mardi 30 novembre 2010
Guerre de 1870 : L’affaire du camp de Conlie (fin)
Guerre de 1870 : L’affaire du camp de Conlie (1ère partie)
C'est un épisode peu et mal connu de la sombre année 1870. On y voit comment, une fois de plus. la passion politique peut remporter sur les nécessités nationales. Jacques-Philippe Champagnac a refait toute l'enquête de l'« armée de Bretagne ».
On a quitté Sillé-le-Guillaume en direction du Mans… Dix kilomètres. De hauts peupliers ombragent une route toute droite. La plaine alentour s'est élargie, s'ouvrant sur de lointaines collines ; une vaste plaine, recouverte maintenant de champs de maïs et de blé, mais sur laquelle, au mois de novembre de la sombre année 1870, se dressèrent les tentes, abritant dans la boue près de 50 000 hommes, les mobilisés de l'« armée de Bretagne ». L'armée de Bretagne… Mais il convient sans doute de placer l'affaire du camp de Conlie dans son cadre, en un rappel de l'événement : Paris est investi et les troupes prussiennes et bavaroises s'avancent vers la Loire. Le gouvernement de la Défense nationale, qui s'est constitué le 4 septembre, après le renversement de Napoléon III, et qui est un gouvernement provisoire, a proclamé une République, également provisoire, peut-être. Une délégation a été formée à Tours, composée d'hommes falots, âgés, comme Adolphe Crémieux. et aux noms d'opérette, comme Glais-Bizoin, l'amiral Fournichon. Il a fallu à cette délégation un homme nouveau, c'est Gambetta. Il est le symbole de la lutte à outrance. Il est jeune - trente-trois ans. Il a, le 7 octobre, quitté Paris à bord du ballon « Armand-Barbès », a atterri près de Montdidier. Le lendemain, il était à Tours.
Il a rapidement éliminé ses collègues, se faisant attribuer les portefeuilles de ministre de l'Intérieur et de la Guerre, avec des pouvoirs absolus pour poursuivre le combat, fabriquer, rechercher dans les pays amis armes et munitions. La délégation avait décrété, le 28 septembre, la mobilisation des hommes jusqu'à vingt-cinq ans, puis, deux jours plus tard, celle des hommes de vingt-cinq à quarante ans, constituant une Garde nationale. Gambetta est employé énergiquement à faire exécuter ces mesures.
Dieu et patrie
C'est en Bretagne que cette dernière mobilisation a été le plus rapidement suivie d'effet. Il n'y a pas eu un seul réfractaire, et le départ des appelés s'est effectué dans l'enthousiasme et la piété. Dans chaque paroisse, ils ont été bénis par leur curé, après célébration d'une messe solennelle… Et les voici au camp de Conlie, directement, sans être passés par un centre d'instruction.
Il n'est pas beau, ce camp. Rien que des tentes malsaines, humides. Il y fait froid. Bientôt, la pluie ne cessant de tomber, on n'en sortira que pour patauger dans une boue épaisse et gluante, dans laquelle, le plus souvent, il sera impossible d'essayer de manœuvrer. Or ces hommes constituent l'armée de Bretagne, destinée, en principe, à dégager Paris de l'étau ennemi. Et cette armée a un chef, M. de Keratry.
Il a trente-huit ans. Il est entré très jeune dans la carrière militaire, a combattu en Crimée, puis au Mexique. Il a démissionné en 1865, a été élu député du Finistère quatre années plus tard. Membre du gouvernement provisoire, il en a été le premier préfet de police. Et - détail pittoresque - c'est lui qui a fait appeler « gardiens de la paix » ceux qui n'avaient été jusque-là que des ( sergents de ville ».
C'est un Breton - son nom en fait foi comme d'autres acteurs des événements du 4 septembre : Jules Simon, Trochu. Il veut, évidemment, très sincèrement contribuer à la défense de la patrie, mais veut-il, également très sincèrement, contribuer à la défense de la République ?
