samedi 30 avril 2022

Pierre-Joseph Proudhon Une conception conflictuelle du monde 1/2

  

Par Ego Non

Si l’Éducation nationale faisait son travail, elle mettrait au programme des lycées les classiques de la pensée politique, au même titre que les grands auteurs du patrimoine littéraire. L'homme deviendrait alors un animal politique. Ego Non, qui tient la chaine YouTube du même nom, nous offre plus qu'une session de rattrapage - une introduction à l’art de (se) gouverner.

Le monde est-il Un ou Multiple ? Une seule réalité substantielle soutient-elle l'univers ou bien celui-ci est-il composé dune pluralité de substances ? La théorie qui définit la réalité comme une multiplicité d’êtres distincts irréductibles est nommée « pluralisme », et cette dernière trouve sa contrepartie dans le « monisme » qui explique tout l’univers a partir d'un élément unique, dune seule réalité, dont les multiplicités apparentes du monde ne seraient que des manifestations.

De prime abord, cette question de l'Un et du Multiple peut paraitre quelque peu byzantine et relever de la simple querelle scolastique. Et pourtant, à en croire William James, elle serait une des questions les plus fécondes de la philosophie. « Je suppose, dit-il lors d'une conférence, que cette question ne vous a guère empêchés de dormir, et je ne serais pas surpris si vous me disiez qu'elle ne vous avait jamais tourmentés. Pour ma part, à force d'en faire l’objet de longues méditations, j'en suis venu a la considérer comme le problème central de la philosophie à cause de sa fécondité. Je veux dire qu'en sachant si tel homme est moniste convaincu ou fervent pluraliste, vous en saurez sans doute plus long sur le reste de ses idées que si vous lui trouviez tout autre nom en - iste. Croire en l’Un ou croire au Multiple, voila la classification la plus riche de conséquences. »

Une philosophie authentiquement pluraliste

Le jugement est ose, certes, mais il nous offre une remarquable porte d'entrée pour appréhender la pensée philosophique d'un auteur. En l’occurrence, nous voudrions inviter le lecteur à employer cette question pour découvrir sous un autre jour un penseur comme Pierre-Joseph Proudhon, que I'on réduit trop à sa querelle avec Marx. Loin de souvent n’être qu'une figure parmi d'autres d'un soi-disant « socialisme utopique », il convient aujourd'hui de redécouvrir Proudhon comme le défenseur dune conception polémique et agnostique du monde et d'une philosophie authentiquement pluraliste.

À l’instar d'Héraclite, pour qui la guerre est la source de tout, Proudhon considère que le monde est intrinsèquement conflictuel. « Je vois partout des forces en lutte », écrit-il dans son grand livre sur la justice, s'opposant par là à l'optimisme des cosmogonies et des théodicées religieuses - comme celle de Leibniz - pour qui tout concourt, tout conspire, tout consent à la beauté, à l’harmonie et à la perfection.

Loin de renverser l’équation en affirmant la malignité du monde, en ramenant le péché originel à la nature même des choses, Proudhon accorde que rien n'est mauvais en soi dans l’univers, substantiellement. Néanmoins, la beauté, l’ordre ou l’amour que l’on peut y découvrir ne lui semble pas le fruit d'une harmonie préétablie, mais plutôt la suite d'un équilibre entre des forces antagonistes. « Quant à moi, écrit-il, mon opinion ne saurait être douteuse : ce qui rend la création possible est a mes yeux la même chose que ce qui rend la liberté possible, l’opposition des puissances. C’est avoir une vision très fausse de Tordre du monde et de la vie universelle, que d'en faire un opéra. Je vois partout des forces en lutte ; je ne découvre nulle part, je ne puis comprendre cette mélodie du grand Tout, que croyait entendre Pythagore. »

La dialectique proudhonienne

Le monde est fait de contradictions dont les antinomies ne se résolvent pas : à l’inverse de la philosophie hégélienne, Proudhon estime que les termes de l'antinomie se balancent, soit entre eux soit avec d'autres termes antinomiques, mais ne produisent pas de synthèse. C'est ainsi que dans son livre De la création de l’ordre dans l’humanité, Proudhon estime que la philosophie après Kant s'est séparée en deux tendances empruntant deux directions opposées. La première comprend les philosophies de Fichte, Schelling, Hegel et une foule d'autres, comme celle de Marx plus tard, « évidemment nées du besoin de sortir de l’impasse ou la critique de Kant avait jeté les esprits », possédant toutes le désir de dépasser les contradictions du monde, de les résoudre, considérant pour cela les antinomies comme des anomalies. La seconde tendance, à laquelle appartient Proudhon, affirme la positivité de chaque terme des antinomies, les maintient, et estime que « c’est de la contradiction de ces éléments que résultent la vie et le mouvement de l’univers ». L'antinomie ainsi comprise, vouloir la résolution des contradictions. la dissolution des oppositions, reviendrait à vouloir en finir avec le mouvement et la vie elle-même.

À suivre

Salazar, un exemple méconnu

 

Après avoir prospéré pendant des décennies, les chiens de garde sont désormais  lâchés dans notre quotidien: hommes et femmes politiques, journalistes, personnels de l’éducation nationale, artistes… Omniprésents. Haineux. Malfaisants.

Ils n’ont pas de profil spécifique mais on peut les repérer à leur goût commun pour la collaboration avec l’ennemi.

Ils se divisent en deux grandes catégories: ceux qui, décérébrés par la propagande médiatique et scolaire, manquent du moindre discernement et ceux qui, espérant retirer des prébendes  de la décadence de leur propre civilisation, sont totalement cyniques. La période pré-électorale et la crainte que les patriotes ne réalisent des scores importants, les font tous sortir du bois, y compris ceux dont la stratégie consistait jusqu’ici à communiquer à bas bruit, sur le mode anesthésiant.

Ils sortent du bois, l’artillerie lourde en main, pour « dézinguer » l’adversaire politique et surtout pour commencer à se placer. Petits calculs entre amis du mensonge !

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Les mensonges sur Salazar, une personnalité politique relativement méconnue des Français, ne font courir aucun risque à celui qui les profère en France. Mais ces mensonges blessent ceux qui sont nés et qui ont vécu dans le doux pays que ce grand homme a dirigé pendant quarante ans.  

En 2003 la télévision portugaise  a proposé à ses spectateurs un programme sur les Hommes illustres du Portugal: « Os Grandes Portugueses de Sempre ». Cette série de documentaires présentait les figures les plus marquantes de l’Histoire du Portugal. A la fin de la série les spectateurs ont été invités à élire le Portugais le plus important à leurs yeux, celui auquel ils vouent la plus grande admiration.

Voici les résultats de cette élection de cœur et de raison:

1º António de Oliveira Salazar – 41,0%

2º Álvaro Cunhal – 19,1%

3º Aristides de Sousa Mendes – 13,0%

4º D. Afonso Henriques – 12,4%

5º Luís de Camões – 4,0%

6º D. João II – 3,0%

7º Infante D. Henrique – 2,7%

8º Fernando Pessoa – 2,4%

9º Marquês de Pombal – 1,7%

10º Vasco da Gama – 0,7%

Ce classement se passe de tout commentaire.

C’est un universitaire qui présente le documentaire sur Salazar : le Professeur Jaime Nogueira Pinto.

Une brève introduction rappelle que Salazar fut appelé au Gouvernement dans une période de grande instabilité, instabilité qui avait été provoquée par l’installation de la 1ère République. Puis elle évoque la fidélité constante de Salazar au Portugal pauvre et rural, en citant une phrase célèbre de l’homme d’Etat:

« La certitude de la Lusitanie est de bonne souche, comme le vin, le fromage, la pomme, le granit. »

Le documentaire s’ouvre sur des images de la guerre d’Espagne. Le Professeur Nogueira Pinto commence alors sa longue analyse, que nous allons tenter de rapporter le plus fidèlement possible ici.

