vendredi 28 août 2015

Pierre Mac Orlan

L’auteur de cette biographie de Mac Orlan, parue chez Pardès, est Bernard Baritaud, spécialiste reconnu de l'écrivain. Il préside la Société des lecteurs de Mac Orlan.
L’enfance de Mac Orlan
Pierre Dumarchey, qui prendra plus tard le pseudonyme de Pierre Mac Orlan, naît le 22 février 1882 à Péronne, ville de garnison du Nord de la France. Son père s'était battu en 1870 parmi les zouaves pontificaux et poursuivra une carrière militaire assez terne jusqu'au grade de capitaine. Le premier souvenir que conserve l'enfant de son père est celui d'un officier « vêtu d'un pantalon rouge à bandes noires et d'un dolman noir à brandebourgs ». De la mère, qui était la fille d'un employé des Chemins de fer, on ne sait rien. Est-elle prématurément décédée ? Cela expliquerait que Pierre et son frère Jean, un rebelle dans l'âme, aient été élevés par un oncle, agrégé d'histoire. Les études de Pierre sont peu concluantes. Il en retiendra cependant un goût pour les poètes latins et une passion pour le rugby ! Il envoie quelques poèmes à Aristide Bruant qui lui répond fort aimablement. Il va avoir bientôt dix-sept ans. Débute une période de misère qui durera près de dix ans.
La misère
Pierre Dumarchey était persuadé d'avoir trouvé sa voie : il sera peintre. Il arrive, avec un petit pécule, à Paris dans les derniers mois de 1899 et s'installe, comme il se doit, à Montmartre. Il s'inspire de Toulouse-Lautrec, qu'il admire mais ne parvient à vendre aucune de ses œuvres. Pour, subsister, il fait quelques petits travaux. Il tapisse une villa, il est terrassier, et dort dans des hôtels meublés. Il fréquente les bars à matelots et y rencontre une foule d'originaux dont il s'inspirera dans ses livres. Il rencontre sur la butte les rédacteurs du Libertaire hebdomadaire, une feuille anarchiste où il publie un article parfaitement médiocre fustigeant la bourgeoisie. Il vit une existence inquiète, minée par la hantise d'assurer la survie quotidienne. Il a souvent faim. Le thème de la faim sera d'ailleurs récurrent dans l'œuvre du romancier.
Un personnage de Montmartre : naissance de Mac Orlan
Il va très vite prendre ses habitudes au Lapin agile, un cabaret de Montmartre, propriété de Bruant. Il courtise la fille du patron, Marguerite, qui deviendra plus tard, en 1913, son épouse pour la vie. On imagine que cette relation l'aide sans doute quelque peu à survivre. Toujours est-il qu'il va y connaître de "vrais" écrivains qui deviendront ses amis Apollinaire, Carco, Salmon, qui exerceront sur lui une réelle influence littéraire. Il est apprécié, pas tant pour ses écrits qui sont encore peu nombreux, que pour sa personnalité, haute en couleur, coiffé d'une casquette ronde, flanqué d'un basset d'Artois, il entonne volontiers des chansons de marins ou de légionnaires. On l'appelle « le patron », ce qui signifie, en fait, qu'il fréquente la fille de la femme de Frédé, le vrai patron, qui est, lui aussi un personnage pittoresque, avec sa longue barbe, sa toque de fourrure et sa guitare. C'est en 1905 que naît Mac Orlan. C'est avec ce pseudonyme qu'il commence à signer ses dessins. Pour vivre, il écrit aussi des textes de chansons, que d'autres signent le plus souvent et qui sont interprétés par des chanteurs des rues. Il réussira même à vendre quelques dessins à la presse humoristique.
Le voici écrivain
On en attribue le mérite au directeur artistique du journal Le Rire, Gus Bofa, qui est un ami de Pierre. Celui-ci apprécie davantage les légendes que les dessins que lui soumet Mac Orlan. Du coup, il l'encourage à développer les légendes et à les transformer en contes. Mac Orlan, qui donnera plus de soixante contes dans les journaux humoristiques en 1913, entre ainsi de plain-pied en littérature. Il ne renoncera cependant pas tout à fait à dessiner. On lui doit des « bandes dessinées » avant  la lettre, où le texte est intégré à l'image, sous forme de bulle. Sa collaboration à la presse va, dès lors, assurer sa sécurité matérielle. Son premier roman, La Maison du retour écœurant, paraît en 1912. Il doit beaucoup aux expériences antérieures de l'auteur, et se caractérise par un ton cocasse mais grinçant, où affleure l'amertume. Un deuxième roman, Le Rire jaune, est publié en feuilleton en 1913. Il décrit les ravages d'une épidémie burlesque, venue de Chine. L'épidémie fait mourir de rire, au sens propre. Du coup, la foule fanatisée massacre ceux qui font rire, les clowns, les humoristes... Les paysans, quant à eux, profitant de l'anarchie, vont piller les villes. C'est dans ce livre que l'on trouve cette formule  « Je ne crains qu'une chose dans un bois et la nuit... c'est l'homme ». Le pessimisme de Mac Orlan est total  le rire jaune est la folie que tout groupe humain porte en soi et qui peut entraîner, lorsqu'elle est libérée par les circonstances, un bouleversement radical de la société. Après ce livre, Mac Orlan est devenu un écrivain plein de promesses, reconnu par ses pairs.
Et puis, arrive la guerre
Il sera engagé en Lorraine, en Artois et à Verdun et évoquera dans ses écrits un « travail meurtrier désespérément quotidien ». N'étant pas officier, donc sans solde, il collabore à La Baïonnette afin de subvenir aux besoins de son épouse. Mais l'agent de liaison Pierre Dumarchey va être touché par des éclats d'obus, le 14 septembre 1916, devant sa ville natale. Décoré de la croix de guerre, il sera réformé le 8 décembre 1917. Il écrira dans Verdun, une vingtaine d'années plus tard : « A Verdun commença réellement la fin d'un monde et ceux qui vécurent là, en février 1916, purent constater que la guerre était la plus terrifiante de toutes les maladies de l'intelligence humaine ». Les personnages de Mac Orlan portent la guerre au plus profond d'eux-mêmes « comme une maladie secrète », dira l'un d'eux. La guerre fut pour lui un traumatisme. Vingt ans plus tard, il raconte dans Chroniques de la fin du monde (1940) que, à la tombée de la nuit, en Seine-et-Marne, il crut entendre un jour, venant de l'Est, le bruit d'une petite troupe de cavalerie en mouvement. Il écrira « C'est précisément de là, c'est-à-dire du seuil de ma porte au sommet arrondi, que j'ai entendu venir un soir les quatre cavaliers de l'Apocalypse ». Parmi eux, la Guerre et la Mort, dont il n'avait cessé de redouter le retour...
1918-1939 : une activité débordante
Ces années correspondent à la maturité de l'écrivain. Son activité est débordante. Il est éditeur et découvre notamment Joseph Delteil. Il édite de magnifiques ouvrages pour bibliophiles. Il est critique, publie un feuilleton littéraire où il traite de l'actualité comme des rééditions importantes. Il effectue des reportages pour le compte de journaux qui font appel, en ces années-là, à dès écrivains de renom. Il se rend en Allemagne nationale-socialiste, en Italie où il interviewe Mussolini, en Angleterre, en Espagne, en Afrique du Nord. Il "couvre" des procès  retentissants, et, précurseur d'Antoine Blondin, suit pour Le Figaro, quelques étapes du Tour de France. Mais ce n'est pas tout. Il tient une chronique "Disques" dans Le Crapouillot à partir de 1927 et écrit aussi sur les œuvres de photographes connus. Et puis, il écrit le scénario du film de Marcel Lherbier, L'Inhumaine, qui fut certes un échec commercial, mais qui reste une référence pour les cinéphiles. Et enfin, il fera les adaptations au cinéma de ses romans, La Bandera réalisé par Julien Duvivier, en 1935, et le célèbre Quai des brumes de Marcel Carné, en 1938. Mais revenons à ses romans. Il avait écrit un grand roman d'aventures maritimes, Le Chant de l’équipage, en 1918 qui sera suivi de A bord de l’Etoile Matutine. Beaucoup de ses livres respirent le goût de l'aventure. Il y a, selon lui, deux sortes d'aventuriers : l'aventurier actif qui court le monde et finit mal, et l'aventurier passif (dans lequel il se reconnaît puisque écrivain), qui se contente d'imaginer l'aventure. Et puis, il y a aussi l'aventure de la pègre, l'aventure militaire et coloniale qui fascineront Mac Orlan. On les retrouve dans La Bandera (1931) et Le Camp Domineau (1937). Quant au roman le plus connu, Le Quai des brumes (1927), il fait largement appel aux souvenirs des années de misère à Montmartre. Mac Orlan avait aussi abordé le fantastique sur un ton qui n'est certes pas tout à fait celui de Hoffmann, de Jean Ray, de Seignolle ou de Lovecraft. Dans Malice (1923), ruiné, arrivé au bout du désespoir, le personnage principal du livre n'a d'autre ressource que de vendre son âme... pour la corde lui permettant de se pendre. On ne lui en offre pas davantage. Cet usage burlesque de la damnation nous donne une idée du pessimisme radical de l'écrivain. Mais Mac Orlan s'intéressera aussi aux phénomènes sociaux. Il écrit sur le sport, la mode, l'automobile, la publicité... Il évoque le Vel d'Hiv, les music-halls et les grands magasins, où ses contemporains se prosternent devant la modernité et la consommation gloutonne. Pierre Mac Orlan est un pessimiste. L'univers obsessionnel de ses livres les errances stériles et la marginalisation du héros, la mauvaise chance qui le poursuit, la conviction que l'aventure vécue est néfaste, et puis, tous les hommes sont dangereux, le monde est rempli de pièges mortels destinés à nous perdre.
La guerre à nouveau
Il approche de la soixantaine quand la guerre éclate. C'est à la campagne que lui et Marguerite vont vivre les années de l'Occupation. Ils élèvent des poules et des lapins, ce qui leur permet d'affronter les difficultés d'approvisionnement. Il se met en retrait de la vie littéraire mais collabore cependant, avec prudence, à certains journaux (certes pas Je Suis Partout !), en restant obstinément dans un registre littéraire. Il publiera cependant un grand livre, L'Ancre de miséricorde, en 1941 encore un roman d'aventures maritimes. Et puis, il interrompra au bon moment sa collaboration à une presse tout de même liée à Vichy. Il ne sera pas inquiété à la Libération... Bon, il avait certes signé la pétition du « Manifeste des intellectuels français pour la défense de l'Occident et de la paix en Europe », publiée par Le Temps du 4 octobre 1935. Ce manifeste soutenait l'invasion de l'Ethiopie par Mussolini. Mais ceci était une vieille histoire et après tout, Mac Orlan n'avait-il pas aussi signé en son temps une pétition réclamant la libération de Malraux, emprisonné au Cambodge, où il avait quelque peu été mêlé à un trafic d'oeuvres d'art ?
L’après-guerre : une nouvelle carrière
Mac Orlan va entreprendre une nouvelle carrière à la radio. Il produira, entre 1947 et 1958, une dizaine d'émissions radiophoniques. Il y égrène ses souvenirs, ses lectures, évoque ses amis et ses passions, dont le rugby, fait entendre les chansons qu'il aime. Il adapte aussi certains de ses textes et nouvelles pour des émissions qui ont beaucoup de succès. Et puis, il y aura le retour à la chanson. Il va écrire une soixantaine de textes qui seront interprétés essentiellement par des femmes Germaine Montera, Monique Morelli ou Juliette Gréco, entre autres. Ses chansons font souvent appel à des souvenirs de jeunesse. Voici un couplet de la chanson Fanny de Lanninon : il s'agit de la triste histoire d'un marin breton, depuis ses vingt ans jusqu'à sa vieillesse sans espoir. « J'ai plus rien en survivance / Et quand je bois un coup d'trop / Je sais que ma dernière chance / S'ra d'faire un trou dans l'eau ». En 1950, Mac Orlan avait été élu à l'Académie Goncourt, à l’unanimité. Il y siégera aux côtés de ses amis André Billy, Roland Dorgelès, Francis Carco, et de la présidente, Colette, qu'il admirait. Les honneurs ne l'épargnent pas. Il sera Commandeur de la Légion d'honneur, à l'initiative d'André Malraux, en 1966. Mai-68 ? Bof , il y verra une révolte des jeunes contre la civilisation des machines et des ordinateurs. On a compris que Mac Orlan n'était pas un grand penseur politique. Armand Lanoux était étonné de sa « merveilleuse qualité d'inengagement » l'instinct de conservation et la prudence érigés en règles de vie...
Les dernières années, puis la fin
Pour son quatre-vingt-deuxième anniversaire, en 1962, les éditions Gallimard, ses lecteurs et ses amis lui avaient offert un perroquet, Catulle, vite surnommé Dagobert. Mac Orlan avait indubitablement le sens de la communication. Ce perroquet sur son épaule va contribuer à donner à Mac Orlan, vêtu d'un col roulé de grosse laine, coiffé d'une casquette écossaise à pompon, le profil de l’aventurier qu'il n'a jamais été. Le 10 novembre 1963, Marguerite meurt brutalement. Il ne s'en remettra jamais. Il se flattait volontiers de n'avoir jamais divorcé, contrairement à nombre de ses confrères. Il avait consacré à son épouse, en 1952, un poème tout à fait admirable La Chanson des portes. Une puissante et ancienne affection les liait. Mac Orlan survivra encore sept ans, sept ans empreints de mélancolie. Il se retire petit à petit du monde, continuant à recevoir cependant ses visiteurs, même les plus anonymes, avec une extrême gentillesse. Une crise cardiaque l'emporte le 27 juin 1970. Il sera enterré discrètement, selon ses vœux, à Saint-Cyr-sur-Morin, aux côtés de son épouse qu'il aimait tant.
R.S. Rivarol du 23 juillet 2015