Gambetta, cependant, lui a montré une totale confiance en le mettant à la tête des Bretons, avec le grade de général de division, et des pleins pouvoirs. Mais il va, à ses yeux, devenir rapidement inquiétant, ce nouveau général…
Qu'on n'oublie pas que la République est bien jeune. C'est là un régime que beaucoup désirent - ou craignent - provisoire (et les élections, quelques mois plus tard, en février 1871, donneront, on le sait, une majorité à la droite). Gambetta est un ardent républicain. Et voici que Keratry - dont, encore une fois, les sentiments entièrement français ne peuvent être suspectés - emploie un langage auquel, depuis la chute de Napoléon III, on n'était pas, mais pas du tout habitué. Il termine ainsi sa première proclamation à son armée :
« Que le peuple breton marche en avant et prouve au peuple barbare qu'il se lève en peuple libre. Que votre seul cri de ralliement soit : Dieu et Patrie ! »
« Que le peuple breton marche en avant ! » : c'est déjà donner un cadre bien déterminé à une action, et ces « Dieu et Patrie » rappellent des souvenirs, pas tellement lointains.
Et si ces 50 000 Bretons allaient profiter d'une situation militaire très difficile pour imposer un régime qu'ils désirent et qui n'est pas, sans doute, la République ? Et puis, il y a, dans l'armée de la Loire toute proche, deux généraux, héritiers de noms qu'on ne peut oublier : Charette, avec ses zouaves pontificaux, et Cathelineau, avec ses francs-tireurs du 11e corps - qui se battent d'ailleurs pour la France, sans aucune arrière-pensée.
Gambetta s'alarme cependant. Profitant d'une absence de Keratry, il visite - sous la pluie - le camp de Conlie et rédige une proclamation dont il ordonne lecture « à trois appels consécutifs » :
« Songez, soldats, que vous vous battez pour sauver à la fois la France et la République, désormais indissolublement liées dans la bonne comme dans la mauvaise fortune. Qu'il soit dit de vous comme de vos aînés : Ils ont bien mérité de la Patrie et de la République. Vive la France, vive la République une et indivisible ! »
une armée à l'index
Le ton est net. Et, désormais, les agissements de Keratry seront étroitement surveillés. Ainsi, le préfet du Morbihan télégraphie, le 3 novembre, à Gambetta : « Reçu votre dépêche confidentielle n° 3 145, j'en prends bonne note. Soyez tranquille : Keratry, passant revue, a été reçu à Lorient et à Vannes au cris de « Vive la République » ».
Lorsque le maire de Rennes se plaindra au préfet de son département que les mobilisés de Conlie ne reçoivent pas de fusils, ainsi que nous le verrons, il obtiendra cette réponse : « C'est vrai, on ne les arme pas, mais que voulez-vous, à Tours, ces messieurs craignent que ce ne soit une armée de chouans. »
Ce même maire de Rennes écrira, le 15 décembre, à Gambetta qui s'est replié à Bordeaux avec la délégation : « Aujourd'hui nous savons à n'en pas douter que si nos 50 000 mobilisés ne sont pas armés, c'est vous qui l'avez voulu. »
Peu de temps auparavant, Quéneau, aide de camp de Keratry, lui télégraphiait, après une nouvelle démarche auprès de la délégation : « Je crois à certaines influences hostiles, nous sommes à l'index ici. »
Et, le 20 décembre, à propos de l'évacuation du camp - que nous évoquerons dans la suite de ce récit - Freycinet, le délégué à la Guerre, télégraphiera à Gambetta ; « Comme Conlie confine à la politique, je vous demande de prendre vous-même une décision à ce sujet. »
« Conlie confine à la politique. » Le problème est là. A-t-on voulu ou n'a-t-on pas voulu armer les mobilisés ? … On est bien obligé de constater, dans une étude très objective des faits, qu'il y a eu, sinon une volonté déterminée, du moins une mauvaise volonté manifeste de ne pas livrer les armes indispensables.
Il y a des points troublants. Quelques appelés seulement - sur 48 639, le 20 novembre - ont un fusil, sans balles d'ailleurs, que leur ont donné, au moment de leur départ, des gendarmes ou des gardes nationaux sédentaires ; fusils anciens, de modèles et de calibres : différents, qui ne peuvent être utilisés au combat, et qui sont, de plus, réclamés par les préfets (1).
