[Ci-dessus : couverture des Immémoriaux, 1966, avec Deux nus sur la plage de Tahiti (détail) par Paul Gauguin, 1892 [Honolulu Museum of Art]. Dans ce long poème en prose qui chante les Maoris des temps oubliés, Victor Segalen s’attache à peindre l’agonie d’une civilisation, symbolisée par « le Parler Ancien », faite de sagesse et de joie, que vient supplanter l’austère religion des « Hommes au Nouveau Parler ». Malgré les avertissements de son ancien maître Paofaï, le jeune prêtre païen Térii, vaincu par les sarcasmes de ses amis, se laissera à la fin convertir, et se fera serviteur du dieu importé…]
Rien ne pouvait mieux l’inciter à le faire que la religion taoïste dont il indique qu’elle enseigne « la vision ivre de l’univers ; d’une part la pénétration à travers les choses lourdes, et la faculté d’en voir à la fois l’avers et le revers, d’autre part la dégustation ineffable de la beauté dans les apparences fuyantes ». Nous reconnaissons dans ce texte des idées chères au poète. Sa conception d’un monde fluide et mouvant devait le rendre infiniment sensible à celle des Taoïstes pour qui l’univers manifesté n’est qu’un amas d’apparences. Lao-tseu, et surtout Tchouang-tseu affirment avec insistance que la réalité perçue est purement phénoménale et illusoire. La « fantasmagorie universelle » implique qu’aucune forme n’est fixe, mais toujours hésitant entre le moment d’apparaître et celui de disparaître. Cette vision ivre, en outre, n’est-elle pas sous un autre nom la faculté même de l’imaginaire ? Elle obtient le même résultat, le résultat tant cherché par le poète, de contempler un aspect du monde lavé, purifié de la densité réfractaire du réel. Le langage enrichi par cette vision ivre a toute licence dès lors, non seulement d’évoquer la face invisible des choses, mais encore de créer ce qui aurait pu ou ce qui aurait dû être. C’est le programme inscrit en tête du recueil de proses Peintures. Les paroles ici créent l’image. Une sorte de camelot d’imaginaire déroule des peintures avec le seul secours des mots. Deux ou trois peintures réelles, au plus, ont servi de modèles ; pour le reste, le poète n’a pas eu d’autre source que la vision ivre ou l’exploration de son monde intérieur. L’imaginaire joue allègrement dans les conditions du réel. Il condense les époques, raccourcit l’espace ou le distend à son gré. Les Peintures magiques en particulier conçues sur le mode taoïste représentent un univers miraculeusement délivré de sa densité, de sa pesanteur. Un mouvement frénétique agite les êtres et les choses qui apparaissent, se transforment et disparaissent, comme des bulles irisées. Festival tourbillonnant d’imaginaire, les Peintures magiques se terminent comme elles ont commencé, par une sorte d’hymne au Divers, au changeant, au fugitif, au vertige universel. Ce monde immatériel est un monde pénétré d’esprit. Les lois même de la logique sont mises au défi : « Tout est un. Deux n’est pas deux. Tout danse, tout pétille : tout est prêt à se rouler en spirale (comme le grand vent de l’univers). Tout s’exprime donc dans l’esprit ». L’accent de triomphe ici ne trompe pas. Semblable au maître-peintre toujours ivre dont il est parlé dans la préface de Peintures, et qui, selon les commentateurs, « cherchait le lien de lumière unissant enfin à jamais joie et vie, vie et joie », le poète a réussi dans sa tentative pour pénétrer dans l’espace féerique de l’arrière-monde. Cet hymne à la joie, c’est celui de l’esprit parvenu à contempler la part mystérieuse du réel, du poète peuplant le vide primordial des créatures de son imagination. Un pareil triomphe n’est accordé qu’à quelques élus : « Le Peintre seul et ceux qui savent voir ont accès dans l’espace magique ». Il est réservé aux seuls visionnaires. La tentation est forte et dangereuse pour le poète de persister dans ce paradis artificiel. Il ne faut pas oublier que la joie procurée par l’imaginaire n’est que la récompense, du corps à corps avec le réel, comme il arrive, quand on contemple un objet quelconque avec intensité, de percevoir son double spirituel. Segalen ne cède pas au délice de démissionner dans l’imaginaire. Il est bien précisé à la fin d’Équipée que le poète ne renonce ni à l’un ni à l’autre des éléments antagonistes et complémentaires. Sa vie spirituelle est faite de cette tension : « Dans ces centaines de rencontres quotidiennes entre l’Imaginaire et le Réel, j’ai été moins retentissant à l’un d’entre eux, qu’attentif à leur opposition. — J’avais à me prononcer entre le marteau et la cloche. J’avoue, maintenant, avoir surtout recueilli le son. »