Salazar est le grand défenseur du Portugal et des Portugais; sa plus grande préoccupation pendant 40 ans concerna la défense et le maintien de l’indépendance du Portugal. La Raison d’Etat, c’est-à-dire l’intérêt national portugais, fut le grand moteur de sa politique et de sa stratégie. Il avait compris que la victoire des forces communistes et anarchistes à Madrid aurait signifié le retour de l’idée d’Union Ibérique, autrement dit une union entre le Portugal et l’Espagne, union dont l’Espagne eût été le principal bénéficiaire. En homme politique réaliste, Salazar savait que la liberté d’un peuple dépend de l’indépendance de son pays.

En homme politique de formation chrétienne, il savait que la politique est le règne du mal, mais il savait aussi qu’elle est également la réalité, le quotidien. Il lui fallait donc rassembler les amis et les alliés et diviser et neutraliser les ennemis.

C’est pour toutes ces raisons qu’il décida de soutenir Franco qui par la suite allait lui être toujours redevable de sa victoire sur ses ennemis.

Puis vint la 2ème guerre mondiale.

Le Portugal ne pouvait cesser d’être allié à la Grande-Bretagne, qui en contrôlant les mers contrôlait l’accès à l’Empire colonial. Franco ne voulait pas davantage rentrer dans la guerre, mais les Anglais et les Américains se méfiaient du chef d’Etat espagnol. Salazar défendit alors la position de Franco auprès de l’Angleterre et des Etats-Unis. Les prises de position et la diplomatie de Salazar lui permirent de garder l’Empire portugais tout en maintenant la Péninsule Ibérique dans la neutralité.

Mais qui est cet homme?

Antonio de Oliveira Salazar naît le 28 avril 1889, dans une famille rurale. Il dira de lui-même:

« Pauvre, enfant de pauvres, je dois à la Providence la grâce d’être pauvre ».

M. Nogueira Pinto parcourt la modeste maison natale de Salazar. Il signale l’honnêteté et la probité extraordinaires de l’homme d’Etat portugais qui, contrairement à d’autres hommes puissants de ce monde, ne s’enrichit jamais.

Salazar, dit-il, doit cette probité à plusieurs caractéristiques qui lui sont propres: sa religiosité, sa modestie, ses racines campagnardes, sa perception faite de méfiance à l’égard des privilèges octroyés par la naissance ou par l’argent et qui sont toujours susceptibles d’infliger des humiliations aux pauvres.

Eduqué dans la sagesse rurale et le bon sens des campagnes, cet homme saura prendre des décisions, affronter les risques, et courir les dangers lorsqu’il sera confronté à l’Histoire. Il saura vivre dangereusement lorsque les intérêts nationaux, ou les convictions et les valeurs qu’il place au-dessus de tout seront mis en jeu. Dans ces moments-là, il est capable d’être Grand comme les plus Grands.

L’enfant de paysans, l’Universitaire de Coimbra sera le gardien de la grandeur historique, le délégué des Portugais illustres qui ont construit et défendu l’indépendance de la Nation. Il fut le successeur de la lignée de D. Afonso Henriques, le roi fondateur; de l’Infant Henri le Navigateur; de Nuno Alvares, saint et Connétable; de D. João II, le Roi Parfait…

En 1910 Antonio Oliveira Salazar devint séminariste. Il fit ensuite des études à l’Université de Coimbra.

Pendant la 1ère République il put observer la dictature de la rue et le chaos politique des gouvernements qui se succédaient au rythme des coups d’Etat. Il savait que ces désordres, qui s’attaquaient avec une très grande violence au catholicisme, venaient de loin.

Depuis 1834 et la proclamation du Libéralisme au Portugal, les catholiques avaient été « les dindons de la farce » et les boucs émissaires de la Révolution et des révolutionnaires. Mais avec l’instauration de la République Démocratique de 1910 ils étaient devenus de fait des citoyens de seconde zone. Dès le 5 octobre on assassina des prêtres; plus tard les ordres religieux furent expulsés, les évêques, les prêtres et les laïcs catholiques eurent à subir des persécutions, des vexations et des humiliations de toute sorte.

Salazar voyait bien que la grande priorité était celle d’un Etat ordonnateur, peu importait pour lui que celui-ci fût monarchiste ou républicain. Cet Etat aurait pour devoir de se placer au-dessus des divisions des partis politiques, de se montrer capable de maintenir l’ordre, d’imposer la loi et de défendre les Colonies. Un Etat qui devrait être à même de défendre le prestige national et d’imposer le nom du Portugal dans le monde.

En 1928 Salazar est professeur à l’Université de Coimbra, où il enseigne les Finances Publiques, lorsque les militaires qui avaient institué la Dictature Militaire en 1926 font appel à lui pour diriger le Ministère des Finances.

Salazar a alors le soutien des militaires et des catholiques, il a le soutien des républicains conservateurs et de la plupart des monarchistes, il a le soutien des classes supérieures et des classes moyennes urbaines. Mais il a surtout le soutien de la campagne, qui est conservatrice, patriote et catholique.

Pour ses partisans il est devenu l’homme providentiel, celui qui pourra harmoniser les institutions pour défendre les intérêts du pays. Voilà ce que veulent les armées, voilà ce que veulent les élites, voilà ce que veut le peuple tout entier.

La population apprécie chaque jour davantage le nouveau dirigeant, parce que, au-delà de tout le reste, il a su stabiliser le prix du pain. Le problématique prix du pain.

Arrivé au pouvoir, Salazar s’était attaqué au problème financier en exerçant un contrôle rigoureux de la dépense et en améliorant la collecte des recettes. Il avait exigé d’avoir le contrôle total des dépenses de l’ensemble des Ministères.

Et les résultats ne se sont pas fait trop attendre.

De 44% du PIB en 1922, la dette extérieure passe à 32% en 1930, à 19% en 1935. Puis elle se stabilise à 5% en 1940.

Dès que le pays reconstitue des réserves financières, les investissements d’envergure et les grands travaux publics peuvent commencer.

Dans les années trente Salazar s’applique à développer la production agricole alimentaire pour faire baisser les importations, tout en maintenant le prix bas des produits. On assiste ensuite aux grands plans d’électrification et à la construction des infrastructures : routes, ports, chemins de fer. L’industrialisation s’accélère. Les travaux publics s’investissent dans la construction d’importants bâtiments nationaux et dans celle de nombreux logements sociaux bien conçus, confortables et agrémentés de jardins.

Pendant les quarante ans du gouvernement de Salazar le rendement national a crû d’environ 8 fois : il a pratiquement doublé entre 1926 et 1939, il a stagné et s’est un peu rétracté pendant la guerre mondiale, puis, à partir des années 50, il a connu une accélération importante atteignant 8% de taux de croissance réelle par an.

L’influence de la tradition anti-parlementariste est évidente chez Salazar. Il aurait fait la confidence suivante au Cardinal Cerejeira : « La situation idéale de l’exercice du pouvoir est celle du 1er ministre d’un roi absolu ». Il ne se voit pas lui-même comme étant à l’origine du pouvoir, mais comme un exécutant au service d’une autorité supérieure.

La caractérisation politique du régime créé et institutionnalisé par Salazar n’est pas facile à faire. Certains tendent à l’appeler un fascisme, une forme portugaise du fascisme. D’autres disent qu’il s’agissait essentiellement de la réalisation de la « démocratie organique » chère aux Papes sociaux.

Certes l’Etat Nouveau fut, sans conteste, un régime nationaliste, autoritaire et conservateur, avec une économie de marché, mais un marché sur lequel s’exerçait une certaine autorité étatique. Cependant le régime salazariste n’a pas endossé les particularités des régimes fascistes: il n’était pas révolutionnaire et il n’a jamais prétendu utiliser l’Etat pour changer la société.