Gambetta a promis à Keratry des « armes modernes». Ces armes sont alors représentées par le fusil « chassepot », d'un calibre de 11 mm et adopté par l'armée depuis 1864. Il a « fait merveille », paraît-il, en 1867 en Italie contre les troupes de Garibaldi. On en fabrique, dit-on, plus de 100 000 par mois. Et pourtant on ne peut en donner à Conlie …
« Trouvez-en dans les dépôts », a déclaré Gambetta à Keratry, qui s'en est allé faire le tour des principales villes et des principaux ports bretons. Il en découvre 15 000 à Brest, les réclame pour ses hommes, et le préfet maritime lui montre une note émanant du ministre, et reçue le matin même : « Je vous enjoins de ne laisser prendre, sous aucun prétexte, les fusils et cartouches Chassepot. »
Vers qui se tourner ? Vers la Commission d'armement ? Cette Commission a envoyé aux États-Unis des délégués chargés de l'achat de fusils. Voici les premiers transports. Leur cargaison, assure-t-on, sera pour l'armée de Bretagne.
sans armes et en sabots
Admettons que cette armée n'ait droit qu'aux armes d'importation. Or, si nous examinons la liste des arrivages, pour la période du 1er novembre au 1er décembre, 158 437 fusils à tir rapide ont été débarqués à Brest et au Havre, de sept navires, français et américains. Aucun n'a été acheminé vers Conlie.
Nous devons ces chiffres, particulièrement éloquents, à M. de la Borderie, rapporteur de l'affaire devant la Commission d'enquête, instituée à l'Assemblée nationale, le 14 juin 1871, pour examiner les actes du gouvernement de la Défense nationale, et spécialement ceux de Gambetta au ministère de l'Intérieur et à celui de la Guerre.
M. de la Borderie, député d'Ille-et-Vilaine, apporte tant de précisions qu'il est difficile de ne pas le croire, même en le taxant d'une certaine sévérité, voire partialité, en sa qualité de Breton. Il remarque : « M. Gambetta s'obstinait donc, par politique, à laisser croupir, sans armes, 50 000 mobilisés de notre province. »
Jacques-Philippe Champagnac Historia juillet 1979
lundi 29 novembre 2010
Et la “tchéka” du PCF ?
Une des rares études sérieuses sur la face cachée du PCF qui s'arrête en 1943. Dommage car l'élimination physique des adversaires de la direction du “parti des travailleurs”, qualifié de traîtres comme les trotskistes, au sein de la résistance que le PCF rejoint en août 1941, continuera avec le paroxysme de l'”épuration sauvage”. De plus, cet apparat servira le NKVD et la GPU contre les cibles désignées par Moscou (Russes blancs, agent de Komintern en fuite (Igance Reiss, Willy Münzenberg), etc.)
La “tchéka” du PCF (1941-43)
Le PCF entretenait pendant l’Occupation une police politique - le détachement Valmy - chargée de l’assassinat des “renégats” et du châtiment des “traîtres”. Nul autre groupe d’action n’était aussi proche de la direction du Parti communiste clandestin dont il constituait le bras armé. Sur ordre de Jacques Duclos, ces “cadres spéciaux” organisèrent à Paris des attentats spectaculaires, dont celui du cinéma Rex, et exécutèrent ou tentèrent d’assassiner plusieurs dizaines de personnes. La découverte et le dépouillement d’archives totalement inédites par deux historiens passionnés mettent en lumière l’existence de cette “Guépéou” du Parti. Leurs recherches ont permis de pénétrer les rouages méconnus du PC clandestin et, pour la première fois, de suivre au quotidien les policiers des RG dans la chasse implacable qu’ils menèrent contre ceux qu’ils appelaient ” le groupe punitif communo-terroriste “. Une enquête historique qui se lit comme un roman et tord le cou à quelques épisodes légendaires de la Résistance communiste.
Un des secrets les mieux gardés du Parti communiste français
Scandale ! Le Parti communiste français, sur les ordres de Jacques Duclos, entretenait pendant la Seconde Guerre une police politique – le détachement Valmy ou, comme ils se désignaient eux-mêmes non sans fierté, « la Guépéou du Parti » – chargée de l’assassinat des « renégats » et du châtiment des « traîtres ». Cette découverte explosive est le fruit de l’exploitation méticuleuse d’archives totalement inédites.
Le récit de Jean-Marc Berlière et Franck Liaigre nous permet de pénétrer les rouages méconnus du PC clandestin, de mettre en lumière les responsabilités, les erreurs, les mécanismes de décision et le cheminement des ordres meurtriers, d’être témoins des exécutions, des attentats ; mais aussi, et pour la première fois, de suivre au quotidien les policiers des brigades spéciales des Renseignements généraux de la Préfecture de police dans la chasse implacable qu’ils menèrent contre le détachement Valmy jusqu’à son démantèlement en 1943.
