jeudi 10 janvier 2008

Madame Élisabeth de France : suite

L'été 89 est lourd d'événements: le serment du Jeu de Paume, la prise de la Bastille. Le Roi ne résiste pas, tant il redoute que le sang de son peuple coule dans les rues de Paris et de Versailles. Il se rend, en personne, à Paris pour prendre la« cocarde tricolore ». Une première émigration a lieu à la Cour. C'est le Comte d'Artois qui part avec ses fils. Élisabeth refuse de les suivre. Au Roi qui la presse de se mettre à l'abri, elle répond: « Non. Même si vous me l'ordonniez, Sire, je refuserais... Mon devoir est de me tenir auprès de vous, de partager vos peines et même vos dangers. »
Et le 6 octobre, commence le calvaire de la famille royale. Il faut partir. Il faut abandonner Versailles et Montreuil. Le Peuple, devenu Souverain, l'exige. Le long cortège des carrosses passe par la route de Paris au milieu des cris et des insultes grossières. Le voyage durera plus de huit heures. C'est aux Tuileries, Palais sombre et glacial, que sont provisoirement installés les otages des Révolutionnaires.
Madame Adelaïde et Madame Victoire, tantes du Roi, décident de se rendre à Rome pour y pratiquer la vraie religion avec des prêtres non assermentés. Élisabeth est invitée à se joindre à elles: « Tante Louise, la carmélite, aurait trouvé plus courageux de ma part de rester. » C'est sa réplique qui confirme une fois encore sa décision: être là, pour le sacrifice, quand Dieu le permettra.« Je ne vois pas jour à prendre congé de ma chère Patrie, écrit-elle le même jour. Il est des positions où l'on ne peut disposer de soi. C'est la mienne. La ligne que je dois suivre m'est tracée si clairement par la Providence qu'il faut bien que j'y reste. »
Dès l'arrivée aux Tuileries, elle avait écrit à une amie: « Ce qu'il y a de certain, c'est que nous sommes prisonniers: mon frère ne le sait pas encore, mais le temps le lui apprendra. »
Grande est sa clairvoyance. Elle attend le pire, sans être pessimiste. Et elle est prête à le vivre, car elle le sait, de science certaine, et le voit. Mais bien plus grande encore est sa sérénité, cette sérénité des âmes qui jouissent de la paix de Dieu et qui vivent de la prière en union avec le Christ de Gethsémani. Trois années de prison aux Tuileries, suivies de la prison du Temple, un an pour le Roi, deux ans pour la Reine et pour leur « ange gardien»!
Élisabeth prie beaucoup, et le jour et la nuit. A ceux qui lui demandent pourquoi? et pour qui elle prie? Elle a cette réponse qui en surprend plus d'un: " C'est moins pour le Roi malheureux que pour un peuple égaré que je prie. " " Madame dernière " n'avait pas oublié ce que lui avait appris, quand elle avait six ans, Marie Clotilde, sa seconde « petite maman» : " C'est aux chrétiens à prier pour ceux qui ne le sont pas, comme c'est aux riches à donner aux pauvres. " Grande leçon!
L'heure du calvaire a sonné le 21 janvier 1793. A 6 heures, un gardien entre dans la chambre de la Reine et prend un livre pour la messe qui sera célébrée dans la chambre du Roi. Les deux prisonnières pourront-elles y assister? Non. Il leur est' interdit de descendre. Elles ne verront plus jamais le Roi.
A 10 h, on entend les salves d'artillerie. Élisabeth tombe à genoux et prie. Le Roi s'étant avancé vers la foule, avait dit, d'une voix forte (et l'Univers, après le Pape et la Ville de Rome, ne l'oublieront jamais) :
" Je meurs innocent des crimes que l'on m'impute. Je pardonne aux auteurs de ma mort et je prie Dieu que le sang que vous allez répandre ne retombe jamais sur la France. Et toi, peuple infortuné ... "
Le roulement de tambour couvre la voix du Roi ... Les témoins n'ont pu entendre que ces derniers mots: « Je remets mon âme à Dieu. »
Voilà comment meurt un Roi, un martyr, proclamera à Rome le Pape Pie VI, quelques mois plus tard en présence des Cardinaux, voilà comment meurt un saint, dira un jour l'Église, s'il plaît à Dieu!
Au Temple, Marie-Antoinette est tombée sur son lit... abattue.
Secouée par les cris des sentinelles: « Vive la République », la Reine, alors, se lève, s'agenouille devant son fils et le salue: Roi de France. Quelle force morale! et quelle grandeur d'âme chez cette Reine Mère qui attend désormais son heure du portement de croix!
