mercredi 30 janvier 2008

L'Émigration, résultat d'une épuration idéologique


COMMENTANT, dans notre n° du 15 mai 1975, l'Histoire de l'Emigration (1789-1814) que Ghislain de Diesbach venait de publier chez Grasset, notre grand ancien Robert Poulet (1893-1989) écrivait: « Ce qui s'est produit en 1789-1793, l'élimination d'abord spontanée, ensuite forcée, d'une classe, dégénérée par l'intérieur et par l'extérieur, mésalliances, incurie, abus de la spéculation intellectuelle, devrait être un grand exemple pour ceux de nos contemporains qui se préparent si étourdiment à former l'Emigration de demain. Je crains cependant que la leçon ne soit perdue, comme elle l'a toujours été pour les dirigeants des civilisations déclinantes, puisqu'on doit reconnaître qu'ils commettent toujours les mêmes erreurs. » Encore, à l'époque, nos pays ne connaissaient-ils pas le white flight qui, parti d'une Angleterre envahie par ses anciens sujets du Commonwealth, incite désormais tant d'Européens à déserter leur ville, voire leur pays natal pour aller chercher dans des lieux encore préservés un asile où l'avenir et même la vie de leurs proches seront mieux assurés.
C'est dire que la réédition, cette fois dans une collection de poche accessible à tous, de cette Histoire de l'Emigration* vient à son heure tant certaines leçons restent actuelles. Ghislain de Diesbach signale certes l'effet de mode et d' entraînement auquel cédèrent certains aristocrates (qui, un lustre plus tôt, avaient parfois été enragés de philosophie) mais, moins sévère que Robert Poulet, il démonte la politique de terreur qui fut systématiquement utilisée par les Grands Ancêtres pour inciter ou contraindre à la fuite tous les cadres comme on ne disait pas alors - qui, par leur autorité temporelle ou spirituelle, étaient susceptibles de s'opposer à l' avènement de l'homme et du peuple nouveaux issus des Lumières. Les religieux étant les premières cibles de cette « épuration idéologique» (mais aussi ethnique, la réaction étant assimilée à une race). «Ainsi désignés comme les ennemis naturels du genre humain, écrit ainsi notre éminent ami, les malheureux prêtres insermentés sont condamnés soit à émigrer, soit à mourir de faim dans un pays qui, suivant l'une de ses expressions favorites, "les vomit de son sein". Pendant la quinzaine de Pâques, les persécutions se multiplient à l'égard des ecclésiastique et des fidèles désireux de pratiquer librement le culte romain. Tout rassemblement est aussitôt travesti en complot et puni comme un crime de lèse-nation. Les Girondins vont accélérer le vote de mesures exceptionnelles de sûreté contre le clergé et soutiennent une motion demandant la déportation de tout prêtre dénoncé par vingt citoyens actifs ».
Le clergé et la haute noblesse ne sont pas les seule victimes de ces persécutions qui, à partir de 1789, jettent 300000 personnes sur les routes de l'exil. Objets de mille brimades, promis au « couteau républicain », des roturiers fidèles à la Couronne, ou simplement attachés à la tradition, décident aussi de s'expatrier, bien plus nombreux qu'on ne le croit, et certains feront d'ailleurs fortune en Angleterre, en Russie ou aux Etats-Unis.
Car ils ne sont pas toujours les bienvenus à Coblence, où chacun en rajoute sur ses quartiers de noblesse. Ghislain de Diesbach n'est pas tendre pour cette Cour où, malgré la menace pesant sur nous, subsistent clivages et dissensions.
Les nobles de haute lignée toisent les hobereaux, les conservateurs méprisent les "éclairés", les catholiques se méfient des protestants, tous antagonismes exacerbés par les ragots et les egos. A Coblence où « tout s'agite, se pavane et chante victoire avant même d'avoir engagé le combat, si grande est la certitude du succès », raconte Ghislain de Diesbach, «la mentalité est celle d'une coterie dont les membres, fort jaloux les uns des autres, ne s'entendent que pour restreindre le nombre des élus. Cet état d'esprit règne non seulement dans les salons mais aussi dans l'armée. Loin d'accueillir avec empressement les volontaires qui se présentent encore (. .. ), les différents corps de troupes font l'impossible pour les rebuter ... Lorsque le comte de Montlosier, esprit brillant mais monarchien, vient offrir ses services comme simple soldat, le général de Malseigne le rabroue grossièrement », lui disant qu'il ferait « tout aussi bien de s'en aller ». A Coblence comme dans l'armée des Princes, et cela aura les pires conséquences dans la conduite des opérations militaires, « les sentiments royalistes, comme les quartiers de noblesse, ne se présument pas; ils doivent être prouvés. Rien ne sert d'avoir fait cent lieues ou même davantage, d'avoir couru mille dangers et risqué cent fois sa vie; si le moindre soupçon plane sur le postulant, celui-ci est immédiatement rejeté. On se montre aussi sévère, de ce côté du Rhin, qu'on l'est à Paris sur les preuves de civisme », déplore l'auteur qui pointe avec justesse « une espèce de jacobinisme à rebours ». Comme quoi on est forcément pollué, quoi qu'on en ait et quelle que soit l'époque, par le maudit « air du temps ».
Ce qui précède montre la pénétration de Ghislain de Diesbach dans son approche de l'Emigration - qui est aussi, et par la force des choses, un tableau « en creux » de la Révolution. Cette Histoire de l'Emigration ne vaut pas seulement par la prodigieuse érudition de l'auteur et son aisance à découvrir la pépite dans les innombrables Journaux et Mémoires laissés par les émigrés. Elle explique aussi avec une rare intelligence - et dans une langue parfaite dont l'ironie n'est jamais absente - comment, avec les meilleures intentions du monde, on peut mener une entreprise à l'échec, le couple royal et les Princes exilés n'étant d'ailleurs pas exempts de tout reproche. Pourtant ménager de ses éloges, Robert Poulet, qui félicitait Ghislain de Diesbach d'avoir « traité le sujet à fond, sans en négliger aucun aspect », estimait qu'il avait "admirablement" mené son récit. Il avait tout à fait raison.
CI.L RIVAROL
*Histoire de l'Emigration, 640 pages, 12 €. Ed. Tempus/Perrin.