Cette enquête historique, richement illustrée de fac-similés d’archives, se lit comme un roman. Elle tort le cou à nombre de légendes, et met en lumière mensonges, fables et omissions colportés pendant plus de soixante ans. Elle donne à voir une autre image de la Résistance communiste, différente des mythes construits depuis la Libération.
http://www.fonjallaz.net/
dimanche 28 novembre 2010
Les intellos les plus myopes du monde
L’âge d’or du Sahel
mercredi 24 novembre 2010
Les Européens ne doivent rien, mais alors rien, aux musulmans !
Sans les Arabes, nous ignorerions tout de la civilisation grecque. Ce sont eux qui nous l'ont transmise au Moyen-Âge. En somme, si Aristote est grand, c'est qu'Allah est son prophète. Ce mythe qui pollue les manuels scolaires et les consciences européennes vient d'être détruit. Anéanti. Pulvérisé. Par un professeur d'histoire médiévale. Gloire à lui. Et mémoire éternelle à Constantinople !
« Les musulmans, désireux d'apprendre les sciences des autres nations, se les approprièrent par la traduction, les adaptèrent à leurs propres vues. » Ibn Khaldûn, Muqqadima VI, 4, trad. Rémi Brague
Plongée dans les ténèbres du Haut Moyen-Âge, l'Europe errait sans but, privée de mémoire après les Grandes Invasions(1). Le ciel rougeoyait d'incendies barbares, brasiers dantesques où achevait de se consumer une romanité décadente. L'Église installait son cortège de superstitions et son monachisme omniprésent. Elle collaborait - déjà - avec des proto-nazis portant casque lourd et longues tresses blondes, tout droit sortis de leurs forêts wagnériennes, qui n'avaient pas lu Marguerite Duras, ne s'essuyaient pas même les calligae avant de se vautrer dans l'atrium et se torchaient avec le Critias de Platon. Tout ce beau monde festoyait dans les ruines gallo-romaines en rotant du vin de Lugdunum, et lorsqu'on leur demandait qui était Aristote, ils hésitaient entre un pornographe néo-platonicien et une marque de machine à laver. Saccagée, la culture grecque et latine ; oubliées, les leçons des philosophes : l'antique sophia perennis descendait aux catacombes au son du Credo.
C'est alors que, dans le chant des muezzins, le cliquetis des yatagans et les youyous des bayadères, le soleil se leva (à l'Orient, comme de juste) ; sa lumière éclaira l'Occident avec générosité, irradiant les mathématiques, la médecine et la philosophie. De leur Empire humain et tolérant, rationaliste et scientifique, les Arabes, qui avaient lu et bien entendu amélioré les Grecs, transmirent libéralement ce savoir à nos ancêtres pour les faire sortir de leurs terriers. Belle opération humanitaire qui n'aboutit hélas à rien. Car, ingrats comme les Infidèles que nous étions, nous récompensâmes un peu plus tard nos bienfaiteurs désintéressés par les Croisades, la colonisation, les foyers Sonacotra et Michel Houellebecq.
L'Histoire réécrite à grands coups de sourate dans le crâne
Mais la Vérité finit toujours par triompher de l'ethnocentrisme occidental, et le regroupement familial a fini par réussir là où Saladin et Soliman le Magnifique avaient échoué. Nos enfants réapprennent aujourd'hui à l'école tout ce qu'ils doivent aux ancêtres de leurs petits camarades de classe musulmans. Des rapports officiels de l'Union européenne demandent la révision des manuels scolaires pour y inclure l'immense place que tient l'Islam dans notre identité. De lycées Averroès en « racines musulmanes de l'Europe », de mosquées-cathédrales en réinterprétations de la bataille de Poitiers (Charles Martel était le premier lepéniste), l'Histoire est redressée à grands coups de sourates tolérantes. La culture, l'art et le savoir européens viendraient en droite ligne de l'empire Abbasside. Exit Godefroy de Bouillon et saint Bernard, bienvenue Avicenne et Mehmet le Conquérant. Bysance et les mille ans de l'Empire romain d'Orient, conservatoire de la sagesse grecque qui jamais ne coupa les ponts avec la chrétienté latine, tout en la protégeant contre le cimeterre islamique ? Nul et non avenu. La Patristique, les écoles de traduction des monastères chrétiens ? Idem.