La trilogie Dieu, Patrie, Famille, qui reflétait le régime de Salazar, définit encore aujourd’hui la Droite portugaise qui est chrétienne, patriotique, solidariste, et qui se montre régulièrement assez méfiante à l’égard du capitalisme libéral.

C’est du reste cet esprit de solidarité humaine qui a également inspiré la politique des réfugiés pendant la seconde guerre mondiale. Fuyant l’Europe dévastée et occupée, près d’un million de réfugiés, parmi lesquels plus de cent mille juifs, ont afflué au Portugal. Il y a de multiples preuves de l’intérêt de Salazar pour l’accueil et les conditions de bien-être de ces personnes. Durant ces années de guerre mondiale Lisbonne fut ainsi une oasis de paix et un point d’espérance à l’extrême occident de l’Europe.

Le style et la forme du gouvernement de Salazar sont en cohérence avec sa personnalité. C’est un style hautement centralisateur, très organisé, dont les décisions sont fondées sur les informations de collaborateurs de confiance. Il s’agit d’un travail minutieux, de décisions toujours pondérées et d’un intérêt constant porté aux territoires ultramarins.

Salazar estimait, en effet, que sans son Outre-mer le Portugal perdrait une grande partie de son importance et risquerait d’être absorbé par la Péninsule Ibérique, cessant ainsi d’exister en tant qu’Etat indépendant. Voilà pourquoi il a lutté comme il l’a pu et avec toutes les armes possibles pour défendre les terres lointaines que les ancêtres illustres avaient apporté à la Nation.

Jusqu’aux années cinquante il était normal pour un pays européen de posséder un empire ultramarin. Mais c’est précisément dans les années cinquante que tout va commencer à changer et que le Portugal va se trouver de plus en plus isolé.

Le mouvement anti-colonial commença en 1954, en Inde. En 1961 l’armée hindoue conquit les comptoirs portugais. Vinrent ensuite les attaques sur les bâtiments publics à Luanda, par des militants du Mouvement de Libération pour l’Angola, soutenus par l’URSS. Puis des attaques furent perpétrées contre les populations civiles: plusieurs milliers de personnes furent assassinées.

Salazar appela alors son peuple à défendre l’Angola.

Mais la géopolitique avait changé, à la tête des nations l’Angleterre avait été remplacée par les Etats-Unis qui imposaient désormais un nouveau jeu politique. Bien qu’étant parfaitement conscient des nouvelles règles de l’Ordre Mondial, Salazar voulait à tout prix maintenir la souveraineté de son Outre-mer et il se jeta avec son peuple dans cette guerre difficile.

Ce fut une guerre longue et courageuse. Mais l’ordre mondial désormais en place ne voulait pas qu’elle fût gagnée par un peuple d’Europe.
Vinrent alors les traîtres à la Patrie, qui au nom des Droits de l’Homme et du Droit des Peuples à disposer d’eux-mêmes s’élevèrent contre leur propre peuple.
Et la « Révolution des oeillets » advint.

Elle précéda la longue litanie des révolutions trafiquées et des printemps arabes. Macabre stratégie du génocide européen à venir.
Aujourd’hui, chez nous, les mêmes traîtres continuent leur oeuvre mortifère.

                                                                                                                                                                             Un pèlerin

https://www.medias-presse.info/salazar-un-exemple-meconnu/66096/

vendredi 29 avril 2022

Xavier Grall, barde de révolte

 par Jean Mabire

Né voici soixante ans, à Landivisiau, dans l'ardente lumière du solstice d'été, le 22 juin 1930, Xavier Grall a retrouvé pour l'éternité l'humus de sa terre bretonne, par un triste jour de décembre 1981, mois noir de deuil et de pluie. Cela fera dix ans l'année prochaine et la voix de ce barde finistérien à l'accent furieux et tendre retentit toujours sur la lande et sur la met : Prophète et poète, il a trouvé pour célébrer son pays, ses amis et sa foi, des accents à nul autre pareils. Ce Breton au ceps de brume et à l'âme de granit a voulu réveiller sa patrie bafouée. De cet amour d'un homme pour son peuple et pour sa terre, est née une grande œuvre lyrique. Yves Loisel, en lui consacrant une sensible biographie, bâtit pour lui un tombeau à la mesure de son rêve.

Qui a croisé, ne serait-ce qu'un seul soir, le chemin de Xavier Grall - ce petit chemin entre les ajoncs mouillés qui se dit hentic dans l'âpre et belle langue bretonne - n'oubliera jamais ce long corps fragile flottant dans son noir gilet de velours paysan, ses longs cheveux raides de druide et de chouan, ce visage cireux où tout n'était que creux et bosses et qu'illuminaient des yeux sombres, brillants de colère, de haine et d'amour, surtout d'amour. Sa voix cassée par le tabac, l'alcool, la toux sèche et tenace, vous brûlait comme flamme.

Tout chez lui évoquait la mort, l'Ankou, et pourtant nul ne fut plus vivant que lui, le réveilleur des gisants de Breizh, proue sacrée de notre continent, refuge des Celtes vaincus après avoir fécondé l'Europe des forêts et des monts.

Trop jeune pour avoir participé à la dangereuse aventure de Breiz Atao, qui marqua à jamais la Bretagne au fer rouge du sang versé, Xavier Grall appartient à la génération d'après-guerre, qui crut rompre avec ses aînés, sans se rendre compte qu'elle allait brûler de la même ferveur au bûcher de l'irréductible autonomisme.

Rien pourtant ne semblait destiner ce mince garçon fiévreux, de petite bourgeoisie industrieuse, dévote et provinciale, à sa destinée finale de barde révolté. Ancien élève des prêtres du Kreisker de Saint-Pol-de-Léon, il commence en exil sa carrière de journaliste à La vie catholique illustrée et consacre un de ses premiers livres à Mauriac. Le voici installé dans la gauche chrétienne, familier du milieu parisien des Bien-pensants progressistes, collaborateur de Témoignage chrétien et même d'Ouest-France, au carrefour de la démocratie et d'un cléricalisme rallié à tous les pouvoirs et à tous les conformismes. D'autres y ont trouvé une situation et une rente.

Pas lui ! Breton révolté, mal commode, susceptible, incapable de « taire sa gueule » et de « faire sa cour », ne sachant ni dissimuler ni mentir, se brouillant pour un non, s'enflammant pour un oui, il exhale de ses poumons malades tous les paroxysmes de son ethnie à nulle autre semblable.

D'un dur service militaire outre-mer, au Maroc puis en Algérie, il en est revenu plus écorché vif que jamais, partisan mais honnête, entier, tranchant.

Toujours à contre-courant des opinions unanimes, c'est sans doute au Maghreb qu'il découvre, ou redécouvre, la Bretagne. « Soleil noir de mon djebel, tu brilles à présent jusque sur mes genêts. »

Hors de tous les genres

Il va alors collaborer à tous les brûlots de la presse bretonne militante des années soixante, soutenir le FLB, se prendre d'amitié pour Jean Bothorel, Glenmor ou Alain Guel, faire de la Bretagne son unique, immense, infini horizon. Son style s'affirme, torrent lyrique qui tient du cantique et de l'imprécation. Romans poétiques ou poèmes romanesques, ses livres se situent délibérément en dehors de tous les genres littéraires. Sans éditeur célèbre et sans critiques complices, le voici enfin lui-même. 1968 le voit publier Barde imaginé et 1972 La fête de nuit.

L'année suivante, il fait son retour au pays. Avec sa femme Françoise et ses cinq filles, il emménage à Bossulan, près de Pont-Aven, où il va vivre, régner, écrire et trépasser.