mardi 29 janvier 2008

La République laïque a sa religion


Quand Dieu est «banni de la vie publique» il n'y a plus de « tolérance », mais de « l'hypocrisie »..... en ouvrant la 11e Assemblée ordinaire du Synode des évêques dans la basilique Saint-Pierre, Benoît XVI est revenu sur un thème qui lui est cher, celui du laïcisme et du relativisme des sociétés contemporaines [1]
La République laïque n'a pas de religion entendons-nous partout. Cette idée vient spontanément à l'esprit depuis que la loi de 1905 a séparé l'Etat de l'Eglise et qu'un formatage idéologique s'est mis en place. Mais d'où nous vient cette loi ? Quelle en est l'origine ?
La loi de séparation de l'Eglise et de l'Etat, est le fruit du libéralisme maçonnique, le fruit de l'action sourde, tout au long du XIXe s., des Révolutionnaires.
La nouveauté apparaît peut-être là.
Ne voulant plus voir l'Eglise Catholique aussi active dans l'établissement des règles sociales, il faut la dissoudre au milieu des autres croyances et faire de l'Etat, l'arbitre des religions, le tuteur des religions, et donc le chef de la religion. L'Etat qui soit-disant était incompétent en matière de religion est chargé de gérer toutes les religions au travers de la Loi suprême de la (fausse) laïcité... Fi des anges et autre créatures invisibles. Seule les lois mûrement expérimentées font autorité. Le rationalisme et la tolérance, voilà en quelque sorte le credo des défenseurs de la laïcité.
Le désir haineux d'effacer le catholicisme en France redevient violent après la défaite de 1870 et surtout à l'installation de la troisième République en 1875. Les déclarations de Léon Gambetta et de Jules Ferry sont là pour nous le rappeler.
Au moins depuis Platon, nous savons qu'il est plus facile de bâtir une ville dans les nuages qu'une société sans religion.
Aujourd'hui, pour assurer une certaine quiétude dans nos cité, Le pouvoir républicain accorde un espace spirituel équivalent à tout les mouvements dès l'instant que ceux-ci ne cherchent pas à s'exprimer à l'extérieur, ne cherchent pas à orienter la vie sociale et surtout ne remettent pas en cause la loi suprême : la (fausse) laïcité. Plutôt que de longs discours une image peut nous aider à le comprendre:

Rapide commentaire:
Le rationalisme ne peut souffrir l'intervention du surnaturel.
Marianne pose son pied sur la couronne; nous comprenons bien puisque la révolution a montré sa volonté de couper court avec l'ancienne société par l'exécution de LOUIX XVI.
Si SEDAN et quelques autres inscriptions sont jetées à terre, c'est celle où figure le DROIT DIVIN qui est au centre.
Les principes donnés à la masse populaire sont le suffrage universel et les droits de l'homme.
A la diversité des autorités renversées, nous y verront un refus de la hiérarchie et l'affirmation de l'égalité
Mais pourquoi ce personnage à coté de Marianne ? Qui peut-il bien être pour avoir le droit de paraître en aussi bonne place pour accompagner une volonté qui veut s'affranchir de tous dieux?
Serait-il un ange ou un archange ? Il n'a pas d'auréole mais une flamme sur la tête. Il porte un flambeau que dans d'autres gravures ou statues allégoriques de l'époque on identifie à la lumière.
Il est très semblable à celui qui orne la colonne de la BASTILLE
Un ange qui porte la lumière; mais c'est Lucifer!
Le deus ex machina de la République a de très grande chance d'être le Démon en personne.
Pourquoi ce choix ?
La principale erreur du Démon, et la seule assurément, est une faute ( un péché) d'orgueil. Il s'est voulu comme DIEU. Pour être comme, il suffit généralement d'imiter.
Le démon suscite Marianne dans l'histoire sociale de la France. Elle est une personne virtuelle. Ses traits sont passagers, variant au gré du modèle qui les lui fixe. Aucun des modèles ne peut faire état d'une activité propre particulièrement signalée.
Donc nous pouvons être certain que la personne révélée par DIEU, sera réelle, d'une efficacité foudroyante et son personnage sera trans-historique.
Recherchons dans le passé de notre pays un personnage féminin accompagné par un archange et dont l'action particulièrement extraordinaire tout autant que réelle, fait toujours couler de l'encre.
Là encore les images ne manquent pas.
Sainte Jeanne d'ARC ! Vous l'avez bien compris.
En résumant, cette demoiselle va
marquer les règles de vie sociale ( mœurs, respect de la femme, respect des prisonniers et des victimes,...),
amorcer la cohésion nationale,
déclencher, malgré les jalousies des puissants de l'époque, la fin d'une guerre qui épuisait la France.
Que fait «Marianne» ?
La Révolution, ( væ victis)
La lutte des classes et la quête du profit matériel,
ses courtisans, déchirés entre eux, jetterons les peuples au nom du DOGME dans la plus effroyable tuerie dont le spectacle s'étale encore sous nos yeux.
Conclusion
Après ce rapide exposé, il est visible que la «République laïque» n'est pas si au dessus des religions que cela. Bien au contraire, elle s'affirme par un caractère très proche de l'antithèse du catholicisme. Le dictionnaire LAROUSSE édité en 1905, donne cette définition du mot «laïque» : «Qui n'appartient pas à l'Eglise». Il n'est pas dit «aux religions», mais à l'Eglise. Or l'Eglise, en 1905, c'est l'Eglise catholique apostolique et romaine et pas autre chose.
1905 est l'année de la loi de séparationde l'Eglise et de l'Etat. Celle-ci est pour une bonne part l'œuvre du Grand Orient, l'obédience la plus farouchement anticléricale. Le Grand Maître du G.O., Alain Baueur en démissionnant (pour des raisons de "querelles de personnes, des clans et des structures dépassées"...) le dit dans un article du Monde en parlant de "la centenaire loi de séparation des Eglises et de l'Etat, son grand œuvre laïque....." "[...] le Grand Orient a été l'Eglise et le parti de la République et a construit la boîte à outil de la citoyenneté. Franc-maçonnerie rime avec démocratie....." (Pourquoi j'ai démissionné du Grand Orient, par Alain Bauer LE MONDE 05.09.05 13h54 • Mis à jour le 05.09.05 13h54).
La maçonnerie religion de la république, c'est un bien grand mot serions nous tenté de dire : cela a changé aujourd'hui !... l'Etat, d'ailleurs, répare les églises ! N'est-il pas ? Certes ; mais la république est un moyen comme un autre de diriger une communauté d'être humain, et dans cette perpective, la «République laïque» ne semble pas aussi anodine que cela : elle a nécessairement un but. Soit elle est de Dieu, soit elle est du démon. Il ne peut y avoir de milieu ni d'autres choix possibles, c'est l'éternel combat entre la cité du bien et la cité du mal que détaille remarquablement Mgr Gaume, [2] Ce but de la république, il semble qu'elle l'ait attient: la décatholicisation des Français. C'est finalement, au même titre que l'institutionalisation d'un soit disant "Islam de France" ou d'autres variantes «des religions du LIVRE», un des bras d'un système qui s'attaque au christianisme ; au corps mystique de Jésus Christ.
Nous comprenons sans peine, à présent, les raisons de la présence de Lucifer auprès de Marianne. La «République laïque» a bien une religion, une religion qui n'est qu'un cheval de Troie au service du Démon!
Malheureux que nous sommes à suivre un pareil chef qui nous assure à coup sûr un retour au paganisme primitif et barbare, la voie de la servitude aux démons (spiritisme, new age, occultisme, magie, divination, etc.) et avec les fers, le chemin de l'Enfer, à l'inverse de l'institution sur laquelle elle ne cesse de déverser sa haine, l'Eglise catholique, qui elle mène au paradis !
Miséricordieux Jésus, ayez pitié de nous.

lundi 14 janvier 2008

24 décembre 1917 : Le réalisme politique en action


EN FÉVRIER 1917, la Russie avait cru vivre la révolution avec l'abdication du tsar Nicolas II et l'arrivée au pouvoir du socialiste Kérenski. Mais ce n'était qu'une ; fade introduction. La révolution, la vraie, est mise en œuvre par des révolutionnaires professionnels, les bolcheviks, qui ont pris soin de noyauter les gardes rouges créées en février.