Proclamés instituteurs de l'Europe, les Arabes, dont il est du dernier chic dans les dîners en ville de citer les grandes figures intellectuelles comme Ibn Farab, Avicenne ou Averroès (2) se retrouvent avoir tout inventé. Et tant pis si personne n'a vraiment lu ces philosophes hétérodoxes dont on voudrait qu'ils aient été des rationalistes avant l'heure, interprétation en totale contradiction avec leur approche de la vérité musulmane. Ceux qui les citent compulsivement sont ceux qui les maîtrisent le moins. Luc Ferry, qui s'était abrité derrière Averroès pour critiquer le discours de Ratisbonne de Benoît XVI, s'est ainsi fait humilier justement sur la chaîne de télévision KTO par le professeur Brague - arabisant et vrai spécialiste d'Averroès, lui -, qui avait démontré la cuistrerie et la minceur du vernis de connaissance de l'ancien ministre dans ce domaine difficile.
Mais détail, détail que tout ceci. Nous devons tout aux Arabes. Ils sont donc ici chez eux, et il est normal, au nom de leur dette intellectuelle, que les Européens leur fassent une place grandissante dans leurs pays de vieille chrétienté. Il fallait tout de même y penser. Au moment où l'antiracisme à sens unique commençait à s'essouffler, l'histoire prend opportunément le relais, alors que grossit en Europe une communauté musulmane prolifique persistant à détester les Roumis. En leur répétant qu'ils sont nos maîtres, ils finiront peut-être par nous aimer ? La vulgate imposée aujourd'hui par lâcheté et multiculturalisme capitulard tend en somme à faire passer des conquérants destructeurs pour des parangons de science et de culture, sous prétexte de les intégrer à une civilisation qui ne leur doit rien et s'est bâtie contre eux.
« C'est grâce aux penseurs arabes que l'Europe a connu le rationalisme » !
Reste un détail gênant : la dette «éternelle» soi-disant contractée par l'Europe auprès des savants arabes, qui lui aurait permis de renouer avec l'héritage grec et de sortir des ténèbres, est une fable grossière et politiquement orientée. Dans Aristote au Mont Saint-Michel, Sylvain Gougenheim, professeur à l'École Normale de Lyon, le démontre sans appel, en un mélange de clarté et d'érudition qui force l'admiration, et rappelle les collaborationnistes aux réalités de la critique historique objective(3).
Pour l'auteur, dont l'argumentation foisonne d'exemples concrets, nous devons tout aux Grecs sans que les «Arabes» n'y aient jamais rien ajouté de sérieux. Il y a bien eu transmission directe de l'Hellade à l'Europe chrétienne, qui n'a jamais perdu le contact avec les sources de son héritage classique, même au Haut Moyen-Âge. Une affirmation essentielle, étant donné la force des falsifications actuelles relayées par nos «élites». Car à écouter les «experts» autorisés, l'empire des Abbassides aurait non seulement sauvé le legs antique, mais encore aurait-il été intrinsèquement supérieur aux autres cultures de l'époque !
Ainsi parle Mme Zeinab Abdel Aziz, professeur de civilisation française à l'université AI-Azhar du Caire : « Tout l'Occident dans son ensemble a été édifié sur l'apport indéniable de l'Islam […], c'est grâce aux penseurs arabes que l'Europe a connu le rationalisme »(4). Tahar ben JelIoun ne dit pas autre chose dans son médiocre L'islam expliqué aux enfants (5), et le très doué Amin Maalouf propage cette vision irénique d'un Orient pacifique «violé» par les méchants Européens dans son très partisan les Croisades vues par les Arabes(6).
Il faut comprendre cette frustration : que fait-on quand la culture à laquelle on appartient n'a rien produit de durable, et a tout emprunté à des civilisations conquises par la violence, parasitées et réduites à la dhimmitude, des Byzantins aux Perses, des Indiens aux Juifs ? On invente, on sublime, et l'on s'approprie les mérites des autres pour retrouver une estime de soi que l'Histoire s'obstine à déclarer sans objet. Il serait dommage de se gêner, d'autant que les lointains et indignes héritiers des Grecs, Romains, Croisés et Byzantins haïs et jalousés collaborent aujourd'hui à cette réécriture par pure haine de soi.