Son œuvre n'est pas mince, même s'il fait plutôt court que long - le "billet" est sa spécialité. D'une bonne vingtaine de titres, le public connaît surtout son Cheval couché, insolente et superbe réponse au célébrissime Cheval d'orgueil du bretonnisant francophile Per-Jakez Hélias.

Ses maîtres sont ailleurs, qu'il célèbre en de fulgurantes biographies : Lamennais ou Rimbaud.

Xavier Grall ne se situe pas aisément sur notre pauvre échiquier électoral. Il s'en est rendu compte très vite : « Tu es de droite avec les types de gauche. De gauche avec les types de droite.» -

Il faut lire Grall. Tout Grall.

Même si certains de ses cris écorchent nos préjugés et nos certitudes,  il est le chantre de la grande réconciliation de l’homme avec la Nature et avec Dieu.

Parce qu'il est Breton, il parvient à unir, dans la même ferveur mystique et sensuelle, paganisme et christianisme : « Ce pays a tout absorbé : le rituel païen et la douceur évangélique, la fête et la cérémonie, la nuit, l'aurore! ... Ce pays dort sur un trésor inouï. Les saints ont le visage des anciens dieux ! Les saintes ont le regard impitoyable des druidesses ... Christ a des rires de Pan ! »

Voilà pour la religion, le lien avec le ciel. Et la politique, ce lien avec la terre ?

Entre cent citations : « Je ne me bats pas pour une nébuleuse, une abstraction. Je me bats pour un certain type d'homme, une certaine race, une certaine façon d'être et de sentir. Quand Dieu créa l’humanité, il fit des peuples qui ne se ressemblaient pas, et il vit que cela était bon. On ne s'enrichit jamais qu'à partir de nos différences. Que reviennent les clans, les tribus, les communautés égales en dignité. Et qu'elles soient libres. »

Ô mon frère d'Outre-Couesnon qui a retrouvé à jamais les lois de la lignée et du terroir. Buez a zo mad ... Oui, c'est bon la vie !

National Hebdo du 25 juillet au 1er août 1990

Yves Loisel : Xavier Grall (1930-1981), 400 pages, 10 photos, Jean Picollec.

La plupart des livres de Xavier Grall sont édités par Kelenn à Guipavas et Calligrammes à Quimper (Finistère).

Nuremberg : la bataille des images

Les 12 mensonges du GIEC – Politique & Eco avec Christian Gerondeau

 Il est difficile de croire qu’un organisme international officiel mente effrontément. C’est pourtant ce que fait le GIEC, émanation des Nations-Unies censées représenter l’intérêt de l’humanité. Il l’a fait par exemple lorsqu’il a déclaré en 2011 que l’humanité pourrait se passer des énergies fossiles en 2050 et que « près de 80 % des besoins d’énergie de l’humanité pourraient alors être satisfaits par les énergies renouvelables. » Or toutes les projections montrent que ces dernières ne pourront répondre au mieux à cette date qu’à 10% des besoins et que les énergies fossiles en satisferont toujours près de 80 %. D’autres mensonges, tout aussi grossiers, concernent l’évolution de la température terrestre, la montée supposée des eaux, la survie de la faune et de la flore… L’invité de « Politique & Eco », l’ingénieur polytechnicien Christian Gerondeau, les énumère dans son ouvrage « Les douze mensonges du GIEC ». Passionnant !


https://www.tvlibertes.com/les-12-mensonges-du-giec-politique-eco-avec-christian-gerondeau

La captivité et la mort de Marie-Antoinette (G. Lenotre)

 G. Lenotre (1855-1936), membre de l’Académie française, est l’un des plus importants historiens populaires français du vingtième siècle.

Ce livre est une reconstitution presque journalière de la vie de la Reine Marie-Antoinette devenue prisonnière aux Feuillants, au Temple, puis à la Conciergerie.

N’y figurent que les faits relatés par des témoins oculaires, de ceux qui, à un titre quelconque, ont pu pénétrer jusqu’à la Reine pendant la période comprise entre le 10 août 1792 et le 16 octobre 1793. Ces témoignages ne sont pas ceux de gentilshommes de la Cour ni d’historiographes à brevet. Les faits sont rapportés par une concierge, un garçon d’office, un tapissier, une servante, un gendarme, un balayeur…

Ces relations ne manqueront pas d’émouvoir le lecteur en découvrant l’obscure cave de la Conciergerie où agonisa la malheureuse Marie-Antoinette. Elles surprendront en constatant l’embarras mal dissimulé des commissaires de la Commune, esprits étroits, gens sans éducation, pour la plupart, acceptant la tâche de garder les prisonniers, venant au Temple par une sorte de bravade, tout secoués d’une grosse joie vulgaire à l’espoir d’entendre gémir Capet et de rabattre le caquet de l’Autrichienne. A mesure qu’ils approchent de la Tour, une vague pitié les gagne; une angoisse les étreint lorsqu’ils empruntent l’escalier; devant les détenus un instinctif  respect, maladroitement déguisé, fait taire les plus hâbleurs et amollit les plus rudes. Ces gens simples, artisans ou boutiquiers, sont gênés du rôle dont on les a investis; sans qu’ils en conviennent, ils ont honte de voir le Roi et la Reine dans cet étroit logement, bas de plafond. Ce sentiment de confusion est si réel que, bientôt, les municipaux évitent la corvée du Temple et qu’on ne trouve plus pour la remplir, que certains membres de la Commune, toujours les mêmes, dont le dévouement est acquis aux prisonniers.

Une autre face de ces descriptions ne surprendra pas moins : c’est le calme, on pourrait dire l’insouciance des prisonniers et l’espèce de camaraderie familière qu’ils apportaient dans les relations avec leurs gardiens.

Les témoignages groupés sur les dernières heures de la Reine sont saisissants, bouleversants.

La captivité et la mort de Marie-Antoinette, G. Lenotre, éditions Perrin, collection Tempus, 416 pages, 10 euros

A commander en ligne sur le site de l’éditeur

https://www.medias-presse.info/la-captivite-et-la-mort-de-marie-antoinette-g-lenotre/66188/

jeudi 28 avril 2022

Géopôles : La renaissance de l’empire russe

 L’effondrement de l’empire soviétique au début des années 90 a fait de la Russie un pays de puissance moyenne dont l’influence dans le monde était devenue presque inexistante. Depuis plus de 15 ans, un nouvel empire russe semblait se reconstituer petit à petit, prudemment, non sans difficultés. Du Caucase à la Libye en passant par la Syrie, l’influence russe se reconstituait lentement mais sûrement à travers des interventions calculées et mesurées. Et puis c’est en Afrique qu’elle se déploya ces derniers mois aux dépens de celle de la France. Mais c’est la guerre d’invasion de l’Ukraine qui mit au grand jour les projets de reconstitution de ce que fut l’empire russe.

Richard Haddad reçoit le journaliste Vincent Hervouët qui depuis plus de 40 ans parcours le monde pour couvrir les conflits internationaux dont il est devenu un éminent spécialiste. Il évoquera dans cette émission la stratégie géopolitique des Russes, leurs interventions dans différents points du globe, les relations avec leurs alliés et enfin la guerre ukrainienne. Son analyse du nouvel empire russe et du conflit ukrainien a le mérite d’être objective et sans parti pris.


https://www.tvlibertes.com/geopoles-la-renaissance-de-lempire-russe

#111 - Philippe Arondel pour une réflexion sur la "Grande Démission"

Histoire des Juifs – Les Temps Bibliques avant l’Exil (Heinrich Graëtz)

 

Heinrich Graëtz, de son vrai nom Tzvi Hirsh Graetz (1817-1891), est un historien et théologien juif allemand.