Mac Orlan de Bernard Baritaud, 127 pages, 15 euros franco de port à Pardès, 44 rue Wilson, 77880 Grez-sur-Loing.

Les Batisseurs d'Empires: La Grece, d'Agamemnon a Pericles

C’était un 27 août 1793 : l’insurrection contre-révolutionnaire de Toulon

Les Fédéralistes, qui avaient pris le pouvoir local aux Jacobins lors d’une insurrection, sont supplantés par les royalistes, bénéficiant du soutien de la flotte toulonnaise (restée majoritairement fidèle au roi).
Les insurgés se sont rebellés à l’annonce de la reprise de Marseille par les Républicains et de la répression sanglante qui s’en est suivie, et seront soutenus par les Britanniques et d’autres.
Ils feront proclamer Louis XVII (le très jeune fils de Louis XVI)  roi de France et hisser le drapeau blanc à fleur de lys.
Les Républicains feront le siège de la ville, et le jeune Napoléon s’y illustrera contre les royalistes…

Le 17 décembre, après des mois de siège, d’attaques et de contre-attaques, les Bleus lanceront une grande offensive. Après d’âpres et longs combats, ils l’emporteront et entreront définitivement dans Toulon le 19 décembre.
Comme d’habitude avec les « humanistes », une répression sanguinaire sera instaurée : on estime qu’au moins huit cents personnes (10% de la population restante) seront fusillées sommairement. Par la suite, la commission révolutionnaire prononcera 290 autres condamnations…
Source : T. de Chassey

Guerre et Civilisation : Episode 2 Empires et armées

Enquête sur l’histoire : les premiers numéros mis en ligne par l’Institut ILIADE

 L’Institut ILIADE pour la longue mémoire européenne, association dirigée par l’historien bien connu Philippe Conrad, a mis en libre téléchargement depuis son site internet les 12 premiers numéros de la revue trimestrielle de haute volée Enquête sur l’histoire, publiée de 1991 à 1999 par Dominique Venner.
Enquête sur l'histoire : les premiers numéros mis en ligne par l'Institut ILIADEL’objectif ? Contrer le révisionnisme mémoriel engagé ces dernières années par l’Éducation nationale visant à faire oublier aux Français leur histoire.
Selon les termes mêmes de l’Institut ILIADE, “parents, pédagogues et étudiants trouveront dans cette collection les cartouches nécessaires à une vision renouvelée de notre histoire, affranchie de la culpabilisation systématique et de la doxa du moment. Notre vision du passé détermine l’avenir. Et sa connaissance est créatrice de liens : entre générations comme entre membres d’une même communauté souhaitant rester elle-même dans le chaos des temps présents.”
« Il est impossible de penser le présent et le futur sans éprouver derrière nous l’épaisseur de notre passé, sans le sentiment de nos origines. Il n’y a pas de futur pour qui ne sait d’où il vient, pour qui n’a pas la mémoire du passé qui l’a fait ce qu’il est. Mais sentir le passé, c’est le rendre présent. Le passé n’est pas derrière nous comme ce qui a été autrefois. Il se tient devant nous, toujours neuf et jeune ». Dominique Venner
Voici les liens directs pour télécharger ces douze premiers numéros :

jeudi 27 août 2015

Suède : Le Mars, épave mythique de la Baltique

Construit au XVIe siècle, le bâtiment de guerre suédois «Mars» avait été conçu pour régner en maître sur la mer Baltique. Mais au cours d’une bataille décisive contre la ville de Lübeck en 1564, un incendie eut raison du navire amiral, qui coula avec la majeure partie de son équipage. Après de nombreuses tentatives de localisation, l’épave fut enfin repérée en 2011 au large de l’île suédoise d’Öland.
Le naufrage du vaisseau de guerre avait à l’époque forcé le roi Eric XIV de Suède à revoir entièrement sa stratégie politique. Ce documentaire s’attache, à l’aide de techniques scientifiques de pointe, à faire la lumière sur les derniers moments du plus grand bateau de guerre de son temps.