La vérité, c'est que les musulmans furent à l'école des chrétiens
Sylvain Gougenheim résume lumineusement le problème actuel : « S'impose désormais l'image biaisée d'une Chrétienté à la traîne d'un “Islam des Lumières” auquel elle devrait son essor, grâce à la transmission d'un savoir grec dont l'époque médiévale avait perdu les clefs. On parle d'un “héritage oublié” dont il faudrait “rendre conscients les Européens”. » Une manœuvre dont il démonte les ressorts en redressant quelques idées reçues :
• Les invasions barbares avaient détruit le savoir antique en Europe. Faux : « Les récents travaux des antiquisants et des médiévistes ont montré que cette période des Ve-VIIIe siècles ne fut pas si catastrophique, les facteurs de dislocation, bien réels étant atténués par des éléments de continuité. » On traduisait directement les auteurs grecs à la cour de Charlemagne, de Louis le Pieux, et de Charles le Chauve.
• Ce sont les manuscrits arabes qui ont fait connaître Aristote à la chrétienté. Faux : « Cinquante ans avant que ne démarre en Espagne la traduction des versions arabes d'Aristote, l'œuvre avait été traduite directement du grec à l'abbaye du Mont Saint-Michel. »
• Le monde islamique était un univers homogène. Faux : « L'univers arabe ne peut être réduit à une seule foi […] Les Arabes chrétiens et les chrétiens arabisés du fait de la conquête musulmane constituaient encore près de la moitié de la population des pays d'Islam aux alentours de l'an mil. » Et ce sont ces derniers, enfants perdus de Byzance et du savoir grec mais toujours chrétiens, qui fournirent pendant des siècles à la civilisation musulmane son socle de connaissances : « Jamais les Arabes musulmans n'apprirent le Grec, même al-Farabi, Avicenne ou Averroès l'ignoraient. » À cette époque «brillante» de la civilisation arabe comme à l'époque moderne, les musulmans furent à l'école des chrétiens arabes, perses et grecs qu'ils avaient soumis et qui leur fournirent l'immense majorité de leurs médecins, lettrés, traducteurs, et mathématiciens (7).
• Le passage de l'univers scientifique et philosophique grec s'est fait naturellement vers le monde islamique, avant d'être transmis facilement à l'Europe par ces derniers. Faux : « Quel texte philosophique, quel raisonnement scientifique peut sortir indemne de transformations où le vocabulaire et la pensée basculent d'un système indo-européen à un système sémitique avant de faire retour au texte d'origine » ? De plus : « la croyance en la nature incréée du Coran mit d'importantes répercussions sur la possibilité d'une expression libre de la pensée. » Les plus originaux des penseurs arabes, comme Ibn Khaldûn, ont pu selon certains, tout en restant croyants s'échapper des catégories transcendantes et étroites de l'Islam pour réfléchir sur la possibilité d'une Raison autonome (8). Mais ce furent des exceptions, moins d'une dizaine. Pas de Thomas d'Aquin musulman pour faire dialoguer le Coran et Aristote. Tout resta, y compris chez Averroès et Avicenne, et encore plus chez Al-Ghazali, totalement et étroitement enfermé dans le carcan du Livre.
• L'Islam a inventé la science moderne. Faux : « la science moderne s'est développée à partir du XVIe siècle, et seule l'Europe peut en revendiquer la paternité. »
• Le filtre islamique était nécessaire pour que l'Europe renoue avec son héritage antique. Faux : « L'hellénisation de l'Europe médiévale fut le fruit des Européens [… ] Un fil directeur part des cités grecques et unit les Européens à travers les âges. »
• L'Islam était éclairé, raffiné, spirituel, tandis que l'Occident était brutal, guerrier et conquérant. Faux : l'Islam ne fut jamais riche que des civilisations qu'il asservit, pilla et détruisit, jamais l'Europe ne fut en paix tant que les musulmans étaient forts, Byzance - et non la Mecque - fut finalement détruite, la Méditerranée ravagée, les Croisades (entreprises pour délivrer des terres chrétiennes) échouèrent, les Turcs parvinrent jusqu'à Vienne après avoir dévasté tous les Balkans… Qui menaçait qui ?