Ce livre est paru pour la première fois en 1853. Il est le premier des cinq tomes qui constituent cette Histoire des Juifs. L’auteur raconte, depuis les temps les plus reculés, l’histoire du peuple appelé hébreu, israélite ou juif. Cette version de l’histoire des Juifs a été immédiatement saluée par la communauté juive et traduite en diverses langues.

Or, dès les premières lignes, l’auteur considère que le peuple israélite constitue une race – c’est lui qui utilise le mot – supérieure à laquelle l’humanité doit quasiment tout. Seule la civilisation grecque trouve grâce aux yeux de Heinrich Graëtz, mais c’est pour ajouter aussitôt de façon hautaine que les classiques grecs sont morts et que la postérité rend justice aux morts. Mais, pour le reste, selon Graëtz, il n’existe qu’une autre race créatrice, toujours bien vivante celle-là, c’est la race hébraïque. Plus incroyable encore, Graëtz va jusqu’à prétendre que le peuple israélite incarne « la pureté morale  » au milieu d’un « monde vicieux ». Rien que cela. Un ouvrage révélateur pour comprendre un certain état d’esprit…

Histoire des Juifs, tome 1 : Les Temps Bibliques avant l’Exil, Heinrich Graëtz, éditions Omnia Veritas, 310 pages, 25 euros

A commander en ligne sur le site de l’éditeur

https://www.medias-presse.info/histoire-des-juifs-les-temps-bibliques-avant-lexil-heinrich-graetz/66499/

mercredi 27 avril 2022

Les Immémoriaux (1907) 3/3

  

[Ci-dessus : couverture des Immémoriaux, 1966, avec Deux nus sur la plage de Tahiti (détail) par Paul Gauguin, 1892 [Honolulu Museum of Art]. Dans ce long poème en prose qui chante les Maoris des temps oubliés, Victor Segalen s’attache à peindre l’agonie d’une civilisation, symbolisée par « le Parler Ancien », faite de sagesse et de joie, que vient supplanter l’austère religion des « Hommes au Nouveau Parler ». Malgré les avertissements de son ancien maître Paofaï, le jeune prêtre païen Térii, vaincu par les sarcasmes de ses amis, se laissera à la fin convertir, et se fera serviteur du dieu importé…]

Rien ne pouvait mieux l’inciter à le faire que la religion taoïste dont il indique qu’elle enseigne « la vision ivre de l’univers ; d’une part la pénétration à travers les choses lourdes, et la faculté d’en voir à la fois l’avers et le revers, d’autre part la dégustation ineffable de la beauté dans les apparences fuyantes ». Nous reconnaissons dans ce texte des idées chères au poète. Sa conception d’un monde fluide et mouvant devait le rendre infiniment sensible à celle des Taoïstes pour qui l’univers manifesté n’est qu’un amas d’apparences. Lao-tseu, et surtout Tchouang-tseu affirment avec insistance que la réalité perçue est purement phénoménale et illusoire. La « fantasmagorie universelle » implique qu’aucune forme n’est fixe, mais toujours hésitant entre le moment d’apparaître et celui de disparaître. Cette vision ivre, en outre, n’est-elle pas sous un autre nom la faculté même de l’imaginaire ? Elle obtient le même résultat, le résultat tant cherché par le poète, de contempler un aspect du monde lavé, purifié de la densité réfractaire du réel. Le langage enrichi par cette vision ivre a toute licence dès lors, non seulement d’évoquer la face invisible des choses, mais encore de créer ce qui aurait pu ou ce qui aurait dû être. C’est le programme inscrit en tête du recueil de proses Peintures. Les paroles ici créent l’image. Une sorte de camelot d’imaginaire déroule des peintures avec le seul secours des mots. Deux ou trois peintures réelles, au plus, ont servi de modèles ; pour le reste, le poète n’a pas eu d’autre source que la vision ivre ou l’exploration de son monde intérieur. L’imaginaire joue allègrement dans les conditions du réel. Il condense les époques, raccourcit l’espace ou le distend à son gré. Les Peintures magiques en particulier conçues sur le mode taoïste représentent un univers miraculeusement délivré de sa densité, de sa pesanteur. Un mouvement frénétique agite les êtres et les choses qui apparaissent, se transforment et disparaissent, comme des bulles irisées. Festival tourbillonnant d’imaginaire, les Peintures magiques se terminent comme elles ont commencé, par une sorte d’hymne au Divers, au changeant, au fugitif, au vertige universel. Ce monde immatériel est un monde pénétré d’esprit. Les lois même de la logique sont mises au défi : « Tout est un. Deux n’est pas deux. Tout danse, tout pétille : tout est prêt à se rouler en spirale (comme le grand vent de l’univers). Tout s’exprime donc dans l’esprit ». L’accent de triomphe ici ne trompe pas. Semblable au maître-peintre toujours ivre dont il est parlé dans la préface de Peintures, et qui, selon les commentateurs, « cherchait le lien de lumière unissant enfin à jamais joie et vie, vie et joie », le poète a réussi dans sa tentative pour pénétrer dans l’espace féerique de l’arrière-monde. Cet hymne à la joie, c’est celui de l’esprit parvenu à contempler la part mystérieuse du réel, du poète peuplant le vide primordial des créatures de son imagination. Un pareil triomphe n’est accordé qu’à quelques élus : « Le Peintre seul et ceux qui savent voir ont accès dans l’espace magique ». Il est réservé aux seuls visionnaires. La tentation est forte et dangereuse pour le poète de persister dans ce paradis artificiel. Il ne faut pas oublier que la joie procurée par l’imaginaire n’est que la récompense, du corps à corps avec le réel, comme il arrive, quand on contemple un objet quelconque avec intensité, de percevoir son double spirituel. Segalen ne cède pas au délice de démissionner dans l’imaginaire. Il est bien précisé à la fin d’Équipée que le poète ne renonce ni à l’un ni à l’autre des éléments antagonistes et complémentaires. Sa vie spirituelle est faite de cette tension : « Dans ces centaines de rencontres quotidiennes entre l’Imaginaire et le Réel, j’ai été moins retentissant à l’un d’entre eux, qu’attentif à leur opposition. — J’avais à me prononcer entre le marteau et la cloche. J’avoue, maintenant, avoir surtout recueilli le son. »

Rien, semble-t-il, ne manque au bonheur du poète armé du don de la clairvoyance qui, comme il est écrit dans la préface de Peintures, peut tenir lieu « de toute la raison du monde, et du dieu ». Cependant, en vertu même de la loi d’exotisme qui entraîne nécessairement, nous l’avons vu, après un vaste mouvement d’expansion, un effort de concentration et de repli sur soi, comme les ondes d’une eau dormante brusquement troublée reviennent se réduire au centre après avoir touché les limites du bassin, Segalen devait inévitablement retourner vers son monde intérieur le regard dirigé d’abord vers les confins. Passer du réel à l’imaginaire, c’est déjà marcher en direction de soi. Certaines Peintures magiques se déroulent « vers le profond de l’âme ». Édifier une Chine mythique, c’était bâtir le palais de sa vie intérieure, comme la Tahiti des Immémoriaux était la figure du paradis rêvé.

