles, durant au minimum 8 ans (parfois jusqu’à 15 !) et requérant l’âge de 35 ans au moins pour l’obtention du doctorat.

Les programmes d’études des facultés des arts sont basés sur ce que l’on appelle le trivium et le quadrivium, concepts hérités du philosophe romain Boèce. La grammaire (étude de la langue), la dialectique (art de raisonner) et la rhétorique (art de persuader) sont les trois disciplines du trivium ; la musique, l’arithmétique, la géométrie et l’astronomie forment le quadrivium. D’une manière générale, l’enseignement donne la belle place à la dialectique, devant le quadrivium et les autres disciplines du trivium. L’Angleterre en revanche met à l’honneur le quadrivium et la pensée scientifique dont les maîtres Robert Grossetête et Roger Bacon seront les plus illustres représentants.
III. Les livres

Les études universitaires supposent des livres, ce qui n’est pas sans poser des problèmes d’ordre pratique. Avec le développement de l’instruction, le livre doit cesser d’être un objet de luxe réservé aux élites. Les grandes villes universitaires (comme Paris ou Bologne) deviennent des grands centres de production de livres dont les ateliers surpassent les scriptoria ecclésiastiques.

Le format même du livre change : les feuilles de parchemin deviennent moins épaisses, plus souples et moins jaunes ; le livre devient plus petit pour être transporté plus facilement ; la minuscule gothique, plus facile à dessiner, remplace la minuscule carolingienne ; la plume d’oie se substitue au roseau pour l’écriture ; les miniatures et enluminures se font beaucoup plus rares, le copistes laissant des espaces blancs pour que l’acheteur, s’il le souhaite, puisse faire peindre des ornementations.
A la faculté des arts, les auteurs étudiés sont essentiellement, pour la grammaire, Sénèque, Lucain, Virgile, Horace, Ovide, Cicéron. En dialectique, la Logique de Boèce est étudiée jusqu’en 1255 au moins, puis l’Isagogue de Porphyre et l’Organon d’Aristote finissent par être pratiqués en entier. Pour le quadrivium, des traités scientifiques finissent par accompagner les vieux manuels : l’Heptateuque de Thierry de Chartres est ainsi souvent utilisé.
En droit, ce sont le Décret de Gratien, le Code de Justinien, le Liber Feudorum (lois lombardes, pour Bologne) qui sont étudiés. La faculté de médecine s’appuie surtout sur l’Ars Medecinae, recueil de textes réunis au XIe comprenant des oeuvres d’Hippocrate et de Galien auxquels s’ajoutent plus tard des œuvres d’Avicenne, d’Averroès et de Rhazès. La faculté de théologie ajoute à la Bible le Livre des Sentences de Pierre Lombard et l’Historia Scholastica de Pierre la Mangeur.

IV. La méthode scolastique
L’enseignement médiéval repose pour une grand part sur l’oral et fait appel aux capacités de mémorisation. Les traités pédagogiques donnaient d’ailleurs des conseils pour entretenir sa mémoire et la développer.

La scolastique (de schola : école), méthode d’enseignement médiévale, se divise en trois parties : lectio, disputatio, determinatio. La lectio (leçon) constitue le point de départ de l’enseignement et consiste en un commentaire du texte étudié (présentation de l’ouvrage étudié, de l’auteur, explication linéaire du texte).

S’en suit la disputatio (dispute, débat), exercice séparé de la lectio qui consiste à discuter un point du texte. Une question peut être imaginée par le maître puis être débattue au cours d’une séance particulière (« Faut-il honorer ses parents ? Satan sera-t-il sauvé ? »). La dispute oppose les bacheliers en « répondants » (respondentes) et en « opposants » (opponentes). Le maître préside le débat, les étudiants débutants n’y participent pas mais y assistent pour s’y préparer. Cette étape est au cœur de la méthode scolastique, et très appréciée par les étudiants.
Quand le débat est terminé, les questions et réponses fournissent une matière désordonnée à organiser pour former une doctrine. Cette doctrine est élaborée par le maître et exposée durant la determinatio (détermination), exposé doctrinal ayant lieu quelques jours après la dispute où le maître présente le résultat de sa pensée. La doctrine est mise à l’écrit par le maître ou un auditeur et publiée dans les Questions disputées.
Plus tard se développe la dispute quodlibétique où le maître se propose de traiter un problème par n’importe qui sur n’importe quel sujet, exercice très difficile supposant une grande vivacité d’esprit car non préparé.
Sources :
LE GOFF, Jacques. Les intellectuels au Moyen Âge. Seuil, 1957.

mercredi 20 avril 2011

21 avril 1961 : Putsch d'Alger

Dans la nuit du 21 au 22 avril 1961, quatre généraux français tentent de soulever les militaires stationnés en Algérie et les Pieds-noirs dans un effort désespéré pour maintenir l'Algérie à l'intérieur de la République française. C'est le putsch d'Alger. Il va piteusement échouer en quatre jours.
Michel Dalan.
Un sauveur ?
Trois ans plus tôt, en mai 1958, le général Charles de Gaulle a été ramené au pouvoir à la faveur d'un vrai-faux coup d'État provoqué par ses fidèles, alliés pour la circonstance avec les partisans du maintien de l'Algérie dans la République française. Ces derniers s'inquiétaient du renoncement des dirigeants de la IVe République à cet objectif.
Personne à vrai dire ne connaît la conviction intime du général de Gaulle. Celui-ci, dans le passé, s'est montré favorable à la colonisation. Mais il est également conscient des nouvelles réalités qui rendent tout autant impossibles l'intégration de l'ensemble des musulmans algériens dans la communauté nationale et leur maintien dans un statut d'infériorité.
Le 6 juin, l'enthousiasme des pieds-noirs est à son comble quand ils entendent à Mostaganem le général de Gaulle : «Vive Mostaganem! Vive l'Algérie française ! Vive la République ! Vive la France !». Mais, dès l'automne, le doute s'installe.
Le 19 septembre 1958, le FLN indépendantiste constitue un Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) en vue d'offrir un interlocuteur compétent aux nouvelles autorités françaises.
Le 23 octobre 1958, le général de Gaulle promet une «paix des braves» à l'ennemi. L'avènement de la Ve République et le référendum sur la Constitution, en décembre, vont de pair avec une première décolonisation, celle de la Guinée. Le 16 septembre 1959, dans une déclaration télévisée à grand retentissement, de Gaulle évoque pour la première fois le «droit des Algériens à l'autodétermination» !