Aristote au Mont Saint-Michel devrait être offert à tous les étudiants en histoire, à tous les journalistes, et se retrouver dans toutes les bibliothèques des Européens conscients de leur héritage. La prochaine fois qu'un cuistre vous entreprendra sur Avicenne et les «savants» arabes, vous pourrez lui river son clou en remettant les choses dans leur contexte, et la civilisation bédouine à sa place (qui n'est pas sur l'Acropole). Le premier devoir est de se former culturellement. Qui s'élèvera, sinon, contre le mensonge, à l'heure où l'inculture domine ? Elle est bien lointaine, cette période du VIe au XIIe siècle où s'est noué tout notre héritage. Et c'est pourtant là que s'est accomplie, entre les derniers Romains et les premiers Capétiens, la synthèse proprement européenne entre Athènes, Rome et le principe spirituel chrétien(9). La synthèse dont tous, nous sommes issus.
La sagesse, la beauté et la lumière grecques ne leur doivent rien
C'est cette période que les islamomanes revisitent en apprentis sorciers pour en faire naître le fantasme bien marketé de mahométans tolérants et hellénisés. Le viol s'accomplit en silence, car ces « âges obscurs » n'intéressent pas grand monde. C'est un peu comme la période de l'Histoire de France qui s'étend de 1850 à 1914 : rien de moins connu, et pourtant tout est là des contradictions, des falsifications et des mythes dans lesquels s'enracine « la République des républicains » qui a fini par se confondre, brigandage mémoriel confondant, avec la France tout entière et ses 1 500 ans d'Histoire.
Faudra-t-il, pour prix de «l'arrogance», de la «cruauté» et de la «barbarie» occidentales supposées, accepter de voir ainsi notre histoire travestie au bénéfice de la multiculturalité triomphante ? Les Européens ne doivent que peu de choses aux musulmans, en dehors des pillages, des destructions, des invasions, et de quelques équations mathématiques. S'ils ont une vraie dette, c'est envers une autre civilisation.
Il faut aussi laisser la conclusion sur ce point à Sylvain Gougenheim : « Le monde occidental chrétien du Moyen-Âge fit de son mieux pour retrouver le savoir grec. Il y parvint au terme d'un étonnant effort pluri-séculaire dont la constance et l'opiniâtreté témoignent de l'intime conviction que là résidait la matrice de sa civilisation. Il a, dans cette quête, une dette envers l'Empire romain d'Orient, Constantinople, grand oublié de l'héritage européen, qui partageait avec lui un même patrimoine culturel et civilisationnel, celui de l'Antiquité classique. »
Il suffit d'examiner deux minutes une carte de géographie : pourquoi aurait-il fallu traverser la Méditerranée pour aller mendier la connaissance chez les destructeurs du Saint-Sépulcre, alors qu'aux portes mêmes de la chrétienté latine l'Empire Romain allait se perpétuer mille ans ? Ce sont les savants chrétiens chassés de Syrie, de Palestine, d'Egypte, d'Anatolie, de Constantinople, toutes terres chrétiennes avant le cataclysme mahométan, qui, fuyant l'intolérance de leurs vainqueurs, firent au cours des siècles et à mesure que reculait Byzance, passer à flot continu en Europe latine le trésor de la sagesse, de la beauté et de la lumière grecques.
Ce jour maudit où Byzance tomba aux mains des Ottomans
Il n'y a dans toute l'histoire de notre civilisation qu'un seul crime dont un Européen puisse honnêtement se repentir, c'est celui de la quatrième croisade qui prit Constantinople en 1204 au lieu d'aller étriller les Turcs. Je veux bien me flageller pour cela. Mais pour le reste, tout le reste, les grands prêtres du masochisme occidental peuvent se brosser. Quant à notre héritage grec, foin d'Avicenne ou d'Averroès, aussi sympathiques qu'inutiles et incertains. Nous n'avons perdu la filiation directe avec lui que le jour maudit de 1453 où Byzance finit par tomber sous les coups des guerriers du croissant. Un jour de deuil pour tous les vrais Européens, un malheur personnel qui nous est arrivé la semaine dernière.