Stèles est la parfaite illustration d’un voyage intérieur. La préface du recueil, dont tous les termes sont soigneusement calculés pour définir à la fois la stèle de pierre et le poème, contient cette formule explicite : « C’est un jour de connaissance au fond de soi : l’astre est intime et l’instant perpétuel. » Plusieurs lettres de Segalen à ses amis les mettent en garde contre l’erreur de voir dans les stèles des traductions ou des adaptations de poèmes chinois. « Le transfert de l’Empire de Chine à l’empire du soi-même est constant », écrit-il à Henry Manceron. Il n’emprunte donc à la Chine qu’un décor, des formes propres à illuminer les parts secrètes de son être intérieur. Pagodes, jades, dragons, bannières, miroirs, Cité interdite sont les moyens détournés de suggérer le chiffre du mystère, et, par un jeu subtil d’échos, d’allusions, de transpositions, le poème éclaire la part spirituelle nocturne du poète. Comme l’écrit Novalis, « Le chemin mystérieux va vers l’intérieur ». Le poète doit descendre au plus profond de soi pour découvrir la clé spirituelle de l’univers. La grande révélation apportée à Segalen par la Chine est que le chiffre de son être personnel se confond avec celui du monde qu’il contemple. Une pareille conception de la poésie s’apparente à celle des plus grands poètes. Il est clair que Segalen rallie la voie frayée par les romantiques allemands, par Nerval, par Baudelaire, par Mallarmé, par tous ceux qui ne réduisent pas le monde à ses éléments sensibles, mais qui l’interrogent comme un inépuisable répertoire de signes à traduire et à déchiffrer.

En écrivant de la stèle qu’elle est « jour de connaissance au fond de soi : l’astre est intime et l’instant perpétuel », en rappelant dans la mise en page de ses poèmes la table de pierre où sont gravées et encadrées les inscriptions, Segalen entend en outre signifier que la parole poétique est la cristallisation d’un moment. Il s’agit de ces moments privilégiés, de ces instants divinatoires où intérieur et extérieur ne font qu’un, où l’espace du dedans et l’espace du dehors, le réel et l’imaginaire, le temps intime et le temps mesurable se confondent dans la même aura spirituelle. Les stèles, isolant un moment du temps, un fragment de l’espace, s’opposent donc au flux perpétuel des choses, à l’écoulement ininterrompu des minutes. « Dans le vacillement délabré de l’Empire, elles seules impliquent la stabilité ». La vision héraclitéenne du réel, même si elle est source de joie et de beauté, ne peut empêcher le démon de la connaissance et de l’alternance d’inciter le poète à tenter de découvrir ce qui dément le multiple et le temporel. Or, du « centre et milieu qui est moi » jaillit ce qui peut le mieux défier et vaincre le chaos mouvant et le temps : la brûlure de l’éclair soustrait à l’espace et à la durée. Au temps répandu dans les choses s’oppose l’éternel du monde intérieur. Rien n’empêche dès lors de regarder sans frayeur la fin de toutes choses. Tel est le sens de l’admirable stèle Aux dix mille années, sorte de prière pour le bon usage du temps. L’erreur des Barbares occidentaux est de vouloir conférer à leurs monuments matériels une éternité qui n’appartient qu’au monde de l’esprit :

« L’immuable n’habite pas vos murs, mais en vous,
hommes lents, hommes continuels ».

La soumission au temps que semble prêcher le poème est en réalité à base de mépris pour le temps. La sagesse consiste à faire au temps sa part qui n’est pas la meilleure, à distinguer la temporalité, marque des choses, de l’éternité, marque de l’esprit. Fidèle à la fiction chinoise, en paraissant broder sur le thème taoïste de ne pas contrarier le cours de la nature, de ne pas s’opposer à l’évolution inéluctable des choses, Segalen introduit comme un commentaire implicite du mot de Spinoza : « nous sentons et nous expérimentons que nous sommes éternels ». On peut donc déceler dans le monde spirituel de Segalen un conflit entre conscience artiste et conscience mystique dont la solution est le poème. L’artiste se réjouit de contempler, comme l’enseigne le taoïsme, le spectacle chatoyant, provisoire, illusoire du réel ; il accepte avec allégresse l’écoulement et l’écroulement des choses, mais l’exigence mystique est si forte que le poète s’épuise à composer certains poèmes qui sont la négation du fugitif et du transitoire. La conscience mystique conduit Segalen sur des voies plus mystérieuses encore dont la dernière stèle Nom caché nous livre le secret.

Il est certain que l’œuvre de Segalen envisagée dans son ensemble prend l’aspect d’une inlassable enquête spirituelle, ou, plus exactement, elle se présente tantôt comme une enquête et tantôt comme une quête. C’est une enquête, si l’on conserve à ce mot son sens intellectuel, dans la mesure où Segalen affirme à plusieurs reprises son ambition de forcer les limites de l’esprit humain, d’accroître les pouvoirs de la connaissance. Il attribue cette intention à Rimbaud, nous l’avons vu : « Rimbaud a exprimé plus que tout l’indéfinie angoisse humaine aux prises avec la connaissance ». Une note datée de 1917 prouve que tous les artistes partagent ou doivent partager cette ambition : « Les poètes, les visionnaires mènent toujours ce combat, soit au plus profond d’eux-mêmes, soit — et je le propose — contre les murs de la Connaissance : Espace et Temps, Loi et Causalité. Contre les limites de la Connaissance. Mais cette enquête est aussi une quête, c’est-à-dire une recherche d’ordre religieux. Une lettre de Segalen à sa femme en date du 13 juin 1909 définit parfaitement son attitude à cet égard : « Il y a toujours le mystique orgueilleux qui sommeille en moi. Et ce sera même une haute joie que d’approfondir — ô si lentement — le sillon qui me sépare d’Augusto (Gilbert de Voisins) : lui catholique et non-mystique (s’est-il défendu), moi si anticatholique pur, mais resté d’essence amoureux des châteaux dans les âmes et des secrets corridors obscurs menant vers la lumière ». Dès son séjour à Tahiti, une violente réaction s’était opérée en lui d’origine plutôt sensuelle, faite de rancune contre une morale étroite barrant tous les chemins du bonheur. Il condamnera le renoncement ascétique prêché par le bouddhisme pour les mêmes raisons. Par la suite, à ce grief fondamental chez un amant de la vie, de la très précieuse vie, s’ajouteront des griefs plus intellectuels. Il reprochera essentiellement à la religion catholique le dogme de l’Incarnation en l’accusant de réduire la transcendance à une caricature humaine. Il considère l’anthropomorphisme religieux comme une trahison. Ce serait donc une erreur de voir dans Segalen un esprit hostile à tout surnaturel. Sans doute lui arrive-t-il d’affirmer, comme dans la Préface de Peintures, que la vision ivre lui tient lieu « de toute la raison humaine et du dieu », mais bien d’autres textes démentent cette assurance en suggérant qu’au-delà du réel et de l’imaginaire existe un troisième plan transcendant. Le taoïsme, précisément, qui facilite la vision ivre en transformant la matière du réel en un éparpillement de formes fugitives, illusoires, en une fantasmagorie universelle, considère que tous les éléments sensibles sont les aspects éphémères d’une réalité transcendante. Le papillon que Tchouang-tseu croit être en rêvant et le Tchouang-tseu à l’état de veille ne sont que des modifications irréelles de la suprême réalité.