Vers la négociation avec le FLN
Les militants de l'Algérie française qui ont porté le général de Gaulle au pouvoir commencent à ruer dans les brancards. Ils s'estiment trahis. Le général doit sévir. Le 23 janvier 1960, il limoge le général Massu. Les Pieds-noirs, dépités, s'insurgent à Alger au cours d'une meurtrière «Semaine des Barricades», du 24 janvier au 1er février. Le 5 février 1960, Jacques Soustelle, se considérant à son tour trahi, quitte le gouvernement.
Début mars 1960, au cours d'une «tournée des popotes» auprès des militaires d'Algérie, le président de Gaulle fait un pas de plus vers la décolonisation. Il annonce une «Algérie algérienne liée à la France». Dans le même temps, les unes après les autres, les colonies d'Afrique (Cameroun, Togo, Madagascar...) se voient accorder leur indépendance (tout en demeurant étroitement dépendantes de Paris, financièrement et politiquement).
Le 4 novembre 1960, le président de la République évoque pour la première fois une «République algérienne». Ainsi prépare-t-il peu à peu l'opinion française et algérienne à l'indépendance inéluctable des trois départements algériens... sans que les combats entre militaires français et indépendantistes du FLN s'interrompent pour autant.
Le 8 janvier 1961, le peuple français approuve par référendum le principe de l'autodétermination des Algériens de toutes conditions (75,25% de oui en métropole et 69,09% en Algérie, où les musulmans ont voté aux côtés des colons). Deux mois plus tard, le 30 mars 1961, le gouvernement annonce officiellement l'ouverture de pourparlers avec les représentants du GPRA (Gouvernement Provisoire de la République Algérienne).
Enfin, dans une conférence de presse, le 11 avril 1961, de Gaulle parle désormais de l'Algérie comme d'un «État souverain». Cette déclaration survient dans un climat de décolonisation hâtive. L'opinion publique, en métropole, a hâte d'en finir avec une guerre de sept ans où de nombreux jeunes gens ont déjà perdu leur vie ou leur honneur.

L'amertume des militaires
En Algérie, beaucoup d'Européens s'inquiètent de leur sort et ne croient pas à une coexistence possible avec la majorité musulmane dans le cadre d'un État souverain. Leur désespoir rejoint celui de nombreux militaires qui entrevoient un nouveau recul de la France après le lâchage de l'Indochine. Ils s'indignent d'avoir vaincu pour rien l'ennemi sur le terrain.
Le général d'aviation Maurice Challe (55 ans), qui fut nommé commandant en chef en Algérie par le président de Gaulle, à la place du général Raoul Salan, est à l'origine de cette victoire militaire incontestable sur le FLN incontestable avec, au bilan du «Plan Challe», du 6 février 1959 au 6 avril 1961 : 26.000 adversaires tués, 10.800 prisonniers, 20.800 armes récupérées.
Amer, le général a démissionné quelques mois plus tôt de son nouveau poste de commandement, à l'OTAN. Il est sollicité par un petit groupe de colonels en opération en Algérie, indignés par la tournure des événements. Ces militaires d'active, qui ont été défaits en Indochine, ne supportent pas de perdre l'Algérie sans avoir été, cette fois, battus.
Après la conférence de presse présidentielle du 11 avril 1961, Challe se décide à franchir le Rubicon. Il convainc l'ancien général d'aviation Edmond Jouhaud (55 ans) et le général d'artillerie André Zeller (63 ans) de le rejoindre dans une nouvelle «Révolution». Il s'agit de réitérer le coup du 13 mai 1958, cette fois contre le général de Gaulle.
Le 20 avril 1961, au soir, Challe reçoit discrètement à Alger le commandant Hélie Denoix de Saint Marc, chef par intérim du 1er régiment étranger de parachutistes (la Légion étrangère). Il l'invite à le rejoindre dans le complot organisé avec le général Edmond Jouhaud et également le général André Zeller.
C'est chose faite avec la prise de contrôle d'Alger par les parachutistes de Denoix de Saint Marc, dans la nuit du 21 au 22 avril.

