mardi 12 avril 2011

Nouvelles études sur la guerre des partisans en Biélorussie (1941-1944)

Alors que se dessinaient progressivement les frontières des territoires partisans soviétiques et « ennemis », ces conflits se radicalisèrent. L’ensemble de la population, même civile, fut alors prise dans cette spirale de violence aux dynamiques profondément locales, s’inscrivant dans une logique de guerre civile. Celle-ci était nourrie tant par la violence de l’occupation allemande que par l’exacerbation de tensions remontant à l’entre-deux-guerres et particulièrement à la collectivisation. L’épuration dont se chargèrent les partisans s’inscrit ainsi dans la continuité des conflits ayant secoué l’URSS depuis la révolution tout en préparant l’épuration légale menée à la libération par les autorités soviétiques.

Deux historiens, Bogdan Musial et Alexander Brakel ont analysé la guerre des partisans contre l’occupation allemande en Biélorussie entre 1941 et 1944 

Parmi les mythes appelés à consolider l’État soviétique et la notion de « grande guerre patriotique de 1941-45 », il y a celui de la résistance opiniâtre du peuple tout entier contre l’« agresseur fasciste ». Cette résistance se serait donc manifestée dans les régions occupées avec le puissant soutien de toute la population, organisée dans un mouvement de partisans patriotiques, qui n’aurait cessé de porter de rudes coups à l’adversaire et aurait ainsi contribué dans une large mesure à la défaite allemande.
Après l’effondrement de l’Union Soviétique et avec l’accès libre aux archives depuis les années 90 du XXe siècle, ce mythe a été solidement égratigné. Pourtant, en Russie et surtout en Biélorussie, la guerre des partisans de 1941-45 est à nouveau glorifiée. Ce retour du mythe partisan a incité l’historien polonais Bogdan Musial à le démonter entièrement. Après avoir publié en 2004 un volume de documents intitulé Partisans soviétiques en Biélorussie – Vues intérieures de la région de Baranovici 1941-1944, il a sorti récemment une étude volumineuse sur l’histoire du mouvement partisan sur l’ensemble du territoire biélorusse. Au même moment et dans la même maison d’édition paraissait la thèse de doctorat d’Alexander Brakel, défendue en 2006 et publiée cette fois dans une version légèrement remaniée sur « la Biélorussie occidentale sous les occupations soviétiques et allemandes », ouvrage dans lequel l’histoire du mouvement local des partisans soviétiques est abordé en long et en large.

Ce qui est remarquable, c’est que nos deux auteurs ont travaillé indépendamment l’un de l’autre, sans se connaître, en utilisant des sources russes et biélorusses récemment mises à la disposition des chercheurs ; bien qu’ils aient tous deux des intérêts différents et utilisent des méthodes différentes, ils concordent sur l’essentiel et posent des jugements analogues sur le mouvement des partisans. Tant Musial que Brakel soulignent que le mouvement des partisans biélorusses, bien que ses effectifs aient sans cesse crû jusqu’en 1944, jusqu’à atteindre des dimensions considérables (140.000 partisans au début du mois de juin 1944), n’a jamais été un mouvement populaire au sens propre du terme, bénéficiant du soutien volontaire d’une large majorité de la population dans les régions occupées par les Allemands. Au contraire, la population de ces régions de la Biélorussie occidentale, qui avaient été polonaises jusqu’en septembre 1939, était plutôt bien disposée à l’égard des Allemands qui pénétraient dans le pays, du moins au début.
Jusqu’à la fin de l’année 1941, on ne pouvait pas vraiment parler d’une guerre des partisans en Biélorussie. Certes, les fonctionnaires soviétiques et les agents du NKVD, demeurés sur place, ont été incités depuis Moscou à commencer cette guerre. Mais comme en 1937 le pouvoir soviétique a décidé de changer de doctrine militaire et d’opter pour une doctrine purement offensive, tous les préparatifs pour une éventuelle guerre des partisans avaient été abandonnés : inciter les représentants du pouvoir soviétique demeurés sur place à la faire malgré tout constituait un effort somme toute assez vain.
Le même raisonnement vaut pour les activités des petits groupes d’agents infiltrés en vue de perpétrer des sabotages ou de glaner des renseignements d’ordre militaire. Pour créer et consolider le mouvement des partisans en Biélorussie à partir de 1942, il a fallu faire appel à une toute autre catégorie de combattants : ceux que l’on appelait les « encerclés », soit les unités disloquées à la suite des grandes batailles d’encerclement de 1941 (les Kesselschlachten), et aussi les combattants de l’Armée rouge qui s’étaient échappés de captivité ou même avaient été démobilisés ; vu le destin misérable qui attendaient les prisonniers de guerre soviétiques, ces hommes cherchaient à tout prix à échapper aux Allemands. De très nombreux soldats de ces catégories ont commencé à monter dès l’automne 1941 des « groupes de survie » dans les vastes zones de forêts et de marécages ou bien ont trouvé refuge chez les paysans, où ils se faisaient passer comme ouvriers agricoles. Peu de ces groupes ont mené une véritable guerre de partisans, seuls ceux qui étaient commandés par des officiers compétents, issus des unités encerclées et disloquées par l’avance allemande, l’ont fait. La plupart de ces groupes de survie n’avaient pas l’intention de s’attaquer à l’occupant ou de lui résister activement.