Kérenski, piètre dirigeant méprisé par nombre d'acteurs et de témoins des journées décisives des 24, 25 et 26 octobre (7, 8 et 9 novembre du calendrier grégorien usité en Europe occidentale), est balayé, à Petrograd, par quelques molles démonstrations et intimidations de la part des bolcheviks qui n'ont même pas à combattre véritablement pour prendre un pouvoir tombé en déshérence. Plus tard sera forgée de toutes pièces la légende dorée d'un soulèvement aussi massif qu'héroïque des prolétaires de Petrograd.
Le conseil des commissaires du peuple, composé sous le contrôle des bolcheviks, assume le nouveau pouvoir. Il est présidé par Lénine, tandis que Trotski a la responsabilité des Affaires étrangères. Dans les rues, les nouveaux maîtres célèbrent leur facile victoire par une soûlerie géante. Mais certains, parfaitement lucides, mettent en place les instruments permettant d'avoir les choses en main. En particulier, pour faire face à une menace "contre-révolutionnaire" qui est encore, à cette date, une pure (mais bien commode) invention, est créée une police politique secrète, la Tcheka, dont le nom va vite devenir synonyme de terreur aveugle.
Mais, rappelle Dominique Venner dans son remarquable Les Blancs et les Rouges, qui vient d'être publié aux Editions du Rocher, « au lendemain de la révolution d'Octobre, la survie des soviets était moins que certaine ( ... ) En 1917, les jeux ne sont pas faits ». Les bolcheviks ne représentent en effet qu'une minorité, certes active mais qui va avoir du mal à prendre le contrôle réel de l'immense territoire russe. Même si l'armée a implosé, il y a le risque de voir certains officiers, exaspérés par les brimades de tous ordres, entrer en résistance contre le nouveau pouvoir. Et puis, surtout, il y a la guerre. La guerre contre cette Allemagne qui a infligé défaite sur défaite aux armées russes et dont rien ne semble pouvoir arrêter les soldats s'ils entreprennent de conquérir des pans entiers de la Russie.
C'est là qu'on peut constater le remarquable réalisme des bolcheviks. Il n'est pas possible de mener de front la guerre contre l'Allemagne et l'installation de la révolution rouge. Il faut donc faire la part du feu. C'est le sens du décret adopté par le Congrès panrusse des soviets qui, dans son préambule, annonce : " Le gouvernement ouvrier et paysan invite toutes les nations belligérantes et leurs gouvernements à ouvrir sans délai les négociations d'une juste paix démocratique ". Lénine et Trotski adressent donc dès le 7 novembre un télégramme au général Doukhonine, chef d'état-major général de ce qui reste des armées russes, lui ordonnant de demander à l'adversaire un armistice immédiat. Lénine a, par ailleurs, une idée derrière la tête : l'annonce de la volonté de paix à tout prix manifestée par la Russie pourrait bien inciter une population allemande lasse de tant d'efforts de guerre à se débarrasser du pouvoir belliciste en place. Bref, à rejoindre la révolution bolchevique ... L'idée, on le verra en 1918, n'est pas farfelue.
L' Allemagne répond favorablement à la proposition (les chefs de son armée attachent, bien sûr, grand prix à ne plus devoir se battre sur deux fronts et à concentrer donc tous les efforts à l'Ouest). La délégation bolchevique ayant franchi les lignes allemandes le 19 novembre se rend à Brest-Litovsk. L'armistice est accepté, aux conditions allemandes, par les bolcheviks le 11 décembre (24 décembre du calendrier grégorien). De part et d'autre on déclare accepter « une paix sans annexion ». Le chef de la délégation allemande, le général Hoffmann, fait remarquer que les bolcheviks ayant admis officiellement, par décret, le droit à l'indépendance des nationalités réparties dans l'ancien empire tsariste, la Pologne, la Lituanie, l'Estonie, la Lettonie, l'Ukraine, la Finlande ont désormais le droit d'être autonomes ...
Trotski tempête, annonce la rupture des pourparlers. Mais l'armée allemande ayant, du coup, repris sa progression victorieuse, Lénine fait admettre aux siens qu'il faut signer le traité de Brest-Litovsk, désastreux pour la Russie (3 mars 1918). La révolution rouge garde du coup toutes ses chances, puisqu'elle va concentrer toute son agressivité contre l'ennemi intérieur. Et Trotski va pouvoir faire de l'armée rouge, créée le 15 janvier 1918, une force efficace.
Pierre VIAL RIVAROL