Tixier-Vignancour : une personnalité haute en couleur

Les Cahiers d'histoire du nationalisme édités par Roland Hélie et Synthèse nationale viennent de faire paraître un livre consacré à Jean-Louis Tixier-Vignancour (23 euros franco, en vente à nos bureaux). Ce livre de 185 pages, fort intéressant, contient notamment un album de photos et une interview passionnante de Jean-Marie Le Pen.
La jeunesse de Tixier
Tixier naît le 12 octobre 1907 à Paris (VIIe arrondissement). Il a de qui tenir. Son grand-père, Gilbert Tixier, commença comme simple ouvrier, puis devint, grâce à son sérieux et à son engagement, directeur d'une papeterie et sera élu adjoint au maire de la très bourgeoise commune de Neuilly-sur-Seine. L'ascenseur social avait fonctionné à plein. Le père de Tixier, Léon, poursuivra cette ascension puisqu'à l'âge de 27 ans, où il rencontre celle qui sera son épouse, il est déjà considéré comme un grand médecin des hôpitaux de Paris. Du côté maternel, André, un arrière-grand-père, sera procureur du Roi, puis de la République, puis de l'Empire. Son fils Louis sera député conservateur puis sénateur républicain de gauche des Pyrénées-Atlantiques. Jean-Louis ne le connaîtra pas mais sans doute son évocation lui donna-t-elle le goût de la politique. Il a eu deux frères : Raymond qui sera pilote de ligne et joueur international de hockey (il sera sélectionné aux JO de Berlin en 1936 et mourra dans un combat aérien au début de la guerre), et Gilbert qui sera professeur agrégé de droit. Mais revenons à Jean-Louis. Sa grand-mère Berthe, est une femme de gauche, bien que catholique pratiquante. Elle épousera la cause dreyfusarde et aura une grande influence sur son petit-fils qui écrira plus tard un livre dont le titre est : Si j’avais défendu Dreyfus. Jean-Louis, tout en se définissant comme "républicain", éprouve une grande admiration pour Charles Maurras. Après le bac, il décide de devenir avocat, comme son grand-père maternel.
L’étudiant D'Action Française
A la faculté de droit, il a comme condisciples Edgar Faure et Pierre Mendès-France. Le Quartier latin est alors en ébullition et les Camelots du Roi tiennent le haut du pavé, face aux communistes. Tixier choisit évidemment le camp de l'Action française. Un de ses amis s'appelle… Robert Brasillach. Tixier ne tardera pas à connaître, durant onze jours, les joies des geôles républicaines. La raison : l'action menée le 9 mars 1926 par les Camelots du Roi contre une conférence du capitaine Sadoul qui, envoyé comme attaché militaire à Moscou, avait rejoint l'Armée rouge. La soirée fut des plus agitées et le jeune Tixier finit au trou... Cela lui valut les louanges de Léon Daudet dans le quotidien de l'Action française. En 1927, Tixier, qui n'a pas encore vingt ans, obtient sa licence en droit et prête serment. Le voici engagé dans une carrière d'avocat qui durera 60 ans. En quelques années, il deviendra un avocat reconnu et apprécié pour son éloquence.
Tixier devenu Tixier-Vignancour, entre en politique.
Tixier était évidemment présent, place de la Concorde, le 6 février 1934. Il décide de se lancer en politique. Les élections de 1936, qui verront la victoire du Front populaire, lui donneront l'occasion de se présenter pour la première fois. Il choisit d'être candidat dans le fief familial d'Orthez, où son grand-père, Louis Vignancour, avait été élu. Il s'y présente sous l'étiquette de l'Alliance démocratique et de la défense agricole, un mouvement de centre-droit, et est soutenu par le Front paysan d'Henri Dorgères, que d'aucuns accuseront plus tard d'avoir des tendances fascistoïdes. C'est au cours de cette campagne que Tixier décidera d'accoler à son patronyme celui de Vignancour.
Tixier-Vignancour vient de naître et il réussit, contre toute attente, à se faire élire ! Il se fait très vite remarquer à l'Assemblée nationale par la virulence de ses attaques contre le chef communiste Maurice Thorez et apparaît comme un des opposants les plus déterminés du Front populaire. Il éprouve une grande admiration pour Jacques Doriot, le député-maire de Saint-Denis, fondateur du Parti populaire français et aura droit à des articles plus qu'élogieux dans l'organe du PPF, l'Emancipation nationale. La chute du Front populaire se produit le 18 avril 1938. Léon Blum démissionne. Tixier-Vignancour fera partie de ce que l'on nomme « le camp des munichois », opposé à la guerre qui s'annonce. Il estime que les accords signés par Daladier à Munich étaient de nature à éviter la guerre. A l'instar de l'Action française, il sait que la France n'est pas en mesure de vaincre  l'Allemagne nationale-socialiste. Mais hélas, la guerre éclate. On connaît la suite. Tixier-Vignancour, qui s'est conduit courageusement, est décoré de la Croix de Guerre avec étoiles d'argent et de bronze. Il rejoint Vichy où se réunissent les Assemblées. Lors d'une séance réunie le 9 juillet, il désigne les responsables de la tragédie les généraux, les ministres, Paul Reynaud, Léon Blum, et bien d'autres et vote, le lendemain, en faveur des pleins pouvoirs au Maréchal Pétain.
Son action à Vichy
Tixier- Vignancour se voit chargé par Laval de prendre en main la direction de la radio et du cinéma. Les conditions de travail sont pour le moins Spartiates. La radio d'Etat est en effet installée dans deux chambrettes de l'Hôtel du Parc, siège du gouvernement, séparées entre elles par trois étages. Le studio était fait de bric et de broc et le livre raconte que le Maréchal dut faire ses premières Interventions radiophoniques accoudé à une coiffeuse en bois blanc. Tixier s'entourera d'une petite mais brillante équipe, issue de Je Suis Partout et Lucien Rebatet en sera. Cela ne durera pas car les coteries qui entouraient le Maréchal accusèrent l'équipe d'être ouvertement pro-allemande. En plus de la radio, Tixier avait en charge le cinéma français. Il réussit à obtenir des Allemands que le cinéma reste sous le contrôle de l'Etat français. Au printemps 1941, il quittera définitivement ses fonctions. Il faut relever que l'ancien député d'Orthez, fidèle à sa formation maurrassienne, n'était guère favorable à la collaboration avec l'occupant.
D'aucuns disent que si Tixier-Vignancour a été mis à l'écart de Vichy ce serait surtout en raison de ses frasques par trop bruyantes qui avaient le don, dit-on, d'exaspérer le Maréchal. Il est vrai que Tixier était un personnage haut en couleurs qui ne buvait pas que de l'eau (de Vichy !) et ne ratait pas une occasion pour faire la fête. Jean-Marie Le Pen a raconté en riant à l'auteur de ces lignes que Tixier était un "galipettant" Direction Wikipedia afin de comprendre la signification de ce mot vieilli. Galipettant. celui qui fait des galipettes ! Il sera néanmoins décoré de la Francisque et finit par rejoindre son ami Edgar Faure à Tunis. Il aura quelques soucis avec les Allemands pour avoir défendu, en tant qu'avocat, des résistants. Il sera arrêté une seconde fois, mais pas par les mêmes, et fut incarcéré dans la même cellule que Pierre Pucheu, ancien ministre de l'Intérieur qui fut condamné à mort et fusillé le 20 mars, au honteux mépris des garanties qui lui avaient été données s'il rejoignait l'Afrique du Nord. Il fut la première victime de l'épouvantable épuration. Le responsable de cette ignominie fut, cela n'étonnera aucun lecteur, un certain... Charles De Gaulle.
Les années d’après-guerre
