lundi 14 janvier 2008

24 décembre 1917 : Le réalisme politique en action


EN FÉVRIER 1917, la Russie avait cru vivre la révolution avec l'abdication du tsar Nicolas II et l'arrivée au pouvoir du socialiste Kérenski. Mais ce n'était qu'une ; fade introduction. La révolution, la vraie, est mise en œuvre par des révolutionnaires professionnels, les bolcheviks, qui ont pris soin de noyauter les gardes rouges créées en février.

Kérenski, piètre dirigeant méprisé par nombre d'acteurs et de témoins des journées décisives des 24, 25 et 26 octobre (7, 8 et 9 novembre du calendrier grégorien usité en Europe occidentale), est balayé, à Petrograd, par quelques molles démonstrations et intimidations de la part des bolcheviks qui n'ont même pas à combattre véritablement pour prendre un pouvoir tombé en déshérence. Plus tard sera forgée de toutes pièces la légende dorée d'un soulèvement aussi massif qu'héroïque des prolétaires de Petrograd.
Le conseil des commissaires du peuple, composé sous le contrôle des bolcheviks, assume le nouveau pouvoir. Il est présidé par Lénine, tandis que Trotski a la responsabilité des Affaires étrangères. Dans les rues, les nouveaux maîtres célèbrent leur facile victoire par une soûlerie géante. Mais certains, parfaitement lucides, mettent en place les instruments permettant d'avoir les choses en main. En particulier, pour faire face à une menace "contre-révolutionnaire" qui est encore, à cette date, une pure (mais bien commode) invention, est créée une police politique secrète, la Tcheka, dont le nom va vite devenir synonyme de terreur aveugle.
Mais, rappelle Dominique Venner dans son remarquable Les Blancs et les Rouges, qui vient d'être publié aux Editions du Rocher, « au lendemain de la révolution d'Octobre, la survie des soviets était moins que certaine ( ... ) En 1917, les jeux ne sont pas faits ». Les bolcheviks ne représentent en effet qu'une minorité, certes active mais qui va avoir du mal à prendre le contrôle réel de l'immense territoire russe. Même si l'armée a implosé, il y a le risque de voir certains officiers, exaspérés par les brimades de tous ordres, entrer en résistance contre le nouveau pouvoir. Et puis, surtout, il y a la guerre. La guerre contre cette Allemagne qui a infligé défaite sur défaite aux armées russes et dont rien ne semble pouvoir arrêter les soldats s'ils entreprennent de conquérir des pans entiers de la Russie.
C'est là qu'on peut constater le remarquable réalisme des bolcheviks. Il n'est pas possible de mener de front la guerre contre l'Allemagne et l'installation de la révolution rouge. Il faut donc faire la part du feu. C'est le sens du décret adopté par le Congrès panrusse des soviets qui, dans son préambule, annonce : " Le gouvernement ouvrier et paysan invite toutes les nations belligérantes et leurs gouvernements à ouvrir sans délai les négociations d'une juste paix démocratique ". Lénine et Trotski adressent donc dès le 7 novembre un télégramme au général Doukhonine, chef d'état-major général de ce qui reste des armées russes, lui ordonnant de demander à l'adversaire un armistice immédiat. Lénine a, par ailleurs, une idée derrière la tête : l'annonce de la volonté de paix à tout prix manifestée par la Russie pourrait bien inciter une population allemande lasse de tant d'efforts de guerre à se débarrasser du pouvoir belliciste en place. Bref, à rejoindre la révolution bolchevique ... L'idée, on le verra en 1918, n'est pas farfelue.
L' Allemagne répond favorablement à la proposition (les chefs de son armée attachent, bien sûr, grand prix à ne plus devoir se battre sur deux fronts et à concentrer donc tous les efforts à l'Ouest). La délégation bolchevique ayant franchi les lignes allemandes le 19 novembre se rend à Brest-Litovsk. L'armistice est accepté, aux conditions allemandes, par les bolcheviks le 11 décembre (24 décembre du calendrier grégorien). De part et d'autre on déclare accepter « une paix sans annexion ». Le chef de la délégation allemande, le général Hoffmann, fait remarquer que les bolcheviks ayant admis officiellement, par décret, le droit à l'indépendance des nationalités réparties dans l'ancien empire tsariste, la Pologne, la Lituanie, l'Estonie, la Lettonie, l'Ukraine, la Finlande ont désormais le droit d'être autonomes ...
Trotski tempête, annonce la rupture des pourparlers. Mais l'armée allemande ayant, du coup, repris sa progression victorieuse, Lénine fait admettre aux siens qu'il faut signer le traité de Brest-Litovsk, désastreux pour la Russie (3 mars 1918). La révolution rouge garde du coup toutes ses chances, puisqu'elle va concentrer toute son agressivité contre l'ennemi intérieur. Et Trotski va pouvoir faire de l'armée rouge, créée le 15 janvier 1918, une force efficace.
Pierre VIAL RIVAROL

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