jeudi 10 janvier 2008

Madame Élisabeth de France

_ Comment t'appelles-tu, citoyenne? lui demandera-t-on au tribunal révolutionnaire.
_ Je me nomme Élisabeth de France, tante du roi Louis XVII. En apprenant sa naissance, le 3 mai 1764, Louis XV, son grand-père, la surnomme « Madame dernière», car elle est le huitième enfant du Dauphin Louis et de la Dauphine Marie-Joséphine de Saxe. Deux des enfants étaient morts en bas âge et le duc de Bourgogne à l'âge de neuf ans. Trois garçons demeuraient dans ce foyer royal : Louis Auguste, duc de Berry, Louis Stanislas, comte de Provence et Charles Philippe, comte d'Artois, qui seront rois de France; et deux filles Marie Clotilde qui sera reine de Sardaigne et Élisabeth qui mourra le la mai 1794.
On l'a remarqué, Élisabeth naît et meurt au printemps, et dans le même mois. Simple coïncidence? On l'a pu penser. Pourtant ce mois de mai n'est-il pas devenu, en France, le mois de Marie, depuis que Madame Louise de France, fille de Louis XV, moniale du Carmel de Saint-Denis, avait obtenu du Pape que ce mois soit consacré à la Très Sainte Vierge Marie dont tous les rois de France, depuis les Carolingiens, ont été de fervents dévots? Nous voyons là un signe du Ciel: Notre Dame de France sera sa Patronne.
Élisabeth reçoit le baptême dans la Chapelle du Château de Versailles le jour même de sa naissance_ Louis Auguste, son frère aîné, est le parrain. Tenant dans ses bras la nouvelle chrétienne, il est fort ému et prendra son rôle très au sérieux. On a pu affirmer que le lien qui unit le frère et la sœur, le parrain et sa filleule, est déjà une réalité aux fonts baptismaux. Avec les années ce lien s'affirmera. Le roi Louis XVI ne pourra rien refuser à la jeune Princesse. Et la Princesse décidera de demeurer auprès de son frère, quoiqu'il puisse coûter, jusqu'à la mort du roi le 21 janvier 1793.
On a beaucoup écrit, et souvent bien écrit, sur la courte existence de Madame Élisabeth. Nous invitons le lecteur à connaître tous les détails de son enfance, de son adolescence et de ses épreuves dramatiques des dernières années, dans les meilleurs ouvrages parus depuis le XIX· siècle.
Ce qui, dans ces lignes, retiendra notre attention, c'est l'atmosphère familiale au Château de Versailles, c'est le sens profond de la famille,(" petite église domestique ", nous dit aujourd'hui Jean-Paul II), l'esprit de famille, admirable qui anime et unit fortement tous ses membres, dans les heures de joie, et plus tard dans les heures douloureuses et atroces de l'histoire de notre France.
Très tôt, Élisabeth est orpheline: elle n'a qu'un an et demi quand meurt son père, le Dauphin Louis; elle n'a que trois ans quand meurt sa mère, la Dauphine, Marie Joséphine de Saxe. Elle n'a donc pas pu bénéficier de la remarquable éducation, au sein du foyer familial si pieux, qu'ont reçue ses aînés. Elle apparaîtra cependant, aux yeux de tous ceux qui l'observent, comme très marquée par la mort de ses parents. Elle est une enfant difficile, capricieuse, désobéissante, refusant tout effort pour se bien tenir et même pour apprendre à lire. Elle n'a d'entrain que pour jouer dans les jardins avec ses frères et avec ses joyeux petits pages.
La gouvernante qu'a choisie pour elle le cher grand-père est une femme forte qui ne lui cède rien, mais demeure impuissante. Ses protecteurs du Ciel veillent sur la petite dernière. Ils lui ont préparé _ une seconde « petite maman ", en Marie Clotilde, sa grande sœur. Lorsqu'elle eut six ans, Élisabeth tomba gravement malade. Marie Clotilde est son infirmière qui l'entoure de ses soins avec une tendresse maternelle. Elle l'aide à se corriger de ses défauts; elle la « dompte », comme elle avait appris à se dompter elle-même; elle lui apprend à lire, à travailler. Elle a tant fait qu'elle gagne la confiance et l'affection d'Élisabeth.
En 1770, arrive à la Cour de Versailles la future reine de France Marie-Antoinette d'Autriche, qui, âgée de quinze ans, sera une grande sœur très affectionnée pour les deux orphelines. Dès le mariage du Dauphin Louis, une affection spontanée réunit Élisabeth et Marie-Antoinette. Ce lien nouveau, réel et toujours grandissant, doit être souligné, ne serait-ce que pour repousser les jugements méchants que beaucoup ont portés et répandus sur l' " Autrichienne ". L'histoire vraie doit reconnaître que la jeune reine trouvera vite un appui moral en Madame Élisabeth aux heures difficiles de Versailles et plus tard aux Tuileries et au Temple.
Les événements se précipitent, Louis XV, le cher bon grand-père, meurt le la mai 1774. Louis Auguste est Roi, il a dix-neuf ans. Le 13 août 1775, Élisabeth fait sa première communion dans la chapelle du Château: fête unique et solennelle dans l'existence de tout jeune chrétien bien préparé. Pour " Madame dernière ", c'est, au sens le plus fort du terme, une conversion. Ce premier don du Christ l'a à ce point impressionnée et remuée que tous, autour d'elle, peuvent dire qu'elle a été transformée. on ne parle plus d'elle que pour vanter son charme, sa douceur, son sérieux, son sens profond du devoir, sa générosité qui ne connaît plus de limites.
Quelques jours après, est célébré le mariage de Marie Clotilde, sa grande sœur, à qui elle doit tant parce que c'est par elle qu'elle a reçu les bienfaits immenses de l'éducation donnée par leurs Parents bien aimés. Douloureuse séparation pour les deux orphelines qui ne se reverront jamais, l'une et l'autre victimes de la Révolution. Dès ce jour, Élisabeth se jette, en pleurant, dans les bras de la Reine, qui la fera participer chaque jour au repas du soir de la famille royale. Ainsi le lien qui l'attachait déjà se fera de plus en plus fort et aussi son lien fraternel avec Marie-Antoinette.
Il est question déjà de mariage et pourquoi pas avec le frère de la Reine de France, l'empereur Joseph II? Madame Élisabeth n'a que treize ans. Et voici sa réponse: « Je ne puis épouser que le fils d'un roi et le fils d'un roi doit régner sut les états de son père. Je ne serais plus française et je ne veux pas cesser de l'être: mieux vaut rester aux pieds du Trône de mon frère que de monter sur un autre trône.»
Quelle maturité d'esprit, étonnante pour une « enfant» de son âge! N'a-t-elle pas, ce jour-là, révélé une « vocation» non prévisible, qui est de servir le Roi, de le soutenir, de le défendre, de l'aider moralement et spirituellement dans les difficultés normales de la vie quotidienne et dans toutes les épreuves à venir, dont elle paraît avoir une prescience surnaturelle?
Jamais elle n'oubliera le mot du Roi, son frère, qui, entendant sa chère filleule écarter tout projet de mariage, pressentait, chez elle, un grand désir de rejoindre au Carmel leur Tante Madame Louise: « Je ne demande pas mieux que vous alliez voir votre Tante à condition que vous ne l'imitiez pas : j'ai besoin de vous. » Cet appel au secours et cette prière instante de son frère et parrain n'ont-ils pas préciser sa « vocation», vocation exceptionnelle pour une Princesse de la Cour Royale? le renoncement à tout mariage princier ou royal, le renoncement à la vie du cloître, pour se consacrer au service du Roi et à sa famille, le renoncement à toutes les joies naturelles et surnaturelles, pour se sacrifier elle-même, la première, et aider les siens, ses parents les plus proches, les plus chers aussi, à offrir à Dieu les sacrifices ultimes qu'elle pressentait, qu'elle attendait même dans la paix de l'âme la plus complète? Sa vocation ? Aider les siens à se sanctifier, par la parole et par l'exemple, en se sanctifiant elle-même.
On ne conclura pas qu'elle vivra désormais comme une pénitente fuyant la Cour dans le mépris total de la vie du monde. Certains l'ont pu penser quand ils apprirent son installation à Montreuil, village à petite distance du Château sur la route de Paris. C'est le Roi qui lui a offert ce cadeau pour qu'elle ait son petit Trianon : le « Pavillon de Montreuil », où elle sera chez elle, mais où elle ne demeurera jamais la nuit. Elle ne se rend dans son domaine qu'après la messe matinale de la Chapelle du Château. Maîtresse de maison accomplie; elle est aussi, l'infirmière et l' « assistante sociale » des petites gens de Montreuil. Pendant un hiver rigoureux durant lequel les vivres ne parviennent plus ni à Versailles ni à Paris, car la circulation sur les routes est restée impossible tant elles sont encombrées par la neige et les blocs de glace, Madame Élisabeth fait venir des vaches de Suisse et distribue le lait aux petits enfants avec l'aide de son vacher. Le vieux docteur, ami de la famille, est installé dans un pavillon au milieu des jardins et l'aide dans les œuvres qu'elle crée et dirige elle-même pour les soins à donner aux vieillards et aux malades du village.
Le 3 mai I789, Élisabeth a vingt-cinq ans. Le Roi devrait l'autoriser à s'installer complètement à Montreuil... Mais les États généraux ,vont se réunir à Versailles. Des agitations, des troubles sont à craindre. Son devoir n'est-il pas de demeurer auprès des siens? Autour d'elle, il n'est parlé que de malheurs, que de menaces et de dangers. Élisabeth, si aimable, si gaie et si raisonnable, sera là pour entretenir le bon moral des siens d'abord et celui de leur entourage. Elle est et restera l' « ange gardien» de la famille. à suivre
Luc J.LEFÈVRE

Madame Élisabeth de France : suite

L'été 89 est lourd d'événements: le serment du Jeu de Paume, la prise de la Bastille. Le Roi ne résiste pas, tant il redoute que le sang de son peuple coule dans les rues de Paris et de Versailles. Il se rend, en personne, à Paris pour prendre la« cocarde tricolore ». Une première émigration a lieu à la Cour. C'est le Comte d'Artois qui part avec ses fils. Élisabeth refuse de les suivre. Au Roi qui la presse de se mettre à l'abri, elle répond: « Non. Même si vous me l'ordonniez, Sire, je refuserais... Mon devoir est de me tenir auprès de vous, de partager vos peines et même vos dangers. »
Et le 6 octobre, commence le calvaire de la famille royale. Il faut partir. Il faut abandonner Versailles et Montreuil. Le Peuple, devenu Souverain, l'exige. Le long cortège des carrosses passe par la route de Paris au milieu des cris et des insultes grossières. Le voyage durera plus de huit heures. C'est aux Tuileries, Palais sombre et glacial, que sont provisoirement installés les otages des Révolutionnaires.
Madame Adelaïde et Madame Victoire, tantes du Roi, décident de se rendre à Rome pour y pratiquer la vraie religion avec des prêtres non assermentés. Élisabeth est invitée à se joindre à elles: « Tante Louise, la carmélite, aurait trouvé plus courageux de ma part de rester. » C'est sa réplique qui confirme une fois encore sa décision: être là, pour le sacrifice, quand Dieu le permettra.« Je ne vois pas jour à prendre congé de ma chère Patrie, écrit-elle le même jour. Il est des positions où l'on ne peut disposer de soi. C'est la mienne. La ligne que je dois suivre m'est tracée si clairement par la Providence qu'il faut bien que j'y reste. »
Dès l'arrivée aux Tuileries, elle avait écrit à une amie: « Ce qu'il y a de certain, c'est que nous sommes prisonniers: mon frère ne le sait pas encore, mais le temps le lui apprendra. »
Grande est sa clairvoyance. Elle attend le pire, sans être pessimiste. Et elle est prête à le vivre, car elle le sait, de science certaine, et le voit. Mais bien plus grande encore est sa sérénité, cette sérénité des âmes qui jouissent de la paix de Dieu et qui vivent de la prière en union avec le Christ de Gethsémani. Trois années de prison aux Tuileries, suivies de la prison du Temple, un an pour le Roi, deux ans pour la Reine et pour leur « ange gardien»!
Élisabeth prie beaucoup, et le jour et la nuit. A ceux qui lui demandent pourquoi? et pour qui elle prie? Elle a cette réponse qui en surprend plus d'un: " C'est moins pour le Roi malheureux que pour un peuple égaré que je prie. " " Madame dernière " n'avait pas oublié ce que lui avait appris, quand elle avait six ans, Marie Clotilde, sa seconde « petite maman» : " C'est aux chrétiens à prier pour ceux qui ne le sont pas, comme c'est aux riches à donner aux pauvres. " Grande leçon!
L'heure du calvaire a sonné le 21 janvier 1793. A 6 heures, un gardien entre dans la chambre de la Reine et prend un livre pour la messe qui sera célébrée dans la chambre du Roi. Les deux prisonnières pourront-elles y assister? Non. Il leur est' interdit de descendre. Elles ne verront plus jamais le Roi.
A 10 h, on entend les salves d'artillerie. Élisabeth tombe à genoux et prie. Le Roi s'étant avancé vers la foule, avait dit, d'une voix forte (et l'Univers, après le Pape et la Ville de Rome, ne l'oublieront jamais) :
" Je meurs innocent des crimes que l'on m'impute. Je pardonne aux auteurs de ma mort et je prie Dieu que le sang que vous allez répandre ne retombe jamais sur la France. Et toi, peuple infortuné ... "
Le roulement de tambour couvre la voix du Roi ... Les témoins n'ont pu entendre que ces derniers mots: « Je remets mon âme à Dieu. »
Voilà comment meurt un Roi, un martyr, proclamera à Rome le Pape Pie VI, quelques mois plus tard en présence des Cardinaux, voilà comment meurt un saint, dira un jour l'Église, s'il plaît à Dieu!
Au Temple, Marie-Antoinette est tombée sur son lit... abattue.
Secouée par les cris des sentinelles: « Vive la République », la Reine, alors, se lève, s'agenouille devant son fils et le salue: Roi de France. Quelle force morale! et quelle grandeur d'âme chez cette Reine Mère qui attend désormais son heure du portement de croix!
C'est à son tour d'être conduite au Tribunal Révolutionnaire.
Quels crimes a-t-elle commis? Qui pourra être son principal accusateur? Depuis quelques jours, son fils lui a été enlevé. Où l'ont-ils mis? Qu'en ont-ils fait? Le matraquage et le lavage des cerveaux ne datent pas du xxe siècle! C'est le fils chéri de la Reine, c'est le jeune Roi, lui-même qui devra être le principal accusateur de la citoyenne jugée. On l'a saoulé, on l'a drogué. On lui a fait apprendre par cœur les horreurs qu'il devra cracher à la tête de la Reine, quand l'ordre lui sera donné.
L'histoire de l'humanité a-t-elle connu un pareil satanisme, depuis des millénaires, chez les détenteurs de la Puissance politique?
Au grand étonnement du Tribunal, la Reine ne se défend pas. A l'exemple de sa belle-sœur, elle a acquis le sang-froid, la maîtrise de soi, le calme intérieur et la paix, don de Dieu.
- Citoyenne, pourquoi ne réponds-tu rien? Défends-Toi! Défends- Toi!
- « Si je n'ai pas répondu, dit-elle noblement, c'est que la nature se refuse à pareille inculpation faite à une mère. J'en appelle à toutes celles qui sont ici! »
Quelle force d'âme, quelle grandeur, quelle dignité! Voilà ce qu'on devrait apprendre à nos jeunes enfants quand on leur apprendra l'histoire de la France ...
Marie-Antoinette n'a pas revu Madame Élisabeth, mais c'est dans son testament qu'elle lui confie Madame Royale et le tout jeune Roi. Rien ne lui est remis. Dans les papiers de Robespierre l'on retrouvera plus tard les ultimes pensées de la Reine.
La Reine est assassinée le 16 octobre 1793. Sa belle-sœur ignorera sa condamnation et sa mort. Le lendemain, 17 octobre, le petit Roi devra fêter avec les assassins, à Saint-Denis, la mort atroce de sa mère ... Les historiens l'ont dit, les Papes le diront: nous sommes en plein satanisme.
L'ange gardien de la Famille royale sera sacrifiée la dernière. La sœur de Capet doit donc être jugée par le même Tribunal révolutionnaire dont le programme ne change pas. Une fois encore, c'est le petit Roi, le neveu si cher de l'accusée, qui est appelé à cracher à la face de sa tante à qui il doit tant, les pires horreurs que l'on devine!
La Princesse demeure impassible. « Que votre Volonté soit faite ... ! » Elle vit en Dieu et trouve en Lui sa force. Si sa santé est usée, elle veut jusqu'au dernier moment, entourer de ses soins maternels Madame Royale qui n'a que quinze ans, terriblement exposée dans la prison du Temple.
L'attente est longue. Ce n'est que le la mai 1794 que le sacrifice sera consommé, qui atteint vingt-quatre victimes. Dans la charrette qui les mène à la guillotine, elle est la vingt-quatrième. Chaque condamné passe devant elle et respectueusement la salue : les femmes l'embrassent, les hommes, profondément s'inclinent.
A haute voix pour que tous s'unissent à sa prière, Élisabeth récite le De Profundis.
La vingt-troisième victime est un prêtre. Lui aussi, en s'approchant, s'incline respectueusement. A haute voix, elle répond à son salut: " Courage et foi dans la miséricorde de Dieu! "
Madame Élisabeth a été inhumée dans un nouveau cimetière de Paris (on meurt beaucoup à Paris dans les années glorieuses de la Révolution). Mais on n'a jamais pu retrouver sa dépouille.
La cause de sa béatification a été introduite à Rome en 1929. Plus tard, le Cardinal Feltin s'en est beaucoup occupé. Des Comités, des Associations, à Paris, en province s'intéressent à cette cause, prient et invitent à la prière.
Puissent nos lecteurs lire, et faire leur, l'une de ses oraisons qu'elle avait écrites et qu'elle récitait fréquemment:
" Que m' arrivera- t-il aujourd' hui, ô mon Dieu? Je l'ignore.
Tout ce que je sais, c'est qu'il ne m'arrivera rien que Vous n'ayez prévu de toute éternité.
J'adore Vos desseins éternels et je m'y soumets de tout mon cœur.
Je veux tout, J'accepte tout,
Je Vous fais un sacrifice de tout et j'unis ce sacrifice à celui de Votre cher Fils, mon Sauveur, Vous demandant par son Sacré-Cœur et ses mérites infinis, la patience dans mes maux et la parfaite soumission qui Vous est due pour ce que vous voudrez et permettrez. "
N'est-ce pas la prière humble de l'âme totalement consacrée à Dieu?
Luc J. LEFÈVRE. (extrait de La Pensée Catholique).