Putsch d'opérette
À l'aube du samedi 22 avril, à 8h45, le général Challe s'exprime sur Radio-Alger : «Officiers, sous-officiers, gendarmes, marins, soldats et aviateurs : je suis à Alger avec les généraux Zeller et Jouhaud et en liaison avec le général Salan pour tenir notre serment : garder l'Algérie». La radio peut annoncer que «l'armée s'est assurée du contrôle du territoire algéro-saharien».
Tandis que les putschistes s'agitent à Alger, le général de Gaulle assiste à une représentation de Britannicus à la Comédie française en compagnie du président du Sénégal Léopold Senghor. Il feint de n'être au courant de rien mais, dans les faits, est informé minute après minute des événements.
Dans la nuit du 21 au 22 avril 1961, le gouvernement fait arrêter à Paris les sympathisants des putschistes, qui avaient déjà été de longue date identifiés grâce aux bavardages entre militaires. Tout est fini à six heures du matin. On n'a à déplorer que quelques attentats au plastic, à Orly et à la gare de Lyon.
En Algérie même, Challe se contente d'arrêter les représentants du gouvernement. Il se refuse à armer les Pieds-noirs qui le soutiennent.
Il a la satisfaction d'être rejoint par le prestigieux général Raoul Salan (62 ans), qui a quitté son exil espagnol à la barbe des autorités et est arrivé à Alger le dimanche 23 avril. Raoul Salan est celui-là même qui, le 15 mai 1958, a fait acclamer le nom du général de Gaulle à Alger.
Les quatre généraux forment un «Conseil supérieur de l'Algérie». Mais ils n'arrivent pas à rallier les officiers de haut rang et se heurtent surtout à l'hostilité des jeunes appelés du contingent, qui n'ont que faire de l'Algérie et ont hâte de rentrer chez eux. «La quille !» est leur seul mot d'ordre.

Contre-attaque verbale
Charles de Gaulle laisse les généraux factieux s'enferrer, avec le secret dessein de dramatiser la situation pour resserrer les citoyens autour de lui et des nouvelles institutions de la Ve République, encore très fragiles.
Le dimanche soir 23 avril, il apparaît en uniforme à la télévision et lance des mots qui font mouche : «Un pouvoir insurrectionnel s'est installé en Algérie par un pronunciamiento militaire. Ce pouvoir a une apparence : un quarteron de généraux en retraite... Au nom de la France, j'ordonne que tous les moyens, je dis tous les moyens, soient employés pour barrer la route de ces hommes-là... J'interdis à tout Français et d'abord à tout soldat d'exécuter aucun de leurs ordres...».
Le mot «quarteron», qui désigne un quart de pièce ou un enfant de blanc et mulâtre, fera florès bien que le Général l'ait employé à tort comme synonyme de quatuor. Notons aussi l'expression inexacte et sciemment fautive : «généraux en retraite» (au lieu de «généraux à la retraite»).
Dans la nuit, le Premier ministre Michel Debré dramatise la situation, mais sans échapper au ridicule. «Dès que les sirènes retentiront, allez, à pied ou en voiture, convaincre ces soldats trompés de leur lourde erreur», lance-t-il à son tour à la télévision. Avec le concours efficace du préfet Maurice Papon, il laisse croire que les militaires factieux d'Algérie pourraient atterrir sur les aérodromes métropolitains. Des chars prennent position devant l'Assemblée nationale !
Le lendemain lundi, les syndicats organisent symboliquement une grève générale d'une heure qui est massivement suivie. C'en est fini de l'insurrection algéroise.
Le mardi 25 avril, le gouvernement reprend en main la radio d'Alger cependant qu'Hélie Denoix de Saint Marc et Maurice Challe se livrent aux autorités. Ils seront amnistiés cinq ans plus tard, en 1968, de même qu'André Zeller.
Les hommes du 1er REP, résignés, repartent à la guerre en chantant : «Non, je ne regrette rien...» Quant aux généraux Salan et Jouhaud, ils rentrent dans la clandestinité et prennent la tête de l'OAS (Organisation de l'Armée Secrète), créée à Madrid deux mois plus tôt.
Pendant le putsch d'Alger, les négociations secrètes engagées entre le gouvernement français et les représentants du GPRA (Gouvernement Provisoire de la République Algérienne) ne se sont pas interrompues, d'abord à Melun, en juin 1960, puis à Évian...  http://www.herodote.net

dimanche 17 avril 2011

Desouche Histoire : La conquête de la péninsule ibérique par les Arabo-berbères (711-714)

Bonjour à tous ! A l’occasion du 1300e anniversaire du débarquement des Arabo-berbères en Espagne (date précise inconnue : fin avril, peut-être début mai), je vous propose un article sur la conquête du royaume wisigothique et les raisons du succès musulman. Bonne lecture !

A partir de la mort de Mahomet en 632, les musulmans se lancent dans une phase de conquête vers l’Empire byzantin, l’Empire perse sassanide et l’Afrique du Nord. Tandis que l’Empire perse s’effondre suite à la défaite de Nehavend (642), l’Empire byzantin résiste difficilement, sa capitale Constantinople étant même assiégée à deux reprises (668-673 et 717-718).
En Afrique du Nord, la conquête est plus facile. Les Arabes fondent Kairouan en 670, prennent définitivement Carthage en 698 (la cité est rasée de peur que les Byzantins ne la réoccupent) et finissent par mettre un terme à la résistance des Berbères emmenés par une femme, Kahina. En 705, le gouverneur de Kairouan, Mûsâ ibn Nusayr est envoyé par le calife Walîd Ier en Ifrîqiya (transposition arabe de l’Africa byzantine) pour organiser le territoire nouvellement conquis. Sous son gouvernement est organisée la conquête de l’Espagne (Hispaniae) wisigothique.
I. La crise du royaume wisigothique