La période qui suit la Libération ne fut pas des plus faciles pour Jean-Louis Tixier-Vignancour. Il aura tout de même fait 18 mois de prison mais finira par bénéficier d'un non-lieu. Il doit évidemment se heurter à l'hostilité de ses confrères, souvent résistants de la dernière heure. Il défendit les proscrite du moment, tel un dénommé Gaveau, accusé faussement d'avoir livré à l'occupant un réseau de résistants composé en grande partie d'avocats. Gaveau sera plus tard disculpé des accusations dont il était l'objet. Contre toute attente, Tixier réussit à sauver la tête de son client. Au cours du procès, l'un des accusateurs, Roger Nordmann, perdant son sang-froid, insulta Tixier. Ce dernier, pour laver l'affront, le provoqua en duel. Ce duel fut très médiatisé et Tixier l'emporta bien qu'il n'eût jamais pratiqué l'escrime, pas davantage que son adversaire ! Il obtint aussi l'amnistie de Louis-Ferdinand Céline. Une affaire rocambolesque. On sait que Céline s'était prudemment réfugié au Danemark à la fin de la guerre. Cinq ans plus tard, il souhaita revenir en France. Mais comment faire ? S'il n'était pas amnistié, il avait toutes les chances de retourner en prison. Et il était plus qu'improbable que les juges amnistiassent un aussi sulfureux personnage. Tixier eut une idée géniale. Il défendit et obtint l'amnistie d'un certain Docteur Louis Destouches, qui n'était autre que Céline ! Les juges, qui ignoraient le vrai nom de Céline, n'y virent que du feu...
De retour en politique
Tixier suivit avec sympathie la création, en 1949, par les frères Sidos, du mouvement Jeune Nation. Il soutiendra aussi le lancement de l'éphémère Mouvement social européen, créé en 1951 par Victor Barthélémy, ancien cadre du PPF et finira par lancer son propre parti, le Rassemblement national dont il annonça la création lors d'une réunion organisée sous l'égide de RIVAROL, et qui deviendra une force non négligeable sur l'échiquier politique du milieu des années 1950. Tixier sera élu lors des législatives générales du 2 janvier 1956. Mais il ne peut que constater l'échec du Rassemblement national, confronté à la rude concurrence du mouvement poujadiste. Il mettra aussi, en ces années 1950, son talent d'avocat aux services de protagonistes dans des affaires qui feront grand bruit, l'« affaire des fuites » et « l'affaire du bazooka » qui sont décrites dans le livre de Synthèse nationale. La Vème République va débuter dans la confusion. Même un homme lucide comme Tixier-Vignancour accordera (à tort) sa confiance à De Gaulle, même s'il ne se fait pas beaucoup d'illusions, évoquant par la suite « une tragique méprise » au sujet des événements d'Alger, qui conduiront au retour de De Gaulle. Espérant sauver son siège de député, il ira jusqu'à voter "oui" au référendum du 28 septembre 1958 plébiscitant la Constitution de la nouvelle république. Il n'en sera pas moins battu et ne retournera jamais siéger à l'Assemblée.
Tixier sauve Salan
Après son arrestation à Alger le 20 avril 1962, un décret de De Gaulle envoie le général Salan devant le tribunal. Le procès débute le 15 mai. De Gaulle est pressé. Il lui faut du sang, et vite. La défense de Raoul Salan est assurée par Jean-Louis Tixier-Vignancour dont la plaidoirie passera à l'Histoire. Contre toute attente, il obtient des circonstances atténuantes. Le général Salan est sauvé ! Tixier est, dès lors, devenu l'avocat le plus haï du régime gaulliste.
Candidat à l’élection présidentielle de 1965
Tixier sera choisi pour être le candidat de l'opposition nationale à l'élection présidentielle. Jean-Marie Le Pen jouera un rôle majeur dans sa désignation. Il dut faire face à de lourdes réticences et dut batailler ferme pour le faire désigner. Ce qu'il regrettera par la suite. Si Tixier milite en faveur de la réhabilitation complète de tous les combattants de l'Algérie française, certaines de ses prises de position entraînent quelques remous dans ses rangs. Il préconisera ainsi un alignement de circonstance sur l'OTAN, espérant ainsi se démarquer des positions de De Gaulle, très hostile à l'Alliance atlantique. Mais Tixier-Vignancour ne va pas tarder à trouver sur son chemin plus atlantiste que lui. Jean Lecanuet, qui mènera une campagne à l'américaine, se présente. La campagne de Tixier, notamment la tournée des plages, dont Jean-Marie Le Pen sera le maître d'oeuvre et qu'il reproduira plus tard pour lui-même, rencontre un très grand succès. Mais entre rassembler des dizaine de milliers de curieux et même de partisans et traduire cette affluence dans les urnes, il y a du chemin à parcourir. Tixier est accusé d'être le candidat de l’extrême-droite terme qu'il réfute. De Gaulle le présente comme le candidat « de Vichy, de la collaboration fière d'elle-même, de la Milice et de l'OAS ». Rien que cela... Voulant contrer la candidature de Jean Lecanuet, commettra une erreur stratégique majeure De candidat de l'« opposition nationale » le voici qui se positionne comme « candidat de l'opposition nationale et libérale » pour finir comme « candidat libéral ». Il paiera cher cette maudite recherche de respectabilité et Jean-Marie Le Pen s'en souviendra quelques années plus tard quand il déclarera que les électeurs préfèrent l'original à la copie. De plus, Tixier se révélera curieusement mauvais devant les caméras de la télévision, où il cherchera à apparaître comme étant lisse. Le vote utile va faire des ravages. Des personnalités de la vraie droite, telles l'académicien Alfred Fabre-Luce ou le rivarolien Pierre Dominique appelèrent, par antigaullisme, à voter utile, c'est-à-dire pour Lecanuet. Trois semaines avant le premier tour, les sondages le créditaient de 13 à 19 % des intentions de vote. Il obtint 5,18 % des suffrages quand Lecanuet ramassait 15,5 % des voix. Une catastrophe. Le lendemain, sans en parler à ses amis, il annonça qu'il se désistait en faveur de François Mitterrand, soutenu par le Parti communiste. Inutile de noter que cette façon cavalière d'agir mit en fureur une partie de son équipe, dont Jean-Marie Le Pen. Le lecteur découvrira dans le livre les initiatives politiques qui suivirent, notamment la création d'un parti de centre-droit à sa dévotion, l'Alliance républicaine pour les libertés et le progrès (ARLP), qui avait en fait pour objectif de pouvoir négocier quelques places avec les centristes ou le CNI. Tixier, optimiste comme toujours, tablait sur 25 députés. Il n'y en eut aucun, un fiasco. En mai 1967, il apportera son soutien total à Israël lors de la guerre « des six jours ». Au demeurant, Lucien Rebatet en fit autant. Seuls des Maurice Bardèche, des Pierre Sidos ou des Henry Coston adoptèrent une position plus clairvoyante. La dernière aventure politique de Tixier se situa dans le contexte des élections européennes de 1979. Il fut tête de liste de l’Eurodroite, constituée autour du Parti des forces nouvelles, et obtint 1,28 % des suffrages.
Jean-Marie Le Pen : « Je regrette de ne pas avoir été moi-même candidat à la présidentielle de 1965… »
Interrogé par l'auteur de cet article, le Menhir a déclaré : « J'ai un seul vrai regret, c'est celui d'avoir fait désigner comme candidat à la présidence de la République Jean-Louis Tixier-Vignancour. C'est la faute politique que j'ai commise. J'ai vraiment fait une grave faute que je regrette ». Evoquant le candidat, JMLP déclare : « Il était incontrôlable. Il était capable de sorties invraisemblables ». Il raconta ainsi un jour, lors d'un meeting, que c'est lui qui avait rédigé le Discours sur l'état de l'Union que venait de prononcer le président américain Lyndon Johnson ! Commentaire de Le Pen « Jean-Louis était comme ça un peu mégalo ». Il est persuadé qu'il aurait réalisé un meilleur résultat que Tixier auquel il reproche de ne pas avoir permis l'émergence d'une droite nationale et d'un mouvement digne de ce nom. Commentaire en guise de conclusion du Menhir « Il faudra attendre vingt ans pour qu'en 1984 le Front national retrouve un niveau équivalent à celui que nous avions en 1965. Cette perte de temps a été criminelle pour la France » Mais hélas en choisissant sa fille pour lui succéder le Menhir a commis une plus « grave faute », pour reprendre son expression, et bien plus lourde de conséquences hélas pour le mouvement national et pour la France, qu'avoir choisi Tixier-Vignancour pour la présidentielle et 1965 il y a un demi-siècle.
R.S. Rivarol du 25 juin 2015

Guerre et Civilisation : Episode 1 Premier sang

Sparte - La bataille des Thermopyles

mardi 25 août 2015

Les Grandes Batailles du Passé :1914 La Marne

ARTE La guerre des brevets Complet

25 août 1270 : mort de Saint Louis.

