Un grand nombre d'arguments apportés par l'auteur me semblent probants, ainsi l'inversion du cours d'un fleuve à marée montante est inconnue en Méditerranée. L'identification des trois îles d’où proviennent les prétendants de Pénélope à trois îles du sud de la Fionie, infirmée par la proportion rigoureuse entre leur nombre et la superficie de ces îles, est en effet une « confirmation extraordinaire ».
L'identification à la Seeland danoise du Péloponnèse « île de Pélops » présenté dans les poèmes homériques comme une plaine alors qu'il est montagneux, et que ce n'est pas une île, apporte le solution à ces deux problèmes. Les indications météorologiques : neige, pluie, brouillard abondent dans les poèmes homériques; la transpiration n'y est jamais attribuée à la chaleur; les trois saisons de l'année sont celles que Tacite attribue aux Germains. Les réalités de la vie quotidienne : la vaisselle de métal ou de bois, non de céramique ; l'huile sert d'onguent, mais n'est pas mise en rapport avec la nourriture. La faune et la flore : le biche cornue de Cérynie dans la légende d'Héraclès est un renne femelle; les lions qui ne rugissent pas sont des ours ou des lynx la migration automnale des grues est typique des régions nordiques.
Pro et contra
On peut souscrire à la localisation des errances d'Ulysse dans l'Atlantique, déjà reconnue par Strabon. L'hypothèse est vérifiée pour les Cyclopes, dont l'auteur rappelle les correspondants Scandinaves et lapons, pour l'île de Circé, dont il souligne les références à des réalités circumpolaires (la danse de l'Aurore), à l'Hadès, aux Sirènes et à leurs équivalents nordiques, aux Rochers Errants et à Charybde qu'il identifie au Mælstrom. L'identification de Troie à la Toija de Finlande concorde bien avec les indications du texte de l'Iliade.
D'autres interprétations me semblent en revanche contestables. À partir du passage précité du De facie de Plutarque qui situe Ogygie « à cinq jours de navigation de la Grande-Bretagne en direction du coucher du soleil », l'auteur l'identifie à l'île de Nôlsoy située à mi-chemin entre l'Angleterre et l'Islande, donc en plein nord. L'identification du « fleuve Océan » de la cosmologie germanique au Gulf Stream suppose que celui-ci ait été connu à l'époque en Europe, ce qui est improbable. L'argument tiré de l'amphilyke nyx de l'Iliade qui serait la « nuit blanche » nordique ne vaut pas : il suffit de se reporter au texte pour constater qu'il s'agit de l'aube qui précède l'aurore, mentionnée dans le contexte immédiat, ce que confirme l'emploi du terme chez Apollonios de Rhodes, dans les Argonautiques; il n'y a donc aucun rapport à établir avec le débordement du Scamandre et du Simoïs. L'identification du nom d'Ulysse au théonyme vieil-islandais Ullr achoppe sur sa forme ancienne wlpu-(germanique *wulpu - « gloire »). Le parallèle établi entre Odin et Athéna ne convainc pas, et le rapprochement entre leurs noms est exclu par l'absence de *w initial dans le nom d'Athéna. Il en va de même pour les rapprochements entre le nom de Loki avec le grec loigos « perte, destruction, mort », entre les Kères grecques et les Valkyries germaniques. Le lien établi entre l'âge d'or de la conception hésiodique des âges du monde et l'optimum climatique de l'Atlantique achoppe sur le fait qu'Hésiode ne mentionne pas de détérioration du climat pour les âges qui suivent.
Les parallèles celtiques aux poèmes homériques me semblent valables dans l'ensemble, mais ils montrent que le lien avec les régions baltiques n'est pas exclusif : il renvoie à la période commune des Indo-Européens, dont la plus ancienne tradition conserve le souvenir de réalités circumpolaires.
L'hypothèse a des points communs avec les conclusions d'une série de travaux que j'ai consacrés entre 1988 et 1994 à la légende troyenne et à ses origines, mais sur de toutes autres bases, définies par ma Religion cosmique de 1987 que cite Alain de Benoist dans sa préface. Mais nos recherches sont totalement indépendantes : mon nom ne figure pas dans la bibliographie. Les implications archéologiques diffèrent. Contrairement à l'hypothèse de Krause et Tilak que j'ai reprise, l'origine circumpolaire de la part la plus ancienne de la tradition indo-européenne, celle de l'auteur pose un problème archéologique spécifique à la protohistoire de la Grèce : est-il possible de rattacher aux régions baltiques et Scandinaves l'une des migrations qui correspondent aux divers Helladiques de l'âge du bronze ? L'auteur se réclame de Tilak à propos de Circé, mais sans signaler que plusieurs millénaires séparent l'entrée des Hellènes en Grèce de cette part de la tradition indo-européenne.
✍︎Felice Vinci, Homère dans la Baltique, Les origines nordiques de l’«Odyssée» et de l’«Iliade», Astrée, 484 p., 28 €
Jean Haudry éléments N°160
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