jeudi 24 juillet 2008

ROL-TANGUY :

Lors des cérémonies - du reste piteuses - dites « de la Libération de Paris », le président de la République a remis la grand-croix de la légion d'honneur - rien moins - au soi-disant «colonel» Rol-Tanguy, lequel a profité de l'occasion médiatique pour réaffirmer sa fidélité (dont personne ne doutait d'ailleurs) au communisme.
Le plus curieux dans cette affaire est que nul ne peut citer le moindre exploit de ce prétendu héros. En fait, son rôle devait être parallèle à celui d'Iltis, mais en bien pire encore.
Il s'agissait toujours de servir la politique stalinienne : en l'occurrence, ralentir l'avance des Alliés, leur faire fixer le maximum de troupes allemandes, tandis que l'Armée Rouge : Drang nach Osten.
Staline, qui avait allègrement sacrifié Varsovie, ne regardait pas à en faire autant pour Paris.
Or, von Choltitz, der Kommandant von Gross Paris, voulait bien résister à l'ordre de Hitler d'anéantir la capitale, à la condition que les FTP et FFI, ou tous assimilés, se tinssent tranquilles, et ne tirassent pas sur ses hommes.
Rol-Tanguy, lui, avait ordre de déclencher « l'insurrection patriotique », qui aurait en fait obligé Choltitz à revenir sur sa promesse. Pour éviter carnage et destruction, Eisenhower fut donc contraint d'entrer dans les vues de Staline, et de détourner l'Armée Patton, et notamment la 2° DB de Leclerc, de sa marche vers le Rhin, pour foncer sur Paris, et en assurer la sauvegarde.
Ce qui, soit dit en passant, permit, en décembre 1944, à von Rundstedt d'entreprendre une contre-offensive extraordinaire, qui, s'il n'avait manqué d'essence, le ramenait à Paris sans doute. Et Dieu sait ce qui s'en serait ensuivi.
Ainsi la guerre en tout cas fut-elle prolongée. Et pendant ce temps, von Braun et les autres préparaient fiévreusement la bombe atomique. Ils ne ratèrent le coche que de bien peu.
Or, Hitler en possession de la bombe A, qu'aurait pu faire Staline? Sans doute le fou de Moscou n'y avait-il point songé, ou bien il jouait l'Histoire à la roulette ... russe.
Quant à Rol-Tanguy, son rôle fut en fait celui d'un maître-chanteur, et non pas d'un héros. Disant en substance aux Américains : « Ou vous détournez vos forces à la rescousse de Paris, ou j'y provoque, par Choltitz interposé, l'apocalypse. »
Cela explique la scène qui se produisit à l'Hôtel de ville, au moment où de Gaulle y vint. On vit arriver tout à coup le « colonel » Rol-Tanguy.
Le général Margueritte, qui commandait en région parisienne les FFI si je puis dire « officiels », c'est-à-dire ceux placés sous l'autoriré du général Kœnig, se permit cette raillerie, dont quelques personnes seulement pouvaient saisir le sel : « Tiens, vous voilà ! Où étiez-vous donc passé ? Depuis quinze jours, on ne vous a point vu. »
Mais les communistes, même aujourd'hui encore, tiennent nombre de nos personnages consulaires. Ne serait-ce que parce que Moscou s'était emparé des archives de la Gestapo prouvant la véritable collaboration d'imaginaires illustres résistants.
Voilà pourquoi l'Histoire est interdite.
André Figueras Dictionnaire analytique et critique de la Résistance