Le roi de France Louis IX était âgé de 56 ans.
C’était au cours de la 8e croisade (sa seconde). Il espérait convertir le sultan de Tunis au christianisme et le dresser contre le sultan d’Égypte. Les Croisés s’emparèrent facilement de Carthage mais l’armée faut victime d’une épidémie. Louis IX mourut le 25 août sous les remparts de Tunis, de dysenterie vraisemblablement (de peste selon certains). Son corps fut étendu sur un lit de cendres en signe d’humilité, et les bras en croix à l’image du Christ.
Sacre de Saint Louis
Considéré comme un saint de son vivant, Louis IX fit l’objet d’une vénération dès sa mort. Des miracles étaient réputés avoir lieu sur le passage de sa dépouille et un service d’ordre dut être mis en place près de son tombeau pour canaliser la foule de ceux qui venaient implorer son intercession.
Le XIIIe siècle reste dans l’histoire comme le « siècle d’or de Saint Louis ».
La France, centre des arts et de la vie intellectuelle, y atteint son apogée aussi bien économiquement que politiquement, mais aussi quant au degré de perfection de sa civilisation, dont nous sommes à présent loin…
Saint Louis commandait la plus grande armée et dirigeait le plus grand royaume d’Europe. Sa réputation de sainteté et de justice était déjà bien établie de son vivant et on le choisissait régulièrement comme arbitre pour régler les querelles entre grands d’Europe. Le roi était considéré comme leprimus inter pares (le premier parmi ses pairs).
Saint Louis est généralement considéré comme le modèle du prince chrétien.
Quelques livres à son propos ici.

lundi 24 août 2015

De la tradition

La tradition, à toutes les époques, représente la « substantifique moelle » de l’ethos collectif. On parle de la durée historique sur le « long terme », de la « mémoire collective » ou du rôle métahistorique des archétypes qui tiennent le rôle d’agrégateurs des mythes fondateurs de la cité. La cité représente l’ordre consensuel qui cimente les libertés individuelles dans un contexte où toute citoyenneté qui se respecte ne peut agir qu’à travers le consensus civique. La Charte de la cité est comparable à une forme de « pacte républicain » qui ordonnance un « vivre ensemble » qui, autrement, ne serait qu’une chimère en l’espèce. Toutefois, c’est la tradition, comme force dépositaire de la mémoire collective, qui donne sa raison d’être à la vie citoyenne. Privée de tradition, la cité est condamnée à se transformer en univers concentrationnaire.
La mémoire collective et ses enjeux
« Si cette volonté, cette injonction d’être moderne, ne cesse de bouleverser les conditions de la vie commune, de faire se succéder les révolutions aux révolutions, sans jamais parvenir à se satisfaire, sans jamais parvenir à un point où nous puissions nous reposer en disant : « voici enfin le terme de notre entreprise », si cette volonté ou cette injonction ne se saisit jamais de son objet, qu’est-ce que cela veut dire ? »
- Pierre Manent, in « Les Métamorphoses de la cité – Essai sur la dynamique de l’Occident »
Cette perte des repères de la mémoire collective qui affecte nos sociétés occidentales postmodernes s’apparente, manifestement, à une fuite en avant mortifère. Et, nous l’observons tous les jours, cette fuite semble nous entraîner vers le gouffre abyssal d’une « antimatière historique », pour reprendre une catégorie conceptuelle mise de l’avant par Philippe Grasset. Nous serions entrés, d’après certains historiens, dans l’ère de la postmodernité à la suite de la Seconde Guerre mondiale. C’est donc dire que ceux qui ont le pouvoir d’écrire l’histoire ont décrété la fin de la modernité, c’est-à-dire le délitement de cette « époque des lumières » à l’intérieur de laquelle le « mythe du progrès » jouait un rôle d’agrégation et de consentement essentiel. Mais, vers où sommes-nous donc entraînés ?
Qu’il nous soit permis de reprendre une intervention d’Éric Basillais, un commentateur particulièrement actif sur le site Dedefensa.org. Ce dernier soulignait, à la suite d’un article intitulé « Vertigo », que « si subversion il y a, elle tient à un habitus Marchand (l'échange, la monnaie,...) dans un premier sens historique; et à une subversion du COSMOS (en CHAOS au final) si l'on songe (et croit) aux Eschatologies de la TRADITION (Hindoue, Germanique, Celtique...) ». À l’instar d’Éric Basillais, nous estimons que la tradition constitue, bel et bien, un processus métahistorique d’agrégation des cultures et des cultes, dans un sens fondateur. Ainsi donc, la TRADITION, peu importe les enjeux idéologiques ou spirituels, est le lit sur lequel prendra forme une nouvelle société, une nouvelle cité.
C’est par la médiation de la mémoire traditionnelle que s’accompliront la dissolution d’une cité et sa refondation dans un nouvel espace de représentation. La tradition est immémoriale, a-historique, indépendante des lectures orientées de l’histoire humaine et dépositaire d’une mémoire collective qui permet aux générations de se succéder en espérant pouvoir approfondir le legs de leurs géniteurs. La tradition, au sens universel, représente la mémoire de l’humanité, non pas un ensemble de prescriptions se rattachant à une culture en particulier.
C’est ce qui a poussé Mircea Eliade à professer que les rituels qui se répètent in illo tempore, en dehors de la contemporanéité, à une autre époque, permettent aux archétypes de survivre et d’irriguer la mémoire collective. Une mémoire collective correctement irriguée fera en sorte que les citoyens puissent approfondir leur passage en cette vie, donner un sens à leur existence. Pour paraphraser Eliade, on pourrait souligner que les places sacrées de la cité le deviennent parce qu’une collectivité y a accompli, sur le long terme, « des rites qui répètent symboliquement l’acte de la Création ». La tradition, si l’on approfondit cette vision des choses, est manifestement indépendante de l’« habitus Marchand », pour reprendre l’expression d’Éric Basillais. Voilà pourquoi l’« ordre marchand » tente de « liquéfier » nos sociétés postmodernes, pour que rien ne vienne entraver la libre circulation des commodités. Les commodités sont des valences qui permettent au pouvoir de dominer l’espace et le temps, d’acheter l’ « humaine condition » et de transformer la cité en univers concentrationnaire.
La TRADITION représente, pour l’imperium, l’ennemi numéro 1 à abattre, vaille que vaille.
Nous avons pris le parti de lancer un débat herméneutique qui portera sur le rôle de la TRADITION au cœur de la cité humaine. Ce mortier spirituel aura permis aux sociétés de s’ériger sur le mode d’une cité symbolique favorisant l’épanouissement de l’humanité en définitive. Toute société qui se coupe de la tradition est condamnée, à brève échéance, à se muer en univers concentrationnaire, à devenir l’« agora du chaos » [dixit PHP]. Loin de nous l’idée de perpétuer une vision nostalgique, pittoresque, de l’histoire. Il nous importe, a contrario, de partager avec nos lecteurs notre appréhension viscérale du délitement d’une tradition menacée par la vision luciférienne d’un « progrès illimité », véritable deus ex machina au service de la « volonté de puissance » de nos maîtres réels. En espérant qu’un authentique débat puisse naître à la suite de notre analyse.
Les fondations de la cité
« La cité, la polis, est la première forme politique. Elle est la condition de production ou la matrice d’une forme de vie nouvelle, la vie politique, la vie dans laquelle les hommes se gouvernent eux-mêmes et savent qu’ils se gouvernent eux-mêmes. Cette forme de vie peut prendre des formes diverses, car il y a différentes manières de se gouverner. »
- Pierre Manent, in « Les Métamorphoses de la cité – Essai sur la dynamique de l’Occident »
Nous tenterons, malgré l’étendue du sujet, de cerner l’importance de la tradition comme source immémoriale. La cité grecque représentant l’apex de la médiation (politique) des rapports citoyens, elle nous sert de représentation symbolique d’un stade de gouvernance qui semble indépassable au moment de composer notre analyse. Mais, outre le fait qu’elle permette d’organiser la collectivité, qu’est-ce qui fonde la cité ?
Pierre Manent, chercheur en sciences sociales, nous rappelle que « les auteurs grecs (Aristote et consorts) n’ignoraient pas l’existence d’autres formes politiques que la cité, s’ils montraient peu d’intérêt pour elles. Ils connaissaient fort bien deux autres formes politiques au moins, à savoir la tribu – ethnos – et l’empire (en particulier l’empire perse qui s’imposa plus d’une fois à leur attention !). On pourrait ajouter une quatrième forme, celle des monarchies tribales… ». La nation, pour sa part, est une structure politique forgée tout au long d’une modernité qui allait tenter de fédérer des ensembles de cités qui, autrement, seraient condamnées à se faire la guerre. Les nations de la postmodernité tiendraient-elles le rôle des antiques cités ? Les nouvelles formes d’unions fédérales devenant le mortier de cette gouvernance mondiale tant abhorrée par ce qu’il est convenu d’appeler la « dissidence ».
Certains anarchistes, pour leur part, professent que la polis génère un état d’enfermement qui brime les droits fondamentaux de ses sujets au profit d’une concentration de pouvoir entre les mains d’une élite prédatrice. Leur vision d’une autogestion fédérée par une constellation de syndicats en interrelation dynamique nous fait penser au monde tribal des anciennes nations amérindiennes. Cette vision idyllique d’un univers tribal « non-concentrationnaire » ne semble pas tenir compte du fait que la guerre ait toujours été une condition naturelle de cet état d’organisation politique primitive.
La guerre permanente était, aussi, une condition naturelle inhérente au rayonnement de la cité grecque. Toutefois, comme le souligne Pierre Manent, «… le politique ancien est un éducateur inséparablement politique et moral qui s’efforce de susciter dans l’âme des citoyens les dispositions morales « les plus nobles et plus justes » ». Si la cité moderne a pacifié nos ardeurs guerrières, c’est l’appât du gain qui est devenu le modus operandi d’une politique qui revêt toute les apparences d’une médiation entre des intérêts financiers qui menacent la pax republicana. Pour simplifier, on pourrait dire que les philosophes étaient les politiques (politiciens) de l’antiquité, alors que les épiciers (pris dans un sens négatif) sont les politiques de la postmodernité.
Qu’est-ce qui fonde la cité ? C’est la famille; le récit de l’Iliade est sans équivoque sur la question. Lorsque le troyen Paris enlève la belle Hélène, il provoque la colère des Grecs et, de fil en aiguille, le siège de la ville de Troie se met en place sur la base d’une saga familiale. Ce sont les liens filiaux, en dépit des rançons exigées, qui sont en jeu et non pas une volonté de puissance automotrice. Toutefois, les héros de cette tragédie épique sont emportés par la folie de l’hubris et sont les auteurs de forfaits impardonnables. Un retournement de la destinée fera en sorte qu’Achille (le champion des grecs) finisse par céder aux supplications du roi Priam traversant les lignes ennemies pour réclamer la dépouille de son fils Hector. Il s’agit d’un moment-clef du récit construit par Homère. L’auteur y démontre que c’est en raison du respect de la filiation que les vainqueurs finiront par se montrer cléments.
On pourrait, facilement, opposer l’idéal de la cité (le rayonnement des familles patriciennes) à celui de l’imperium (le nivellement des citoyens afin qu’ils deviennent des sujets consentants). Que s’est-il passé, en Occident, pour que l’idéal de la cité finisse par imploser sous la pression d’un imperium protéiforme et « multicartes »?
Dominique Venner, historien français décédé en 2013, déplore, comme tant d’autres, cette perte de mémoire qui afflige nos élites intellectuelles (…) et il ne se gène pas pour pointer du doigt cette « métaphysique de l’illimitée » qui semble avoir fourni à l’imperium ses meilleurs munitions. Venner admire la sagesse antique des stoïciens qui s’appuyait, entre autres, sur le respect des limites qui sont imparties à la nature environnante. Il souligne, à l’intérieur de son dernier essai (*), que « la limite n’est pas seulement la frontière où quelque chose s’arrête. La limite signifie ce par quoi quelque chose se rassemble, manifestant sa plénitude ». Cette notion de borne, ou delimite, recoupe toute la question, combien controversée, des frontières, de l’identité et de la filiation. Dominique Venner rend justice à la contribution du philosophe Martin Heidegger, notamment pour son essai intitulé « Être et Temps », qui a su définir « le monde contemporain par la disparition de la mesure et de la limite ».
Le rituel de la consommation
Mais, comment sommes-nous passés d’une civilisation agraire, à l’écoute des rythmes de la nature, à cet espèce de VORTEX du commerce qui désintègre tous nos habitus, nos lieux communs? La mémoire collective se déploie sur le cours d’une histoire longue, elle consiste en une agrégation de rites qui fondent leurs pratiques sur des cités pérennes. Le commerce, a contrario, nécessite une fluidité constante, des flux tendus qui permettent de produire, écouler, échanger, retourner, recycler, détruire et recommencer le cycle de la production-consommation de manière quasi instantanée. Consommer c’est oublier qui nous sommes, puisque la marchandise impose son langage propre au sein de nosagoras qui sont devenues des places marchandes. Le commerce ne constitue pas un problème en soi; c’est son développement sans limites et son instrumentalisation au profil de la sphère financière qui blessent. Guy Debord, nous le répétons, n’aurait pas hésité à affirmer que « c’est la marchandise qui nous consomme » en définitive.
La consommation demeure le seul rituel toléré par l’ordre marchand. À l’instar de la marchandise qui se déplace, suivant les flux monétaires, nos habitudes de consommation sont instables, elles induisent des rituels qui ne sont fondés que sur des concepts arbitraires. Dans de telles conditions, lacité se dissout et, invariablement, les rapports citoyens se distendent. Curieusement, plusieurs grandes « marques » commerciales se sont glissées, tels des parasites, sous la dépouille de termes empruntés à la mythologie. Ainsi, les chaussures Nike ont été affublées du nom de la déesse grecque de la VICTOIRE (Niké). Idem pour les voitures Mazda, empruntant au dieu perse Ahura Mazdâ la prérogative d’être un « Seigneur de la Sagesse ». Les commodités du monde marchand se sont infiltrées à travers tous les pores de la cité, au point de permettre à la caste aux manettes d’investir nos repères symboliques afin de les récupérer.
Wall Street représente l’Acropole, ou cité des dieux. Les centres commerciaux tiennent la place detemples de la consommation. Les vendeurs ressemblent, à s’y méprendre, à des prêtres officiant au culte de l’achat compulsif et salutaire. Les marques affichées sur les bannières servent à nommer les divinités tutélaires de la cité marchande. Et, in fine, les logos commerciaux se sont substitués aulogos, c’est-à-dire le discours de la raison des antiques philosophes. Les logos commerciaux nous propulsent en arrière, à l’époque des hiéroglyphes, en s’imposant comme « signes moteurs » de la communication. Il n’y a qu’à observer les nouvelles formes d’écriture tronquée utilisées pour transmettre des message-textes via nos téléphones « intelligents » pour comprendre l’étendu des dommages. De facto, on pourrait parler de « troubles moteurs » de la communication. Ainsi donc, c’est toute la syntaxe des rapports langagiers qui est déconstruite, déstructurée, au gré d’une communication humaine calquée sur celle des échanges marchands.
Le Léviathan de la sphère marchande
Qu’est-ce qui nous prouve que les fondations de la cité aient été pulvérisées par l’ordre marchand en fin de parcours ? Le fait qu’un ancien cimetière soit converti en centre d’achat, ou qu’une église désaffectée se métamorphose en édifice à condominiums, tout cela nous interpelle. Il n’est pas surprenant, dans un tel contexte, d’assister à la multiplication de profanations qui visent les cimetières, et autres nécropoles (cités des morts), où ont été enterrés nos ancêtres. Ceux et celles qui profanent et souillent les sites sacrées de nos cités dévoyées agissent au profit de l’ordre marchand. Il s’agit de banaliser, de néantiser, tous les lieux de la mémoire collectives qui conservent (pour combien de temps?) une part inviolable de cette tradition immémoriale. Lorsque certaines églises étaient érigées sur les décombres d’anciens sites de rituels païens, il ne s’agissait pas de souiller la mémoire collective en abrogeant la symbolique initiale des lieux. La tradition avait, donc, été respectée dans une certaine mesure. Le Genius loci (Esprit du lieu) n’avait pas été transgressé.
À l’heure du néolibéralisme, dans un contexte où de puissants intérêts privés investissent les espaces de la cité, tous nos rites immémoriaux sont menacés d’extermination. Enterrer ses morts constitue une pratique universelle qui aura contribué à façonner nos espaces collectifs. De nos jours, par soucis d’économie et au nom de la protection de l’environnement, nous utilisons la crémation (ici, nous ne remettons pas cette pratique en question) afin de faire disparaître toute trace du défunt et l’urne funéraire, posée tel un bibelot sur une console, a définitivement pris la place de la pierre tombale. Les morts n’ont plus droit de cité, ils sont devenus des itinérants, sans domicile fixe, qui, passant d’une main à l’autre, ne peuvent même plus reposer en paix ! Tout doit circuler dans le monde marchand. Même les morts …
Pierre Manent souligne, dans son essai intitulé « Les métamorphoses de la cité », que la caste des guerriers dans le monde de l’ancienne Grèce constituait le « petit nombre » des citoyens aux commandes de la polis. Outre leurs prérogatives guerrières, les patriciens s’adonnaient, aussi, au commerce qui permettait à la cité de s’épanouir en tissant des liens avec d’autres cités concurrentes. Maîtres du commerce, les patriciens ne possédaient pas de grandes richesses, hormis des propriétés terriennes et des titres se rapportant aux tombeaux des ancêtres. Il ajuste le tir en précisant que « le petit nombre était surtout propriétaire de rites – rites funéraires, rites de mariage –, tandis que le grand nombre n’avait que la nudité de sa nature animale. Le grand nombre était extérieur au genos, ou à l’ordre des « familles », comme plus tard l’étranger (métèque) « proprement dit » sera étranger à la cité ». L’auteur cerne, avec précision, la notion capiton de filiation, dans le sens d’une passation de prérogatives qui n’ont rien à voir avec une quelconque fortune personnelle. Nul de besoin, ici, de discuter (ou de nous disputer) des limites objectives de cette démocratie primitive limitée aux descendants (patriciens) d’une haute lignée. Le point de cette observation portant sur l’importance des rites funéraires dans le cadre d’une transmission de la mémoire collective, sorte de « génome » de la cité.
Les puissantes guildes marchandes de la Renaissance permettront au grand capital de circuler et de concurrencer le pouvoir tutélaire des patriciens. L’auteur Thomas Hobbes, dans son célèbre traité intitulé « Le Léviathan », oppose le droit naturel à un contrat social qui représenterait les fondations politiques de toute société évoluée. Une société où tout un chacun tire sur la couverture peut se désagréger sous l’effet délétère de la guerre civile et dégénérer en chaos. Rappelons que le termeLéviathan représentait le monstre du chaos primitif dans la mythologie phénicienne. C’est précisément la figure symbolique du chaos qui semble menacer une tradition par laquelle se fondent les « rapports citoyens durables ». Et, c’est la notion moderne de progrès illimité qui conforte toute la politique d’une sphère marchande emportée par un hubris sans vergogne. Pierre Hadot, un spécialiste cité par Dominique Venner, nous prévient que « le « oui » stoïcien est un consentement à la rationalité du monde, l’affirmation dionysiaque de l’existence dont parle Nietzsche est un « oui » donné à l’irrationalité, à la cruauté aveugle de la vie, à la volonté de puissance par-delà le bien et le mal ».
L’hubris au service d’une volonté de puissance démoniaque
Nous sommes rendus au terme de notre analyse critique et nous devons conclure, faute de temps et d’énergie. Qu’il nous soit permis de revenir sur cette notion d’« affirmation dionysiaque de l’existence » afin d’expliciter le rôle de la « contre-culture » au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Prétextant une étape inévitable, au cœur d’un fallacieux processus de libération, les activistes à l’œuvre dans les coulisses de Mai 68 ont moussé l’« affirmation dionysiaque de l’existence » dans un contexte où l’« état profond » souhaitait accélérer le cours des choses. « Il est interdit d’interdire » deviendra l’antienne d’une communication au service de la dissolution des repères identitaires qui auraient dû, normalement, guider l’éclosion des forces vives du « baby boom » de l’après-guerre.
Jim Morrison, chantre emporté par un hubris débridé, déclame vouloir « faire l’amour à sa mère et tuer son père ». Brisant le tabou fondateur de la famille, unité de base de la cité, Morrison inaugure, tel un prophète de malheur, une nouvelle ère. Cette ultime provocation agira comme le « geste fondateur » d’une « rébellion sans cause ». La jeunesse paumée de l’Amérique se mettra à danser en solitaire dans les discothèques, en répétant, pour paraphraser le philosophe Michel Clouscard, la gestuelle d’une rébellion supposément révolutionnaire. Il s’agissait, pour dire vrai, de se mouler aux exigences de la nouvelle « société de consommation » afin d’épouser les gestes d’un automate programmé dans ses moindres affects par les « sorciers » de la « contre-culture ». Et, à coup de drogues de plus en plus dures, il sera possible de rendre amnésique la jeunesse pour qu’elle ne soit plus JAMAIS capable de renouer avec ses racines.
Patrice-Hans Perrier
Petite bibliographie
(*) Un samouraï d’Occident – Le Bréviaire des insoumis, une source de références incontournable achevée en 2013. Écrit par Dominique Venner, 316 pages – ISBN : 978-2-36371-073-4. Édité par Pierre-Guillaume de Roux, 2013.
(*) Les Métamorphoses de la cité – Essai sur la dynamique de l’Occident, une étude synoptique de l’histoire politique de l’Occident achevée en 2010. Écrit par Pierre Manent, 424 pages – ISBN : 978-2-0812-7092-3. Édité par Flammarion, 2010.