Ce jour-là, Constantin XI Dragasès, Basileus et dernier empereur romain, mourut l'épée à la main en défendant courageusement les murailles de la Reine des Villes. la barbarie née au VIIe siècle des sables d'Arabie emporta alors ce qui restait d'un monde à l'agonie (10) : « En certains endroits, le sol disparaissait sous les cadavres et l'on ne pouvait plus marcher dans les rues […] Les Turcs vainqueurs se battaient entre eux pour s'arracher les plus beaux jeunes hommes, les plus belles jeunes femmes […] Cette cohue de toutes les nations, ces brutes effrénées se ruaient dans les maisons, arrachaient les femmes, les traînaient, les déchiraient ou les forçaient, les déshonoraient, les violentaient de cent façons aux yeux de tous dans les carrefours […] Mehmet avait ordonné que les familles des dignitaires grecs soient réduites à la plus dure et à la plus humiliante des servitudes […] De Sainte-Sophie, ils firent d'abord une écurie. Un nombre incalculable de manuscrits précieux, ouvrages des auteurs grecs ou latins de l'Antiquité, furent brûlés ou déchirés […] Dix volumes d'Aristote ou de Platon se vendaient une seule pièce de monnaie. » Reconnaissons que nous avons fait des progrès : aujourd'hui, nos historiographes les vendent trente deniers.
Revenons sur terre. L'Europe « aussi musulmane que chrétienne », qui peut avaler ça après Poitiers, Dorylée, la Mansourah, Grenade, Mohacs, le Kahlenberg, Kosovo Polje, Navarin, Lépante ? Au lieu de subventionner des centres «culturels» islamiques et de rêver à une tolérance arabo-andalouse ou ottomane qui n'exista que dans les rêves de quelques orientalistes prisonniers de leurs fantasmes, les Français feraient mieux d'ériger des statues de Constantin Dragasès dans les cours de leurs Universités, indignes héritières du miracle grec.
En attendant, en mémoire du jour où disparut la moitié de notre héritage et à l'heure où les Turcs sont sur le point de franchir à nouveau les murailles d'une Europe qui s'imagine musulmane, je préfère penser au soleil d'Apollon, étoile morte qui toujours illumine l'Occident. Et à Constantinople, Ville gardée de Dieu, Deuxième Rome des Empereurs, Educatrice et Rempart des peuples chrétiens face à la barbarie. A Elle, oui, salut et mémoire éternelle !
PAR BRUNO WIESENECK Le Choc du Mois Mai 2008
1. Pas celles des années 1970, celles du Ve siècle.
2. Voir, sur Al-Farabi et son traité, la Cité vertueuse, les commentaires éclairants d'Antoine Moussali dans son article Islam et violence, in La Nouvelle Revue d'Histoire, n°4, janvier-février 2003.
3. Aristote au Mont Saint-Michel. Les Racines grecques de l'Europe chrétienne, par Sylvain Gougenheim, Seuil, 2008, 278 pages, 21 euros.
4. Article du 19 avril 2007, cité par S. Gougenheim, Aristote au Mont Saint-Michel, page 13.
5. Seuil, 2002 .« Je raconte le plus objectivement et le plus simplement l'histoire d'un homme devenu prophète, l'histoire aussi d'une religion et d'une civilisation qui a tant apporté à l'humanité » qu'il disait.
6. jean-Claude Lattès, 1983. La thèse : l'« incursion barbare de l'Occident au cœur du monde musulman marque le début d'une longue période de décadence et d'obscurantisme ».
7. Ils les ont tellement bien récompensés pour ces leçons que de nos jours les derniers chrétiens d'Orient, vrais autochtones de la région, sont en passe d'être éliminés d'un monde qui fantasme encore sur un « âge d'or » dû en réalité à ses dhimmis syriaques, araméens et nestoriens.
8. C'est ce que propose Fabrice Valclérieux dans son article « Le génie d'Ibn Khaldûn », où il utilise également à propos du penseur le terme « d'islam des Lumières » (Eléments, n° 126, automne 2007). Sylvain Gougenheim n'est pas d'accord (et nous non plus) : « Ibn Khaldûn réfutait toute prétention de la raison, non seulement à s'élever au-dessus de la foi, mais même à en éclaircir les mystères » in Aristote au Mont Saint-Michel, page 142. S'il y avait une comparaison à faire entre cet immense penseur et un Grec, ce serait plutôt avec Hérodote qu'avec Aristote.
9. Voir Les Racines chrétiennes de l'Europe. Conversion et liberté dans les royaumes barbares V-VlIIe siècle, par Bruno Dumézil, Fayard, 2007. C'est autre chose, navré pour mes amis ND, que « Le Bolchevisme de l'Antiquité » d'Alain de Benoist.
10. Jacques Heers, Chute et Mort de Constantinople 1204-1453, Perrin, 2004, pages 253 et suivantes.