jeudi 17 juillet 2008

Quelques vérités sur de Gaulle

Après les documents, précisions, témoignages, fournis tant par Jacques lsorni que par Jean Bourdier (entre autres), il semble difficile de contester que le meurtre de l'amiral Darlan n'ait pas été improvisé, de leur seul chef, par quelques monarchistes d'Alger. «Londres» était derrière. Et quand je dis «Londres», on comprend bien ce que parler veut dire: il ne s'agit évidemment pas de Churchill !
En fait, de Gaulle, en 1942, ne détenait que l'ombre d'un éventuel futur pouvoir, et il le savait fort bien. Au moment de l'invasion de la zone sud, sa terreur fut que Pétain écoutât l'amiral Auphan, et gagnat l'Afrique du Nord. (Du reste, de Gaulle ne devait jamais pardonner à Auphan d'avoir donné ce conseil...) Il est inutile, en effet, de s'attarder sur le fait que Pétain, auréolé alors des prestiges d'une évidente résistance, aurait rassemblé plus que jamais la France derrière lui, aurait renoué les meilleurs contacts avec les Alliés, en particulier les Etats-Unis, et que de Gaulle aurait tout bonnement disparu dans une trappe.
Ce qui n'était certainement pas le destin auquel il rêvait. Ce n'était pas pour cela que, depuis deux ans et demi, il s'échinait derrière un micro.
Il connut bientôt un immense soulagement : Pétain, pour le malheur général, refusa de partir.
Cependant, il restait une épine sérieuse en la personne de l'amiral Darlan, qui avait pris les choses en mains à Alger, et avec qui, déjà, les anglo-saxons traitaient.
Darlan était un danger moindre que Pétain sans doute, mais c'était tout de même un grand danger. Suffisant pour rendre précaire l'avenir, au moins politique, du général de Gaulle.
Dans ces conditions, l'adage romain saute aux lèvres: Is fecit cui prodest. A qui profitait, et à qui seulement, la mort de Darlan ? Vous m'avez compris.
Je ne dis pas qu'un ordre exprès fut donné par le chef de la France Libre. De Gaulle avait certainement lu Shakespeare. Il connaissait la réplique fameuse: « De ma part, c'eût été vilenie, de la tienne, loyal service. »
En pareil cas, il suffit, à bon escient, et devant qui il faut, de laisser tomber négligemment quelques mots équivoques, et dont on puisse au besoin révoquer, sinon la paternité, du moins la signification. Les bons serviteurs font le reste.
*
Après cela - on rencontre le surprenant attentat contre le général Giraud. Œuvre, fut-il dit, d'une sentinelle sénégalaise devenue folle, et que l'on se hâta de fusiller. Exactement comme on l'avait fait pour Bonnier de la Chapelle lorsqu'il eut abattu Darlan. Lorsqu'on se met aveuglément au service d'hommes des ténèbres, il faut s'attendre à sombrer bientôt dans la nuit.
Certes, Giraud, au moment où se produisit cet attentat à demi raté, avait d'ores et déjà été écarté du pouvoir par de Gaulle. Cependant, la situation était encore réversible, ou du moins, pouvait être considérée comme telle par un certain nombre de gens, des militaires en particulier. La haute silhouette de Giraud continuait donc, plus ou moins, à jeter de l'ombre à la haute silhouette de de Gaulle. Lequel était trop ombrageux pour aimer être ombragé.
Assurément, en cette affaire, les preuves certaines manquent, je crois, absolument. Cependant existe-t-il à la fois des présomptions. et des convictions. Giraud, pour sa part, ne sembla jamais douter que la main du Sénégalais eut été, lointainement et secrètement, armée par de Gaulle.
Il avait sans doute raison. Seulement, les chefs de maffia, les «parrains» ne se laissent jamais prendre la main dans le sac.
*
Nous n'en avons cependant pas fini avec les morts bizarres, avec les morts troublantes. J'ai dit déjà, à propos de Pierre Brossolette, que la Gestapo ne s'empara pas de lui par pur hasard.
Je l'ai dit, d'abord, parce que je le sais, parce que je sais qui, de Londres, s'arrangea pour que les Alemands aient leur proie. Je sais aussi que l'abominable délateur était agité par une jalousie et une rancune personnelles. Mais je suis amené aujourd'hui à penser qu'il ne fût, grâce à sa haine, qu'un instrument pour autrui.
Nous allons y revenir, mais examinons d'abord les autres éléments que nous pouvons posséder sur ce sujet.
Il y a d'abord, depuis peu, le livre de souvenirs que le général Jouhaud a publié, sous le titre: «La vie est un combat.» Nous y apprenons que Jouhaud se trouvait avec Brossolette (et quelques autres), lorsque l'un et l'autre essayèrent de gagner (ou de regagner) l'Angleterre, sur un rafiot invraisemblable. Jouhaud s'étonna sur-le-champ, s'étonne encore aujourd'hui d'anomalies manifestes dans cette opération. Il ne pouvait pas savoir, mais il faut qu'il sache, que quelque chose était, par trahison, truqué, afin qu'il y eût échec, et que Brossolette fut pris.
Voici à présent ce que m'écrit d'lrlande un correspondant qui est certainement placé pour ne pas parler au hasard :
Brossolette a été donné par Londres. Moulin a été trahi par un gaulliste, Hardy. Il n'y a aucun doute. C'est pourquoi on ne fera pas venir en France le chef de la Gestapo de Lyon. Il aurait trop de choses à dire. Et s'il était extradé, on s'arrangerait pour le faire mourir en prison avant qu'il parle.
J'ai laissé, pour ne pas hacher la citation, l'amalgame Brossolette-Moulin_ C'est d'ailleurs, on va le voir, un amalgame auquel je crois - mais nous y reviendrons tout à l'heure. Pour l'instant, restons-en à Brossolette.
Car ne s'exprimait pas sans doute non plus à tort et à travers, ce conseiller municipal de Paris, qui était à Londres pendant la guerre, et qui, entre quatre-z-yeux, affirmait littéralement ceci: « Brossolette, Yeo Thomas, Jean Moulin, ont été donnés de Londres en même temps
En tout cas, pour ce qui concerne Pierre Brossolette, le donneur peut être content. Puisqu'il vit toujours, je lui apprendrai ce détail, qu'il ne connaît sans doute pas, et qui ne pourra que lui prouver la parfaite réussite de son œuvre : lorsque Brossolette, détenu dans les locaux de la Gestapo, eut réussi, profitant d'une inadvertance de ses gardiens, à se précipiter par la fenêtre du cinquième étage, il ne mourut pas en s'écrasant au sol. On ramassa son corps brisé, et on le transporta à l'hôpital Lariboisière, où il fut simplement mis à part, et laissé à son sort, les Allemands ayant compris que, dans l'état où il était, ils ne pourraient plus rien tirer de lui.
Cependant, dans sa chute, le ventre de Brossolette avait éclaté comme une grenade trop mûre, et il mit quarante-huit heures à agoniser, les tripes au jour, comme un malheureux animal abandonné.
L'horreur que cette fin nous procure ne doit pas nous faire oublier d'y réfléchir. Nous devons nous rappeler deux choses dont j'ai déjà parlé : cette lettre de Brossolette à de Gaulle, dans laquelle le journaliste socialiste élevait des critiques, fort pertinentes, certes, et d'ailleurs fort respectueuses, mais qui n'en avaient pas moins du piquer au vif le fou d'orgueil à qui elles étaient adressées; - et, d'autre part, lorsque Brossolette partit pour sa dernière mission, cette prédiction quasi amusée que lui fit de Gaulle, et selon laquelle il n'en reviendrait pas.
Ainsi, Brossolette avait commis le crime de lèse-majesté (et souvenons-nous que Bastien-Thiry fut fusillé pour une histoire de bretelles). D'autre part, esprit libre et tempérament fort, il était loin d'être exclu qu'il pût devenir, dès la libération acquise, un opposant dangereux.
Pareillement deux fois coupable, moi je ne serais pas étonné, en effet, qu'il ait été condamné à mort.
Surtout si l'on se souvient du peu de prix - que mille exemples attestent -, du peu de prix que de Gaulle attachait à la vie des autres. Spécialement quand ces autres le gênaient en quoi que ce soit.
Un autre exemple de refus, dont fut cette fois victime un de mes correspondants qui habite dans les Alpes. Il est vrai que cet ancien combattant était affecté d'un vice rhédibitoire, ayant été le témoin direct, comme il me l'écrit, de certain événement:
« Je fus, le 2 août 1916, le témoin, étant du même secteur, de la désertion de de Gaulle qui, un torchon au bout d'une baïonnette, se rendit seul à un officier bavarois qui, d'ailleurs, le relata récemment. Il est à noter que ce 2 août où il était arrivé sur les pentes de Douaimont à 5 heures du matin, il se rendit à midi, sans que l'on ait connu ce jour-là une sérieuse offensive allemande, dont tout l'effort s'était porté sur la rive gauche, au bois de Malancourt. »
Au moment de remettre ce livre à l'imprimeur, un haut magistrat, qui fut l'ami du général Frère, me fait parvenir ce souvenir, qui mérite assurément de figurer dans notre florilège :
« Le général Frère m'a dit que M. de Gaulle ayant publié son ouvrage « Vers l'armée de métier », qui reproduisait l'enseignement de l'Ecole des chars de Versailles, quand lui, le général Frère, la commandait - a, avant la guerre, fait traduire son ouvrage en allemand, et vendre en Allemagne par une maison d'édition allemande.
Et j'entends encore les paroles du général Frère, que j'ai gardées intactes dans ma mémoire : Que penser d'un officier français qui fait traduire en allemand, et publier en Allemagne, un ouvrage révélant l'enseignement d'une école militaire française ?
Le général Frère est mort, le général Duffieux, ancien directeur de l'Infanterie, est mort, mais ma mémoire est fidèle... »

André Figueras FAUX RÉSISTANTS ET VRAIS COQUINS 1974

dimanche 13 juillet 2008

DE GAULLE et les déserteurs du Viet Minh

• De Gaulle et ses affidés ont joué un rôle capital dans le rapatriement et l'amnistie des déserteurs français en direction du Viet Minh et des différents collaborateurs de Hô Chi Minh.
Dès 1962, des discussions se sont ouvertes entre fonctionnaires nord-vietnamiens et la délégation générale française.
L'amnistie arrive. Un accord est signé entre les Vietnamiens du Nord et le gouvernement Pompidou.
Le 23 novembre 1962. quarante Français avec leurs femmes, leurs enfants, se retrouvent sur l'aéroport de Hanoï. Un avion de la Croix-Rouge va les rapatrier (cette Croix-Rouge mal vue des Saoudiens). Boudarel, comme nous l'avons raconté dans notre précédent numéro, ne fait pas partie de cette tournée. Il aura droit à des égards spéciaux.
Un de ces rapatriés sera - avec d'autres - jugé par un tribunal militaire français. Il s'appelle Robert Vignon. Il est soutenu par le Secours Populaire français, une filiale du parti communiste. et défendu par Me Noël. qui est plutôt de droite,Vignon est condamné à cinq ans de réclusion.
Il est scandalisé par ce verdict. Allons ! Allons ! On se calme, on se calme... Le Secours Populaire mène campagne pour lui. L'Huma vole à son secours. Pierre Messmer, ministre e la Défense nationale émet un avis favorable le 16 juin 1964 désavouant implicitement le verdict d'un tribunal d'officiers. Le ministre des Armées va beaucoup plus loin que le gouvernement de la IVe République à l'égard d'Henri Martin (saboteur communiste) et suspend la peine de Vignon, cinq mois seulement après le verdict.
Communistes, gaullistes, même combat ? Au fait, c'est bien le général De Gaulle qui a amnistié, en 1944, Maurice Thorez ? Non ?
En tout cas, pour Vignon, l'horizon s'éclaircit. Il devient un syndicaliste actif dans les aciéries. « Un militant ouvrier important de sa fédération communiste. II a renoué la boucle: F. T. P., Can-bô , syndicaliste. C'est la continuation d'une même idée : la lutte ». (1)
Quelques années plus tôt. Bastien-Thiry, Dovecar, Piegts et Roger Degueldre ont été fusillés. Des centaines de combatants de l'OAS ont été condamnés à de lourdes peines.
Si cette comparaison entre le sort réservé par le régime gaulliste aux combattants de l'Algérie française et celui des traîtres communistes ne vous donne pas envie de « gerber », c'est que vous avez certainement un bon vaccin. Dites-nous lequel.
(1) Jacques Doyon. Les soldats blancs de Hô Chi Minh. P 475. Fayard, éd.
National Hebdo 1991