La facilité de la conquête par les musulmans (faibles effectifs et rapidité de la soumission des trois quart de la péninsule) a étonné certains historiens au point que certains d’entre eux (essentiellement des Espagnols : Ignacio Olaguë, Joaquin Vallvé) ont affirmé que les Arabes n’ont jamais envahi en Espagne ! Leurs principaux arguments : le manque de sources sur cette époque, la faiblesse numérique des conquérants et une comparaison quelque peu anachronique avec les Romains du IIe siècle av. J.-C. et l’enlisement de Napoléon au début du XIXe. Mais qui a alors affronté Eudes à Toulouse (721) Charles Martel à Poitiers (732) puis à Sigean (737) ? Et comment expliquer l’islamisation rapide de la péninsule ?
En réalité, les conquérants ont trouvé une situation très favorable. La monarchie de Tolède traverse au début du VIIIe siècle une crise profonde.
« Les grandes invasions ont toujours coïncidé avec une décomposition politique et sociale des nations sur lesquelles elles ont déferlé. [La tâche des Arabes] s’est trouvée singulièrement aplanie par la carence tragique de la monarchie wisigothique et la timidité des réactions de l’ensemble de la population du pays » (Evariste Lévi-Provençal, Histoire de l’Espagne musulmane, t.1).
● Une crise politique
Rois wisigoths

Rois wisigoths ; de gauche à droite : Chindaswinth (642-653), Receswinth (653-672) et Egica (687-700) représentés dans le Codex Vigilanus (976).

Le roi goth était à l’origine élu par ses pairs et considéré comme le premier des aristocrates (primus inter pares). Avec la conversion de Récarède au catholicisme en 587, la nature du pouvoir royal change : c’est une théocratie qui naît. A la fin du VIIe siècle, le roi s’aliène les aristocrates : en 687, le roi Egica annonce qu’aucun homme ne pourra être sujet d’un aristocrate (uniquement sujet du roi). Jusque-là, la monarchie de Tolède était élective, or, en 693, ce même roi associe son fils Witiza au trône contre les règles de transmission du pouvoir. Witiza accède au pouvoir sans se faire acclamer par l’aristocratie. Lorsqu’en 710 Witiza meurt, une crise politique grave éclate : le duc de Bétique, Rodéric, se fait acclamer par les aristocrates et prend le titre de roi. Mais le fils de Witiza, Agila, a été désigné roi par son père, et se trouve être donc le roi « légitime ». Lors de l’invasion musulmane, il y a donc deux rois en Hispaniae, tous deux avec leurs partisans : Rodéric et Agila.
● Une crise sociale : Juifs et esclaves
Dans la seconde moitié du VIIe siècle, la législation anti-juive qui se renforce et qui va causer la perte des Wisigoths. Les Juifs se voient progressivement interdits d’épouser une chrétienne, de posséder des esclaves ou domestiques non-juifs, d’exercer des charges publiques et de fréquenter les convertis catholiques. En 681, Ervige prend la décision de rendre le baptême des Juifs obligatoire dans un délai d’un an, sous peine d’un exil perpétuel et de la confiscation de leurs biens. En 694, Egica annonce la réduction à la condition d’esclaves de tous les Juifs et décrète la confiscation de leurs biens. Mais en 711, il reste encore de nombreux Juifs qui ont tout intérêt à un changement de pouvoir.
Enfin, la condition des esclaves se détériore fortement à la fin du VIIe siècle avec les difficultés économiques et lorsqu’Ervige autorise les maîtres à leur infliger la mort ou des mutilations. Cette législation entraîne de nombreuses fuites d’esclaves qui contraignent les souverains wisigoths à prendre de sévères mesures pour les rattraper : obligation pour la population de dénoncer les esclaves en fuite sous peine de se voir infliger 200 à 300 coups de fouet. Les esclaves soutiendront les envahisseurs musulmans.

II. L’invasion de l’Hispaniae
● A la veille de la conquête
Arrivés sur la façade atlantique de l’Afrique du Nord, les Arabes auraient très bien pu se tourner vers le Sud, l’Afrique centrale, en traversant des paysages désertiques qui leur sont familiers. Pourtant, ils préfèrent traverser un obstacle inédit : un bras de mer.
Ici intervient un dénommé comte Julien (Yûlyan dans les sources arabes), gouverneur chrétien wisigoth ou byzantin soumis théoriquement au roi wisigoth, qui est gouverneur de Ceuta et d’autres villes des deux côtés du détroit. Fâché avec Rodéric (sa fille de Julien aurait été violée par le roi), il décide de mettre ses navires à disposition des Arabes. En juillet 710, un corps expéditionnaire arabe traverse une première fois le détroit pour mener une razzia victorieuse. Le succès de l’opération encourage l’idée de conquête.
● Du débarquement à la bataille du rio Guadalete (19 juillet 711)
L’année suivante, vers la fin du mois d’avril, Tariq (un affranchi berbère aux ordres du gouverneur Mûsâ ibn Nusayr) traverse le détroit de Gibraltar, auquel il a donné son nom (Djabal al Tariq), avec 7000 Berbères fraichement islamisés. Le moment est propice : Rodéric est occupé au Nord de royaume, dans la région de Pampelune, à mater une révolte des Vascons.
Tariq s’assure de la maître de Carteia, ville près de la pointe sud du détroit. Il organise ensuite une base à l’Ouest pour s’assurer un site protégé en cas de retraite. Le comte Julien reçoit la mission de garder ce point d’appui.
La nouvelle du débarquement finit par arriver auprès de Rodéric. Laissant les Vascons, il se dirige à toute vitesse vers le Sud, à Cordoue où il rassemble les troupes régulières dont il peut disposer. Tariq reçoit alors le renfort de 5000 autres Berbères venus d’Afrique, ce qui porte son armée à 12.000 hommes, quasiment que des fantassins. Il voit aussi se joindre à lui une foule de mécontents (esclaves et juifs) qui renforcent ses troupes mais nous n’avons aucun chiffre. La rencontre entre les deux armées a lieu le 19 juillet 711, sur les rives du rio Guadalete.
Selon les auteurs arabes, les deux ailes de l’armée wisigothique auraient fait défection dès le début de la bataille, car commandées par des partisans d’Agila (l’autre roi wisigoth). Rodéric, au centre, tente de tenir mais se voit contraint de reculer face à la pression arabe. La victoire arabe est décisive : il n’y aura pas d’autre grande bataille (selon certaines sources, Rodéric aurait trouvé la mort dans l’affrontement).
Le vainqueur prend rapidement les premières villes, qui tombent sans grande résistance. Les Juifs du Sud, trop heureux d’être débarrassés des tyrans wisigoths, gardent eux-mêmes militairement les villes nouvellement prises pour permettre aux Arabo-berbères d’avancer vers le Nord.
● La conquête de l’Hispaniae
Cordoue tombe en octobre 711 face à 700 cavaliers musulmans. Tolède n’offre aucune résistance, une partie de la population ayant suivi Sindered, primat de l’Eglise d’Espagne, dans sa fuite. La capitale wisigothique tombe à la fin de l’année 711.
En 712, Mûsâ ibn Nusayr rassemble 17.000 hommes sur le littoral nord-africain, presque tous Arabes cette fois, qu’il fait passer de l’autre côté de la mer. Dirigée par lui-même (et non Tariq), cette armée prend Medina-Sidonia et deux places fortes près de Séville. La ville de Séville n’offre elle aussi qu’une mince résistance. En revanche, la ville suivante, Mérida, se défend plus ardemment : elle ne se rend que le 30 juin 713. Mûsâ enlève quelques autres villes avant de se rendre à Tolède où il se comporte en véritable souverain, faisant battre monnaie (avec la formule islamique de l’unicité divine en latin, accompagnée de la date de l’Hégire, à destination des autochtones Hispano-Romains). Il y passe tout l’hiver 713-714.
C’est alors que des messagers venus de Damas rencontrent Tariq et Mûsâ à Tolède pour leur demander des comptes sur les opérations. Au printemps, 714, Mûsâ ibn Nusayr fait tomber Saragosse et tout le bassin de l’Ebre. Après la chute de la cité, il souhaite passer les Pyrénées pour continuer les opérations en Narbonnaise mais un autre messager le contraint à quitter la péninsule. Avec Tariq, il doit rendre compte des résultats devant le calife de Damas. Les deux conquérants sont maltraités à leur arrivée dans la capitale califale, accusés d’avoir confisqué des biens. Mûsâ finit probablement sa vie en prison et meurt en 716-717. Quant à Tariq, on perd sa trace, il est parti dans d’obscures expéditions en Orient…