Sous la pression de la crise de l’hiver 1941/42 sur le front, les autorités d’occupation allemandes ont pris des mesures au printemps 42 qui se sont révélées totalement contre-productives. Avec des forces militaires complètement insuffisantes, les Allemands ont voulu obstinément « pacifier » les régions de l’arrière et favoriser leur exploitation économique maximale : pour y parvenir, ils ont opté pour une intimidation de la population. Ils ne se sont pas seulement tournés contre les partisans mais contre tous ceux qu’ils soupçonnaient d’aider les « bandes ». Pour Musial, ce fut surtout une exigence allemande, énoncée en avril 1942, qui donna l’impulsion initiale au mouvement des partisans ; cette exigence voulait que tous les soldats dispersés sur le territoire après les défaites soviétiques et tous les anciens prisonniers de guerre se présentent pour le service du travail, à défaut de quoi ils encourraient la peine de mort. C’est cette menace, suivie d’efforts allemands ultérieurs pour recruter par la contrainte des civils pour le service du travail, qui a poussé de plus en plus de Biélorusses dans les rangs des partisans

C’est ainsi que les partisans ont pu étoffer considérablement leurs effectifs et constituer des zones d’activités partisanes de plus en plus vastes, où l’occupant et ses auxiliaires autochtones n’avaient plus aucun pouvoir. Mais l’augmentation des effectifs partisans ne provient pas d’abord pour l’essentiel d’autochtone biélorusses volontaires, car ceux-ci ne rejoignent les partisans que rarement et presque jamais pour des motifs idéologiques ou patriotiques mais plutôt pour échapper à la pression et aux mesures coercitives imposées par les Allemands. Dans « leurs » régions, les partisans, à leur tour, ont recruté de force de jeunes hommes et, pour leur échapper, certains fuiront également dans les forêts.

Malgré l’augmentation considérable des effectifs partisans à partir de 1942, le bilan militaire de la guerre des partisans en Biélorussie demeure vraiment maigre. Elle n’a pas provoqué, comme le veut le mythe soviétique, la perte de près d’un demi million de soldats allemands, mais seulement de 7.000. À ce chiffre, il faut ajouter un nombre bien plus considérable de policiers et de gardes autochtones, en tout entre 35.000 et 50.000 hommes. Comme la plupart des unités d’occupation engagées en Biélorussie étaient inaptes au front, le fait qu’elles aient été décimées ou maintenues sur place n’a pas pour autant affaibli les premières lignes. De même, la « guerre des rails », amorcée par les partisans en 1943, avait pour but d’interrompre les voies de communication ferroviaire des Allemands mais n’a jamais atteint l’ampleur qu’escomptaient les Soviétiques ; à aucun moment, cette guerre des rails n’a pu bloquer l’acheminement logistique allemand vers le front. Quant aux renseignements militaires que devaient glaner les partisans pour le compte de l’Armée rouge, ils n’ont guère fourni d’informations utiles. En revanche, ce qu’il faut bien mettre au compte des partisans, c’est 1) d’avoir rendu de vastes zones de Biélorussie inexploitables sur le plan économique et 2) d’avoir rendu peu sûres les positions de l’occupant sur les arrières du front.

Le peu d’importance stratégique de la guerre des partisans en Biélorussie a plusieurs causes. Les partisans ont certes pu se fournir en armes, au début, en puisant dans les stocks abandonnés sur les champs de bataille de 1941, mais, dans l’ensemble, leur base logistique est demeurée faible, en dépit d’approvisionnements aériens sporadiques. Les armes et surtout les munitions, de même que les explosifs pour les actions de sabotage, sont demeurés des denrées rares. Plus grave encore : les partisans disposaient de trop peu d’appareils radio. Même si, à partir de 1942, le mouvement partisan disposait d’un état-major central et d’états-majors régionaux, qui lui étaient subordonnés, et donc d’une structure de commandement solide à première vue, il lui manquait surtout de moyens de communiquer, pour permettre au mouvement partisan de se transformer en une force combattante dirigée par un commandement unitaire et opérant à l’unisson. On en resta à une pluralité de « brigades » isolées, sous la férule de commandants locaux de valeurs très inégales et que l’on ne pouvait que difficilement coordonner.

On ne s’étonnera donc pas d’apprendre que la plupart des groupes partisans évitaient autant que possible de perpétrer des attaques directes contre les Allemands et se bornaient à combattre les collaborateurs de ceux-ci, comme les gardes de village, les maires et les policiers ; ou exerçaient la terreur contre tous ceux qui, forcés ou non, travaillaient pour les Allemands. Les principales actions qu’ils ont menées, et quasiment les seules, furent des « opérations économiques » : se procurer des vivres, de l’alcool et d’autres biens d’usage auprès de la population rurale. Celle-ci ne cédait pas ses avoirs aux partisans volontairement et de gaîté de cœur, contrairement à ce qu’affirme le mythe soviétique. Les paysans donnaient mais sous la contrainte ou sous la menace de violences et de représailles. Dans le meilleur des cas, les partisans tenaient plus ou moins compte des besoins vitaux de la population rurale mais, dans la plupart des cas, ils pillaient sans le moindre état d’âme, incendiaient, violaient et assassinaient. Pour la plupart des paysans biélorusses, les partisans n’étaient rien d’autre que des bandes de pillards.