vendredi 11 juillet 2008

De saint Paul à Léon XIII

Comment l'Église s'est opposée à l'esclavage
Faudra-t-il une fois encore faire repentance et battre sa coulpe sur la poitrine des anciens? Inévitablement, la question se pose dès que l'esclavage repointe son nez au rythme des revendications ou des séances de pose mémorielle. Dans la ligne de mire : l'Église catholique. Petite balade au pas de charge dans une histoire complexe.
Pour le sanctuaire laïc, le président Sarkozy a tranché : c'est oui ! Désormais, le 23 mai sera « une journée commémorative » de l'abolition de l'esclavage. « La traite des Noirs, l'esclavage ainsi que leur abolition » devraient aussi être inscrit dans les programmes de l'enseignement primaire dès la prochaine rentrée scolaire. Pas difficile : ils l'étaient déjà ! Les petites têtes de toutes les couleurs auront leur séance de catéchisme républicain obligatoire plutôt deux fois qu'une. Mais l'Église catholique ? Certains aimeraient bien qu'elle se couvre la tête de cendres et que ses prélats, revêtus d'un sac, descendent dans la rue pour expier les péchés passés. Dans un monde qui ne croit plus à rien, ni au Bien, ni au Mal, pas même à l'Église comme institution, la revendication a un puissant goût de paradoxe.
Un petit pas pour Onésime, un grand pas pour l'humanité
Fait presque aussi vieux que l'homme, l'esclavage était une pratique courante dans l'Empire romain au moment où les apôtres y prêchaient l'Evangile de Jésus-Christ. On ne trouve pas trace dans les premiers écrits chrétiens d'un appel à la révolte ou à la libération des esclaves. Dommage pour la version marxiste révisée 1968 façon Katmandou, qui voyait en Jésus-Christ une préfiguration de Che Guevara.
Saint Paul, lui, aborde le problème de front. C'est le premier ! S'il intervient, c'est d'abord en faveur d'un certain Onésime, esclave, qui finira d'ailleurs évêque, un détail que l'on omet généralement de souligner. Les spécialistes s'interrogent encore pour savoir si Onésime s'est échappé pour se réfugier auprès de Paul ou s'il a été envoyé par son maître pour l'aider dans sa prison. Au fond, peu importe.
Toujours, est-il que Paul de Tarse renvoie l'esclave et demande à son maître de l'accueillir « non plus comme un esclave, bien mieux qu'un esclave, comme un frère très cher ». Derrière cette phrase, Paul pose le principe de l'égalité foncière des hommes. Mais attention : devant Dieu ! L'apôtre ne porte pas le bonnet phrygien, il ne remet pas en cause les structures sociales, ni le droit qui régit la société. Il ne dénonce pas directement l'esclavage, mais appelle à un renversement intérieur où maître et esclave se considèrent désormais comme membres d'une même famille. Un petit pas pour Onésime, un grand pas pour l'humanité.
La position de saint Paul au sein du christianisme fait que sa perception de l'esclavage va fonder la position de l'Église. De manière paradoxale, Paul renverse même les positions. Chaque chrétien doit se considérer comme un « esclave du Christ » qu'il soit un homme libre ou de statut servile. Mais cet esclavage rompt avec celui de l'ancienne alliance pour ouvrir les portes à la vraie liberté. C'est tout le thème de ses attaques contre les judaïsants.
Cette vision va se traduire très rapidement dans les faits. C'est le plus étonnant, d'ailleurs ! Si, au moment des persécutions anti-chrétiennes, nombre d'esclaves dénoncent leurs maîtres devenus des adeptes de la nouvelle religion, d'autres iront à la mort avec eux. C'est le cas de Perpétue (la maîtresse) et Félicité (l'esclave) qui meurent ensemble. Face à la mort, elles s'entraident et subissent le même sort. Elles sont mises à nu - condition réservée habituellement aux esclaves -, enfermées dans un filet pour être livrées à une vache en furie.
Pourtant, si l'Église les reconnaît toutes les deux comme martyres, elle ne dénonce pas à cette occasion l'esclavage. Cependant, le cas de Félicité, épouse de Révocarus, un autre esclave, montre que par rapport à l'État, l'Église a déjà progressé sur cette question. Elle reconnaît aux esclaves le droit au mariage comme pour tout citoyen.
Jusqu'à la paix de Constantin, en 332, l'Église subit le sort commun et vit dans une société dans laquelle l'esclavage est profondément ancré. Dès lors qu'elle va monter en puissance, il va tendre à disparaître. Mais lentement, très lentement. Il y a comme une volonté de ne pas bousculer trop vite l'édifice social. Il faut dire que d'autres problèmes agitent aussi l'époque. Les hérésies, par exemple, qui obligent les théologiens à mieux définir la foi de l'Église. Les invasions des barbares, aussi, qui ne se gênent pas pour récolter abondamment des bras pour le travail et des plaisirs plus sensuels. Des invasions qui durent jusqu'au Haut Moyen Âge, quand les hommes du Nord n'hésitent pas à venir faire leur marché sur le continent.
Mais cette époque est aussi celle d'une profonde mutation. Peu à peu, le servage remplace l'esclavage, même si ce ne sont pas forcément des anciens esclaves qui deviennent les nouveaux serfs. La différence entre les deux ? Le serf jouit d'une véritable personnalité juridique. Il peut contracter mariage, faire appel à la justice et témoigner, posséder et vendre des biens. S'il dépend d'un seigneur, c'est par le biais d'un contrat qui engage les deux parties. C'est une réforme ? Non, sire, c'est une révolution.
Le deuxième concile de Lyon excommunie les négriers
