"Mon engagement en
faveur des peuples autochtones, les peuples premiers, ou
peuples-racines, est philosophique, politique et personnel. Je suis
convaincu que la mondialisation, l'internationalisation des peuples, est
un malheur, une punition des dieux, et que le pluralisme culturel - à
l'égal de la biodiversité - est la condition sine qua non du progrès de
l'humanité."
Jean Malaurie, Hummocks
La mondialisation a
accéléré et amplifié les perturbations de l’homme sur son milieu de vie,
en épuisant les ressources naturelles à un rythme soutenu. Elle a
également favorisé l’accroissement des inégalités entre et à l’intérieur
des nations. En homogénéisant les civilisations, elle appauvrit la
richesse de l’humanité, donc diminue le spectre des adaptions dont notre
espèce pourrait disposer, c’est à dire la résilience de notre espèce
face aux crises. A ce phénomène, nous pouvons appliquer une contrainte
opposée, une éthique de la séparation, alliant richesse culturelle à
l’échelle de l’Humanité et puissance de cohésion à l’échelle de la Nation : un archipel humain.
4. Biodiversité et multiculturalisme: éloge de la pluralité.
L’éventail du vivant. Il semble que la « Vie » ne
tend pas vers une complexification de chaque organisme, mais vers une
complexification de l’ensemble formé par tous les organismes. Le point
oméga n’est pas spécifique, mais holiste. Ce potentiel de diversité,
c’est une aptitude au progrès et c’est cela qui est maintenu, comme l’a fait remarquer Stephen Jay Gould 1.
Car la Vie s’incarne dans un éventail de formes assez grand, en
conservant par ailleurs ses formes les plus élémentaires, pour conserver
au maximum ce potentiel. Le but ce n’est pas l’homme, c’est Gaïa. En ce
sens l’évolution tend vers un maintien du plus grand nombre de
possibilités, et en cela rend la biosphère plus résiliente face aux
crises. L’homme peut donc être la créature la plus aboutie de la
Création, sans en être sa finalité.
L’évolution et le mythe du progrès. Rendre
l’Humanité plus résiliente, c’est, de la même manière, maintenir un jeu
de solutions adaptatives. La biodiversité a été la plus
importante lorsque les continents étaient les plus fragmentés et vice
versa, lors des supercontinents, on constate un appauvrissement en
diversité 2. La mondialisation a certes permis de grands
progrès dans l’échange d’informations, en regroupant et spécialisant les
talents, et en permettant une amélioration des conditions matérielles
ainsi qu’une augmentation généralisée de l’espérance de vie. Néanmoins
ce regroupement des civilisations s’accompagne d’une perte de richesse
culturelle.
Compétition et adaptation.
Car il y a une échelle au delà de laquelle la cohésion, le sens de la
responsabilité, la démocratie enfin, ne sont plus favorisées. Et quand
nous partageons tous la même assiette, cracher dedans devient un moyen
de se l’approprier 3 : ainsi commence la course aux dernières ressources et les guerres pour elles 4
afin ne rien perdre de notre compétitivité, ainsi que les pieds qui
trainent lorsqu’il s’agit de traiter une pollution. De Jean Malaurie à
Lévi Strauss, ceux qui se sont fait les spécialistes des sociétés les
plus primitives ont bien remarqué que celles-ci avaient toujours trouvé
un moyen, par des voies différentes, de s’adapter à leur milieu avant
l’arrivée de l’étranger 5,6. Certains organismes choisissent
les milieux les plus confortables, avec la compétition la plus forte, et
d’autres l’inverse. Au final, chaque voie est explorée, testée.
5. « Là où croît le danger, croît aussi ce qui sauve. » Hölderlin.
Une éthique de la conservation. Les éthiques reconsidérant la place de l’homme au sein de la nature sont légion 7.
L’approche gradualiste, attribuée à Aristote, met en avant une
hiérarchie des valeurs ontologiques intrinsèques, allant des minéraux
aux humains. Néanmoins, plus récemment, l’approche écocentriste, ou
l’écologie profonde d’Arne Naess, proposent quelque chose de nouveau en
matière d’éthique : la valeur est donnée par l’interrelation entre les
individus 8 et non par les individus eux-mêmes 9. En revanche, dans l’idée de préservation d’aires protégées 10,
l’humain est « mis en dehors », ce qui implique une séparation entre
l’Homme et la Nature. Que doit-on donc préserver : le caractère sauvage
(ce que l’homme n’a pas touché) ou la biodiversité ? La réponse est
simple : il faut préserver le caractère structurant de la Nature.
Politique cristallisante et révolution permanente. Quelle
que soit l’approche adoptée, celle-ci devra tenir compte de la
profondeur des relations entre besoins humains et des ressources à
disposition. C’est à dire déterminer et hiérarchiser la valeur
esthétique, économique, culturelle de la ressource. L’approche
centralisée, favorisant une bureaucratie lourde, est malvenue en matière
de rapidité de prise de décision. Il est avéré que la communication est
bien plus efficace dans une communauté restreinte, où la responsabilité
de chacun est de plus grandie par appropriation des problèmes
environnementaux 11. L’approche
communautaire ne peut cependant pas se passer des bienfaits de la
centralisation, en particulier pour les ressources financières et
intellectuelles, ainsi que pour l’adoption d’une législation uniforme 12.
Tombeau tabou, totem toutou. Les
citoyens, même sensibilisés à l’écologie, réagissent surtout dans
l’affect et n’en ont que rarement une vision globale et cohérente. Par
exemple la chasse, par la régulation de la population animale, montre
son utilité si elle reste alliée à une responsabilité. Elle est pourtant
reprise comme « argument écologique » à la fois par les chasseurs et
leurs opposants. La proximité de la violence, dans la chasse ou la
pêche, humanise le consommateur : s’impliquer dans un processus naturel
donne une conscience écologique aussi ancrée que celle de
l’intellectuel. Avant d’être des sapiens, nous étions des faber, et ce que la recherche théorique apporte en information, certains l’obtiennent par l’expérience. Le
monde est donc à ré-inventer : il faut redéfinir nos valeurs, donc
spiritualiser la Nature d’une nouvelle manière. Le sacré n’est plus là
on l’on croit. Si une fertilisation des océans par la matière organique
de nos cadavres s’avérait utile, la plupart des religions s’y
opposeraient quand même. Aussi ce qui est bénéfique pour la Nature, donc
pour nous, doit devenir sacré 13.
6. Endémisme contre entropie.
L’endémisme, c’est l’isolement, plus le temps.
C’est ce qui permet le développement des formes les plus originales, en
s’écartant des zones les plus compétitives. On peut penser aux indiens
d’Amazonie, ou aux indigènes de Tahiti, décimés par les maladies
inconnues jusqu’à l’arrivée des Européens. L’endémisme, dans une formule
d’ensemble, c’est donc ce qui permet de travailler son style. Ce que
fait une civilisation en s’isolant. Ce qui génère de la biodiversité
c’est l’isolement plus le temps. C’est ainsi dans les archipels que la
biodiversité est la plus importante. Les styles individuels peuvent
alors s’épanouir, et l’imagination de la Nature prend forme dans les
essais les plus improbables. Et plus les matériels génétiques sont
éloignés, plus leur rencontre dégage de l’énergie, donc soit des
opportunités, soit des dégâts.
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