Les textes les plus profonds de Segalen, poèmes et prose, témoignent de son invincible désir d’atteindre à une réalité supra-sensible où s’aboliraient enfin d’une manière ineffable toutes les différences. Un mot de Jarry éclaire admirablement cette démarche de Segalen : « Logiquement, la recherche de l’extrême-lointain, dans des mondes exotiques ou abolis, mène à l’absolu. Tel est en fin de compte le but suprême de cette quête et de cette enquête : découvrir la réalité ontologique suprême, l’Un par opposition au Multiple, le centre surnaturel d’un Divers éparpillé dans les choses et l’imaginaire. De même que dans la partie centrale de Peintures le camelot d’imaginaire déroule sous les yeux des spectateurs le rouleau de soie magique où défile l’immense cortège des tributaires venus de tous les coins du monde et de toutes les époques du temps pour rendre hommage à l’Empereur-Un, de même l’œuvre de Segalen finit par suggérer que toutes les oppositions et tous les contraires se concilient dans un plan surnaturel. C’est en cela que consiste le mysticisme du poète, mais l’orgueil plutôt que la ferveur l’anime, le désir prométhéen de parvenir à la connaissance totale. Tous les ouvrages chinois de Segalen, d’une manière ou d’une autre, retracent le dessin de cette marche à l’invisible : PeinturesRené LeysÉquipéeThibetOdes nous suggèrent qu’au terme de l’aventure ou du voyage réside le Graal sacré. L’intention métaphysique de Segalen s’affirme cependant d’une façon plus nette qu’ailleurs dans la section des Stèles intitulée Stèles du Milieu. Sous cette rubrique sont groupés tous les poèmes tendant à indiquer l’existence d’une réalité secrète et mystérieuse située plus loin que les profondeurs du moi, une réalité ontologique qui fait le fond de la nature aussi bien que de l’être humain, une essence analogue, sans doute, à ce que Lao-tseu désigne par le mot de Tao. Il semble, du moins dans la dernière stèle du recueil, Nom caché, que Segalen admette la possibilité d’atteindre cette réalité suprême, mais cette victoire n’est possible qu’à la faveur d’une véritable expérience mystique. C’est bien une expérience mystique que nous décrit le poème :

« Quand le vide est au cœur du souterrain et dans le souterrain du cœur — où le sang même ne roule plus — , sous la voûte alors accessible se peut recueillir le Nom ».

L’union extatique, en effet, tous les mystiques sont d’accord sur ce point, exige au préalable un dépouillement complet de la conscience claire, un suprême dénuement de l’âme, un vide spirituel que vient combler la présence de Dieu. Mais à peine envisagée la révélation parfaite, Segalen en repousse violemment la tentation :

« Mais fondent les eaux dures, déborde la vie, vienne le torrent dévastateur plutôt que la Connaissance ! »

À en juger par la place du poème, Segalen a manifestement voulu donner une valeur de conclusion à ce double mouvement de reconnaissance et de refus de l’absolu. Cependant ce refus est à base de désespoir et non de résignation. Le poète ne peut s’empêcher de reprendre inlassablement sa quête spirituelle, mais le plus souvent elle se termine sur un même constat d’impuissance et d’échec : « L’objet que ces deux bêtes se disputent, — l’être en un mot — reste fièrement inconnu » (Équipée). René Leys est le roman de la connaissance impossible. Thibet, ce poème de la nostalgie de l’être, avoue l’impuissance du poète à parvenir au plus haut des plateaux, « celui qui ne sera jamais obtenu, innommable… » Cependant la poésie se moque de la sagesse et se joue des contradictions. La rhétorique, « la sorcellerie évocatoire » dont parle Baudelaire, offre des moyens propres à contourner les obstacles, à faire entendre « ce qui ne peut se dire ». Le plus bel exemple en est la stèle Éloge et pouvoir de l’absence dans laquelle par des procédés analogues à ceux de la méthode apophantique pratiquée par certains théologiens, le poète arrive à suggérer l’existence d’un absolu dont nous n’appréhendons que l’absence. L’Empereur invisible, le Prince de l’absence, le Nom caché, le plateau innommable de Thibet, la Cité interdite de René Leys, la sapèque trouée d’Équipée sont autant de façons détournées d’indiquer la même réalité ontologique suprême. Segalen recourt ainsi à une figure de rhétorique dont il fait l’éloge dans une stèle surnuméraire intitulée De la Composition : l’allégorie, l’allégorie comprise dans un sens très large et très proche de sa signification originelle qui est de dire autre chose que ce qu’on paraît dire. La nature essentielle de l’allégorie consiste à présenter un discours de façon à suggérer que derrière le sens littéral se dissimule un sens plus profond qu’il appartient au lecteur de découvrir. C’est le moyen le plus propre à traduire des vérités et des notions trop obscures, trop secrètes ou trop sacrées pour tomber sous la coupe des mots. Rien d’étonnant si l’allégorie est la figure de rhétorique favorite de Segalen. Dans une œuvre dont les parts les plus profondes s’appliquent à illuminer les régions nocturnes du moi, du monde et de l’être, elle était avec ses complémentaires, l’ellipse et l’allusion, l’instrument permettant de suggérer l’ineffable, l’invisible et l’inouï. Le monde chinois même, dans son ensemble, a été pour Segalen une immense allégorie dans laquelle il a distingué la figure de son propre univers spirituel.

C’est en fin de compte un univers à trois dimensions. Cet homme qui fut médecin, ethnologue, archéologue, sinologue et par-dessus tout poète semblait s’être donné pour tâche d’éclairer par la parole tous les degrés de l’être. À la suite de Claudel et avant Saint-John Perse, au contact des mondes exotiques et de la Chine, il avait évité comme eux, mais par des voies différentes, la « catastrophe d’Igitur ». Il avait ramené dans les filets de la poésie les puissances du réel, les grandes forces cosmiques sans lesquelles le verbe finit par déboucher sur le silence et le rien. La tentation du réalisme ne l’a cependant jamais effleuré. Il éprouva très tôt que le sensible est loin d’épuiser toutes les possibilités de l’art. La loi d’exotisme, selon laquelle la beauté naît du choc des contraires, et certaines expériences privilégiées, certaines visions de l’arrière-monde devaient le conduire à voir dans l’imaginaire à la fois l’antidote et le complément du réel. Les exigences, en outre, de son mysticisme fondamental ont fini par lui arracher l’aveu qu’une réalité transcendante domine l’univers des choses et de l’esprit et par faire de sa « quête à la Licorne » une quête à l’absolu. Tout en maintenant à cette transcendance son caractère essentiel qui est d’être inaccessible et inconnaissable, le poète né renonce pas à épeler dans l’ombre le Nom caché, à tenter d’établir par la parole un lien entre nature et surnature. Poésie exaltant la beauté des choses, mais aussi poésie de la nostalgie, de la distance et de l’exil, cette œuvre semble commandée par le regret du bonheur vécu ou peut-être imaginé dans l’île de la joie. Elle est née du désir de retrouver le secret de ce paradis perdu, du merveilleux accord entre l’homme, le monde et les dieux qui faisait de la vie des Tahitiens d’autrefois l’anti-chambre de l’éternel.

Henry Amer (pseud. Henri Bouillier), Postface aux Immémoriaux, 10/18, 1966. 

[Texte dédié à Gabriel Bounoure]

• nota bene : on pourra aussi consulter en ligne la préface de l'édition en Livre de Poche (2001) : « Une active nostalgie » par C. Doumet & M. Dollé (cf. son entretien à Ouest-France, déc. 2008).

http://www.archiveseroe.eu/lettres-c18386849/12

Tueurs en Séries : Affaire Weinstein, puérilité US, Cancel culture

 Affaire Weinstein, Cancel culture, wokisme, puérilité des séries américaines : l‘actrice franco-américaine Beatrice Rosen nous en parle… et son témoignage ne va pas faire plaisir à tout le monde ! Elle est actrice et a joué dans 55 films ou séries dont un Batman. Elle est belle et pas seulement : elle est chroniqueuse à l’émission TPMP. Béatrice Rosen a bien connu Harvey Weinstein qui est en prison pour de multiples agressions sexuelles. Elle nous livre ses confidences. Les Américains sont-ils de grands enfants ou les Européens ont-ils cessé de rêver ? Avec la « cancel culture », l’homme occidental a-t-il renoncé à la prééminence ? L’actrice nous accorde une interview exclusive et exceptionnelle et évoque tous ces sujets.


https://www.tvlibertes.com/tueurs-en-series-affaire-weinstein-puerilite-us-cancel-culture

Bismarck entre tradition et innovation: les discours du chancelier de fer

  

Source: https://www.paginefilosofali.it/bismarck-tra-tradizione-e-innovazione-i-discorsi-del-cancelliere-di-ferro-giovanni-sessa/

Otto von Bismarck est sans aucun doute un personnage historique de grande importance. Ses choix politiques ont conditionné non seulement l'histoire de l'Allemagne moderne, mais aussi les événements de la première moitié du 20e siècle. Afin de mieux connaître l'homme et le chancelier, nous vous recommandons vivement la lecture d'un de ses livres, Kulturkampf. Discorsi politici, récemment en librairie par la maison d'édition Oaks (pour les commandes : info@oakseditrice.it, pp.291, €24.00). Le volume est enrichi par la préface clarifiante du germaniste Marino Freschi. Né en 1815, une année fatidique pour le destin de l'Europe, Bismarck, comme le note la préface, "est resté attaché aux racines de l'aristocratie foncière" (p. I).