Pour en arriver là, il a fallu que l'Église intervienne. Le deuxième concile de Lyon (567-570) utilise L'arme de l'excommunication. Ceux qui réduisent en captivité, par traîtrise ou trahison, « des âmes qui vivaient tranquilles depuis longtemps sans aucune mise en question de leur condition » sont exclus de l'Église. En Chrétienté, c'est la mort sociale assurée. Le concile de Châlon (647-653) renforce les choses, en interdisant la vente des captifs hors des frontières du royaume des Francs. L'Église échoue cependant sur un point : le commerce des esclaves païens. Ils sont acheminés vers le monde musulman, le plus souvent par le biais de marchand juifs.
Plus concrètement, l'esclavage fait place au servage par le biais de l'affranchissement. En 632, le bon saint Eloi - celui de la chanson - dote l'abbaye de Solignac d'une centaine d'esclaves. Et les affranchit. Il ne peut en libérer davantage puisque le droit romain, toujours en vigueur, le lui interdit. Pourtant, l'Église tique. Deux conciles interviennent pour s'opposer aux affranchissements : celui d'Epaone en 517 et celui de Clichy, en 626. La raison ? Incompréhensible pour des oreilles modernes. Affranchir des esclaves, c'est, selon le droit de l'époque, diminuer le patrimoine ecclésiastique appartenant toujours à l'État, l'Église n'en ayant que la jouissance. La solution sera trouvée lors du concile d'Orléans (541) et du concile de Tolède (633) : les affranchis doivent rester au service de l'Église ou sous son patronage.
Peu à peu donc, la pratique d'une même religion par les esclaves et les maîtres modifie sensiblement la situation, au point de faire naître le servage. L'Église a-telle condamné l'esclavage ? Pas vraiment. Elle a agi, en modifiant, au coup par coup, des situations précises.
La question se pose à nouveau avec force avec la découverte de l'Amérique. Les Indiens ont-ils une âme ? Pour Bartholomé de Las Casas, la réponse ne fait aucun doute. C'est oui ! Et il en tire les conséquences pratiques quand il assiste à des massacres d'indiens : ces derniers doivent être libres et chrétiens. La solution ? Celle qu'il propose est à l'origine de bien des polémiques. Aux Indiens, il préconise de substituer des Noirs. Pour sauver les uns, il sacrifie les autres ...
Dans son ouvrage, L'Église au risque de l'histoire, préfacé par Pierre Chaunu(1), l'historien Jean Dumont tente une approche équilibrée de cette question : « Les Espagnols, ne pouvant utiliser suffisamment la main-d'oeuvre indienne trop affaiblie et surtout trop protégée, eurent recours, approuvés initialement et imités en cela par las Casas lui-même, à l'importation d'esclaves noirs. Or, fait intéressant, ils se montrèrent, en cela encore, très modérés : cette autre forme de génocide fut beaucoup moins leur fait que celui de leurs contemporains anglo-saxons, portugais ou français. En témoigne toujours la constatation que l'Amérique espagnole reste très majoritairement indienne aujourd'hui. »
Concernant la traite des Noirs, la position de l'Église va évoluer. En 1454, le pape Nicolas V légalise la traite. Un siècle plus tard, la bulle Sublimis Deus (1537) de Paul III rééquilibre la donne, en rappelant que chrétiens et non chrétiens jouissent des mêmes droits fondamentaux. Devant le développement de la traite, Grégoire XV, en 1622, fonde la Congrégation de la propagation de la foi. Elle met en cause l'esclavage pratiqué par les missionnaires, mais ne s'attaque aux abus qu'à partir de 1820. Il faut attendre jusqu'au XIXe siêcle pour que l'esclavage des Noirs soit dénoncé. On avait oublié, semble-t-il, de lire avec attention le traité Servi liberiDes esclaves libres ») du père Epiphane de Moirans qui date du XVIIe siècle. Voilà ce que c'est que d'écrire en latin ...
Si le traité Servi liberi du XVIIe siècle avait été plus lu ...
En 1839, le magistère de l'Église tranche la question avec l'encyclique In Supremo Apostolatus de Grégoire XVI. Il dénonce avec fermeté la traite des Noirs entre l'Afrique et l'Amérique ainsi que les mauvais traitements. Il est interdit aux clercs de justifier le commerce négrier et encore plus d'y participer. Quand le Brésil abolit l'esclavage à son tour, en 1888, le pape Léon XIII salut l'évènement dans l'encyclique In Plurimis. Il va même plus loin puisqu'il condamne ceux qui, dans le passé, n'ont pas tenu compte « de la communauté de nature, de la dignité humaine, de l'image divine imprimée dans l'homme ».
Condamne-t-il ainsi le passé de l'Église ? Ce serait mal connaître, et Léon XIII, et la réalité historique. Depuis leur apparition sur la grande scène de l'histoire, les chrétiens ont été confrontés à l'esclavage. D'abord en l'étant eux-mêmes, puis en cherchant, derrière saint Paul, à modifier lentement la situation. L'irruption de la modernité touche l'Église elle-même qui va parfois jeter un voile pudique sur cette situation.
Et les chrétiens ? Si certains défendent les esclaves et travaillent à leur émancipation, d'autres profitent largement de la situation. De son côté, l'Église, siècle après siècle, travaille globalement les esprits pour les préparer à l'émancipation. Même les athées les plus convaincus seront finalement, à leur corps défendant, les héritiers de saint Paul qui voit dans l'esclave un « frère ». On vous le disait : un petit pas pour Onésime, un grand pas pour l'humanité.
(1). Éditions de Paris, 2002.
Romain Bénédicte Le Choc du Mois Juin 2008