C'est à son tour d'être conduite au Tribunal Révolutionnaire.
Quels crimes a-t-elle commis? Qui pourra être son principal accusateur? Depuis quelques jours, son fils lui a été enlevé. Où l'ont-ils mis? Qu'en ont-ils fait? Le matraquage et le lavage des cerveaux ne datent pas du xxe siècle! C'est le fils chéri de la Reine, c'est le jeune Roi, lui-même qui devra être le principal accusateur de la citoyenne jugée. On l'a saoulé, on l'a drogué. On lui a fait apprendre par cœur les horreurs qu'il devra cracher à la tête de la Reine, quand l'ordre lui sera donné.
L'histoire de l'humanité a-t-elle connu un pareil satanisme, depuis des millénaires, chez les détenteurs de la Puissance politique?
Au grand étonnement du Tribunal, la Reine ne se défend pas. A l'exemple de sa belle-sœur, elle a acquis le sang-froid, la maîtrise de soi, le calme intérieur et la paix, don de Dieu.
- Citoyenne, pourquoi ne réponds-tu rien? Défends-Toi! Défends- Toi!
- « Si je n'ai pas répondu, dit-elle noblement, c'est que la nature se refuse à pareille inculpation faite à une mère. J'en appelle à toutes celles qui sont ici! »
Quelle force d'âme, quelle grandeur, quelle dignité! Voilà ce qu'on devrait apprendre à nos jeunes enfants quand on leur apprendra l'histoire de la France ...
Marie-Antoinette n'a pas revu Madame Élisabeth, mais c'est dans son testament qu'elle lui confie Madame Royale et le tout jeune Roi. Rien ne lui est remis. Dans les papiers de Robespierre l'on retrouvera plus tard les ultimes pensées de la Reine.
La Reine est assassinée le 16 octobre 1793. Sa belle-sœur ignorera sa condamnation et sa mort. Le lendemain, 17 octobre, le petit Roi devra fêter avec les assassins, à Saint-Denis, la mort atroce de sa mère ... Les historiens l'ont dit, les Papes le diront: nous sommes en plein satanisme.
L'ange gardien de la Famille royale sera sacrifiée la dernière. La sœur de Capet doit donc être jugée par le même Tribunal révolutionnaire dont le programme ne change pas. Une fois encore, c'est le petit Roi, le neveu si cher de l'accusée, qui est appelé à cracher à la face de sa tante à qui il doit tant, les pires horreurs que l'on devine!
La Princesse demeure impassible. « Que votre Volonté soit faite ... ! » Elle vit en Dieu et trouve en Lui sa force. Si sa santé est usée, elle veut jusqu'au dernier moment, entourer de ses soins maternels Madame Royale qui n'a que quinze ans, terriblement exposée dans la prison du Temple.
L'attente est longue. Ce n'est que le la mai 1794 que le sacrifice sera consommé, qui atteint vingt-quatre victimes. Dans la charrette qui les mène à la guillotine, elle est la vingt-quatrième. Chaque condamné passe devant elle et respectueusement la salue : les femmes l'embrassent, les hommes, profondément s'inclinent.
A haute voix pour que tous s'unissent à sa prière, Élisabeth récite le De Profundis.
La vingt-troisième victime est un prêtre. Lui aussi, en s'approchant, s'incline respectueusement. A haute voix, elle répond à son salut: " Courage et foi dans la miséricorde de Dieu! "
Madame Élisabeth a été inhumée dans un nouveau cimetière de Paris (on meurt beaucoup à Paris dans les années glorieuses de la Révolution). Mais on n'a jamais pu retrouver sa dépouille.
La cause de sa béatification a été introduite à Rome en 1929. Plus tard, le Cardinal Feltin s'en est beaucoup occupé. Des Comités, des Associations, à Paris, en province s'intéressent à cette cause, prient et invitent à la prière.
Puissent nos lecteurs lire, et faire leur, l'une de ses oraisons qu'elle avait écrites et qu'elle récitait fréquemment:
" Que m' arrivera- t-il aujourd' hui, ô mon Dieu? Je l'ignore.
Tout ce que je sais, c'est qu'il ne m'arrivera rien que Vous n'ayez prévu de toute éternité.
J'adore Vos desseins éternels et je m'y soumets de tout mon cœur.
Je veux tout, J'accepte tout,
Je Vous fais un sacrifice de tout et j'unis ce sacrifice à celui de Votre cher Fils, mon Sauveur, Vous demandant par son Sacré-Cœur et ses mérites infinis, la patience dans mes maux et la parfaite soumission qui Vous est due pour ce que vous voudrez et permettrez. "
N'est-ce pas la prière humble de l'âme totalement consacrée à Dieu?
Luc J. LEFÈVRE. (extrait de La Pensée Catholique).

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