Rien, semble-t-il, ne manque au bonheur du poète armé du don de la clairvoyance qui, comme il est écrit dans la préface de Peintures, peut tenir lieu « de toute la raison du monde, et du dieu ». Cependant, en vertu même de la loi d’exotisme qui entraîne nécessairement, nous l’avons vu, après un vaste mouvement d’expansion, un effort de concentration et de repli sur soi, comme les ondes d’une eau dormante brusquement troublée reviennent se réduire au centre après avoir touché les limites du bassin, Segalen devait inévitablement retourner vers son monde intérieur le regard dirigé d’abord vers les confins. Passer du réel à l’imaginaire, c’est déjà marcher en direction de soi. Certaines Peintures magiques se déroulent « vers le profond de l’âme ». Édifier une Chine mythique, c’était bâtir le palais de sa vie intérieure, comme la Tahiti des Immémoriaux était la figure du paradis rêvé.
Stèles est la parfaite illustration d’un voyage intérieur. La préface du recueil, dont tous les termes sont soigneusement calculés pour définir à la fois la stèle de pierre et le poème, contient cette formule explicite : « C’est un jour de connaissance au fond de soi : l’astre est intime et l’instant perpétuel. » Plusieurs lettres de Segalen à ses amis les mettent en garde contre l’erreur de voir dans les stèles des traductions ou des adaptations de poèmes chinois. « Le transfert de l’Empire de Chine à l’empire du soi-même est constant », écrit-il à Henry Manceron. Il n’emprunte donc à la Chine qu’un décor, des formes propres à illuminer les parts secrètes de son être intérieur. Pagodes, jades, dragons, bannières, miroirs, Cité interdite sont les moyens détournés de suggérer le chiffre du mystère, et, par un jeu subtil d’échos, d’allusions, de transpositions, le poème éclaire la part spirituelle nocturne du poète. Comme l’écrit Novalis, « Le chemin mystérieux va vers l’intérieur ». Le poète doit descendre au plus profond de soi pour découvrir la clé spirituelle de l’univers. La grande révélation apportée à Segalen par la Chine est que le chiffre de son être personnel se confond avec celui du monde qu’il contemple. Une pareille conception de la poésie s’apparente à celle des plus grands poètes. Il est clair que Segalen rallie la voie frayée par les romantiques allemands, par Nerval, par Baudelaire, par Mallarmé, par tous ceux qui ne réduisent pas le monde à ses éléments sensibles, mais qui l’interrogent comme un inépuisable répertoire de signes à traduire et à déchiffrer.
En écrivant de la stèle qu’elle est « jour de connaissance au fond de soi : l’astre est intime et l’instant perpétuel », en rappelant dans la mise en page de ses poèmes la table de pierre où sont gravées et encadrées les inscriptions, Segalen entend en outre signifier que la parole poétique est la cristallisation d’un moment. Il s’agit de ces moments privilégiés, de ces instants divinatoires où intérieur et extérieur ne font qu’un, où l’espace du dedans et l’espace du dehors, le réel et l’imaginaire, le temps intime et le temps mesurable se confondent dans la même aura spirituelle. Les stèles, isolant un moment du temps, un fragment de l’espace, s’opposent donc au flux perpétuel des choses, à l’écoulement ininterrompu des minutes. « Dans le vacillement délabré de l’Empire, elles seules impliquent la stabilité ». La vision héraclitéenne du réel, même si elle est source de joie et de beauté, ne peut empêcher le démon de la connaissance et de l’alternance d’inciter le poète à tenter de découvrir ce qui dément le multiple et le temporel. Or, du « centre et milieu qui est moi » jaillit ce qui peut le mieux défier et vaincre le chaos mouvant et le temps : la brûlure de l’éclair soustrait à l’espace et à la durée. Au temps répandu dans les choses s’oppose l’éternel du monde intérieur. Rien n’empêche dès lors de regarder sans frayeur la fin de toutes choses. Tel est le sens de l’admirable stèle Aux dix mille années, sorte de prière pour le bon usage du temps. L’erreur des Barbares occidentaux est de vouloir conférer à leurs monuments matériels une éternité qui n’appartient qu’au monde de l’esprit :
« L’immuable n’habite pas vos murs, mais en vous,
hommes lents, hommes continuels ».