vendredi 4 juillet 2008

LA DROITE ET LE FASCISME

Lors même que les deux grandes familles totalitaires du XXième siècle, le fascisme et le communisme, sont issues d'un même tronc socialiste, depuis 1945, grâce à ses relais dans la presse, l'édition et l'université, la gauche a réussi à accréditer l'existence d'un risque majeur : le retour de l'hydre fasciste-venu-de-la-droite. Cette mise en scène politique donne à la gauche une remarquable immunité idéologique. Il est temps de rétablir la vérité, d'un point de vue historique et scientifique, pour en finir avec les mensonges de nos adversaires.
Incontestablement, la gauche profite d'un paradoxe : alors même qu'elle a donné naissance au fascisme, elle a également enfanté le mythe antifasciste.
Les origines de gauche du fascisme sont absolument incontestables. Différents types d'analyses, historiques et philosophiques, émanant d'auteurs incontestables, de droite comme de gauche, convergent sur ce point.
Examinons tout d'abord la synthèse idéologique qui a donné naissance au fascisme.
Selon l'historien Zeev Sternhell (1), le fascisme est né de l'évolution d'une fraction du marxisme et du syndicalisme révolutionnaire entre 1880 et 1914. Certains intellectuels révolutionnaires, tels Hubert Lagardelle en France ou Arturo Labriola en Italie constatent en effet que le prolétariat européen, loin de s'appauvrir, s'enrichit, et menace de s'intégrer à la société bourgeoise, perdant toutes ses vertus révolutionnaires. De la même façon, ils observent le patriotisme profond des masses ouvrières lors de l'union sacrée en 1914. Toujours très hostiles au capitalisme, influencés par le théoricien de la violence révolutionnaire Georges Sorel (2), mais ayant pris acte de ce que la nation est un moteur plus puissant que la classe sociale, ces hommes vont substituer la nation au prolétariat comme force révolutionnaire. Ils font alors évoluer une partie de la réflexion socialiste vers un socialisme national animé par une éthique de la violence rédemptrice.
C'est ce complexe idéologique qui, après 1918, formera la vision du monde fasciste, en Italie comme en Allemagne.
Ainsi, le fondateur du fascisme italien, Mussolini, fut d'abord un chef du parti socialiste italien, directeur de l'Avanti, l'organe officiel du parti. En France, les seuls chefs authentiquement fascistes, Valois, Doriot et Déat, furent, le premier un théoricien d'extrême gauche, le second un des responsables du parti communiste, le troisième, un député socialiste successeur présumé de Léon Blum à la tête de la SFIO. Le moins connu d'entre eux, Valois, finira dans les eaux de la SFIO, après avoir fondé le Faisceau, petit parti fasciste français. Pour lui, le fascisme et le marxisme sont deux « variétés du socialisme »(3). En Allemagne, de nombreux communistes furent séduits par les propositions sociales du parti national-socialiste des travailleurs allemands (NSDAP). La vérité historique est évidente: le fascisme a pu séduire, çà et là, quelques hommes de droite. Il n'en reste pas moins fondamentalement issu de l'extrême gauche.
L'étude du projet philosophico-politique des fascistes éclaire encore la lanterne de l'honnête homme. Le fascisme partage avec le socialisme le culte de l'Etat, qui doit entièrement régenter la vie sociale et la croyance dans les vertus de l'économie dirigée. L'influence de l'économiste de gauche Keynes sur la politique de grands travaux du régime fasciste puis sur la politique économique du docteur Schacht en Allemagne, est ainsi très sensible. Le philosophe Friedrich Hayek, dans La route de la servitude (4), consacre d'ailleurs un chapitre entier aux « racines socialistes du nazisme ». En outre, comme le communisme, le fascisme valorise le peuple contre le « bourgeois », le groupe contre la personne. Selon Hannah Arendt (5), cette préférence pour le Tout social contre le particulier est un des éléments constitutifs du totalitarisme.
S'il est piquant de constater que le fascisme vient de la gauche, il faut également voir que le mythe antifasciste en est également issu !
Ce sont les instances dirigeantes de la IIIe Internationale (communiste) qui, dès le début des années 20, ont opéré un amalgame éhonté entre « la droite » et le fascisme, tendant à faire croire que le fascisme était de droite, et la droite plus ou moins « fascisante ».
Dès les années 30, l'antifascisme est devenu un ferment de l'unité de la gauche européenne, traumatisée par les divisions du mouvement ouvrier allemand face à la montée d'Hitler. En France, l'antifascisme fut en 1935-1936 le moteur du Front Populaire, alors qu'il n'y avait aucun mouvement fasciste français important. Ainsi, le fascisme devint un mythe, « un ensemble lié d'images motrices », c'est-à-dire une construction irréelle de l'esprit remplissant certaines fonctions (l'unité de la gauche). L'épouvantail fasciste fut encore agité par Mitterrand en 1988 et Chirac en 2001, lorsque pour les besoins de leur cause, ils ont fascisé Jean-Marie Le Pen, quasiment transformé, par le jeu du mythe, en fils illégitime des amours contre nature d'Hitler et de Pétain.
On est là, bien sûr, au cœur d'un processus irrationnel.

La droite nationale contre le fascisme
D'un point de vue historique comme idéologique, la droite nationale apparaît en effet comme le principal ennemi du fascisme.
Non seulement le fascisme n'a pas été engendré par la « droite », mais durant l'entre-deux-guerres, il n'a pu se développer que là où elle était trop faible pour lui faire obstacle. En France par exemple, où de l'avis même d'un ex-sénateur socialiste, Philippe Machefer (6), les ligues patriotiques ne peuvent être assimilées au fascisme, la ligue des Croix de Feu a empêché l'émergence et le triomphe d'un grand parti fasciste d'imitation allemande ou italienne. Tout sépare en effet le christianisme social et patriotique du mouvement du colonel (et futur résistant) de la Rocque du socialisme national et européen d'un Déat ou d'un Doriot.
Z. Sternhell insiste longuement sur « la longue lutte entre la droite et le fascisme » (7). Il oppose Franco, représentant de la droite autoritaire et conservatrice, à José Antonio, Mussolini au roi Victor-Emmanuel, Déat à Pétain. De même, en Roumanie ou en Hongrie, c'est la droite elle-même qui a procédé à la « liquidation », partois sanglante, des partis fascistes.
Que les fascistes, violemment anti-marxistes, aient parfois cherché l'alliance avec la droite nationale et conservatrice ne prouve rien du tout, puisque de la même façon, par antifascisme, les partis marxistes se sont alliés à des éléments très libéraux ( parti radical en France, centre gauche en Espagne ... ). Il est donc aussi absurde de contester le caractère socialiste du fascisme en raison de ses alliances à droite qu'il le serait de contester l'authenticité marxiste de la LCR sous prétexte qu'elle a appelé à voter Chirac en 2002.
A la vérité, tout sépare la droite nationale du fascisme. La conception de la nation, tout d'abord. Vers 1940, le fascisme constitue sans doute, avec le communisme, la seule idéologie à la fois révolutionnaire et internationaliste : avec l'essor de la SS, multinationale et européiste, le critère racial supplante le critère national au sein du fascisme. Le fossé qui sépare les fascistes, révolutionnaires et intemationalistes européens, des hommes de droite nationale, attachés aux traditions et nationalistes authentiques, est alors patent.
De la même façon, la conception de l'Etat est radicalement différente. Pour un fasciste, l'Etat est un but en soi. Il incarne et personnifie le peuple ou la race. Le fascisme confond donc délibérément l'Etat et le groupe humain auquel il se réfère, au lieu de voir dans l'Etat un simple outil au service de la nation, chargé d'en garantir la sécurité et d'en maintenir la cohésion, vision qui est celle de toutes les droites nationales du monde.
Enfin, les conceptions de l'homme se différencient nettement : à rebours de la construction d'un homme nouveau, projet propre à tous les totalitarismes dont le fascisme, la droite nationale ne rêve que de préserver l'homme éternel, enraciné dans les traditions et dans les disciplines morales et culturelles qui ont fait leurs preuves au cours des siècles.
Voilà quelques vérités qu'il fallait rappeler. Le débat est lancé. Que ceux qui, à gauche et à droite, veulent en débattre se manifestent.
(1) Zeev Sternhell, Ni droite, ni gauche - L'idéologie fasciste en France, ed. Seuil, coll. Point, 1983.
(2) Georges Sorel, Réflexions sur la violence, 1908.
(3) Voir Zeev Sternhell, p : 244 .
(4) Friedrich Hayek, La route de la servitude, Librairie de Medicis, 1945.
(5) Hannah Arendt, Origines du totalitarisme, 3e partie, le Système totalitaire, coll. Point. Ed. Seuil.
(6) P. Machefer Ligues et fascismes en France, PUF, 1974.
(7) Zeev Sternhell, ibid. P. 20.
National Hebdo du 6 au 12 juin 2002