Dans sa jeunesse, ses débuts dans l'administration prussienne ne sont pas brillants. Il a été impliqué dans un certain nombre de scandales et a mené une vie inconvenante. Cependant, ce n'était qu'un moment passager: bientôt, la spiritualité piétiste, basée sur la dévotion mystique et visant l'éveil intérieur, s'enracine dans son âme.

Dans les cercles piétistes, il a rencontré sa femme et quelques futurs collaborateurs. Parmi eux se trouvait von Roon, qui l'a introduit dans le cercle du futur Wilhelm I. Son éducation politique et culturelle a eu un impact sur sa vie. Son éducation politique et culturelle culmine dans sa fréquentation du cercle conservateur animé par les frères von Gerlach. Il acquiert une expérience administrative au niveau municipal et provincial jusqu'à ce que, après l'accession de Wilhelm Ier au trône en 1862, il soit appelé à la Diète de Francfort en tant que représentant du souverain.  Ses discours étaient caractérisés par un esprit anti-révolutionnaire et démontraient ses qualités oratoires incontestables, comme le montre le livre que nous présentons ici. L'art oratoire de Bismarck, tout en montrant en maints endroits la vaste culture du chancelier, avec des références à Goethe, Lessing, Schiller, Heine, son auteur préféré plus que tout autre, était direct: " il était fondé sur la franchise et l'attaque [...] au-delà de toute pratique rhétorique" (p. III). Il a toujours été conscient du lien entre les choix de politique intérieure et étrangère, en raison de son long séjour en tant qu'ambassadeur à Saint-Pétersbourg et, pour une période plus courte, à Paris. Il se trouvait dans la capitale française lorsqu'il a été rappelé par le nouveau monarque, qui lui a confié la chancellerie.

Dès son premier discours parlementaire, il a exprimé clairement ses idées. L'avenir de la Prusse "devait être réalisé non pas avec des discours, mais par "le fer et le feu", suggérant que l'unification allemande ne serait possible qu'avec une Prusse en armes" (p. V). En 1863, il soutient la répression tsariste des soulèvements polonais. L'opinion publique libérale se dresse alors, ce qui provoque l'affaiblissement politique de Bismarck pendant un moment et conduit à la réapparition des ambitions hégémoniques de François-Joseph.

Avec l'habileté d'un grand stratège, le chancelier s'est rapproché de l'Autriche à l'occasion de la guerre avec le Danemark pour la crise des duchés de Schleswig et de Holstein, mais a ensuite fait déclarer la guerre à son allié dans ce qui est pour nous la troisième guerre d'indépendance: "L'empire séculaire des Habsbourg a été démantelé en quelques batailles" (p. VI). Après la victoire, le chancelier a eu le mérite d'apaiser le désir d'anéantir l'Autriche qui grandissait dans les milieux militaires. Afin de devenir la puissance hégémonique en Europe et de procéder à l'unification allemande, la France doit être vaincue. Le signal a été fourni par la crise dynastique espagnole. Bismarck modifie la dépêche d'Ems rédigée par Wilhelm Ier et lui donne une tournure péremptoire.

La France, malgré une tentative du prudent Thiers pour apaiser les esprits, déclare la guerre et subit une défaite retentissante. La nation française, pendant des décennies, a vu monter les esprits de la revanche alors qu'elle se sentait au bord de la fin: désemparée par la défaite militaire et les troubles de la Commune. Pendant ce temps, le Second Reich est en fait né. Wilhelm devient empereur d'Allemagne, couronné à Versailles le 18 janvier. Malgré cela, le chancelier n'a jamais baissé la garde contre la France, convaincu que seul un renforcement militaire allemand garantirait la stabilité politique sur le continent. Selon lui, l'Alsace et la Lorraine sont stratégiquement importantes pour la défense de l'Allemagne. Il devient ainsi un défenseur de l'autonomie alsacienne, déclarant: "plus les habitants de l'Alsace se sentiront alsaciens, plus ils cesseront d'utiliser le français" (p. XVI). Le Kulturkampf, mené contre l'Église catholique et le "Parti du Centre", aliène les sympathies des Alsaciens, fidèles à l'Église de Rome. Cette bataille était essentiellement un conflit de pouvoir: "c'est la lutte entre la monarchie et le sacerdoce [...] Le but qui a toujours clignoté devant les yeux de la papauté était la soumission du pouvoir séculier au spirituel" (p. XVIII). Bismarck, en tant que piétiste, voyait l'autorité divine incarnée par le roi.

Ce n'est qu'avec l'accession de Léon XIII à la papauté qu'un rapprochement s'opère entre les parties. Après s'être mis en congé de la politique, Bismarck fait un retour en force sur la scène publique avec la promulgation de lois anti-socialistes. Influencé par Lassalle et les "socialistes de la chaire", afin d'ôter toute marge de manœuvre aux sociaux-démocrates, il promeut une législation sociale d'avant-garde, annoncée dans son discours du 15 février 1884. En 1883, il avait introduit une loi prévoyant une assurance contre la maladie, en 1884 pour les accidents du travail, et en 1889 pour l'invalidité et la vieillesse. Une sorte de socialisme d'État, de "socialisme prussien", ou, comme l'a dit le chancelier, de "christianisme pratique".

La politique de Bismarck évolue entre deux pôles, qu'il parvient à intégrer de manière dialectique, la tradition et l'innovation. Lorsque les milieux industriels allemands, qui auraient voulu que le Reich s'implique dans la politique coloniale, se sont débarrassés de lui, avec la complicité de Guillaume II, il a cédé la place, comme le confirme ce recueil de discours, celle d'un homme politique d'une grande profondeur, dont l'Europe aurait encore besoin.

Giovanni Sessa.

http://euro-synergies.hautetfort.com/archive/2022/04/26/bismarck-entre-tradition-et-innovation-les-discours-du-chancelier-de-fer.html

Messire Du Guesclin, Connétable de France (Emmanuel Bourassin et Lucien Rousselot)

 

Emmanuel Bourassin est un spécialiste de l’histoire du Moyen Âge et de la Renaissance.

Voici un superbe album pour la jeunesse qui ferait un beau cadeau au pied du sapin pour tous les garçons épris d’histoire et de bravoure.

De grand format, avec de très belles illustrations couleurs en pleines pages et un texte soigné, ce livre nous fait revivre en dix chapitres l’épopée de Messire Du Guesclin, commandant en chef des armées du roi Charles V, depuis sa jeunesse jusqu’à sa fin glorieuse.

Ce récit est un hymne à la vaillance et au sens de l’honneur. Notre héros, chevalier breton, s’illustre dès le plus jeune âge, et devient une légende de la France médiévale.

Messire Du Guesclin, Connétable de France, Emmanuel Bourassin (textes) et Lucien Rousselot (illustrations), éditions Lavauzelle, diffusion par les éditions Elor, 76 pages, 15 euros

A commander en ligne sur le site des éditions Elor

https://www.medias-presse.info/messire-du-guesclin-connetable-de-france-emmanuel-bourassin-et-lucien-rousselot/66664/