Charles Maurras : l’Intelligence, l’Or et le Sang

Pour Maurras, le monde est régi par un certain nombre de forces. Ces forces sont de natures différentes : matérielle et spirituelle. « Il faut être stupide comme un conservateur ou naïf comme un démocrate pour ne pas sentir quelles forces tendent à dominer la Terre. Les yeux créés pour voir ont déjà reconnu les deux antiques forces matérielles : l’Or, le Sang. »
Le destin de l’unique force spirituelle, l’Intelligence, est de s’allier à l’une de ces forces matérielles. Elle doit décider, trancher « entre l’Usurier et le Prince, entre la Finance et l’Épée. » Aux yeux de Maurras, le déclin de l’Intelligence est dû à un renversement d’alliance. Autrefois, l’Intelligence était souveraine car liée au Sang, c’est-à-dire aux rois. Aujourd’hui, l’Intelligence est soumise au règne de l’argent. La cause de ce retournement est la Révolution française. « De l’autorité des princes de notre race, nous avons passé sous la verge des marchands d’or, qui sont d’une autre chair que nous, c’est-à-dire d’une autre langue et d’une autre pensée. »
Avant la Révolution française, le déclin de la monarchie a coïncidé avec l’essor des hommes de lettres. L’Intelligence a pris les traits de la noblesse. La voix des philosophes compte alors plus que celle des seigneurs. Jean-Jacques Rousseau rédige la constitution polonaise et l’on parle désormais du « roi Voltaire ». Pour Maurras, « le successeur des Bourbons, c’est l’homme de lettres. » La révolution marque donc, selon le mot du martégal, l’avènement « d’une dictature littéraire ». L’Intelligence, ayant mis à mal le Sang, ménage de la place pour le retour de la force matérielle concurrente : l’Or. Pour Maurras, le paradoxe est le suivant : la victoire de l’Intelligence pendant la période révolutionnaire, parce qu’elle s’est faite contre la force du Sang, favorise le règne de l’Or. L’Intelligence révolutionnaire, détachée de sa référence au Sang, aboutit au règne illégitime de l’Écrit. « L’Écrit régna non comme vertueux ni comme juste, mais précisément comme Écrit. Il se fit nommer la Raison. » Le philosophe maurrassien Pierre Boutang parle ici d’une « absurde victoire » et explique que celle-ci s’est plus faite contre l’Église que contre la royauté déjà moribonde. Les hommes de lettres deviennent selon Boutang les nouveaux clercs : « le nouveau pouvoir du littérateur s’est modelé sur le pouvoir ecclésial ». Mais cette autorité va vite s’émousser car la rupture d’avec le Sang est insoutenable pour l’Intelligence. Au « roi Voltaire » va succéder le « père » Hugo, un symbole qui montre dès la moitié du XIXe siècle la déliquescence de cette Intelligence séparée.
Avec le progressisme révolutionnaire et la complication du monde va naître l’abondance matérielle. Cette abondance va favoriser l’émergence d’un nouveau type d’homme : le bourgeois. Les rapports de force vont donc changer radicalement. L’Or va définitivement prendre le pas sur le Sang pour plus tard asservir l’Intelligence. « Cet Or est sans doute une représentation de la Force, mais dépourvue de la signature du fort. » Ce qui afflige Maurras, c’est que « les quelques familles devenues maîtresses de la planète » sont les tenants de l’Or et non du Sang. C’est donc une nouvelle forme de pouvoir, sans noblesse, sans vertu, toute soumise et conditionnée par les lois ignobles de l’argent, qui dirige le monde.
Quel avenir pour l’Intelligence dans un contexte où les forces matérielles de l’Or ont triomphé de celles du Sang ? « Au temps où la vie est simple, la distinction de l’Intelligence affranchit et élève même dans l’ordre matériel ; mais, quand la vie s’est compliquée, le jeu naturel des complications ôte à ce genre de mérite sa liberté, sa force. » Aux yeux de Maurras, le danger ultime pour l’Intelligence est l’industrie littéraire, c’est-à-dire le conditionnement de la pensée par des impératifs d’argent. Si Maurras n’a pas développé, comme le montre Boutang, de méfiance particulière vis à vis du progrès matériel – progrès technique « qu’il attribue à Pallas-Athéna et à l’industrieux Ulysse dans leur véritable origine » – « l’ordre mauvais » et les « lois défectueuses » le corrompent fatalement jusqu’à ce qu’il ne soit plus qu’un moyen pour l’argent d’étendre sa domination.
L’Intelligence ne peut reconquérir sa noblesse perdue avec cette nouvelle allégeance. « La vraie gloire étant évaluée en argent, les succès d’argent en reçurent, par une espèce de reflet, les fausses couleurs de la gloire. » Pour Maurras, le prestige lié à l’Or est un faux prestige. L’Intelligence en s’alliant à l’Or ne peut plus être prestigieuse. Elle n’est plus que la victime du mépris des industrieux. Car si tout succès est aujourd’hui évalué en argent, l’écrivain, le représentant de l’Intelligence, parce qu’il ne pourra jamais dégager autant d’argent que le grand industriel, est condamné à la relégation. « Non contentes, en effet, de vaincre l’Intelligence par la masse supérieure des richesses qu’elles procréent, les autres Forces industrielles ont dû songer à l’employer. » Dans ce monde dominé par l’Or, l’Intelligence n’est plus une fin, seulement un moyen. L’Intelligence est soumise, elle défend des intérêts qui ne sont pas les siens, elle prend partie pour le plus offrant. Avec le règne de l’Or, la liberté de penser devient monnayable, négociable. On échange « un peu de son franc-parler contre de l’argent. » La presse en particulier n’est plus qu’un instrument entre les mains des possédants. L’Intelligence est humiliée, étriquée. Elle sert.
L’argent est aussi un moyen pour l’Étranger d’œuvrer à travers et par lui. Maurras s’appuie sur deux exemples historiques : les distributions d’or anglais en France pour les campagnes de presse, de 1852 à 1859, en faveur de l’Unité italienne et les arrosages de la presse française par Bismarck après la bataille de Sadowa en 1866. Pour autant, Maurras, face aux intrusions de l’Étranger via l’argent, ne cède pas à la fatalité. « C’est à la Patrie de se faire une presse, nullement à la presse, simple entreprise industrielle, de se vouer au service de la Patrie. » Cette phrase contient en elle-même une légitimation de L’Action Française.
Néanmoins, aux yeux de Maurras, la liberté absolue de l’Intelligence est de tout temps dure à conquérir. « L’indépendance littéraire n’est bien réalisée, si l’on y réfléchit que dans le type extrême du grand seigneur placé par la naissance ou par un coup de la fortune au-dessus des influences et du besoin (La Rochefoucauld) et dans le type correspondant du gueux soutenu de pain noir, désaltéré d’eau pure, couchant sur un grabat, chien comme Diogène ou ange comme Saint François. » La logarchie (de logos et archè) absolue qui est l’horizon de Maurras semble donc inatteignable. Par ailleurs, beaucoup lui ont reproché la liberté de ton de L’Action Française conjuguée à une conception autoritaire du pouvoir politique. Une dévotion à l’État qui l’amènera en septembre 1939 à demander des mesures pour limiter la liberté de la presse. Cependant, pour Boutang, il n’y a pas de contradiction « mais la reconnaissance de deux pouvoirs contraires ».
L’avenir de l’Intelligence n’est donc pas radieux. Maurras a cette phrase terrible : « Le Sang et l’Or seront recombinés dans une proportion inconnue. Mais l’Intelligence, elle, sera avilie pour longtemps ; notre monde lettré, qui paraît si haut aujourd’hui, aura fait la chute complète, et, devant la puissante oligarchie qui syndiquera les énergies de l’ordre matériel, un immense prolétariat intellectuel, une classe de mendiants lettrés comme en a vu le moyen âge, traînera sur les routes de malheureux lambeaux de ce qu’auront été notre pensée, nos littératures, nos arts. » Cependant, il n’est pas dans la nature du maurrasisme que de céder à la tentation pessimiste. L’Or peut être vaincu et l’alliance de L’Intelligence avec le Sang restaurée. Ce salut pour l’écrivain, « le plus déclassé des êtres », est possible sous deux conditions : le renforcement en France du catholicisme en tant que « croyance autonome de l’esprit pur » et la reconstitution progressive de l’ancienne alliance à travers une contre-révolution.
Matthieu Giroux
Source : Philitt

22 août 1914 : mort au front d’Ernest Psichari,

à l’âge de 31 ans. Ce jeune écrivain était le petit fils d’Ernest Renan.
Il rejetta tôt les idées exprimées par le milieu de la bourgeoisie intellectuelle dreyfusarde de sa jeunesse.
Au pacifisme succéda la ferveur nationale, au culte du moi celui de la communauté enracinée, au rationalisme la ferveur des sentiments.
Même s’il n’a pas laissé une œuvre très importante, Psichari est, par sa personnalité, ses préoccupations, ses aspirations morales et son engagement, emblématique d’une jeunesse exaltée dont fit aussi partie Charles Péguy par exemple.
Engagé dans l’artillerie à l’âge de vingt ans, il servit d’abord au Congo, puis en Mauritanie, ce qui lui inspira des récits de voyages (Terres de soleil et de sommeil, 1908). Ayant choisi l’armée par idéal, il y éprouva la satisfaction d’appartenir à un corps dépositaire d’une longue tradition. Il se mit également à soutenir les idées de Charles Maurras et de l’Action française.
En 1913, il publia L’Appel des armes, contre l’humanitarisme pacifiste et le déclin moral qui lui sembla en être la conséquence, au profit d’un idéal de dévouement et de grandeur.
Cette attitude s’exprima avec encore plus de force dans son second livre, publié à titre posthume, Le voyage du centurion (1916). Il s’agit de la transposition (à peine masquée) de son expérience et de son évolution spirituelle. Longtemps à la recherche de certitudes intellectuelles, le jeune homme se tourna vers la foi catholique et la méditation. De simple croyant, il devint pratiquant en 1912, puis décida d’entrer dans l’ordre des dominicains.
La guerre, qui éclata peu après, l’empêcha de concrétiser son vœu. Sous-lieutenant au 2e régiment d’artillerie coloniale, il fut tué à Rossignol en Belgique le 22 août 1914. Les monarchistes de l’Action française tels Henri Massis et Paul Bourget, mais aussi Maurice Barrès ont vu en Psichari un héros national et ont entretenu sa mémoire par diverses publications.
Une stèle puis un monument-autel ont été érigés à la mémoire de Psichari à Rossignol, à l’initiative du poète Thomas Braun et de Henri Massis.
Quelques-uns de ses livres sont commandables ici.