mercredi 2 juillet 2008

Quand Stavisky se servait de la République radicale

Sous la Ve République finissante, un scandale chasse l'autre, de l'Elysée aux associations humanitaires. On a peine aujourd'hui à comprendre l'énorme vague d'indignation populaire qui s'empara des Français à la fin de 1933 lorsque furent connues les protections dont jouissait un escroc mondain nommé Stavisky. Les historiens contemporain s'indignent plus de la réprobation populaire d'alors que de la décomposition de la classe politique au pouvoir, attestée par cette affaire à la fois sordide et dramatique. On y trouve tous les ingrédients des scandales précédents, et des éléments dignes des faits les plus récents.

L'affaire Stavisky n'a pas surgi comme un coup de tonnerre dans un ciel serein. Elle avait été précédée de deux autres scandales qui marquèrent les annales, ceux de Marthe Hanau ("la banquière") et d'Albert Oustric, éclatés respectivement en 1928 et 1930, Deux fois de suite, de nombreux épargnants furent ruinés, victimes de manipulations médiatiques (La Gazette du Franc de Mme Hanau), et de la complicité de hauts fonctionnaires avec des escrocs. La banque d'Oustric n'aurait jamais dû, par exemple, pouvoir fonctionner, ne remplissant pas les conditions requises. Marthe Hanau, à l'automne 1930, fut condamnée au minimum, deux ans de prison, mais elle commit l'erreur de faire appel. Or, elle fut rejugée en juillet 1934, en plein dans les séquelles de l'affaire Stavisky, et la justice lui infligea cette fois trois ans. Elle se suicida à la prison de Fresnes par le poison, bizarrement alors qu'elle allait être libérée, en juillet 1937. Albert Oustric, lui, écopa d'une année de détention début 1933 pour l'aspect financier de ses agissements, et fut acquitté en cour d'assises en mai de la même année pour corruption de fonctionnaires, Une conclusion judiciaire qui troubla l'opinion, tant les faits étaient avérés. Jamais deux sans trois, voici que fin 1933 l'affairiste Stavisky défraie la chronique.

De l'escroquerie à la crise politique
D'emblée, on est frappé que ces dernières années, des films aient pu être diffusés avec un battage médiatique maximal, à la gloire aussi bien de la "banquière" que de Stavisky, présentés comme fort sympathiques et plutôt victimes. L'exposé des faits ne procure pas du tout cette impression. Alexandre "Sacha" Stavisky, né dans une famille juive ukrainienne naturalisée française en 1900, est connu depuis sa condamnation en 1912, pour avoir loué le théâtre parisien Marigny, et avoir offert ensuite des places, moyennant cautions, pour des postes d'administrateurs, de techniciens, et même d'ouvreuses. Il dépensa l'argent, et les gogos se retrouvèrent débarrassés de leurs illusions. En 1933, il a 47 ans, et mène un train de vie fastueux avec sa femme Arlette, ex-mannequin de chez Chanel. D'abord spécialisé dans l'exploitation de la naïveté féminine, il noue des relations intéressantes au cours de nuits parisiennes, et dans les cercles de jeux. Il passe aux chèques maquillés, et plume des agents de change pour des millions, Arrêté en 1926, il devient le roi du report de procès, dix-neuf en tout, un record. La justice multiplie les faveurs et les erreurs à son bénéfice. Pourquoi ?
Là commence l'affaire. "Monsieur Alexandre" a pris dans l'entourage d'un ex-ministre radical de la Justice des avocats qu'il paye grassement. Il crée des sociétés où il offre des postes d'administrateurs très bien rétribués à tel ancien préfet de police ou inspecteur des Finances. Surtout, il jouit de la sympathie active de Camille Chautemps, un radical plusieurs fois président du Conseil des ministres, et qui le sera précisément fin 1933. Chautemps, qui n'est pas rien dans la franc-maçonnerie, a un frère avocat, qui a défendu Stavisky pour l'un de ses méfaits, et un beau-frère procureur de la République, Pressard, à l'origine de plusieurs "reports" et remises en faveur de l'escroc. Par ailleurs, certains policiers de haut rang et de sympathies radicales étouffent les fiches de renseignements et détournent les dossiers concernant Monsieur Alexandre. Et un important magistrat, Albert Prince, chef de la section financière du Parquet de la Seine, intervient aux moments critiques pour écarter les foudres de la loi de la tête de Stavisky.
Dans ce contexte sortent au printemps 1933 des articles d'organes nationaux sur "Sacha", « ce financier véreux escorté de politiciens affamés et de policiers sans vergogne payés sur la caisse des escroqueries ». A l'été, les attaques deviennent très précises : il est question de crédits municipaux, les monts de piété qui prêtent de l'argent aux personnes en difficultés sur des objets confiés en gages. Stavisky a monté une combine diabolique. Il s'est fait remettre des millions pour de fausses émeraudes par le Crédit municipal d'Orléans. Et il a lancé des bons de caisse sur la valeur des objets en dépôts, bons remis à des banques et des compagnies d'assurances, pour une valeur décuplée. Une inspection menace de tout faire s'écrouler. Tout s'arrange à coups de millions, issus de la même magouille, cette fois sur le Crédit municipal de Bayonne, dont le député-maire radical, Joseph Garat, ne jure que par l'escroc, Banques et assurances s'arrachent les bons de caisse illusoires, car le ministre radical du Travail, Dalimier, a envoyé aux instituts financiers une lettre officielle recommandant ce placement. Parallèlement, des journaux à la solde de Stavisky les encensent.
Mais Le Journal de la Bourse, à l'été, met en cause le système, et une carambouille sur des fonds hongrois, montée par Monsieur Alexandre, par sa trop grande grossièreté, contraint le ministère des Finances à en refuser l'homologation. Malgré des blocages officiels nombreux, une inspection à Bayonne finit par aboutir le 21 décembre 1933. Il y a pour 180 millions de faux bons, et pas un franc en caisse, Le 23, un complice de Stavisky est arrêté, et passe aux aveux. La nuit même, l'escroc prend la fuite. L'enquête policière est freinée par des "ripoux". Enfin, le 29 décembre, toute la presse titre sur « l'affaire Stavisky ».

Des morts providentielles
Alors, la tempête se déchaine. Début janvier, le député Garat est arrêté. Stavisky est repéré dans un chalet de Chamonix et, au moment où il va être arrêté, le 8 janvier 1934, il se suicide. Telle est la version des autorités. Le doute plane toujours. En tout cas, il ne peut plus parler. Deux directeurs de journaux sont emprisonnés pour complicité avec lui, et le ministre radical Dalimier, maintenant chargé des Colonies, doit démissionner. Des manifestations quotidiennes d'étudiants, puis d'épargnants et d'anciens combattants, ont lieu à Paris, pour dénoncer la pourriture du système. Le député de droite nationale Ybarnegaray interpelle à la Chambre, Chautemps, chef du gouvernement, le 12 janvier: « Qu'une pauvre femme vole un pain, elle sentira la poigne de la loi. Pour Stavisky, loi muette, juges sourds.» Tout est dit. Les Français de l'époque ne peuvent l'admettre. La morale qui s'impose à eux n'admet pas les compromissions de politiques, de magistrats, de certains policiers, avec un escroc. Le ministre de la Justice Raynaldy, accusé par le député de la Gironde Philippe Henriot, doit démissionner. Tout le cabinet Chautemps suit. Le ministère Daladier le remplace le 31 janvier. Il opère des changements dans la haute administration, qui frappe surtout ceux qui ont dénoncé les compromissions, tout en sauvant la mise aux amis de Stavisky, comme pour Pressard, le beau-frère de Chautemps, recasé à la Cour de cassation, Des "remerciés", dont le préfet de police Chiappe, refusent les postes de consolation offerts, et comme le radical Daladier refuse la nomination d'une commission d'enquête sur le réseau Stavisky, Fabri et Pietri, les deux seuls ministres de droite, ainsi qu'un indépendant, Doussain, démissionnent aussitôt. Là-dessus, ce sont les manifestations de protestation populaire du 6 février, et le massacre de patriotes qui s'en suit. Communistes, socialistes et radicaux, crient au "coup d'Etat", ce qui est dénué de tout fondement. Une crise politique majeure survient. L'affaire semble finie.
Pourtant, le 20 février 1934, elle rebondit. Le conseiller Prince, qui a joué un rôle trouble en faveur de Monsieur Alexandre, aurait beaucoup à dire. Il ne parlera pas, "suicidé" lui aussi, sur la voie ferrée à la Combe-aux-Fées près de Dijon. L'inspecteur principal Bonny, qui enquêtait alors, déclarera en décembre 1944, juste avant son exécution pour collaboration (il n'avait plus rien à perdre) que le magistrat Prince en savait trop et qu'il a été assassiné. Bien d'autres épisodes se greffent autour de la liquidation du réseau Stavisky. On retiendra de l'affaire les constantes du genre : comme pour celle du Panama, les principaux protagonistes meurent opportunément, quand ils risquent de mettre en cause des politiciens corrompus. On reverra d'autres "suicides" sous la Ve (ainsi dans le dossier de la Tour BP à la Défense). Les politiciens compromis, à l'instar de Daniel Wilson, le trafiquant de décorations gendre du président Wilson, s'en sortent toujours : ils se font réélire sans problème, leur carrière continue (cas de Chautemps, par exemple). L'affaire Stavisky marque néanmoins un tournant : ce sera la dernière fois où de braves gens indignés clameront leur indignation dans la rue. Le 6 février 1934, ils l'ont payé par plus de vingt tués par balles, et de 1.400 blessés.
Alexandre Martin, National Hebdo du 28 août au 3 septembre 2003.