mercredi 31 août 2011

Pierre-Joseph Proudhon aurait 200 ans

Maurras a loué les lumières de Proudhon sur la démocratie et sur le libéralisme. Un anarchiste qui n'était pas un homme de désordre, et qui, sans être un maître en politique, mérite d'être relu en ces temps de crise : il semble parler pour notre temps en évoquant la « régularisation » de l'économie par le droit…
Il y a deux cents ans ce 15 janvier naissait à Besançon Pierre-Joseph Proudhon. On s'est trop souvent contenté de retenir de lui sa phrase à l'emporte-pièce : « La propriété c'est le vol » et de le classer parmi les socialistes. C'est oublier que ce penseur se qualifiant lui-même d'« anarchiste » et qui l'était, n'a jamais rejoint quelque doctrine que ce fût, se laissant seulement séduire par certaines vérités qu'il entrevoyait. Maurras dans La Démocratie religieuse l'opposait à Jean-Jacques Rousseau, « vagabond genevois sans feu ni lieu, sans cœur ni vertu » ; Proudhon, lui, était « ce robuste Franc-Comtois, puissamment établi sur sa race, sur sa famille, sur son foyer, fidèle époux, père rigide, aussi incorruptible et probe à l'état de travailleur que de débiteur, riche des vieilles qualités héritées qui expliquent son profond malaise dans ses erreurs et tant de brusques sauts en arrière ».
« Le socialisme n'est rien »
En fait, il ne se faisait aucune illusion sur le socialisme : « Le socialisme n'est rien, n'a jamais rien été, ne sera jamais rien. » Quant à la propriété, il ne considérait comme un « vol » que celle qui lui apparaissait comme « le droit de jouir et de disposer à son gré du bien d'autrui, du fruit de l'industrie et du travail d'autrui » (cité par Louis Salleron : Libéralisme et Socialisme).
En fait, quand, au sortir d'une jeunesse dure et laborieuse, Proudhon présenta sa thèse Qu'est-ce que la propriété ?, il ne manquait ni de talent ni d'audace ni même d'un certain sens de la provocation. Lui qui était pauvre et n'enviait nullement les richesses des autres, affectait de croire qu'au droit de propriété était lié le droit d'en abuser. En homme profondément honnête qui allait toute sa vie devoir lutter pour subsister, il se sentait le devoir de condamner dans la propriété l'intérêt et l'usure. Son impulsivité allait lui inspirer quelques ouvrages qui lui vaudraient d'être assigné en justice, mais à l'âge mûr, il se détacha de tous les systèmes alors en vogue : saint-simonisme, fouriérisme, blanquisme, anarchisme, communisme.
Il venait de publier ses Contradictions économiques quand éclata la révolution de 1848. Il avait déjà réfléchi sur la révolution de 1789 et savait qu'après avoir isolé et abandonné l'ouvrier par la sinistre loi Le Chapelier de 1791 contre les associations, elle n'avait profité qu'aux bourgeoisies financières, lesquelles avaient imposé le pouvoir absolu de l'État.
Proudhon voulait en arriver au plus tôt à une réorganisation du travail. Une expérience de l'Assemblée nationale en juin 1848 sous la IIe République le dégoûta à jamais du parlementarisme : sa tiédeur à l'égard des “Ateliers nationaux” de Louis Blanc qui ne remontaient pas aux vraies causes du mal, ses propositions pour la réforme du crédit, son refus du jeu des partis n'étaient guère compris. Pierre Bécat, dans L'Anarchiste Proudhon (Nouvelles Édiions latines) le décrit ainsi en ces années-là : « Ennemi du pouvoir politique, Proudhon étale son aversion pour l'État et ses vices corrosifs : l'étatisme, assorti de la centralisation et de la bureaucratie, alors qu'il serait si simple de remédier à ces facteurs de désordre et de tyrannie, par l'entente libre entre les travailleurs. » Il se reportait alors aux traditions exemplaires de la vie féodale, « maîtrises, corporations et droit d'aînesse », qui contribuaient à développer toujours la fraternité.
Ni communisme ni libéralisme
Il rompit très tôt avec Karl Marx, lequel avait répondu à sa Philosophie de la misère par La Misère de la philosophie… Proudhon, qui ne croyait pas à la lutte des classes, entrevoyait déjà le communisme comme la pire des dictatures : « Centralisation absorbante, destruction systématique de toute pensée individuelle, corporative et locale, réputée scissionnaire, police inquisitoriale, abolition ou restriction de la famille, à plus forte raison de l'hérédité. »
Pas moins sévère avec le libéralisme, Proudhon nous semble parler pour notre temps : « Dans leur théorie de la propriété, de la concurrence, du crédit, non contents de professer une liberté illimitée que nous voulons aussi, ils font abstraction des intérêts de la collectivité, qui sont le droit ; ne comprenant pas que l'économie politique se compose de deux parties fondamentales : la description des forces et phénomènes économiques en dehors du droit, et leur régularisation par le droit. »
Anarchie ?

En somme si Proudhon con-damnait l'État, se posant ainsi en anarchiste dans le vrai sens du mot, c'est parce que l'État, à ses yeux, dans le système capitaliste, ne pouvait qu'être l'instrument des ploutocrates.
Homme de contradictions, il voulait dresser face à cette formidable puissance un contre-poids qui serait… la propriété ! « La propriété, écrivait-il dans sa Théorie de la propriété, [est] la plus grande force révolutionnaire qui existe et qui se puisse opposer au pouvoir […] Prenez la somme des forces propriétaires : vous aurez une puissance égale à celle de l'État. » Et de souhaiter même la généralisation de la propriété, apparaissant ainsi comme un précurseur du “capitalisme populaire”…
Pour remplacer l'État tyran et planificateur, une solution, la mutualité : « Des statistiques détaillées et souvent renouvelées, des informations précises sur les besoins et les existences, une décomposition loyale des prix de revient, la prévision de toutes les éventualités, la fixation entre commerçants et consommateurs, après discussion amiable, d'un taux de bénéfices en maximum et minimum selon les difficultés et les risques, l'organisation de sociétés régulatrices : tel est à peu près l'ensemble des mesures au moyen desquelles les partisans de la mutualité songent à discipliner le marché. » Tout un programme qui mérite attention. Vraiment l'anarchiste Proudhon n'était ni un destructeur ni un rêveur. Son “anarchie” était tout le contraire d'un désordre.
Proudhon et Maurras

La société selon lui reposait sur le contrat social, mais tout à l'opposé de celui dont avait rêvé Rousseau : le contrat pour être social doit relier tous les membres d'une nation dans un même intérêt. Il est « l'acte suprême par lequel chaque citoyen engage à la société son amour, son intelligence, son travail, ses services, ses produits, ses biens, en retour de l'affection, des idées, travaux, produits, services et biens de ses semblables, la mesure du droit pour chacun étant déterminée toujours par l'importance de ses apports et le recouvrement exigible au fur et à mesure des livraisons ».
Proudhon voit les choses en juriste également quand il aborde en matière régionale la question du fédéralisme, et Maurras, dans L'Idée de décentralisation, a opposé au fédéralisme contractuel les fédérations historiques réelles, comme on peut opposer au “contrat social” les organisations professionnelles à l'image des grandes libertés de l'Ancien Régime. Il n'en reste pas moins que Maurras a loué les lumières de Proudhon sur la démocratie et sur le libéralisme. Il saluait même les efforts d'anciens révolutionnaires curieux et de bonne foi qui trouvaient dans le proudhonisme de quoi « les tirer du collectivisme et les conduire à la vue exacte des conditions réelles de la vie en société ».
N'oublions pas les rapprochements entre syndicalistes et nationalistes d'Action française qui eurent lieu avant 1914, sous le nom, justement, de Cercle Proudhon, dont Maurras a dit : « Les Français qui se sont réunis pour fonder le Cercle Proudhon sont tous nationalistes. Le patron qu'ils ont choisi pour leur assemblée leur a fait rencontrer d'autres Français, qui ne sont pas nationalistes, qui ne sont pas royalistes, et qui se joignent à eux pour participer à la vie du cercle et à la rédaction des Cahiers. Le groupe initial comprend des hommes d'origines diverses, de conditions différentes, qui n'ont point d'aspirations politiques communes, et qui exposeront librement leurs vues dans les Cahiers. Mais, républicains fédéralistes, nationalistes intégraux et syndicalistes ayant résolu le problème politique ou l'éloignant de leur pensée, tous sont également passionnés par l'organisation de la cité française selon des principes empruntés à la tradition française, qu'ils retrouvent dans l'œuvre proudhonienne et dans les mouvements syndicalistes contemporains… »
Vers le roi

Comme le dit Pierre Bécat dans son ouvrage déjà cité, Proudhon met sur la voie de Maurras voulant concilier « les libertés en bas, l'autorité en haut ». Ce qui a manqué à Proudhon, c'est de comprendre que l'organisation sociale à laquelle il aspirait, si elle nécessitait le moins d'État possible, forçait à rechercher quand même « un modèle d'État indépendant des coteries et impartial, dégagé des préjugés de classes et mu par la notion de l'intérêt national, dans le respect des intérêts du travail fortement garantis ». Cet État que l'on a parfois présenté comme « l'anarchie plus un », c'est assurément la monarchie qui eut la force de faire la France sans jamais s'immiscer dans ce qui ne regardait que les Français eux-mêmes, leurs familles, leurs professions, leurs collectivités locales. Dans Calendal, Frédéric Mistral parle des Provençaux qui savaient, quand le droit était dedans, laisser le roi dehors… Ce qui ne les empêchait nullement d'aimer et de servir le roi, incarnation du bien commun.
Proudhon mourut en 1865, trois ans avant la naissance de Maurras, qui allait enfin enseigner les disciplines de l'intelligence et du cœur aux penseurs comme Proudhon, sagaces, de bonne foi, mais encore trop brouillons.

Michel Fromentoux    http://www.actionroyaliste.com/
Défenseur du dimanche
La pensée religieuse de Proudhon est difficile à définir. Sans doute a-t-il proféré contre Dieu lui-même, contre le christianisme et contre l'Église des paroles très dures, mais elles semblent plus manifester un amour déçu qu'une véritable haine. Il a d'ailleurs écrit : « L'athéisme se croit fort et intelligent, il est bête et poltron. »
Il est aussi l'auteur d'un Discours sur la célébration du dimanche : « Dans les campagnes où le peuple cède plus facilement au sentiment religieux, le dimanche conserve quelque chose de son influence sociale. L'aspect d'une population rustique réunie comme une seule famille, à la voix du pasteur, et prosternée, dans le silence et le recueillement, devant la majesté invisible de Dieu, est touchante et sublime. Le charme opère sur le cœur du paysan : le dimanche il est plus bienveillant, plus aimant, plus affable ; il est sensible à l'honneur de son village, il en est fier ; il s'identifie davantage avec l'intérêt de sa commune… »

mardi 30 août 2011

Tribalat, la démographe rebelle

Le Figaro Magazine - 20/03/2010

 Spécialiste de l'immigration, Michèle Tribalat est en froid avec son milieu professionnel. En cause, la propension de cette chercheuse à préférer les faits à l'idéologie.
 Ces « yeux grands fermés » appartiennent-ils à ceux qui ne peuvent pas voir ou à ceux qui ne veulent pas voir ? Michèle Tribalat a donné ce titre énigmatique à son livre (1), par allusion au film de Stanley Kubrick, Eyes Wide Shut (1999), dont l'intitulé l'avait marquée. Dans cette fiction, à partir d'un fantasme amoureux, les personnages naviguent entre rêve et réalité. Cet écart entre le réel et l'illusoire, Tribalat le vit à propos de son objet d'étude : l'immigration en France. Les uns déplorent qu'il y ait beaucoup d'immigrés, d'autres s'en réjouissent, mais tous réagissent subjectivement. Or, Michèle Tribalat, incriminant « l'insuffisance de l'appareil statistique français pour étudier l'immigration et les populations d'origine étrangère », voudrait que cet enjeu de société soit discuté à partir de faits vérifiés et quantifiés, et non d'impressions.
Cela fait plus de trente ans qu'elle se penche sur la question. Dans les années 70, après des études d'économétrie, elle s'oriente vers la démographie. En 1976, elle est recrutée par l'Institut national d'études démographiques (Ined), dont le conseil scientifique veut pousser la recherche sur les flux migratoires : ce sera son domaine d'activité. « Pendant longtemps, se souvient-elle, j'ai travaillé loin de tout écho médiatique. » À la fin des années 80, ayant pris la tête d'une enquête sur les comportements des immigrés et de leurs descendants, elle met en place un outil prenant en compte l'« appartenance ethnique », définie à partir de la langue maternelle, et l'« origine ethnique », fondée sur le lieu de naissance des individus et de leurs parents. Cette référence aux origines, contraire à la pratique des organismes officiels français, ne va pas sans opposition pour obtenir les renseignements nécessaires, mais la publication des résultats, en 1995, ne rencontre pas de difficultés.
Le coup de tonnerre arrive trois ans plus tard, quand Hervé Le Bras, un chercheur attaché à l'Ined, lance la charge. « La démographie française est en passe de devenir un moyen d'expression du racisme », clame-t-il dans Le Démon des origines. Dans cet essai, Le Bras accuse les méthodes de Michèle Tribalat de conduire à la notion de « Français de souche » et, partant, à la « xénophobie ». L'affaire manquera se traiter en justice et amènera l'intéressée à se justifier : une partie de l'opinion regardant comme étrangers des gens qui sont français, le critère juridique de la nationalité ne suffit pas, en science sociale, pour élaborer des remèdes aux réflexes discriminatoires. En somme, comme aux États-Unis ou dans de nombreux pays européens, les données ethniques devraient jouer un rôle dans la conception d'une politique d'accueil des migrants.
À la même époque, Michèle Tribalat publie, avec Pierre-André Taguieff, un livre destiné à contrer le Front national. Mais rien n'y fait, elle est désormais suspecte aux yeux des bien-pensants. Aujourd'hui, dénonçant « l'antiracisme idéologique (qui) structure l'expression savante et ordinaire sur l'immigration », elle ironise : « Travailler sur l'immigration, c'est partir en mission contre ceux qui pensent mal, mais aussi, pour faire bonne mesure, contre ceux qui doutent. »
Nommée au Haut Conseil à l'intégration, elle en démissionne en 2000, reprochant à cette instance de faire le jeu des islamistes. En 2002, avec Jeanne-Hélène Kaltenbach, elle fait paraître La République et l'islam, où l'action des fondamentalistes musulmans est mise en cause. « Pourrions-nous publier un tel livre maintenant ?, s'interroge-t-elle. Nous avons tellement perdu de liberté d'expression sur le sujet. Quand on pense que le livre de Christopher Caldwell (2) ne trouve pas d'éditeur en France... »
Directrice de recherche à l'Ined, Tribalat travaille chez elle, hors unité et sans budget. Autrement dit, elle est placardisée. « Mes articles ne sont même pas cités par les publications de la maison », déplore-t-elle. Avant d'ajouter, comme pour conjurer la tristesse : « Mais je vis très bien comme cela. Après la décennie que je viens de traverser, je suis de fer. »
Les Yeux grands fermés n'a rien d'un pamphlet. L'auteur donne les vrais chiffres de l'immigration, soulignant une « très forte croissance après 1996 », et considère les effets économiques et démographiques du phénomène. Ce sont des pages nourries de chiffres, un peu arides. La lecture coule mieux quand Tribalat explique comment les droits de l'homme se mettent au service d'une vision du monde où tout devrait s'ordonner aux courants migratoires, jugés inéluctables et bénéfiques par principe. Ou encore quand la démographe analyse le climat idéologique dans lequel s'élaborent les discours sur l'immigration à partir des sondages sur le racisme commandés par la Commission nationale consultative des droits de l'homme.
Mais Michèle Tribalat se veut une scientifique : il est difficile de lui tirer un commentaire qui échappe à sa spécialité. Elle n'a pas aimé le débat sur l'identité nationale, pour une raison de forme, parce qu'elle croit que ce genre d'initiative ne doit pas relever de l'État. Quant au fond, le concept d'identité ne la choque pas. Elle consent d'ailleurs à observer que le multiculturalisme a conduit à répudier le concept d'assimilation, alors que l'assimilation, précisément, « fait partie de l'identité nationale française »
(1) Les Yeux grands fermés. L'immigration en France, de Michèle Tribalat, Denoël.
(2) Paru aux États-Unis en juillet 2009, l'ouvrage du journaliste Christopher Caldwell, Reflections on the Revolution in Europe : Immigration, Islam, and the West, est consacré à la progression de l'islam en Europe et à ses conséquences sur la cohésion politique et culturelle du continent. L'auteur, rédacteur en chef du Weekly Standard et chroniqueur au Financial Times, est un libéral.

lundi 29 août 2011

1357 : Scènes de révolution


De retour à Paris, le futur Charles V trouve une ville sous la coupe d'Étienne Marcel, allié à Charles le Mauvais. Le dauphin interdira toute forme de représailles, préférant cicatriser les convulsions révolutionnaires.
Cette année-là, le dauphin Charles, duc de Normandie, futur roi Charles V, dix-neuf ans, assumait la tâche de lieutenant général et gouverneur du royaume, en l'absence de son père le roi Jean II le Bon, fait prisonnier par les Anglais le 19 septembre de l'année précédente après s'être bravement défendu à la bataille de Poitiers. Nous avons également aperçu deux démagogues qui rêvaient de profiter du malheur de la dynastie pour agiter le peuple : le roi de Navarre, comte d'Evreux, Charles le Mauvais, vingt-cinq ans, qui revendiquait le trône de France du chef de sa mère, petite- fille de Philippe le Bel, et le drapier Étienne Marcel, environ cinquante ans, prévôt des marchands de Paris et, à ce titre, nanti de pouvoirs économiques et juridiques, mais aussi militaires.
Frêle et timide
Quand le dauphin Charles était revenu de Poitiers, jeune homme frêle et timide, beaucoup se demandaient comment il pourrait s'imposer. Il avait dû affronter les États généraux, plus arrogants que jamais, qui, sous l'instigation du fourbe Robert Le Coq, évêque de Laon, avaient décidé de libérer Charles le Mauvais, que le roi Jean avait sagement fait arrêter l'année précédente. C'est alors que le dauphin, sûr au moins de l'appui des États de Normandie et du Languedoc, se rendit à Metz pour demander à son cousin l'empereur Charles IV sa médiation entre la France et l'Angleterre en vue de délivrer le roi son père. Succès diplomatique réel. Mais quand il revint (mars 1357), Paris était sous la coupe d'Étienne Marcel, véritable dictateur.
Les États, auxquels les représentants de la province se lassaient de participer, rédigèrent alors des ordonnances, puis établirent un conseil avec Marcel et Le Coq en vue de s'emparer du pouvoir exécutif. Se sentant ainsi ligoté, le dauphin partit chercher de l'aide en Normandie, mais fut bientôt rappelé à Paris par Marcel qui voulait l'amadouer. En fait, Charles le Mauvais (dont les liens avec les Anglais n'étaient pas très nets), entrait bientôt dans Paris et, dès le 30 novembre, haranguait la foule au Pré-aux-Clercs, tandis que Marcel faisait sortir de prison les condamnés de droit commun ! Le dauphin, qui se souciait, lui, d'organiser la défense de Paris contre des foules de mercenaires désoeuvrés, prit aussi la parole (11 janvier 1358) et hardiment !, devant la foule des Halles. La lutte entre les deux Charles (qui, en outre, étaient beaux-frères) allait tourner au désavantage du Mauvais (dont les Parisiens se méfiaient), mais le ton monta, le dauphin ne pouvant évidemment pas accepter qu'on lui imposât une monarchie contrôlée par les bourgeois de Paris.
Étienne Marcel
Ni Le Coq, ni Marcel, ni le Mauvais n'avaient intérêt à ce que la paix fût signée avec l'Angleterre : dès que des envoyés du roi Jean eurent annoncé à Paris qu'un traité était en projet, le trio infernal lâcha le 22 février 3 000 émeutiers sur le palais de la Cité. Le dauphin, terrorisé, fut éclaboussé du sang des maréchaux de Champagne et de Clermont abattus dans sa propre chambre, où Étienne Marcel le força à coiffer le chaperon rouge et bleu (depuis lors les couleurs de Paris…). Sentant que l'on voulait faire de lui le roi d'une révolution, le dauphin n'eut plus qu'à s'échapper de nuit avec l'aide de deux bateliers de la Seine…
À Compiègne, il convoqua les États qui désavouèrent la révolution de Paris, tandis qu'Étienne Marcel soutenait les chefs d'une jacquerie de paysans ravageant les alentours de la capitale. Pour sa part Charles le Mauvais, nommé par Marcel capitaine général de Paris et ne voulant pas s'aliéner la noblesse, écrasa cruellement ces miséreux à Meaux avant de laisser, à Paris même, une bande d'Anglais perpétrer des massacres. Voilà donc Étienne Marcel incapable de maîtriser les violences qu'il avait lui-même engendrées. Il allait offrir la couronne au Mauvais et plaçait déjà à la Porte Saint-Denis les gardes devant ouvrir les portes à ce misérable prince, quand le 31 juillet, il fut abattu au cours d'une rixe avec un bourgeois, Jean Maillart.
Sagesse royale
Le corps du traitre fut jeté à la Seine, tandis que le dauphin, déjà en route pour le Dauphiné, fit demi-tour et entra solennellement dans Paris, veillant à interdire toutes formes de représailles. Le temps des partis était révolu. Puis Jean II le Bon revint à Paris et régna jusqu'en 1364. Déjà l'héritier avait montré ce qu'il serait quand il deviendrait Charles V le Sage, imposant sa souveraineté contre les Anglais et contre Charles le (toujours aussi) Mauvais…
La preuve fut ainsi donnée que la sage hérédité monarchique assurait le triomphe de l'unité nationale et cicatrisait les convulsions révolutionnaires. Quand cent trente-quatre ans plus tard l'on revivrait à Paris les mêmes scènes d'horreur, les “philosophes” seraient hélas passés par là pour donner aux pires exactions la coloration idéologique et libertaire qui paralyserait le roi…
MICHEL FROMENTOUX L’ACTION FRANÇAISE 2000 du 5 au 18 mars 2009

dimanche 28 août 2011

Irak : c’est aussi la guerre de l’eau (arch 2003)


Analyste politique de la CIA durant la guerre Iran/Irak, professeur de l’école de guerre de 1988 à 2000, directeur, en 1991, d’une enquête militaire chargée d’étudier comment les Irakiens se comporteraient en cas de guerre contre les Etats-Unis, auteur de L’Irak et le Système pétrolier international. Pourquoi l’Amérique a fait la guerre dans le golfe Persique, Stephen C. Pelletiere a eu accès aux documents traitant du golfe Persique classés secrets à Washington.
Dans le New York Times du 31 janvier il vient de faire paraître un article qui montre que Washington continue à recourir aux méthodes d’intoxication, de propagande et de mensonge qui avaient permis, avec la fameuse affaire des couveuses de Koweit City, de convaincre l’opinion mondiale du bien-fondé de la guerre.
Cette fois, c’est Bush en personne qui, dans son récent discours, a prétendu fonder sur des raisons morales sa détermination d’attaquer « Le dictateur, qui rassemble les armes les plus dangereuses du monde (et) les a déjà utilisées sur des villages entiers, provoquant la mort de milliers de ses propres concitoyens ou les laissant aveugles ou défigurés ».
Les Américains ont reconnu là une nouvelle allusion au principal prétexte de la propagande belliciste de Bush : punir et empêcher la récidive du gazage de Kurdes irakiens dans la ville de Halabja en mars 1988.
Or Stephen C. Pelletiere a eu accès au compte rendu secret de l’enquête sur l’affaire Halabja par le Service de renseignement de la Défense.
Cette étude conclut que c’est du gaz iranien qui a tué les Kurdes.
Les Kurdes gazés ont en effet été tués par un gaz agissant sur le sang - à base de cyanure - que l’on savait employé alors par l’Iran. Les Irakiens, censés avoir utilisé du gaz moutarde lors de cette bataille, ne possédaient pas à l’époque de tels gaz.
Selon Stephen C. Pelletiere, « il n’est pas juste d’accuser Saddam Hussein d’avoir génocidé ses propres citoyens par gazage à Halabja parce que, pour autant que l’on sache, toutes les fois que du gaz a été utilisé il l’a été dans le cadre d’une bataille. Cela fait partie des drames de la guerre. Il se peut qu’il y ait de bonnes raisons pour envahir l’Irak, mais Halabja n’en est pas une ».
Et l’ancien expert de la CIA ajoute : « Ceux qui estiment que le désastre de Halabja doit servir de prétexte aujourd’hui pourraient peut-être se poser une autre question : Pourquoi l’Iran tenait-il tant à s’emparer de la ville ? En y regardant de plus près, on comprendra peut-être mieux la raison pour laquelle l’Amérique a tant besoin d’envahir l’Irak. »
A cette question cent fois ressassée la réponse est toujours la même : il s’agit de monopoliser les réserves de pétrole.
Et pas un commentateur ne semble savoir que l’Irak possède, outre les plus grandes réserves de pétrole du monde, le plus grand réseau fluvial du Moyen-Orient.
Outre le Tigre et l’Euphrate, il y a, dans le nord du pays, le Grand Zab et le Petit Zab ; ce trésor fait que dès le VIe siècle l’Irak était couvert de chantiers d’irrigation et servait de grenier à blé pour toute la région.
Avant la Guerre du Golfe, l’Irak avait construit un système impressionnant de barrages et de projets de contrôle des eaux, dont le plus grand était le barrage de Darbandikhan dans la zone kurde.
C’est de ce barrage que voulaient s’emparer les Iraniens lorsqu’ils ont pris Halabja.
Dans les années 1990, on a beaucoup parlé de construire un pipeline, dit Le Pipeline de la Paix, qui amènerait les eaux du Tigre et de l’Euphrate vers le sud, dans les Etats complètement desséchés du Golfe. C’est-à-dire, en clair, vers l’Israël.
Les Irakiens se sont toujours opposés à ce projet. Et il est évident que si les Américains envahissent l’Irak, les choses vont changer et que, par leur intermédiaire, les Israéliens deviendront les maîtres du pétrole mais aussi de l’eau, ce qui leur assurera une formidable puissance dans toute la région.
D’ores et déjà, ils exploitent à leur seul profit les ressources en eau de toute la Palestine.
Dans certaines colonies, les maisons des Juifs sont entourées de gazon bénéficiant de l’arrosage automatique leur gazon et les habitants se baignent dans leurs piscines privées alors qu’à quelques centaines de mètres, dans les villages palestiniens voisins, l’eau de consommation est rare. Voire raréfiée volontairement afin de convaincre les habitants de partir.
En outre, en captant l’eau du Jourdain, les colons juifs sont en train d’assécher la Mer Morte comme les soviétiques l’ont fait avec la Mer d’Aral. Depuis 1950, son niveau a baissé de plus de 30 % et les touristes peuvent voir, par exemple, que les bars qui avaient été construits le long du rivage se trouvent aujourd’hui à des centaines de mètres du bord de l’eau. Selon les experts, la mer morte devrait avoir disparu dans moins d’un siècle…
Le Libre Journal Le Libre Journal de la France Courtoise - n° 285 du 8 février 2003

Le procès fait à Pie XII : c'est un montage anti-pape


La prétendue culpabilité de Pie XII face aux Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale était l'une des bombes envoyées contre le Saint-Siège, dont il s'agit de détruire l'influence spirituelle mondiale, et même tout simplement la légitimité par tous les moyens.
Monseigneur Dominique Le Tourneau est membre de l'Opus Dei, il est à la fois un juriste de premier rang et un poète, un mystique. C'est dire la largeur de son domaine d'intervention ! Il vient de publier dans une collection canadienne un livre qui expose une perspective encore peu explorée sur les droits et les devoirs des fidèles laïcs dans l'Église. Mais le petit livre qui retient notre attention aujourd'hui concerne justement l'attitude de Pie XII durant la Seconde Guerre mondiale. C'est à lui seul un événement. Je crois que l'ayant lu, personne ne peut plus apporter le moindre crédit à la thèse du silence volontaire de Pie XII sur la Shoah…
Monseigneur, vous êtes l'un des spécialistes français du droit canonique et vous abordez dans le petit livre que vous venez de publier chez Téqui la question terrible des rapports entre Pie XII et la Shoah. Pourquoi affrontez-vous ce sujet ? Par quel biais en êtes-vous arrivé à vous intéresser particulièrement à cette question ?
Je me suis intéressé à la question des rapports entre Pie XII et les Juifs à l'occasion d'un colloque organisé par l'Association « Écouter avec l'Église », fondée par le Père Michel Viot, et dont je suis le vice-président. La qualité exceptionnelle des interventions et leur apport à la connaissance de la vérité m'ont incité à publier les Actes de ce colloque et à y rajouter des éléments qui permettent de mieux comprendre le rôle que le Serviteur de Dieu Pie XII a joué à une époque aussi cruciale et difficile que la Deuxième Guerre mondiale.
C'est ainsi que je propose dans cet ouvrage une biographie très détaillée du pontife et toute une série de témoignages de personnalités juives qui, pendant le cours de la guerre et au moment du rappel à Dieu du pape, en 1958, ont salué unanimement son action en faveur des Juifs.
Je dois ajouter que, comme le sujet est particulièrement sensible et reste d'actualité, cela m'a conduit à poursuivre ce travail et j'envisage la publication prochaine d'un ouvrage qui retrace brièvement l'ensemble de la vie de ce grand Pontife.
Je n'irai pas par quatre chemins avec vous. II y a eu beaucoup de livres sur Pie XII et les Juifs, que ce soit en attaque ou en défense. Qu'est-ce que vous apportez de neuf ? Quels étaient les spécificités du Colloque qui se trouve repris ici en volume ?
Notre ouvrage porte comme sous-titre : « Le silence de Pie XII ? » Le point d'interrogation est évidemment essentiel. C'est à cette interrogation que répond l'ouvrage. Les interventions de l'historien Philippe Chenaux, spécialiste de l'histoire contemporaine, de Me Serge Klarsfeld, bien connu pour sa chasse des nazis, et de Gary Krupp président-fondateur de Pave the Way Fundation et, au départ, farouche adversaire de Pie XII, démontent le mécanisme du soi-disant « silence de Pie XII ».
L'on sait de nos jours que toute l'affaire a été montée par le KGB, les services secrets de la Russie soviétique, furieux de la condamnation par l'Église, et par le pape Pie XII, du communisme athée. Les premières attaques intervinrent d'ailleurs, dès 1945, sur les ondes de Radio-Moscou. Il est intéressant de noter que le poison ainsi distillé subtilement grâce à la pièce Le Vicaire et réadministré par le film Amen de Costa Gavras, a fait les délices du monde anglo-saxon qui a relayé complaisamment les attaques contre Pie XII, tandis que les Juifs s'en tenaient, dans un premier temps du moins, à l'estime qu'ils éprouvaient pour le Pontife. Des voix ne s'étaient-elles pas élevées en Israël à la mort de Pie XII pour demander que l'on plantât une forêt de 860 000 arbres correspondant au nombre de Juifs qu'il avait contribué à sauver pendant le cataclysme mondial ? J'aime demander combien Churchill, De Gaulle, Roosevelt et Staline en ont sauvés. Et nul ne leur fait grief de leur attitude à cet égard ! C'est quand même curieux.
400 Juifs s'enrôlèrent dans la Garde pontificale
Ceci étant, le pape Pie XII ne s'est pas contenté de parler autant qu'il le pouvait, sa marge de manœuvre étant étroite, car un mot de trop risquait d'entraîner des représailles massives de la part des nazis, comme ce fut le cas aux Pays-Bas quand les évêques condamnèrent leurs exactions en chaire.
Pie XII a également agi en organisant des réseaux d'évasion de Juifs hors d'Italie, par exemple en obtenant du président de la République Dominicaine 1600 visas par an. Il a aussi demandé aux institutions catholiques d'ouvrir généreusement leurs portes pour accueillir des Juifs, comme lui-même en fit admettre des centaines au Vatican, dont 400 s'enrôlèrent dans la Garde pontificale.
J'ajouterai que l'ambassadeur d'Israël près le Saint-Siège, M. Mordechai Levy, a déclaré, le 23 mai dernier, lors de la cérémonie de remise des insignes de « Juste parmi les nations » au P. Piccinini, que « la volonté vaticane de sauver des Juifs est un fait ». Il a ajouté que « le Saint-Siège a agi. Il n'a pas pu empêcher le départ du train pour Auschwitz le 18 octobre 1943, trois jours après la rafle du ghetto. Certes, les Juifs de Rome s'attendaient à la protection du pape à ce moment-là. Mais c'est un fait que ce 18 octobre, c 'est le seul convoi qui soit parti pour Auschwitz ».
En outre, il faut préciser que les interventions énergiques et directes de Pie XII auprès du Lieutenant Général Stahel, gouverneur militaire nazi de Rome, ont permis de sauver 7000 des 8 200 Juifs restant dans la Ville Eternelle.
Pouvez-vous insister sur les travaux de la fondation Pave the Way, avec Gary Krupp ?
La Pave the Way Fundation, créée par Gary Krupp et sa femme, est une organisation laïque qui œuvre pour construire la paix en comblant les fractures au niveau de la compréhension et de la coexistence entre les religions en menant des actions culturelles, intellectuelles et techniques. Elle désire éliminer le recours à la religion comme instrument pour des fins partisanes pouvant donner lieu à des conflits armés. Elle vise donc à préparer le chemin, « pave the way », pour une compréhension mutuelle et universelle qui commence par l'éducation au quotidien.
Outre l'acquisition du papyrus Bodmer, contenant les fragments parmi les plus anciens des Évangiles selon saint Luc et saint Jean, qu'elle a offert récemment à la Bibliothèque vaticane, outre l'organisation de la plus grande réunion de responsables Juifs dans l'histoire pour remercier le bienheureux Jean Paul II de ses efforts pour améliorer les relations entre Chrétiens et Juifs, outre l'appui à des conférences internationales visant à promouvoir les relations interreligieuses, la fondation est actuellement engagée dans la publication des archives de Pie XII sur Internet.
Comme je l'ai dit, pour Gary Krupp, au départ, Pie XII était le « pape d'Hitler », ce qui n'a, en revanche, jamais été le cas pour Serge Klarsfeld. Krupp a commencé à changer d'avis quand il a découvert l'existence d'un plan secret des nazis pour assassiner le pape. De fil en aiguille, interrogeant des témoins, en particulier sœur Pasqualina, la gouvernante de Pie XII, il dut se rendre à l'évidence : il faisait fausse route en voyant en Pie XII le pape de Hitler. Sa grande honnêteté intellectuelle lui a permis de comprendre que tout ce qu'il croyait savoir sur Pie XII était faux.
Pouvez-vous faire un bilan de l'évolution de cette délicate question historiographique du « silence » de Pie XII ? Comment voyez-vous l'évolution de la situation actuellement ?
Des travaux comme ceux du président Krupp sont tout à fait fondamentaux pour faire évoluer les mentalités au sujet du prétendu « silence de Pie XII ». Encore faut-il être intellectuellement prêt à examiner les faits en face. M. Krupp a invité à un symposium à Rome au cours duquel il présentait des documents et vidéos, plus de quatre-vingts dirigeants et chercheurs juifs et tous les critiques et institutions reconnues afin qu'ils puissent confronter leurs objections aux experts du Vatican dans ce domaine. Peu sont venus. Mais de ceux qui étaient présents, 90 % sont repartis avec une opinion favorable sur Pie XII.
La publication de Pie XII et la Shoah contribue aussi à faire la lumière. J'estime qu'après l'avoir lu, toute personne de bonne volonté ne colportera plus les ragots infâmes dont une certaine presse se délecte.
Mais il faut attendre encore trois ou quatre ans pour que l'ensemble des « archives Pie XII » soit accessible aux chercheurs. Il ne fait pas l'ombre d'un doute qu'il ne faut pas en attendre des découvertes sensationnelles. Moins encore des éléments à charge contre Pie XII, qui permettraient de conforter les attaques lancées contre ce pape, nous avons vu comment et dans quel esprit (c'est-à-dire dans un esprit de pure propagande, et donc sans fondement), et que certains prennent pour argent comptant sans faire l'effort intellectuel de se remettre dans le contexte de l'époque, ce qui est pourtant élémentaire et absolument indispensable pour comprendre un événement.
Quelle est l'attitude de Benoît XVI dans cette affaire ?
L'attitude de Benoît XVI dans cette affaire ne peut être dictée que par le souci de la vérité et du bien commun. L'Eglise n'agit pas à la légère quand elle entreprend un procès de béatification. N'oublions pas qu'il ne s'agit pas uniquement d'une procédure juridique, extrêmement méticuleuse et exigeante, mais que vient s'ajouter le sceau divin d'un miracle, qui doit être médicalement prouvé, mais qui n'est pas moins une marque de Dieu visant à authentifier la sainteté du Serviteur ou de la Servante de Dieu concerné. Face à cela, les humeurs des uns et des autres n'ont guère de poids.
Propos recueillis par l'abbé Guilaume de Tanoûarn monde & vie. 16 juillet 2011
Pie XII et la Shoah, Des historiens et des juifs témoignent,éd.Téqui 2011,10 euros.

vendredi 26 août 2011

Un tabou de l'histoire contemporaine : l'attaque allemande contre l'Union Soviétique en juin 1941


Le 22 juin de cette année, il y avait tout juste 50 ans que la Wehrmacht était entrée en Russie. Notre époque se caractérisant par un engouement pour les dates-anniversaires, médias et politiciens ont eu l'occasion de se manifester et de faire du tapage. Mais on savait d'avance ce qu'ils allaient nous dire. Ils nous ont rappelé que l'Allemagne, pendant la seconde guerre mondiale, avait utilisé des méthodes criminelles (l'ordre de déclencher l'Opération Barbarossa) et concocté des desseins tout aussi criminels (le Plan de la réorganisation politique et économique des territoires de l'Est). Et que c'est pour promouvoir ces méthodes et réaliser ces desseins que les Allemands ont combattus. Avec des reproches dans la voix, avec des trémolos de honte, on nous a remémoré que toutes les institutions politiques, y compris la Wehrmacht, ont participé à ces crimes.
Plus d'un donneur de leçons est venu à nous, la mine docte, pour nous dire qu'il fallait briser les tabous et laisser la vérité se manifester.
Mais il y a plus intéressant que ces sempiternelles répétitions de ce que nous savons déjà : précisément ce que ces briseurs de tabous veulent ériger comme tabous, les révélations qu'ils considèrent comme sacrilèges et qu'ils dénoncent comme telles. L'hebdomadaire Die Zeit, notamment, s'est spécialisé dans ce genre d'entourloupettes. En 1988, quand les toutes premières voix se sont élevées pour- dire que l'attaque allemande de juin 1941 n'était peut-être pas une attaque délibérée, perpétrée sans qu'il n'y ait eu, de la part de l'adversaire, la moindre provocation, Die Zeit répondit par 2 longs articles morigénateurs, dont le titre et les sous-titres en disaient assez sur leur contenu et leur style : « Les mensonges qui justifient la thèse de l'attaque défensive — Pourquoi on réactive la fable de la guerre préventive déclenchée par l'Allemagne ». Bref : le ton d'une inquisition moderne.
Bien sûr, Staline voulait la paix et Hitler, la guerre
map-in10.jpg[Ci-contre : La concentration du premier échelon de l'Armée Rouge en juin 1941. Carte tirée de l'ouvrage de Victor Souvorov, Le brise-glace – Juin 1941 : le plan secret de Staline pour conquérir l'Europe (Olivier Orban, Paris, 1989). Le déploiement de ce premier échelon rendait l'Armée Rouge très vulnérable. Il suffisait d'une légère poussée pour la contourner et encercler 5 armées (la flèche sur la carte). La 9ème Armée devait s'emparer de la Roumanie et du pétrole roumain, privant le Reich de cette matière première indispensable à la guerre. Les 12ème et 18ème armées de montagne devaient verrouiller les Carpathes en Slovaquie. Toutes les autres devaient débouter sur la Pologne et l'Allemagne. Hitler a frappé dur et vite dans cette concentration, annihilant ce premier échelon en quelques jours]
Souvenons-nous toujours que les médias et les politiciens ne traitent des causes de la guerre qu'au départ de catégories moralisantes : on parle de culpabilité dans le déclenchement de la guerre, de Kriegs-'Schuld'. Or la guerre est un fait de monde qui échappe précisément aux catégories de la morale. Mieux qui ne peut nullement s'appréhender par les catégories de la morale. Si Hitler avait acquis plus rapidement la victoire à l'Ouest ou si, au moins, il était parvenu à une paix provisoire avec l'Angleterre, il aurait pu, s'il en avait eu envie, tourner tout son potentiel contre la Russie. Staline aurait été livré à son bon vouloir. Donc Staline ne pouvait pas, sans réagir, laisser évoluer la situation de la sorte. Il devait en conséquence attaquer l'Allemagne tant que celle-ci affrontait encore l'Angleterre (derrière laquelle se profilaient depuis un certain temps déjà les États-Unis). Staline a dû opter pour cette solution par contrainte. Et cette option n'a rien à voir avec une quelconque notion morale de “faute”, de “culpabilité” ; elle a été dictée par la volonté de Staline de survivre.
Examinons les choses de l'autre bord : la contrainte que Staline allait inévitablement subir, Hitler ne pouvait pas ne pas la deviner. Par conséquent, Hitler était contraint à son tour d'élaborer des plana pour abattre la puissance de Staline, avant que celui-ci ne passe à l'attaque. Et quand, dans une situation pareille, si explosive et si complexe, l'état-major allemand assure Hitler que la Russie peut être battue en quelques mois, plus rien ne pouvait arrêter le Führer. Processus décisionnaire qui n'a rien à voir non plus avec la notion de “faute”, mais découle plus simplement de la position géographique occupée par l'Allemagne. Oser poser aujourd’hui de telles réflexions réalistes, non morales : voilà qui est tabou.
Mais il y a encore plus étonnant : par ex., ce que nos destructeurs de tabous racontent sur les intentions de Staline en 1940/41. Les documents soviétiques ne sont toujours pas accessibles. Pourtant, nos briseurs de tabous savent parfaitement bien ce que voulait Staline. Et il voulait la paix. Évidement. Donc, l'attaque allemande était délibérée, injustifiée. Scélérate. Comme sont des scélérats ceux qui osent émettre d'autres hypothèses sur la question. Des scélérats et des menteurs. Des menteurs qui cultivent de mauvaises intentions. Voilà comment on défend des tabous.
Pourtant Karl Marx déjà nous avait enseigné que les États socialistes devaient se préparer pour la guerre finale contre les capitalistes. Staline — on sait qu'il ne s'encombrait pas de scrupules inutiles — avait choisi de provoquer cette lutte finale par l'offensive. Et il l'avait planifiée jusqu'au plus insignifiant détail. Depuis 1930, tous les nouveaux wagons des chemins de fer soviétiques, épine dorsale de la logistique des armées modernes (encore de nos jours), devaient être construits de façon à pouvoir passer rapidement du grand écartement russe au petit écartement européen. Préconise-t-on de telles mesures quand on n'envisage que la défensive ? De plus, Staline avait mis sur pied une armée gigantesque. On pourrait arguer que c'était pour se défendre ; mais les chars et les unités aéroportées y jouaient un rôle prépondérant. Par conséquent, cette immense armée avait bel et bien été conçue pour une guerre offensive.
top310.jpgComparons quelques chiffres pour donner une idée de la puissance soviétique en matière de blindés ; en 1941, la Wehrmacht possédait 3.700 chars capables d'engager le combat, c'est-à-dire des chars qui ont au moins un canon de 37 mm. Elle disposait en plus de 2.030 engins chenillés ou sur roues armés de mitrailleuses ou de canons de 20 mm. Elle a attaqué la Russie avec 2.624 chars et 1024 engins armés de mitrailleuses ou de canons légers de 20 mm (types Panzer I ou Panzer II). C'était tout ! Face à elle, l'Armée Rouge alignait entre 22.000 et 24.000 chars de combat, presque tous armés de canons de 45 mm ou plus. Parmi ces chars, on trouvait déjà 1.861 chars des types KV et T34, qui étaient invulnérables face à presque tous les chars allemands de l'époque. L'arme blindée soviétique, à elle seule, était plus puissante que toutes les autres forces blindées du monde ! La supériorité soviétique en matière de canons et de mortiers était plus impressionnante encore. Quant aux escadrilles aériennes, le rapport des forces était également défavorable aux Allemands : le 22 juin 1941, les unités allemandes envoyées au front russe disposaient de 2.703 avions de combat ; leurs adversaires soviétiques en avaient de 8.000 à 9.000, pour protéger des unités bien plus importantes encore, massées dans l'arrière-pays.
Les Soviétiques disposaient en tout état de cause d'une puissance militaire capable de passer à l'offensive. Et l'URSS avait des raisons de s'en servir. Mais que voulait Staline ?
Déjà, au début de l'été 1940, quand les Allemands n'avaient plus que 4 divisions à l'Est, Staline avait massé prés de 100 divisions le long de sa frontière occidentale. Personne ne saura jamais ce que Staline comptait en faire, au cas où l'attaque allemande contre la France se serait enlisée. À la veille de l'attaque allemande contre l'Est, Staline avait rassemblé 180 divisions dans ses districts militaires de l'Ouest. Elles venaient des régions les plus éloignées de l'empire soviétique : de la Transbaïkalie et du Caucase. À ces 180 divisions, s'ajoutaient encore 9 nouveaux corps mécanisés (chacun doté de plus de 1.000 chars) ainsi que 10 nouveaux corps d'armée aéroportés, ce qui trahissait bien les intentions offensives du dictateur géorgien.
Bon nombre de ces divisions acheminées vers l'Ouest ont été cantonnées dans des bivouacs de forêt provisoires, où il s'avérait difficile de maintenir à long terme les acquis de l'instruction et la vigueur combative des troupes. Pas une seule de ces unités ne s'est mise en position défensive. Si elles avaient construit des redoutes de campagne, installé des obstacles, posé des champs de mines, l'attaque allemande de juin 1941 aurait été bloquée net et neutralisée. Les généraux soviétiques n'ont pas tenu leurs unités de chars en réserve pour une éventuelle contre-attaque mais les ont avancés le plus loin possible vers l'Ouest, dans les saillies frontalières. Indice plus révélateur encore : les dépôts logistiques de pièces de rechange, de munitions, etc. se situaient dans la plupart des cas à l'avant, plus à l'Ouest, que les unités de combat ou les escadrilles d'avions qui étaient censées s'ébranler les premières. Beaucoup de phénomènes apparemment marginaux confirment la thèse de l'imminence d'une attaque soviétique. Citons-en un seul : lors de leur avance fulgurante, les troupes allemandes ont souvent découvert des stocks de cartes militaires soigneusement emballées. Ces paquets contenaient des cartes de territoires allemands.
La thèse de l'attaque délibérée ne tient plus
Que pouvons-nous prouver en avançant tous ces indices ? Rien. Sinon que l'attaque du 22 juin 1941 n'était probablement pas une attaque délibérée et injustifiée contre une URSS qui ne voulait que la paix. Staline avait tous les moyens qu'il fallait pour attaquer. Beaucoup d'indices prouvent qu'il avait également l'intention d'attaquer, comme Hitler l'a affirmé dans plusieurs conversations secrètes et privées. Reste à savoir quand cette attaque soviétique se serait déclenchée. Quelques semaines plus tard ? Au printemps de 1942 ? La décision allemande d'attaquer, la date du déclenchement des opérations, ont-elles été choisie parce que l'état-major allemand avait aperçu le danger d'une attaque soviétique imminente ou parce que les mouvements des troupes soviétiques ont précipité le cours des événements ou ont-elles été choisies tout à fait indépendamment des manœuvres soviétiques ? Voilà tout un jeu de questions encore sévèrement tabouisé. La “querelle des historiens”, il y a quelques années, l'a amplement démontré.
Quoi qu'il en soit : tout historien qui prétend aujourd'hui, en dépit de tous ces indices, que l'attaque allemande était entièrement injustifiée, qu'elle a été perpétrée sans qu'il n'y ait eu la moindre provocation soviétique, tout historien qui avance la thèse d'une attaque allemande délibérée et veut faire d'une telle thèse un axiome de vérité, ne pourra plus être pris su sérieux. La raison, le bon sens et le programme du premier semestre de toute licence en histoire nous enseignent la même chose : toute connaissance sûre quant aux motivations, aux intentions et aux objectifs ne peut être acquise qu'au départ de documents internes. Or les documents soviétiques sont toujours inaccessibles.
Dr. Franz Uhle-Wettler, Vouloir n°83/86, 1991. (texte issu de Junge Freiheit, juin 1991)  http://vouloir.hautetfort.com/
• L'auteur : ancien Lieutenant-général de la Bundeswehr et Commandeur du NATO Defence College de Rome.

mercredi 24 août 2011

Barbarossa /1941 : les Soviétiques préparaient la guerre !


Pendant des décennies, l'attaque allemande contre l'Union Soviétique, commencée le 22 juin 1941, a été considérée comme l'exemple par excellence d'une guerre d'extermination, préparée depuis longtemps et justifiée par des arguments raciaux. L'historiographie soviétique qualifiait en outre cette guerre de “guerre de pillage” et ajoutait que l'Allemagne avait trahi ses promesses, avait rompu la parole donnée. Jusqu'en 1989, le Pacte Hitler/Staline des 23 et 24 août 1939 avait été interprété de cette façon dans l'apologétique soviétique. L'observateur des événements était littéralement noyé sous un flot d'arguments qui visaient à étayer au moins 2 thèses :
    1) La signature du traité a empêché Moscou d'être impliqué dans les premiers événements de la guerre européenne, qui aura ultérieurement comme victime principale l'URSS ;
    2) Le pouvoir soviétique a vu d'avance le plan des “impérialistes” et l'a contrecarré ; il visait à détourner l'armée allemande vers l'Est. L'Union Soviétique aurait ainsi été la victime, à l'été 1941, de sa fidélité à la lettre du pacte et de sa volonté de paix. Cette loyauté, l'URSS l'a payée cher et a failli être complètement détruite sur le plan militaire.
Des experts soviétiques réfutent l'interprétation officielle
Depuis 1989, cette vision de l'histoire contemporaine a été largement réfutée. Des experts soviétiques, dont V. Dachitchev, estiment désormais que le Pacte des 23 et 24 août 1939 a constitué une lourde erreur de la politique étrangère soviétique (cf. Hans-Henning Schröder, Der Zweite Weltkrieg, Piper, München, 1989). Bien sûr, on parle encore et toujours de la guerre germano-russe comme d'une “guerre d'anéantissement justifiée par une idéologie racialiste”, notamment dans les écrits, y compris les derniers, de l'historien Andreas Hillgruber (cf. Zweifacher Untergang, 1986). Mais les préoccupations qui dominent, actuellement, chez les spécialistes de l'histoire contemporaine, sont celles qui concernent les multiples facettes du processus de décision : outre la volonté d'expansion de Hitler, on examine désormais la logique, certes subjective, qui a fait que l'Allemagne a choisi la solution militaire pour régler le problème que constituait l'URSS dans le contexte stratégique du printemps 1941. On étudie ensuite ce qui opposait de façon irréconciliable les idéologies au pouvoir en URSS et dans le Troisième Reich, tout en essayant de comprendre quelles étaient les arrière-pensées de Staline en ce qui concerne l'Europe. Résultat de ces investigations : on se demande si l'attaque allemande n'a pas été finalement une attaque préventive, vu ce qui s'annonçait à moyen ou long terme. Ernst Topitsch est de cet avis depuis longtemps et a étayé solidement sa thèse dans Stalins Krieg (2ème éd., 1986). Quant à Viktor Souvorov, dans Le brise-glace (Olivier Orban, Paris, 1990), il a illustré cette thèse à grand renfort de preuves.
Staline avait le temps pour lui
Cela n'aurait guère de sens de revenir sur la vieille querelle quant à savoir si l'attaque de la Wehrmacht a été dictée essentiellement par des considérations d'ordre stratégique et politique ou par des motivations d'ordre idéologique. Il me semble plus utile, d'un point de vue historique, de chercher à cerner la raison première et fondamentale qui a fait que l'état-major allemand s'est décidé à passer à l'attaque. Cet état-major s'est dit, me semble-t-il, qu'attendre passivement rendait jour après jour le Reich plus dépendant de la politique de Staline ; une telle dépendance aurait finalement créé des conditions défavorables pour l'Allemagne dans sa guerre à l'Ouest et en Afrique. Hitler était bien conscient du risque énorme qu'il y avait à ouvrir un second front, à parier pour l'offensive : il l'a clairement fait savoir à ses généraux, dont la plupart étaient trop optimistes.
Les papiers de Joukov
Les historiens qui affirment que les motivations idéologiques à connotations racistes ont été les plus déterminantes, sous-estiment trop souvent les préoccupations stratégiques ; en effet, dès le début de l'automne 1940, la situation, pour l'Allemagne, était alarmante ; l'état-major devait le reconnaître, si bien que son chef, le Général Halder craignait, dès avril 1941, une attaque préventive des Soviétiques. Aujourd'hui, après qu'on ait publié les papiers du Maréchal Georgy Joukov et qu'on y ait découvert des documents d'une importance capitale, non seulement on sait que l'Armée Rouge s'était mise en branle, que ses manœuvres avaient un caractère offensif, surtout dans les 4 districts militaires de l'Ouest mais on sait également, d'après des sources attestées, que les autorités militaires soviétiques prévoyaient dès la mi-mai 1941 une attaque préventive limitée, au moins contre la Pologne centrale et la Haute-Silésie.
Staline a certes refusé ce plan, mais son existence explique néanmoins pourquoi les Soviétiques ont massé 6 corps mécanisés sur des positions en saillie du front (le premier échelon opérationnel soviétique comptait en tout et pour tout 13 corps mécanisés), ont aligné 5 corps aéroportés, ont réaménagé les installations d'un grand nombre de terrains d'aviation pour bombardiers et pour chasseurs à proximité de la frontière et ont renoncé à renforcer la Ligne Staline, alors qu'elle aurait été excellente pour une bonne défense stratégique du territoire soviétique. Les papiers de Joukov nous permettent de comprendre pourquoi les grandes unités stationnées dans les régions frontalières n'ont pas reçu l'ordre de construire un système défensif en profondeur mais, au contraire, ont été utilisées pour améliorer les réseaux routiers menant à la frontière. Ces indices, ainsi que bien d'autres, ont été mis en exergue récemment par des historiens ou des publicistes soviétiques, dont Vladimir Karpov. Sur base de ces plans d'opération, le chef de l'état-major général soviétique, Joukov, en accord avec le Ministre de la Défense, Timochenko, voulait atteindre en 30 jours la ligne Ostrolenka, Rive de la Narev, Lowicz, Lodz, Oppeln, Olmütz. Ensuite, Joukov prévoyait de re-tourner ses forces vers le Nord et d'attaquer et de défaire le centre des forces allemandes, ainsi que le groupe Nord des armées du Reich, massé en Prusse Orientale.
Je souligne ici que ce plan d'opérations ne signifie pas que les Soviétiques avaient définitivement décidé de passer à l'offensive. L'existence de ce plan ne constitue donc pas une preuve irréfutable des intentions offensives de Staline à l'été 1941. Mais ce plan nous permet d'expliquer bon nombre de petits événements annexes : on sait, par ex., que Staline a refusé de prendre en considération les informations sérieuses qu'on lui communiquait quant à l'imminence d'une attaque de la Wehrmacht au printemps 1941. Or il y a eu au moins 84 avertissements en ce sens (cf. Gordievski/Andrew, KGB, 1990). Comme le prouvent les événements de la nuit du 22 juin, Staline voulait éviter toute provocation ; peu de temps avant que le feu des canons allemands ne se mette à tonner au-dessus de la frontière soviétique, il a donné instruction à l'ambassadeur d'URSS à Berlin, de s'enquérir des conditions qu'il fallait respecter pour que les Allemands se tiennent tranquilles (cf. Erich E. Sommer, Das Memorandum, 1981).
Staline estime que l'Armée Rouge n'est pas prête
Ce qui nous autorise à conclure que Staline cherchait à gagner du temps, du moins jusqu'au moment où le deuxième échelon stratégique, composé de 6 armées (77 divisions), puisse quitter l'intérieur des terres russes. Ce qui étaye également la thèse qui veut que Staline estimait que ses préparatifs offensifs, destinés à réaliser ses projets, n'étaient pas encore suffisants. Quoi qu'il en soit, au début de la campagne, les Soviétiques alignaient à l'Ouest, réserves comprises, 177 divisions, renforcées par au moins 14.000 chars de combat, environ 34.000 canons et obusiers et à peu prés 5.450 avions d'attaque (61 divisions aériennes). Face à ces forces impressionnantes, la Wehrmacht n'alignait que 148 divisions, 3 brigades, 3.580 chars de combat, 7.150 canons et environ 2.700 avions d'attaque.
Cette faiblesse des forces allemandes et l'improvisation dans l'équipement et l'organisation, permettent de soutenir la thèse que la décision d'ouvrir un front à l'Est ne découlait pas d'un “programme” concocté depuis longtemps (cf. Hartmut Schustereit, Vabanque, 1988). Beaucoup d'indices semblent prouver que Staline estimait que le conflit ouvert avec l'Allemagne était inéluctable. En effet, les avantages incontestables que le Pacte germano-soviétique offrait à Berlin (cf. Rolf Ahmann, Hitler-Stalin-Pakt 1939, 1989) n'avaient de valeur qu'aussi longtemps qu'ils facilitaient les opérations allemandes à l'Ouest.
C'est alors qu'un facteur a commencé à prendre du poids : en l'occurrence le fait que les 2 camps percevaient une menace qui ne pouvait être éliminée que par des moyens militaires. Les ordres qui lancent déploiements ou opérations ne reflètent — c'est connu — que des jugements d'ordre politique. C'est pourquoi l'observateur se trouve face à une situation historique où les 2 protagonistes ne réfléchissent plus qu'au moment opportun qui se présentera à eux pour déclencher l'attaque. Mais comme dans l'histoire, il n'existe pas d'“inéluctabilité en soi”, la clef pour comprendre le déclenchement de l'Opération Barbarossa se trouve dans une bonne connaissance de la façon dont les adversaires ont perçu et évalué la situation. De cette façon seulement, l'historien peut « vivre rétrospectivement et comprendre » (comme le disait Max Weber), le processus de décision. On peut ainsi acquérir un instrument pour évaluer et juger les options politiques et stratégiques qui se sont présentées à Berlin et à Moscou au cours des années 1940 et 1941. L'Allemagne tentait, en prestant un effort immense qu'elle voulait unique et définitif, de créer un imperium continental inattaquable ; l'URSS tentait de défendre à tout prix le rôle d'arbitre qu'elle jouait secrètement, officieusement, en Europe.
Dr. Heinz Magenheimer, Vouloir n°83/86, , 1991. (texte issu de Junge Freiheit, juin 1991) http://vouloir.hautetfort.com
• L'auteur : Professeur à l'Université de Salzbourg, Membre de l'Académie de Défense de Vienne.

Les Khmers rouges


Le 27 juin 2011 s'est ouvert le procès de quatre des principaux dirigeants khmers rouges, responsables d'un des pires génocides du XXe siècle, perpétré contre leur propre peuple au nom d'une idéologie communiste.
Nuon Chea, Khieu Samphân, Ieng Sary et Ieng Thirith vont être - enfin - jugés. Ces quatre dirigeants Khmers rouges avaient appartenu, dès 1951, au « Cercle marxiste », formé en France par des étudiants cambodgiens et qui, dirigé par Ieng Sary, comptait aussi parmi ses membres Saloth Sâr, qui allait plus tard devenir le numéro 1 du régime Khmer rouge sous le pseudonyme de Pol Pot. Comme Ieng Sary, Saloth Sâr avait adhéré à l'époque au Parti communiste français, qui peut s'enorgueillir de compter parmi ses grands anciens deux des plus grands criminels de la seconde moitié du XXe siècle…
Après l'indépendance, en 1953, les dirigeants du Parti communiste du Kampuchéa - Saloth Sâr, Nuon Chea, Son Sen -, rentrèrent au Cambodge, où le pouvoir revint au roi Norodome Sihanouk, qui fut renversé en 1970 par son Premier ministre Lon Nol avec la bénédiction des Américains. Poussé par le Vietnam du Nord et par la Chine, Sihanouk s'allia alors avec les Khmers rouges pour constituer un gouvernement en exil dans lequel figuraient plusieurs ministres communistes, dont Khieu Samphân.
Alors que les bombardements aveugles et massifs opérés par les Américains sur la partie du Cambodge occupée par les Nord-Vietnamiens grossissaient les maquis, les Khmers rouges mirent en place à partir de 1972 une politique de collectivisation des terres et commencèrent à s'éloigner des Vietnamiens. En 1973, ils organisèrent des purges et des massacres qui poussèrent 60 000 personnes à fuir les zones qu'ils contrôlaient et des milliers d'autres à se rebeller, mais la répression fut féroce.
En 1975, les Américains se retirèrent du Cambodge, abandonnant à son sort le gouvernement de Lon Nol, et les troupes khmères rouges investirent le 17 avril la capitale, Phnom Penh, dont la population entière - malades des hôpitaux compris - fut évacuée, à pied, conformément au projet de Pol Pot (Saloth Sâr) prévoyant de vider les villes. Deux millions de personnes partirent en abandonnant tous leurs biens, et l'opération causa plus de 10000 morts. Les autres villes du pays subirent le même sort.
Angkar, le Big Brother cambodgien
Le régime qui se met alors en place évoque le roman d'Orwell, 1984. Big Brother, ici, s'appelle Angkar (l'Organisation), dont on parle comme d'une personne. Angkar règne par la terreur, les purges et la chasse aux « espions », le bourrage de crâne, à base de séances d'auto-critique, et par la faim. Les cadres du Parti eux-mêmes n'y échappent pas. Laurence Picq, une maoïste française ayant épousé un communiste khmer travaillait pour un ministère et faisait partie de la poignée d'habitants qui restait à Phnom Penh. Dans son livre Au-delà du ciel, elle raconte : « Puissance anonyme et sans visage, Angkar était omniprésente, aveuglément suivie et idolâtrée. Elle demandait à être servie inconditionnellement et en retour elle pourvoyait à tout ; Elle avait banni toutes les religions et croyances mais elle s'imposait comme un nouveau Dieu. (…) L'isolement et le cloisonnement renforçaient considérablement le travail idéologique d'Angkar. À cela s'ajoutait le fait que chacun était tenaillé en permanence par la faim, ce sur quoi Angkar jouait avec beaucoup de finesse. »
Le, sort des populations déportées dans les campagnes ou dans les camps de concentration est encore pire. Les familles sont dispersées. L'économie est en ruine et les coopératives rurales ne nourrissent pas la population. Laurence Picq décrit ainsi le paysage qu'elle découvre à l'occasion d'un voyage : « Je regardai se dérouler le paysage. Point de vie, point de cultures, des rizières en friche depuis des années… Une désolation infinie. Où était le miracle de la collectivisation ? La nature maîtrisée ? Les foules heureuses de citadins convertis ? Il était flagrant que le pouvoir central n'avait pas su s'imposer. Phnom Penh, la tête, n'avait ni corps, ni bras, ni jambes ! Tout n 'avait été qu'illusion et comédie ! »
En réalité, le pouvoir ne s'était que trop bien imposé et l'on avait affaire à une tragédie. Dans un livre récemment paru, Les Larmes interdites, Navy Soth, Cambodgienne réfugiée en France et partie civile au procès en cours, âgée de 3 ans lors de la chute de Phnom Penh, raconte ces quatre années d'enfer, au cours desquelles ont péri son père et quatre de ses frères et sœurs : le long chemin pour rejoindre un camp, la vie privée interdite, la mort omniprésente, le départ de son père sans que ses enfants aient eu le droit de l'embrasser, ni de pleurer, pour ne pas manifester des sentiments « bourgeois »
Dans les centres de rééducation où sont déportés les victimes des purges, les conditions de vie sont abominables, la torture et les exécutions couramment pratiquées, et l'espérance de vie ne dépasse pas trois mois.
Le bilan de ce génocide communiste s'élève au moins à 1,7 million de morts et probablement plus de 2 millions, en quatre ans, sur une population de moins de 8 mimons d'habitants.
Encore la tragédie ne finit-elle pas en 1979 avec l'invasion vietnamienne, accueillie comme une délivrance. Les Khmers rouges, de nouveau alliés avec Sihanouk, entretiendront une guérilla contre le gouvernement pro-vietnamien, avec le soutien, non seulement de la Chine,- mais de la Thaïlande, des États-Unis et de l'ONU (le Viet Nâm ayant pour sa part l'appui des Russes). La paix ne reviendra qu'en 1991, avec la signature des accords de Paris, plaçant le Cambodge sous l'autorité de l'ONU en attendant l'organisation d'élections libres.
Quant à Pol Pot, responsable de l'assassinat de l'ancien ministre communiste de la Défense, Son Sen en 1997, il sera arrêté par l'un des plus cruels dirigeants khmers rouges, Ta Mok, dit « le boucher ». Condamné à la prison à perpétuité, il mourra d'une crise cardiaque - dit-on - le 15 avril 1998.
Jean-Pierre Nomen monde & vie . 16 juillet 2011

dimanche 21 août 2011

L’armée et la tactique militaire sous Louis XIV

Le règne personnel de Louis XIV (1661-1715) est riche d’évolutions et d’innovations sur le plan militaire. Il voit l’abandon de l’armée de levée pour une armée permanente, composée essentiellement de sujets du royaume, une armée quasiment nationale : les mercenaires étrangers ne constituent plus qu’un faible pourcentage des troupes. Les armes évoluent : le fusil remplace le mousquet et la baïonnette fait disparaître la pique. Particulièrement bien disciplinée et entraînée, l’armée française, capable de tenir tête seule à l’Europe (guerre de la Ligue d’Augsbourg), sert de modèle pour les autres États européens.

I. Une armée d’une taille inédite
Le règne de Louis XIV voit l’armée s’accroître d’une façon inédite. Jusqu’au début du XVIIe siècle, les forces en temps de paix ne dépassaient pas 10.000 hommes, et en temps de guerre rarement plus de 70.000. Louis XIII monte ses forces jusqu’à 125.000 hommes après l’entrée dans la guerre de Trente Ans.

Sous Louis XIV, l’armée en temps de guerre atteint 340.000 hommes au cœur de la guerre de la Ligue d’Augsbourg (1688-1697), qui voit la France seule (avec l’appui de l’Empire ottoman et des jacobites irlandais) face à l’Europe coalisée. Dans un pays qui compte 21 millions d’âmes, cela fait approximativement un soldat sur 20 hommes adultes valides. Vers 1700, l’armée en temps de paix compte 150.000 hommes, soit 15 fois plus par rapport au début du siècle ! Elle sert alors tant pour la défense que pour la surveillance des populations. Ce chiffre ne sera plus atteint jusqu’à la Révolution française.
● Les dépenses militaires

En 1683, les dépenses militaires s’élèvent à 54 millions de livres (47 % du total des dépenses du royaume), en comprenant 8 % pour les fortifications. L’armée de terre vient loin devant la marine (9,50 %), la Cour (8,50 %) et les bâtiments royaux (6,27 %). Le budget de la guerre passe de 47 % des dépenses en 1683 à 51 % en 1687, 63 % en 1690, 73 % en 1691. Dans le même temps, les dépenses de la marine et des galères montent de 9,5 à 10 %, 14 % et 16 %.

● L’organisation de l’armée

L’infanterie est organisée en régiments, comprenant un ou plusieurs bataillons (l’unité tactique étant le bataillon). Un bataillon comprend environ 800 hommes (ce nombre tend à évoluer à la baisse) qui sont répartis entre 12 et 16 compagnies. A partir des années 1630, les Français alignent leurs mousquetaires sur 6 rangs, sur le modèle suédois. Lorsque les pertes sont importantes, on réduit les rangs à 5.

La cavalerie est également organisée en régiments comprenant plusieurs escadrons, chaque escadron étant formé de (généralement) 3 compagnies de 50 hommes pendant la guerre de Hollande, de 30 à 35 pendant la guerre de la Ligue d’Augsbourg. Un régiment de cavalerie à quatre escadrons comprenant chacun 3 compagnies de 35 hommes compte donc 420 hommes en théorie.

II. Les armes et la tactique
L’armée française est à son sommet dans le dernier tiers du XVIIe siècle, avec d’impressionnantes séries de victoires durant la guerre de Hollande (1672-1678) et la guerre de la Ligue d’Augsbourg. Elle sert de modèle pour le reste de l’Europe.

● Du mousquet au fusil

Le mousquet reste l’arme de base pour l’infanterie durant tout le XVIIIe siècle. Il s’agit d’une arme d’épaule se chargeant par le canon, avec un système à mèche. Si la balle peut être envoyée à 250 mètres, le tir n’est efficace que jusqu’à 80 mètres. La cadence de tir n’est que d’un coup par minute, avec un taux de ratés proche de 50 %. Le chargement est dangereux, et il arrive que le mousquetaire se fasse sauter en manipulant la mèche allumée en présence de poudre.

Jusqu’à la guerre de Succession d’Espagne (1701-1714), qui voit le triomphe du fusil et de la baïonnette, l’armement français reste pourtant inférieur à celui des armées ennemies. Ce choix ne relève pourtant pas d’une timidité vis-à-vis des armes nouvelles mais plutôt de contraintes d’ordre technique.

Une impressionnante série d’expériences est menée de 1668 à 1691 sur les mousquets et les fusils, pour trouver l’arme idéale. Il faut dire aussi que le fusil coûte alors 14 livres alors que le mousquet ne revient qu’à 9 livres, et qu’il s’agit de fabriquer pas moins de 300.000 fusils pour l’armée la plus importante d’Europe. Par ailleurs, l’industrie métallurgique de la France est insuffisamment développée pour répondre à une telle demande, et il faut apprendre aux soldats à manier cette arme nouvelle.

Ce n’est qu’en 1699, peu avant la guerre de Succession d’Espagne, qu’une ordonnance de Louis XIV élimine complètement le mousquet au profit du fusil. Le retard dans l’équipement ne traduit pas donc pas une hostilité vis-à-vis de la nouveauté mais un souci de ne changer d’armement que pour une arme sûre.

● De la pique à la baïonnette

La pique est au XVIIe siècle la compagne du mousquet. D’une longueur d’environ 4,5 mètres, surmontée d’une pointe en fer et cerclée de bandes de métal sur 1 mètre à partir de la pointe (pour éviter qu’elle ne soit tranchée d’un coup d’épée), elle sert surtout d’arme défensive contre la cavalerie. La lenteur du chargement du mousquet rend souvent nécessaire la présence de piquiers, lesquels permettent aux mousquetaires d’aller se réfugier derrière leurs rangs, sans quoi ils se trouvaient taillés en pièces par la cavalerie.

Lorsque le fusil gagne de l’importance, la pique perd son efficacité. Plus maniable, il rend moins nécessaires la protection de piquiers. Mais surtout, la baïonnette, introduite vers 1640, ne cesse de se perfectionner. Au début simple lame de couteau grossière (et fixée dans le canon, empêchant tout tir), elle est remplacée par une lame fixée à une douille autour, et non pas à l’intérieur, du canon du fusil. Cette innovation de Vauban (dont le rôle ne se cantonnait pas aux fortifications) permet au soldat de recharger son arme tout en laissant en place la baïonnette. La baïonnette revient également moins cher que l’épée (24 sols contre 50 sols) ou que la pique (40 à 50 sols). La baïonnette à douille se généralise à partir de 1692, avec une ordonnance du roi.

Les piques perdent ainsi du terrain, même si elles gardent des partisans comme d’Artagnan, et chez les soldats, les piquiers recevant une plus haute paye que les mousquetaires et fusiliers… Les manuels du début du XVIIe siècle recommandent trois piques pour deux mousquets. Une ordonnance de 1650 requiert une pique pour deux mousquets. Dans les années 1670, le rapport tombe à une pique pour trois mousquets et fusils. En 1690, dans les troupes réglées d’infanterie, on compte 8,4 % de piquiers, 15,5 % de fusiliers et 76,1 % de mousquetaires. En 1703, les piques ont disparu.

● La cavalerie

Contrairement à l’infanterie, la cavalerie évolue peu. La cavalerie lourdement cuirassée n’est à l’époque de Louis XIV qu’un vestige des époques précédents ; avec le régiment des Royal-Cuirassiers. En 1679, le sabre remplace l’épée dans la cavalerie française, sur le modèle autrichien. Les cavaliers disposent aussi de pistolets, et la carabine rayée (arme précise présentant l’avantage de ne pas s’encrasser rapidement) progresse chez les unités d’élite. Il y a deux carabiniers par compagnie de cavalerie en 1679, puis une compagnie de carabiniers par régiment en 1690, avant que ne soit constitué un régiment de carabiniers, en 1693. Autre évolution : dans les années 1690, les Français ajoutent des hussards qui combattent dans le style hongrois, mais ceux-ci restent peu nombreux.

La charge reste le mouvement tactique principal, mais elle ne se fait pas à toute allure. Une charge au trot permet de garder la cohésion de la formation tandis qu’une charge à une allure rapide augmente le choc de la charge. Les Français font un compromis en avançant au trot pour garder la cohésion et ne pas fatiguer les chevaux avant de se lancer au galop sur les 50 derniers mètres.

● L’artillerie

La pièce d’artillerie principale est le canon avec son projectile, le boulet. Il est aussi utilisé de la mitraille, ensemble de petites balles et divers projectiles qui ont un pouvoir destructeur sur les rangs ennemis. Les mortiers sont utilisés pour les sièges. Vauban calcula que dans les meilleures conditions, un canon lourd peut projeter un boulet à 2,5 kilomètres. Sur un champ de bataille, la portée effective ne dépasse pas 500 mètres. Pour endommager les murailles d’une forteresse il fallait placer les canons lourds à moins de 550 mètres du mur.

En ce qui concerne le mortier, dans les années 1680, Louis XIV et Louvois (ministre de la Guerre) sont fascinés par cette arme en raison de la terreur qu’elle inspire aux populations et des dégâts occasionnés. Ressemblant à un pot renversé, il projette son obus à haute altitude, permettant de toucher la ville de l’intérieur, en passant au-dessus des murailles. A Mons en 1683, les Français envoient 2500 à 3000 obus sur la ville, sur ordre de Louvois.

Durant le règne de Louis XIV, la moyenne est d’un canon pour 1000 hommes. A Entzheim (1674), Turenne dispose de 30 canons pour 25.000 hommes. A Neerwinden (1693), Luxembourg aligne 71 canons pour 80.000 hommes. A Malplaquet (1709), Villars en possède 60 pour 75.000 hommes.

III. L’art de la guerre : le siège plutôt que la bataille
Lors des batailles louis-quatorziennes, la victoire ne revient pas à celui qui infligera les plus grandes pertes physiques à l’ennemi mais plutôt à celui qui saura maintenir sa cohésion tout en encaissant de lourdes pertes. Le maréchal Catinat écrit que “l’on prépare le soldat à ne pas tirer et à réaliser qu’il est nécessaire de supporter le feu de l’ennemi, étant donné que l’ennemi qui tire est assurément battu quand on reçoit la totalité de son feu”. Deux formations d’infanterie pouvaient se tenir à courte distance et tirer l’une sur l’autre alternativement, avec des pertes effrayantes, ce qui suppose chez le soldat un grand sens de l’auto-sacrifice. De fait, l’entraînement est basé sur l’obéissance aveugle et la contrainte, et non pas seulement sur le maniement des armes.

Mais les batailles restent rares, car considérées comme hasardeuses, avec un résultat imprévisible. Elles ne sont jamais décisives – à la différence des batailles napoléoniennes -, l’ennemi parvenant à mobiliser d’autres hommes issus d’un autre front (par un jeu de bascule) ou de garnisons de forteresses. Lorsqu’un belligérant remporte une bataille, cela lui suffit pour poser des conditions de paix plus dures.

L’art de la guerre à la fin du XVIIe siècle n’a pas grand chose à voir avec l’art de la guerre napoléonien. Les mouvements de troupe sont lents et le siège est au temps de Louis XIV la forme la plus courante d’opération militaire. Les forteresses contrôlent des régions, servent de verrous pour l’adversaire et de “pont” pour les Français. La guerre de siège paraît être la forme la plus rationnelle de la guerre.

Sources :
CORVISIER, André. Louvois. Fayard, 1983.
LYNN, John A. Les guerres de Louis XIV, 1667-1714. Perrin, 2010.
http://www.fdesouche.com/ 

1356 : Bravoure royale


Harcelé par les Anglais, tandis qu'un vent de trahison souffle sur le royaume, Jean II le Bon fait face à la débandade de ses armées. Descendant de cheval, il se saisit d'une hache pour combattre seul jusqu'à épuisement.
Cette année-là, la sixième de son règne, Jean II le Bon, trente-sept ans, deuxième roi de la branche des Valois, devait faire face à une situation exécrable, héritée de son père Philippe VI. Le roi d'Angleterre Édouard III, petit-fils par sa mère de Philippe IV le Bel, non seulement prétendait que les Valois lui avaient volé la couronne de France, mais il avait, en 1346 à Crécy, infligé à la royauté française sa première grande défaite.
L'événement avait fortement démoralisé la noblesse, la trahison planait partout, même au sein de la famille royale où le gendre du roi Jean, le puissant et tortueux roi de Navarre, Charles le Mauvais, arrière-petit-fils par sa mère de Philippe le Bel, prétendait au trône, et intriguait partout dans le pays…
L'autre “bataille de Poitiers”
En 1354, le parti de Navarre avait assassiné le connétable de France, Charles de La Cerda. Le roi répondit en séquestrant les nombreux domaines que possédait le Mauvais en Normandie et dans l'Ouest de la France - ce qui eut pour effet de pousser celui-ci dans le camp anglais. Puis un jour le roi parvint par surprise à mettre la main sur ce gendre insupportable en train de dîner secrètement à Rouen chez le jeune dauphin Charles, duc de Normandie (premier prince héritier à porter le titre de dauphin). L'arrestation du Mauvais mit la Normandie, l'Artois, la Picardie en ébullition. Édouard III pensa que l'heure était venue pour lui de s'emparer de la France. Dès 1355, les troupes anglaises se mirent à ravager le Sud-Ouest…
Édouard pouvait compter sur l'aide de grands industriels et commerçants, ainsi que des banquiers florentins ; Jean, lui, n'avait pratiquement pas un sou, ni pour améliorer l'armement, ni pour entretenir des troupes. Le pays rechignait fort à l'idée de payer plus d'impôts. Il fallut s'adresser aux États provinciaux, notamment ceux du Languedoc, les plus fidèles, puis aux États généraux. Quelques taxes furent votées, mais sans grand succès. Puis le roi procéda à des variations monétaires, prit quelques fermes mesures de discipline militaire, institua même un ordre pour redonner aux féodaux le sens de l'honneur. Enfin il décréta le 1er septembre 1355 la mobilisation générale des seigneurs et des troupes soldées.
Une année d'heureuses mais aléatoires escarmouches réduisirent les traitres angevins, mais quand il fallut en septembre 1356 barrer la route de Poitiers au prince de Galles, dit le Prince Noir, remontant du Languedoc (qu'il avait dévasté), les deux armées se trouvèrent face à face près de Maupertuis. Une trêve d'un jour, demandée par le légat du pape Innocent IV, le cardinal de Talleyrand-Périgord, n'eut pour résultat que de permettre aux Anglais de s'organiser. Très vite, le 19 septembre, dans l'armée française, pourtant supérieure en nombre, commandée par deux maréchaux qui ne s'entendaient pas, ce fut le sauve-qui-peut.
C'est alors que l'on vit sur le lieu dit champ Alexandre Jean II le Bon, faisant mettre à l'abri les Enfants de France, descendre de cheval et se saisir d'une hache pour combattre seul jusqu'à épuisement, tandis que son plus jeune fils, Philippe, quatorze ans, futur duc de Bourgogne, revenu à ses côtés, lui criait les héroïques conseils restés célèbres dans la grande histoire (et qui n'ont jamais cessé d'être de circonstance…) : « Père, gardez-vous à droite ! - Père, gardez-vous à gauche ! »
La deuxième bataille de Poitiers de notre histoire fut hélas une grande défaite. Le roi de France, blessé au visage, fut emmené captif en Angleterre, mais au moins avait-il sauvé sa couronne, et sa bravoure lui avait acquis un immense prestige, qui émut même ses vainqueurs. Édouard III le reçut à Bordeaux puis à Londres en souverain.
Royaume orphelin
Toutefois le pays privé de son roi « payait cher cinquante ans d'insubordination et de désordre », comme dit Jacques Bainville. Le jeune et courageux dauphin Charles, à dix-huit ans, avait à faire face à la révolution menée par le prévôt des marchands de Paris, Étienne Marcel, tandis que Charles le Mauvais était à deux doigts de prendre la couronne. Nous reviendrons dans cette rubrique sur ces faits terribles qui préfigurent déjà 1793.
Le roi, quant à lui, de moins en moins bien traité par les Anglais, dut se résoudre en 1360 à signer sous la contrainte, donc sans engagement moral, le traité de Brétigny, rendant aux Anglais tout le Sud-Ouest français et leur cédant Calais. Quelques années de paix permirent alors à Jean II rentré à Paris de procéder à d'utiles réformes fiscales, notamment de créer le franc, monnaie forte qui allait durer jusqu'en 2002 ! Puis, son fils Louis d'Anjou retenu en otage à sa place s'étant enfui, il revint lui-même à Londres négocier la rançon. Il y mourut le 8 avril 1364, laissant le pays quasi ruiné, mais aux mains du jeune Charles V qui portait tous les espoirs de redressement et qu'on allait bien vite appeler “le Sage”.
MICHEL FROMENTOUX  L’ACTION FRANÇAISE 2000 du 19 février au 4 mars 2009