Dans la nuit du 21 au 22 avril 1961, quatre généraux français tentent de soulever les militaires stationnés en Algérie et les Pieds-noirs dans un effort désespéré pour maintenir l'Algérie à l'intérieur de la République française. C'est le putsch d'Alger. Il va piteusement échouer en quatre jours.
Michel Dalan.
Un sauveur ?
Trois ans plus tôt, en mai 1958, le général Charles de Gaulle a été ramené au pouvoir à la faveur d'un vrai-faux coup d'État provoqué par ses fidèles, alliés pour la circonstance avec les partisans du maintien de l'Algérie dans la République française. Ces derniers s'inquiétaient du renoncement des dirigeants de la IVe République à cet objectif.
Personne à vrai dire ne connaît la conviction intime du général de Gaulle. Celui-ci, dans le passé, s'est montré favorable à la colonisation. Mais il est également conscient des nouvelles réalités qui rendent tout autant impossibles l'intégration de l'ensemble des musulmans algériens dans la communauté nationale et leur maintien dans un statut d'infériorité.
Le 6 juin, l'enthousiasme des pieds-noirs est à son comble quand ils entendent à Mostaganem le général de Gaulle : «Vive Mostaganem! Vive l'Algérie française ! Vive la République ! Vive la France !». Mais, dès l'automne, le doute s'installe.
Le 19 septembre 1958, le FLN indépendantiste constitue un Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) en vue d'offrir un interlocuteur compétent aux nouvelles autorités françaises.
Le 23 octobre 1958, le général de Gaulle promet une «paix des braves» à l'ennemi. L'avènement de la Ve République et le référendum sur la Constitution, en décembre, vont de pair avec une première décolonisation, celle de la Guinée. Le 16 septembre 1959, dans une déclaration télévisée à grand retentissement, de Gaulle évoque pour la première fois le «droit des Algériens à l'autodétermination» !
Vers la négociation avec le FLN
Les militants de l'Algérie française qui ont porté le général de Gaulle au pouvoir commencent à ruer dans les brancards. Ils s'estiment trahis. Le général doit sévir. Le 23 janvier 1960, il limoge le général Massu. Les Pieds-noirs, dépités, s'insurgent à Alger au cours d'une meurtrière «Semaine des Barricades», du 24 janvier au 1er février. Le 5 février 1960, Jacques Soustelle, se considérant à son tour trahi, quitte le gouvernement.
Début mars 1960, au cours d'une «tournée des popotes» auprès des militaires d'Algérie, le président de Gaulle fait un pas de plus vers la décolonisation. Il annonce une «Algérie algérienne liée à la France». Dans le même temps, les unes après les autres, les colonies d'Afrique (Cameroun, Togo, Madagascar...) se voient accorder leur indépendance (tout en demeurant étroitement dépendantes de Paris, financièrement et politiquement).
Le 4 novembre 1960, le président de la République évoque pour la première fois une «République algérienne». Ainsi prépare-t-il peu à peu l'opinion française et algérienne à l'indépendance inéluctable des trois départements algériens... sans que les combats entre militaires français et indépendantistes du FLN s'interrompent pour autant.
Le 8 janvier 1961, le peuple français approuve par référendum le principe de l'autodétermination des Algériens de toutes conditions (75,25% de oui en métropole et 69,09% en Algérie, où les musulmans ont voté aux côtés des colons). Deux mois plus tard, le 30 mars 1961, le gouvernement annonce officiellement l'ouverture de pourparlers avec les représentants du GPRA (Gouvernement Provisoire de la République Algérienne).
Enfin, dans une conférence de presse, le 11 avril 1961, de Gaulle parle désormais de l'Algérie comme d'un «État souverain». Cette déclaration survient dans un climat de décolonisation hâtive. L'opinion publique, en métropole, a hâte d'en finir avec une guerre de sept ans où de nombreux jeunes gens ont déjà perdu leur vie ou leur honneur.
L'amertume des militaires
En Algérie, beaucoup d'Européens s'inquiètent de leur sort et ne croient pas à une coexistence possible avec la majorité musulmane dans le cadre d'un État souverain. Leur désespoir rejoint celui de nombreux militaires qui entrevoient un nouveau recul de la France après le lâchage de l'Indochine. Ils s'indignent d'avoir vaincu pour rien l'ennemi sur le terrain.
Le général d'aviation Maurice Challe (55 ans), qui fut nommé commandant en chef en Algérie par le président de Gaulle, à la place du général Raoul Salan, est à l'origine de cette victoire militaire incontestable sur le FLN incontestable avec, au bilan du «Plan Challe», du 6 février 1959 au 6 avril 1961 : 26.000 adversaires tués, 10.800 prisonniers, 20.800 armes récupérées.
Amer, le général a démissionné quelques mois plus tôt de son nouveau poste de commandement, à l'OTAN. Il est sollicité par un petit groupe de colonels en opération en Algérie, indignés par la tournure des événements. Ces militaires d'active, qui ont été défaits en Indochine, ne supportent pas de perdre l'Algérie sans avoir été, cette fois, battus.
Après la conférence de presse présidentielle du 11 avril 1961, Challe se décide à franchir le Rubicon. Il convainc l'ancien général d'aviation Edmond Jouhaud (55 ans) et le général d'artillerie André Zeller (63 ans) de le rejoindre dans une nouvelle «Révolution». Il s'agit de réitérer le coup du 13 mai 1958, cette fois contre le général de Gaulle.
Le 20 avril 1961, au soir, Challe reçoit discrètement à Alger le commandant Hélie Denoix de Saint Marc, chef par intérim du 1er régiment étranger de parachutistes (la Légion étrangère). Il l'invite à le rejoindre dans le complot organisé avec le général Edmond Jouhaud et également le général André Zeller.
C'est chose faite avec la prise de contrôle d'Alger par les parachutistes de Denoix de Saint Marc, dans la nuit du 21 au 22 avril.
Putsch d'opérette
À l'aube du samedi 22 avril, à 8h45, le général Challe s'exprime sur Radio-Alger : «Officiers, sous-officiers, gendarmes, marins, soldats et aviateurs : je suis à Alger avec les généraux Zeller et Jouhaud et en liaison avec le général Salan pour tenir notre serment : garder l'Algérie». La radio peut annoncer que «l'armée s'est assurée du contrôle du territoire algéro-saharien».
Tandis que les putschistes s'agitent à Alger, le général de Gaulle assiste à une représentation de Britannicus à la Comédie française en compagnie du président du Sénégal Léopold Senghor. Il feint de n'être au courant de rien mais, dans les faits, est informé minute après minute des événements.
Dans la nuit du 21 au 22 avril 1961, le gouvernement fait arrêter à Paris les sympathisants des putschistes, qui avaient déjà été de longue date identifiés grâce aux bavardages entre militaires. Tout est fini à six heures du matin. On n'a à déplorer que quelques attentats au plastic, à Orly et à la gare de Lyon.
En Algérie même, Challe se contente d'arrêter les représentants du gouvernement. Il se refuse à armer les Pieds-noirs qui le soutiennent.
Il a la satisfaction d'être rejoint par le prestigieux général Raoul Salan (62 ans), qui a quitté son exil espagnol à la barbe des autorités et est arrivé à Alger le dimanche 23 avril. Raoul Salan est celui-là même qui, le 15 mai 1958, a fait acclamer le nom du général de Gaulle à Alger.
Les quatre généraux forment un «Conseil supérieur de l'Algérie». Mais ils n'arrivent pas à rallier les officiers de haut rang et se heurtent surtout à l'hostilité des jeunes appelés du contingent, qui n'ont que faire de l'Algérie et ont hâte de rentrer chez eux. «La quille !» est leur seul mot d'ordre.
Contre-attaque verbale
Charles de Gaulle laisse les généraux factieux s'enferrer, avec le secret dessein de dramatiser la situation pour resserrer les citoyens autour de lui et des nouvelles institutions de la Ve République, encore très fragiles.
Le dimanche soir 23 avril, il apparaît en uniforme à la télévision et lance des mots qui font mouche : «Un pouvoir insurrectionnel s'est installé en Algérie par un pronunciamiento militaire. Ce pouvoir a une apparence : un quarteron de généraux en retraite... Au nom de la France, j'ordonne que tous les moyens, je dis tous les moyens, soient employés pour barrer la route de ces hommes-là... J'interdis à tout Français et d'abord à tout soldat d'exécuter aucun de leurs ordres...».
Le mot «quarteron», qui désigne un quart de pièce ou un enfant de blanc et mulâtre, fera florès bien que le Général l'ait employé à tort comme synonyme de quatuor. Notons aussi l'expression inexacte et sciemment fautive : «généraux en retraite» (au lieu de «généraux à la retraite»).
Dans la nuit, le Premier ministre Michel Debré dramatise la situation, mais sans échapper au ridicule. «Dès que les sirènes retentiront, allez, à pied ou en voiture, convaincre ces soldats trompés de leur lourde erreur», lance-t-il à son tour à la télévision. Avec le concours efficace du préfet Maurice Papon, il laisse croire que les militaires factieux d'Algérie pourraient atterrir sur les aérodromes métropolitains. Des chars prennent position devant l'Assemblée nationale !
Le lendemain lundi, les syndicats organisent symboliquement une grève générale d'une heure qui est massivement suivie. C'en est fini de l'insurrection algéroise.
Le mardi 25 avril, le gouvernement reprend en main la radio d'Alger cependant qu'Hélie Denoix de Saint Marc et Maurice Challe se livrent aux autorités. Ils seront amnistiés cinq ans plus tard, en 1968, de même qu'André Zeller.
Les hommes du 1er REP, résignés, repartent à la guerre en chantant : «Non, je ne regrette rien...» Quant aux généraux Salan et Jouhaud, ils rentrent dans la clandestinité et prennent la tête de l'OAS (Organisation de l'Armée Secrète), créée à Madrid deux mois plus tôt.
Pendant le putsch d'Alger, les négociations secrètes engagées entre le gouvernement français et les représentants du GPRA (Gouvernement Provisoire de la République Algérienne) ne se sont pas interrompues, d'abord à Melun, en juin 1960, puis à Évian... http://www.herodote.net
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