Quasiment nulle part les partisans se sont montrés à même d’offrir une véritable protection à la population autochtone contre les troupes allemandes et contre les raids de confiscation et de réquisition qu’elles menaient. Lors d’actions ennemies de grande envergure, les partisans se retiraient, s’ils le pouvaient. Les ruraux habitant les zones tenues par les partisans risquaient en plus d’être considérés par les Allemands comme des « complices des bandes » et de subir des représailles : villages incendiés, massacres ou déportation de la population. Les survivants juifs des mesures allemandes de persécution et d’extermination n’ont que rarement trouvé refuge et protection chez les partisans, tandis que ces mesures cruelles étaient acceptées sans trop de réticence par les autochtones biélorusses ou polonais.
Musial et Brakel ne cessent, dans leurs études respectives, de souligner la situation désespérée dans laquelle fut plongée la majeure partie de la population biélorusse après le déclenchement de la guerre des partisans. Dans leur écrasante majorité, les Biélorusses, les Polonais et aussi les Juifs — auxquels les intentions exterminatrices, motivées par l’idéologie nationale-socialiste, du SD  [Sicherheitsdienst : police de sécurité allemande] et de la SS, ne laissaient aucune chance, même si les pratiques avaient été plus ou moins « rationalisées » dans le but de ne pas laisser trop d’habitants filer vers les partisans —  aspiraient à sortir de la guerre sains et saufs, sans avoir à prendre parti. La politique violente pratiquée tant par les occupants que par les partisans soviétiques (et, dans les régions anciennement polonaises, par l’armée secrète polonaise) ne leur laissait pourtant pas d’autres choix que de prendre parti.

Dans ce glissement, les affinités politiques et idéologiques et l’appartenance ethnique ne jouèrent pratiquement aucun rôle. La plupart optaient pour le camp dont il craignaient le plus la violence. Dans les grandes villes et le long des principales voies de chemin de fer, l’option fut généralement pro-allemande ; dans les zones forestières tenues par les partisans, l’option fut en faveur du camp soviétique, ou, dans certaines régions, en faveur de l’Armia Krajowa polonaise. Dans ce contexte, la guerre des partisans en Biélorussie constitue une guerre civile, ce que corrobore notamment les pertes en vies humaines ; une guerre civile où, dans tous les camps, on trouve plus de combattants forcés que volontaires. Il y eut des centaines de milliers de victimes civiles, devenues auparavant, sans l’avoir voulu, soit des « complices des bandes » soit des « collaborateurs des fascistes » ou ont été déclarées telles avant qu’on ne les fasse périr. Brakel résume la situation : « Le combat partisan contre le cruel régime allemand d’occupation est bien compréhensible mais, pour les habitants de l’Oblast de Baranowicze, il aurait mieux valu qu’il n’ait jamais eu lieu ». Cette remarque est certes valable pour la région de Baranowicze et vaut tout autant pour le reste de la Biélorussie. Et pour la plupart des guerres de partisans ailleurs dans le monde.
Ce qui est intéressant à noter, c’est que deux historiens, indépendants l’un de l’autre, ne se connaissant pas, l’un Allemand et l’autre Polonais, ont eu le courage de mettre cette vérité en exergue dans leurs travaux et de démonter, par la même occasion, le mythe des « partisans luttant héroïquement pour la patrie soviétique », tenace aussi dans l’Allemagne contemporaine. On ne nie pas qu’il eut des partisans communistes soviétiques en Biélorussie pendant la Seconde Guerre mondiale : on explique et on démontre seulement qu’ils étaient fort peu nombreux. Brakel et Musial ne sont pas des « révisionnistes », qui cherchent à dédouaner l’occupant allemand et ses auxiliaires : ils incluent dans leurs démonstrations certains leitmotive des historiographies à la mode et ne tentent nullement de se mettre délibérément en porte-à-faux avec l’esprit de notre temps. Dans leur chef, c’est bien compréhensible.

► Dag KRIENEN (recension parue dans Junge Freiheit, Berlin, n°47/2009 ; tr. fr. : RS). via http://vouloir.hautetfort.com

Références :
Bogdan MUSIAL, Sowjetische Partisanen 1941-1944 – Mythos und Wirklichkeit, Schöningh Verlag, Paderborn, 2009, 592 p., 40 €.
Alexander BRAKEL, Unter Rotem Stern und Hakenkreuz : Baranowicze 1939 bis 1944. Das westliche Weissrussland unter sowjetischer und deutsche Besatzung, Schöningh Verlag, Paderborn, 2009, XII + 426 p., nombreuses illustrations, 40 €.

Aucun commentaire: