mercredi 31 août 2011

Pierre-Joseph Proudhon aurait 200 ans

Maurras a loué les lumières de Proudhon sur la démocratie et sur le libéralisme. Un anarchiste qui n'était pas un homme de désordre, et qui, sans être un maître en politique, mérite d'être relu en ces temps de crise : il semble parler pour notre temps en évoquant la « régularisation » de l'économie par le droit…
Il y a deux cents ans ce 15 janvier naissait à Besançon Pierre-Joseph Proudhon. On s'est trop souvent contenté de retenir de lui sa phrase à l'emporte-pièce : « La propriété c'est le vol » et de le classer parmi les socialistes. C'est oublier que ce penseur se qualifiant lui-même d'« anarchiste » et qui l'était, n'a jamais rejoint quelque doctrine que ce fût, se laissant seulement séduire par certaines vérités qu'il entrevoyait. Maurras dans La Démocratie religieuse l'opposait à Jean-Jacques Rousseau, « vagabond genevois sans feu ni lieu, sans cœur ni vertu » ; Proudhon, lui, était « ce robuste Franc-Comtois, puissamment établi sur sa race, sur sa famille, sur son foyer, fidèle époux, père rigide, aussi incorruptible et probe à l'état de travailleur que de débiteur, riche des vieilles qualités héritées qui expliquent son profond malaise dans ses erreurs et tant de brusques sauts en arrière ».
« Le socialisme n'est rien »
En fait, il ne se faisait aucune illusion sur le socialisme : « Le socialisme n'est rien, n'a jamais rien été, ne sera jamais rien. » Quant à la propriété, il ne considérait comme un « vol » que celle qui lui apparaissait comme « le droit de jouir et de disposer à son gré du bien d'autrui, du fruit de l'industrie et du travail d'autrui » (cité par Louis Salleron : Libéralisme et Socialisme).
En fait, quand, au sortir d'une jeunesse dure et laborieuse, Proudhon présenta sa thèse Qu'est-ce que la propriété ?, il ne manquait ni de talent ni d'audace ni même d'un certain sens de la provocation. Lui qui était pauvre et n'enviait nullement les richesses des autres, affectait de croire qu'au droit de propriété était lié le droit d'en abuser. En homme profondément honnête qui allait toute sa vie devoir lutter pour subsister, il se sentait le devoir de condamner dans la propriété l'intérêt et l'usure. Son impulsivité allait lui inspirer quelques ouvrages qui lui vaudraient d'être assigné en justice, mais à l'âge mûr, il se détacha de tous les systèmes alors en vogue : saint-simonisme, fouriérisme, blanquisme, anarchisme, communisme.
Il venait de publier ses Contradictions économiques quand éclata la révolution de 1848. Il avait déjà réfléchi sur la révolution de 1789 et savait qu'après avoir isolé et abandonné l'ouvrier par la sinistre loi Le Chapelier de 1791 contre les associations, elle n'avait profité qu'aux bourgeoisies financières, lesquelles avaient imposé le pouvoir absolu de l'État.
Proudhon voulait en arriver au plus tôt à une réorganisation du travail. Une expérience de l'Assemblée nationale en juin 1848 sous la IIe République le dégoûta à jamais du parlementarisme : sa tiédeur à l'égard des “Ateliers nationaux” de Louis Blanc qui ne remontaient pas aux vraies causes du mal, ses propositions pour la réforme du crédit, son refus du jeu des partis n'étaient guère compris. Pierre Bécat, dans L'Anarchiste Proudhon (Nouvelles Édiions latines) le décrit ainsi en ces années-là : « Ennemi du pouvoir politique, Proudhon étale son aversion pour l'État et ses vices corrosifs : l'étatisme, assorti de la centralisation et de la bureaucratie, alors qu'il serait si simple de remédier à ces facteurs de désordre et de tyrannie, par l'entente libre entre les travailleurs. » Il se reportait alors aux traditions exemplaires de la vie féodale, « maîtrises, corporations et droit d'aînesse », qui contribuaient à développer toujours la fraternité.
Ni communisme ni libéralisme
Il rompit très tôt avec Karl Marx, lequel avait répondu à sa Philosophie de la misère par La Misère de la philosophie… Proudhon, qui ne croyait pas à la lutte des classes, entrevoyait déjà le communisme comme la pire des dictatures : « Centralisation absorbante, destruction systématique de toute pensée individuelle, corporative et locale, réputée scissionnaire, police inquisitoriale, abolition ou restriction de la famille, à plus forte raison de l'hérédité. »
Pas moins sévère avec le libéralisme, Proudhon nous semble parler pour notre temps : « Dans leur théorie de la propriété, de la concurrence, du crédit, non contents de professer une liberté illimitée que nous voulons aussi, ils font abstraction des intérêts de la collectivité, qui sont le droit ; ne comprenant pas que l'économie politique se compose de deux parties fondamentales : la description des forces et phénomènes économiques en dehors du droit, et leur régularisation par le droit. »
Anarchie ?

En somme si Proudhon con-damnait l'État, se posant ainsi en anarchiste dans le vrai sens du mot, c'est parce que l'État, à ses yeux, dans le système capitaliste, ne pouvait qu'être l'instrument des ploutocrates.
Homme de contradictions, il voulait dresser face à cette formidable puissance un contre-poids qui serait… la propriété ! « La propriété, écrivait-il dans sa Théorie de la propriété, [est] la plus grande force révolutionnaire qui existe et qui se puisse opposer au pouvoir […] Prenez la somme des forces propriétaires : vous aurez une puissance égale à celle de l'État. » Et de souhaiter même la généralisation de la propriété, apparaissant ainsi comme un précurseur du “capitalisme populaire”…
Pour remplacer l'État tyran et planificateur, une solution, la mutualité : « Des statistiques détaillées et souvent renouvelées, des informations précises sur les besoins et les existences, une décomposition loyale des prix de revient, la prévision de toutes les éventualités, la fixation entre commerçants et consommateurs, après discussion amiable, d'un taux de bénéfices en maximum et minimum selon les difficultés et les risques, l'organisation de sociétés régulatrices : tel est à peu près l'ensemble des mesures au moyen desquelles les partisans de la mutualité songent à discipliner le marché. » Tout un programme qui mérite attention. Vraiment l'anarchiste Proudhon n'était ni un destructeur ni un rêveur. Son “anarchie” était tout le contraire d'un désordre.
Proudhon et Maurras

La société selon lui reposait sur le contrat social, mais tout à l'opposé de celui dont avait rêvé Rousseau : le contrat pour être social doit relier tous les membres d'une nation dans un même intérêt. Il est « l'acte suprême par lequel chaque citoyen engage à la société son amour, son intelligence, son travail, ses services, ses produits, ses biens, en retour de l'affection, des idées, travaux, produits, services et biens de ses semblables, la mesure du droit pour chacun étant déterminée toujours par l'importance de ses apports et le recouvrement exigible au fur et à mesure des livraisons ».
Proudhon voit les choses en juriste également quand il aborde en matière régionale la question du fédéralisme, et Maurras, dans L'Idée de décentralisation, a opposé au fédéralisme contractuel les fédérations historiques réelles, comme on peut opposer au “contrat social” les organisations professionnelles à l'image des grandes libertés de l'Ancien Régime. Il n'en reste pas moins que Maurras a loué les lumières de Proudhon sur la démocratie et sur le libéralisme. Il saluait même les efforts d'anciens révolutionnaires curieux et de bonne foi qui trouvaient dans le proudhonisme de quoi « les tirer du collectivisme et les conduire à la vue exacte des conditions réelles de la vie en société ».
N'oublions pas les rapprochements entre syndicalistes et nationalistes d'Action française qui eurent lieu avant 1914, sous le nom, justement, de Cercle Proudhon, dont Maurras a dit : « Les Français qui se sont réunis pour fonder le Cercle Proudhon sont tous nationalistes. Le patron qu'ils ont choisi pour leur assemblée leur a fait rencontrer d'autres Français, qui ne sont pas nationalistes, qui ne sont pas royalistes, et qui se joignent à eux pour participer à la vie du cercle et à la rédaction des Cahiers. Le groupe initial comprend des hommes d'origines diverses, de conditions différentes, qui n'ont point d'aspirations politiques communes, et qui exposeront librement leurs vues dans les Cahiers. Mais, républicains fédéralistes, nationalistes intégraux et syndicalistes ayant résolu le problème politique ou l'éloignant de leur pensée, tous sont également passionnés par l'organisation de la cité française selon des principes empruntés à la tradition française, qu'ils retrouvent dans l'œuvre proudhonienne et dans les mouvements syndicalistes contemporains… »
Vers le roi

Comme le dit Pierre Bécat dans son ouvrage déjà cité, Proudhon met sur la voie de Maurras voulant concilier « les libertés en bas, l'autorité en haut ». Ce qui a manqué à Proudhon, c'est de comprendre que l'organisation sociale à laquelle il aspirait, si elle nécessitait le moins d'État possible, forçait à rechercher quand même « un modèle d'État indépendant des coteries et impartial, dégagé des préjugés de classes et mu par la notion de l'intérêt national, dans le respect des intérêts du travail fortement garantis ». Cet État que l'on a parfois présenté comme « l'anarchie plus un », c'est assurément la monarchie qui eut la force de faire la France sans jamais s'immiscer dans ce qui ne regardait que les Français eux-mêmes, leurs familles, leurs professions, leurs collectivités locales. Dans Calendal, Frédéric Mistral parle des Provençaux qui savaient, quand le droit était dedans, laisser le roi dehors… Ce qui ne les empêchait nullement d'aimer et de servir le roi, incarnation du bien commun.
Proudhon mourut en 1865, trois ans avant la naissance de Maurras, qui allait enfin enseigner les disciplines de l'intelligence et du cœur aux penseurs comme Proudhon, sagaces, de bonne foi, mais encore trop brouillons.

Michel Fromentoux    http://www.actionroyaliste.com/
Défenseur du dimanche
La pensée religieuse de Proudhon est difficile à définir. Sans doute a-t-il proféré contre Dieu lui-même, contre le christianisme et contre l'Église des paroles très dures, mais elles semblent plus manifester un amour déçu qu'une véritable haine. Il a d'ailleurs écrit : « L'athéisme se croit fort et intelligent, il est bête et poltron. »
Il est aussi l'auteur d'un Discours sur la célébration du dimanche : « Dans les campagnes où le peuple cède plus facilement au sentiment religieux, le dimanche conserve quelque chose de son influence sociale. L'aspect d'une population rustique réunie comme une seule famille, à la voix du pasteur, et prosternée, dans le silence et le recueillement, devant la majesté invisible de Dieu, est touchante et sublime. Le charme opère sur le cœur du paysan : le dimanche il est plus bienveillant, plus aimant, plus affable ; il est sensible à l'honneur de son village, il en est fier ; il s'identifie davantage avec l'intérêt de sa commune… »

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