La soumission au temps que semble prêcher le poème est en réalité à base de mépris pour le temps. La sagesse consiste à faire au temps sa part qui n’est pas la meilleure, à distinguer la temporalité, marque des choses, de l’éternité, marque de l’esprit. Fidèle à la fiction chinoise, en paraissant broder sur le thème taoïste de ne pas contrarier le cours de la nature, de ne pas s’opposer à l’évolution inéluctable des choses, Segalen introduit comme un commentaire implicite du mot de Spinoza : « nous sentons et nous expérimentons que nous sommes éternels ». On peut donc déceler dans le monde spirituel de Segalen un conflit entre conscience artiste et conscience mystique dont la solution est le poème. L’artiste se réjouit de contempler, comme l’enseigne le taoïsme, le spectacle chatoyant, provisoire, illusoire du réel ; il accepte avec allégresse l’écoulement et l’écroulement des choses, mais l’exigence mystique est si forte que le poète s’épuise à composer certains poèmes qui sont la négation du fugitif et du transitoire. La conscience mystique conduit Segalen sur des voies plus mystérieuses encore dont la dernière stèle Nom caché nous livre le secret.
Il est certain que l’œuvre de Segalen envisagée dans son ensemble prend l’aspect d’une inlassable enquête spirituelle, ou, plus exactement, elle se présente tantôt comme une enquête et tantôt comme une quête. C’est une enquête, si l’on conserve à ce mot son sens intellectuel, dans la mesure où Segalen affirme à plusieurs reprises son ambition de forcer les limites de l’esprit humain, d’accroître les pouvoirs de la connaissance. Il attribue cette intention à Rimbaud, nous l’avons vu : « Rimbaud a exprimé plus que tout l’indéfinie angoisse humaine aux prises avec la connaissance ». Une note datée de 1917 prouve que tous les artistes partagent ou doivent partager cette ambition : « Les poètes, les visionnaires mènent toujours ce combat, soit au plus profond d’eux-mêmes, soit — et je le propose — contre les murs de la Connaissance : Espace et Temps, Loi et Causalité. Contre les limites de la Connaissance. Mais cette enquête est aussi une quête, c’est-à-dire une recherche d’ordre religieux. Une lettre de Segalen à sa femme en date du 13 juin 1909 définit parfaitement son attitude à cet égard : « Il y a toujours le mystique orgueilleux qui sommeille en moi. Et ce sera même une haute joie que d’approfondir — ô si lentement — le sillon qui me sépare d’Augusto (Gilbert de Voisins) : lui catholique et non-mystique (s’est-il défendu), moi si anticatholique pur, mais resté d’essence amoureux des châteaux dans les âmes et des secrets corridors obscurs menant vers la lumière ». Dès son séjour à Tahiti, une violente réaction s’était opérée en lui d’origine plutôt sensuelle, faite de rancune contre une morale étroite barrant tous les chemins du bonheur. Il condamnera le renoncement ascétique prêché par le bouddhisme pour les mêmes raisons. Par la suite, à ce grief fondamental chez un amant de la vie, de la très précieuse vie, s’ajouteront des griefs plus intellectuels. Il reprochera essentiellement à la religion catholique le dogme de l’Incarnation en l’accusant de réduire la transcendance à une caricature humaine. Il considère l’anthropomorphisme religieux comme une trahison. Ce serait donc une erreur de voir dans Segalen un esprit hostile à tout surnaturel. Sans doute lui arrive-t-il d’affirmer, comme dans la Préface de Peintures, que la vision ivre lui tient lieu « de toute la raison humaine et du dieu », mais bien d’autres textes démentent cette assurance en suggérant qu’au-delà du réel et de l’imaginaire existe un troisième plan transcendant. Le taoïsme, précisément, qui facilite la vision ivre en transformant la matière du réel en un éparpillement de formes fugitives, illusoires, en une fantasmagorie universelle, considère que tous les éléments sensibles sont les aspects éphémères d’une réalité transcendante. Le papillon que Tchouang-tseu croit être en rêvant et le Tchouang-tseu à l’état de veille ne sont que des modifications irréelles de la suprême réalité.
Les textes les plus profonds de Segalen, poèmes et prose, témoignent de son invincible désir d’atteindre à une réalité supra-sensible où s’aboliraient enfin d’une manière ineffable toutes les différences. Un mot de Jarry éclaire admirablement cette démarche de Segalen : « Logiquement, la recherche de l’extrême-lointain, dans des mondes exotiques ou abolis, mène à l’absolu. Tel est en fin de compte le but suprême de cette quête et de cette enquête : découvrir la réalité ontologique suprême, l’Un par opposition au Multiple, le centre surnaturel d’un Divers éparpillé dans les choses et l’imaginaire. De même que dans la partie centrale de Peintures le camelot d’imaginaire déroule sous les yeux des spectateurs le rouleau de soie magique où défile l’immense cortège des tributaires venus de tous les coins du monde et de toutes les époques du temps pour rendre hommage à l’Empereur-Un, de même l’œuvre de Segalen finit par suggérer que toutes les oppositions et tous les contraires se concilient dans un plan surnaturel. C’est en cela que consiste le mysticisme du poète, mais l’orgueil plutôt que la ferveur l’anime, le désir prométhéen de parvenir à la connaissance totale. Tous les ouvrages chinois de Segalen, d’une manière ou d’une autre, retracent le dessin de cette marche à l’invisible : Peintures, René Leys, Équipée, Thibet, Odes nous suggèrent qu’au terme de l’aventure ou du voyage réside le Graal sacré. L’intention métaphysique de Segalen s’affirme cependant d’une façon plus nette qu’ailleurs dans la section des Stèles intitulée Stèles du Milieu. Sous cette rubrique sont groupés tous les poèmes tendant à indiquer l’existence d’une réalité secrète et mystérieuse située plus loin que les profondeurs du moi, une réalité ontologique qui fait le fond de la nature aussi bien que de l’être humain, une essence analogue, sans doute, à ce que Lao-tseu désigne par le mot de Tao. Il semble, du moins dans la dernière stèle du recueil, Nom caché, que Segalen admette la possibilité d’atteindre cette réalité suprême, mais cette victoire n’est possible qu’à la faveur d’une véritable expérience mystique. C’est bien une expérience mystique que nous décrit le poème :
« Quand le vide est au cœur du souterrain et dans le souterrain du cœur — où le sang même ne roule plus — , sous la voûte alors accessible se peut recueillir le Nom ».
L’union extatique, en effet, tous les mystiques sont d’accord sur ce point, exige au préalable un dépouillement complet de la conscience claire, un suprême dénuement de l’âme, un vide spirituel que vient combler la présence de Dieu. Mais à peine envisagée la révélation parfaite, Segalen en repousse violemment la tentation :
« Mais fondent les eaux dures, déborde la vie, vienne le torrent dévastateur plutôt que la Connaissance ! »
À en juger par la place du poème, Segalen a manifestement voulu donner une valeur de conclusion à ce double mouvement de reconnaissance et de refus de l’absolu. Cependant ce refus est à base de désespoir et non de résignation. Le poète ne peut s’empêcher de reprendre inlassablement sa quête spirituelle, mais le plus souvent elle se termine sur un même constat d’impuissance et d’échec : « L’objet que ces deux bêtes se disputent, — l’être en un mot — reste fièrement inconnu » (Équipée). René Leys est le roman de la connaissance impossible. Thibet, ce poème de la nostalgie de l’être, avoue l’impuissance du poète à parvenir au plus haut des plateaux, « celui qui ne sera jamais obtenu, innommable… » Cependant la poésie se moque de la sagesse et se joue des contradictions. La rhétorique, « la sorcellerie évocatoire » dont parle Baudelaire, offre des moyens propres à contourner les obstacles, à faire entendre « ce qui ne peut se dire ». Le plus bel exemple en est la stèle Éloge et pouvoir de l’absence dans laquelle par des procédés analogues à ceux de la méthode apophantique pratiquée par certains théologiens, le poète arrive à suggérer l’existence d’un absolu dont nous n’appréhendons que l’absence. L’Empereur invisible, le Prince de l’absence, le Nom caché, le plateau innommable de Thibet, la Cité interdite de René Leys, la sapèque trouée d’Équipée sont autant de façons détournées d’indiquer la même réalité ontologique suprême. Segalen recourt ainsi à une figure de rhétorique dont il fait l’éloge dans une stèle surnuméraire intitulée De la Composition : l’allégorie, l’allégorie comprise dans un sens très large et très proche de sa signification originelle qui est de dire autre chose que ce qu’on paraît dire. La nature essentielle de l’allégorie consiste à présenter un discours de façon à suggérer que derrière le sens littéral se dissimule un sens plus profond qu’il appartient au lecteur de découvrir. C’est le moyen le plus propre à traduire des vérités et des notions trop obscures, trop secrètes ou trop sacrées pour tomber sous la coupe des mots. Rien d’étonnant si l’allégorie est la figure de rhétorique favorite de Segalen. Dans une œuvre dont les parts les plus profondes s’appliquent à illuminer les régions nocturnes du moi, du monde et de l’être, elle était avec ses complémentaires, l’ellipse et l’allusion, l’instrument permettant de suggérer l’ineffable, l’invisible et l’inouï. Le monde chinois même, dans son ensemble, a été pour Segalen une immense allégorie dans laquelle il a distingué la figure de son propre univers spirituel.
C’est en fin de compte un univers à trois dimensions. Cet homme qui fut médecin, ethnologue, archéologue, sinologue et par-dessus tout poète semblait s’être donné pour tâche d’éclairer par la parole tous les degrés de l’être. À la suite de Claudel et avant Saint-John Perse, au contact des mondes exotiques et de la Chine, il avait évité comme eux, mais par des voies différentes, la « catastrophe d’Igitur ». Il avait ramené dans les filets de la poésie les puissances du réel, les grandes forces cosmiques sans lesquelles le verbe finit par déboucher sur le silence et le rien. La tentation du réalisme ne l’a cependant jamais effleuré. Il éprouva très tôt que le sensible est loin d’épuiser toutes les possibilités de l’art. La loi d’exotisme, selon laquelle la beauté naît du choc des contraires, et certaines expériences privilégiées, certaines visions de l’arrière-monde devaient le conduire à voir dans l’imaginaire à la fois l’antidote et le complément du réel. Les exigences, en outre, de son mysticisme fondamental ont fini par lui arracher l’aveu qu’une réalité transcendante domine l’univers des choses et de l’esprit et par faire de sa « quête à la Licorne » une quête à l’absolu. Tout en maintenant à cette transcendance son caractère essentiel qui est d’être inaccessible et inconnaissable, le poète né renonce pas à épeler dans l’ombre le Nom caché, à tenter d’établir par la parole un lien entre nature et surnature. Poésie exaltant la beauté des choses, mais aussi poésie de la nostalgie, de la distance et de l’exil, cette œuvre semble commandée par le regret du bonheur vécu ou peut-être imaginé dans l’île de la joie. Elle est née du désir de retrouver le secret de ce paradis perdu, du merveilleux accord entre l’homme, le monde et les dieux qui faisait de la vie des Tahitiens d’autrefois l’anti-chambre de l’éternel.
Henry Amer (pseud. Henri Bouillier), Postface aux Immémoriaux, 10/18, 1966.
[Texte dédié à Gabriel Bounoure]
• nota bene : on pourra aussi consulter en ligne la préface de l'édition en Livre de Poche (2001) : « Une active nostalgie » par C. Doumet & M. Dollé (cf. son entretien à Ouest-France, déc. 2008).
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