Sources :
GUICHARD, Pierre. Al-Andalus, 711-1492. Hachette Littératures, 2001.
 http://www.fdesouche.com

jeudi 14 avril 2011

21 janvier 1793 : Un assassinat hautement symbolique

Du passé il faut faire table rase : ce principe, exprimant une logique révolutionnaire implacable, guida en 1792 et 1793 les partisans les plus farouches d'un bouleversement total sur le plan politique jet social. Ces Montagnards (surnom donné à l'origine par dérision par des journalistes aux députés les plus extrémistes de l'Assemblée législative siégeant sur les bancs les plus élevés) étaient résolus à imposer leurs vues par tous les moyens. D'où le déclenchement de la Terreur, qui « correspond à un gouvernement défait reposant sur la force et la coercition, et non à un pouvoir légal, de droit » (Jean Tulard, Jean-François Fayard et Alfred Fierro, Histoire et dictionnaire de la Révolution française 1789-1799, Robert Laffont, 1987). La guillotine devint l'instrument préféré des terroristes (même si certains d'entre eux utilisèrent bien d'autres moyens, en particulier dans des villes comme Lyon et Nantes). On estime à 16 594 le nombre des personnes exécutées et à 500 000 le nombre des emprisonnés.
Pour les chefs révolutionnaires, qui se retrouvaient au club des Jacobins, il ne pouvait y avoir de vraie révolution sans élimination de la monarchie et, donc, du monarque. Le 29 juillet 1792, Robespierre réclama, à la tribune des Jacobins, la suspension du roi et l'élection d'une Convention nationale. Ce mot d'ordre fut repris dans les sections parisiennes (un décret de la Constituante du 21 mai 1790 avait découpé Paris en 48 sections, les citoyens de chaque section se réunissant régulièrement pour exprimer leurs exigences ; les sections, dont certaines avaient choisi de s'appeler « du Bonnet rouge », « de Brutus », « des Sans-Culottes », « des Piques », ont joué un rôle dominant lors des “journées” révolutionnaires).
Une Commune insurrectionnelle ayant pris le pouvoir par la force à l'Hôtel de Ville, l'assaut lancé contre les Tuileries à partir du 9 août au soir aboutit, le 10, au massacre des Gardes suisses et de gentilshommes (il y eut 800 morts). La Commune exigea de l'Assemblée législative la déchéance du roi, la réunion d'une nouvelle assemblée, la Convention, et l'internement de la famille royale au Temple. 
Le 21 septembre 1792 se réunit la Convention fraîchement élue (l'élection s'était déroulée dans de telles conditions d'irrégularités que la nouvelle assemblée résultait du choix d'une faible  minorité du corps électoral). Quelques jours plus tôt avaient eu lieu, du 2 au 5 septembre, dans les prisons parisiennes, des massacres qui firent, selon  les  sources, entre 1 090 et 1 395 victimes (prêtres réfractaires, Suisses fait prisonniers aux Tuileries mais aussi une forte majorité de prisonniers de droit commun). En décrétant l'abolition de la royauté puis l'avènement de la République, les conventionnels posaient, de fait, la question du sort réservé au roi. Lui faire un procès ? Robespierre n'en voulait pas : « Louis ne peut être jugé, il est déjà jugé, il est condamné ou la République n'est point absoute ». Faut-il rappeler que c'est un avocat qui s'exprimait ainsi ? Marat, lui, voulait un procès « pour l'instruction du peuple ». Les Girondins (on appelait ainsi les conventionnels “modérés”) voulaient préserver le roi. Mais, comme tous les modérés, ils se montrèrent inefficaces.
Le 11 janvier 1793, la Convention décréta qu'il fallait se prononcer sur la culpabilité du roi. On procéda au vote, par appel nominal. Les 707 conventionnels présents (quelques-uns s'étant fait porter malades ou s'étant récusés) déclarèrent « Louis Capet coupable de conspiration contre la sûreté générale de l'État ». Fallait-il envisager de soumettre cette décision à la ratification populaire ?
Une majorité de députés répondirent  par la négative. Puis, pendant 36 heures, du 16 janvier à 10 heures du matin au 17 à10 heures du soir, il fallut décider de la sanction infligée à « Louis Capet ». La mort fut votée par 361 voix sur 721 votants, soit la majorité à une voix près…
Le 21 janvier, entouré de 1500 hommes en armes, le roi monta d'un pas ferme sur l'échafaud. Par un roulement de tambour on l'empêcha de dire quelques mots à la foule. À laquelle on montra triomphalement la tête coupée, accueillie par des hurlements « Vive la nation ! ».
Dans l'inconscient collectif, la tête est le siège de la pensée, de l'intelligence, de la volonté. La tête est « le chef » du corps (protégée par un “couvre-chef). C'est pourquoi, sur le plan du symbolisme, décapiter le roi était enlever à toute une construction sociale (« l'Ancien Régime »), à un ensemble de valeurs leur justification et leur raison d'être. L'exécution de Louis XVI fut l'assassinat politique par excellence.
Pierre VIAL. Rivarol du 28 janvier 2011

mardi 12 avril 2011

Nouvelles études sur la guerre des partisans en Biélorussie (1941-1944)

Alors que se dessinaient progressivement les frontières des territoires partisans soviétiques et « ennemis », ces conflits se radicalisèrent. L’ensemble de la population, même civile, fut alors prise dans cette spirale de violence aux dynamiques profondément locales, s’inscrivant dans une logique de guerre civile. Celle-ci était nourrie tant par la violence de l’occupation allemande que par l’exacerbation de tensions remontant à l’entre-deux-guerres et particulièrement à la collectivisation. L’épuration dont se chargèrent les partisans s’inscrit ainsi dans la continuité des conflits ayant secoué l’URSS depuis la révolution tout en préparant l’épuration légale menée à la libération par les autorités soviétiques.

Deux historiens, Bogdan Musial et Alexander Brakel ont analysé la guerre des partisans contre l’occupation allemande en Biélorussie entre 1941 et 1944 

Parmi les mythes appelés à consolider l’État soviétique et la notion de « grande guerre patriotique de 1941-45 », il y a celui de la résistance opiniâtre du peuple tout entier contre l’« agresseur fasciste ». Cette résistance se serait donc manifestée dans les régions occupées avec le puissant soutien de toute la population, organisée dans un mouvement de partisans patriotiques, qui n’aurait cessé de porter de rudes coups à l’adversaire et aurait ainsi contribué dans une large mesure à la défaite allemande.
Après l’effondrement de l’Union Soviétique et avec l’accès libre aux archives depuis les années 90 du XXe siècle, ce mythe a été solidement égratigné. Pourtant, en Russie et surtout en Biélorussie, la guerre des partisans de 1941-45 est à nouveau glorifiée. Ce retour du mythe partisan a incité l’historien polonais Bogdan Musial à le démonter entièrement. Après avoir publié en 2004 un volume de documents intitulé Partisans soviétiques en Biélorussie – Vues intérieures de la région de Baranovici 1941-1944, il a sorti récemment une étude volumineuse sur l’histoire du mouvement partisan sur l’ensemble du territoire biélorusse. Au même moment et dans la même maison d’édition paraissait la thèse de doctorat d’Alexander Brakel, défendue en 2006 et publiée cette fois dans une version légèrement remaniée sur « la Biélorussie occidentale sous les occupations soviétiques et allemandes », ouvrage dans lequel l’histoire du mouvement local des partisans soviétiques est abordé en long et en large.

Ce qui est remarquable, c’est que nos deux auteurs ont travaillé indépendamment l’un de l’autre, sans se connaître, en utilisant des sources russes et biélorusses récemment mises à la disposition des chercheurs ; bien qu’ils aient tous deux des intérêts différents et utilisent des méthodes différentes, ils concordent sur l’essentiel et posent des jugements analogues sur le mouvement des partisans. Tant Musial que Brakel soulignent que le mouvement des partisans biélorusses, bien que ses effectifs aient sans cesse crû jusqu’en 1944, jusqu’à atteindre des dimensions considérables (140.000 partisans au début du mois de juin 1944), n’a jamais été un mouvement populaire au sens propre du terme, bénéficiant du soutien volontaire d’une large majorité de la population dans les régions occupées par les Allemands. Au contraire, la population de ces régions de la Biélorussie occidentale, qui avaient été polonaises jusqu’en septembre 1939, était plutôt bien disposée à l’égard des Allemands qui pénétraient dans le pays, du moins au début.
Jusqu’à la fin de l’année 1941, on ne pouvait pas vraiment parler d’une guerre des partisans en Biélorussie. Certes, les fonctionnaires soviétiques et les agents du NKVD, demeurés sur place, ont été incités depuis Moscou à commencer cette guerre. Mais comme en 1937 le pouvoir soviétique a décidé de changer de doctrine militaire et d’opter pour une doctrine purement offensive, tous les préparatifs pour une éventuelle guerre des partisans avaient été abandonnés : inciter les représentants du pouvoir soviétique demeurés sur place à la faire malgré tout constituait un effort somme toute assez vain.
Le même raisonnement vaut pour les activités des petits groupes d’agents infiltrés en vue de perpétrer des sabotages ou de glaner des renseignements d’ordre militaire. Pour créer et consolider le mouvement des partisans en Biélorussie à partir de 1942, il a fallu faire appel à une toute autre catégorie de combattants : ceux que l’on appelait les « encerclés », soit les unités disloquées à la suite des grandes batailles d’encerclement de 1941 (les Kesselschlachten), et aussi les combattants de l’Armée rouge qui s’étaient échappés de captivité ou même avaient été démobilisés ; vu le destin misérable qui attendaient les prisonniers de guerre soviétiques, ces hommes cherchaient à tout prix à échapper aux Allemands. De très nombreux soldats de ces catégories ont commencé à monter dès l’automne 1941 des « groupes de survie » dans les vastes zones de forêts et de marécages ou bien ont trouvé refuge chez les paysans, où ils se faisaient passer comme ouvriers agricoles. Peu de ces groupes ont mené une véritable guerre de partisans, seuls ceux qui étaient commandés par des officiers compétents, issus des unités encerclées et disloquées par l’avance allemande, l’ont fait. La plupart de ces groupes de survie n’avaient pas l’intention de s’attaquer à l’occupant ou de lui résister activement.

Sous la pression de la crise de l’hiver 1941/42 sur le front, les autorités d’occupation allemandes ont pris des mesures au printemps 42 qui se sont révélées totalement contre-productives. Avec des forces militaires complètement insuffisantes, les Allemands ont voulu obstinément « pacifier » les régions de l’arrière et favoriser leur exploitation économique maximale : pour y parvenir, ils ont opté pour une intimidation de la population. Ils ne se sont pas seulement tournés contre les partisans mais contre tous ceux qu’ils soupçonnaient d’aider les « bandes ». Pour Musial, ce fut surtout une exigence allemande, énoncée en avril 1942, qui donna l’impulsion initiale au mouvement des partisans ; cette exigence voulait que tous les soldats dispersés sur le territoire après les défaites soviétiques et tous les anciens prisonniers de guerre se présentent pour le service du travail, à défaut de quoi ils encourraient la peine de mort. C’est cette menace, suivie d’efforts allemands ultérieurs pour recruter par la contrainte des civils pour le service du travail, qui a poussé de plus en plus de Biélorusses dans les rangs des partisans

C’est ainsi que les partisans ont pu étoffer considérablement leurs effectifs et constituer des zones d’activités partisanes de plus en plus vastes, où l’occupant et ses auxiliaires autochtones n’avaient plus aucun pouvoir. Mais l’augmentation des effectifs partisans ne provient pas d’abord pour l’essentiel d’autochtone biélorusses volontaires, car ceux-ci ne rejoignent les partisans que rarement et presque jamais pour des motifs idéologiques ou patriotiques mais plutôt pour échapper à la pression et aux mesures coercitives imposées par les Allemands. Dans « leurs » régions, les partisans, à leur tour, ont recruté de force de jeunes hommes et, pour leur échapper, certains fuiront également dans les forêts.

Malgré l’augmentation considérable des effectifs partisans à partir de 1942, le bilan militaire de la guerre des partisans en Biélorussie demeure vraiment maigre. Elle n’a pas provoqué, comme le veut le mythe soviétique, la perte de près d’un demi million de soldats allemands, mais seulement de 7.000. À ce chiffre, il faut ajouter un nombre bien plus considérable de policiers et de gardes autochtones, en tout entre 35.000 et 50.000 hommes. Comme la plupart des unités d’occupation engagées en Biélorussie étaient inaptes au front, le fait qu’elles aient été décimées ou maintenues sur place n’a pas pour autant affaibli les premières lignes. De même, la « guerre des rails », amorcée par les partisans en 1943, avait pour but d’interrompre les voies de communication ferroviaire des Allemands mais n’a jamais atteint l’ampleur qu’escomptaient les Soviétiques ; à aucun moment, cette guerre des rails n’a pu bloquer l’acheminement logistique allemand vers le front. Quant aux renseignements militaires que devaient glaner les partisans pour le compte de l’Armée rouge, ils n’ont guère fourni d’informations utiles. En revanche, ce qu’il faut bien mettre au compte des partisans, c’est 1) d’avoir rendu de vastes zones de Biélorussie inexploitables sur le plan économique et 2) d’avoir rendu peu sûres les positions de l’occupant sur les arrières du front.

Le peu d’importance stratégique de la guerre des partisans en Biélorussie a plusieurs causes. Les partisans ont certes pu se fournir en armes, au début, en puisant dans les stocks abandonnés sur les champs de bataille de 1941, mais, dans l’ensemble, leur base logistique est demeurée faible, en dépit d’approvisionnements aériens sporadiques. Les armes et surtout les munitions, de même que les explosifs pour les actions de sabotage, sont demeurés des denrées rares. Plus grave encore : les partisans disposaient de trop peu d’appareils radio. Même si, à partir de 1942, le mouvement partisan disposait d’un état-major central et d’états-majors régionaux, qui lui étaient subordonnés, et donc d’une structure de commandement solide à première vue, il lui manquait surtout de moyens de communiquer, pour permettre au mouvement partisan de se transformer en une force combattante dirigée par un commandement unitaire et opérant à l’unisson. On en resta à une pluralité de « brigades » isolées, sous la férule de commandants locaux de valeurs très inégales et que l’on ne pouvait que difficilement coordonner.

On ne s’étonnera donc pas d’apprendre que la plupart des groupes partisans évitaient autant que possible de perpétrer des attaques directes contre les Allemands et se bornaient à combattre les collaborateurs de ceux-ci, comme les gardes de village, les maires et les policiers ; ou exerçaient la terreur contre tous ceux qui, forcés ou non, travaillaient pour les Allemands. Les principales actions qu’ils ont menées, et quasiment les seules, furent des « opérations économiques » : se procurer des vivres, de l’alcool et d’autres biens d’usage auprès de la population rurale. Celle-ci ne cédait pas ses avoirs aux partisans volontairement et de gaîté de cœur, contrairement à ce qu’affirme le mythe soviétique. Les paysans donnaient mais sous la contrainte ou sous la menace de violences et de représailles. Dans le meilleur des cas, les partisans tenaient plus ou moins compte des besoins vitaux de la population rurale mais, dans la plupart des cas, ils pillaient sans le moindre état d’âme, incendiaient, violaient et assassinaient. Pour la plupart des paysans biélorusses, les partisans n’étaient rien d’autre que des bandes de pillards.

Quasiment nulle part les partisans se sont montrés à même d’offrir une véritable protection à la population autochtone contre les troupes allemandes et contre les raids de confiscation et de réquisition qu’elles menaient. Lors d’actions ennemies de grande envergure, les partisans se retiraient, s’ils le pouvaient. Les ruraux habitant les zones tenues par les partisans risquaient en plus d’être considérés par les Allemands comme des « complices des bandes » et de subir des représailles : villages incendiés, massacres ou déportation de la population. Les survivants juifs des mesures allemandes de persécution et d’extermination n’ont que rarement trouvé refuge et protection chez les partisans, tandis que ces mesures cruelles étaient acceptées sans trop de réticence par les autochtones biélorusses ou polonais.
Musial et Brakel ne cessent, dans leurs études respectives, de souligner la situation désespérée dans laquelle fut plongée la majeure partie de la population biélorusse après le déclenchement de la guerre des partisans. Dans leur écrasante majorité, les Biélorusses, les Polonais et aussi les Juifs — auxquels les intentions exterminatrices, motivées par l’idéologie nationale-socialiste, du SD  [Sicherheitsdienst : police de sécurité allemande] et de la SS, ne laissaient aucune chance, même si les pratiques avaient été plus ou moins « rationalisées » dans le but de ne pas laisser trop d’habitants filer vers les partisans —  aspiraient à sortir de la guerre sains et saufs, sans avoir à prendre parti. La politique violente pratiquée tant par les occupants que par les partisans soviétiques (et, dans les régions anciennement polonaises, par l’armée secrète polonaise) ne leur laissait pourtant pas d’autres choix que de prendre parti.

Dans ce glissement, les affinités politiques et idéologiques et l’appartenance ethnique ne jouèrent pratiquement aucun rôle. La plupart optaient pour le camp dont il craignaient le plus la violence. Dans les grandes villes et le long des principales voies de chemin de fer, l’option fut généralement pro-allemande ; dans les zones forestières tenues par les partisans, l’option fut en faveur du camp soviétique, ou, dans certaines régions, en faveur de l’Armia Krajowa polonaise. Dans ce contexte, la guerre des partisans en Biélorussie constitue une guerre civile, ce que corrobore notamment les pertes en vies humaines ; une guerre civile où, dans tous les camps, on trouve plus de combattants forcés que volontaires. Il y eut des centaines de milliers de victimes civiles, devenues auparavant, sans l’avoir voulu, soit des « complices des bandes » soit des « collaborateurs des fascistes » ou ont été déclarées telles avant qu’on ne les fasse périr. Brakel résume la situation : « Le combat partisan contre le cruel régime allemand d’occupation est bien compréhensible mais, pour les habitants de l’Oblast de Baranowicze, il aurait mieux valu qu’il n’ait jamais eu lieu ». Cette remarque est certes valable pour la région de Baranowicze et vaut tout autant pour le reste de la Biélorussie. Et pour la plupart des guerres de partisans ailleurs dans le monde.
Ce qui est intéressant à noter, c’est que deux historiens, indépendants l’un de l’autre, ne se connaissant pas, l’un Allemand et l’autre Polonais, ont eu le courage de mettre cette vérité en exergue dans leurs travaux et de démonter, par la même occasion, le mythe des « partisans luttant héroïquement pour la patrie soviétique », tenace aussi dans l’Allemagne contemporaine. On ne nie pas qu’il eut des partisans communistes soviétiques en Biélorussie pendant la Seconde Guerre mondiale : on explique et on démontre seulement qu’ils étaient fort peu nombreux. Brakel et Musial ne sont pas des « révisionnistes », qui cherchent à dédouaner l’occupant allemand et ses auxiliaires : ils incluent dans leurs démonstrations certains leitmotive des historiographies à la mode et ne tentent nullement de se mettre délibérément en porte-à-faux avec l’esprit de notre temps. Dans leur chef, c’est bien compréhensible.

► Dag KRIENEN (recension parue dans Junge Freiheit, Berlin, n°47/2009 ; tr. fr. : RS). via http://vouloir.hautetfort.com

Références :
Bogdan MUSIAL, Sowjetische Partisanen 1941-1944 – Mythos und Wirklichkeit, Schöningh Verlag, Paderborn, 2009, 592 p., 40 €.
Alexander BRAKEL, Unter Rotem Stern und Hakenkreuz : Baranowicze 1939 bis 1944. Das westliche Weissrussland unter sowjetischer und deutsche Besatzung, Schöningh Verlag, Paderborn, 2009, XII + 426 p., nombreuses illustrations, 40 €.