Jeune
homme au Quartier Latin, je fus très intrigué par une inscription sur le
mur noir et triste de la prison devant laquelle je passais parfois.
Avec une joyeuse inconscience de la propriété des termes, les peintres
avaient tracé, au-dessus du portail et sur les grands murs sinistres, la
devise de la République : Liberté, Egalité, Fraternité. Le mot Liberté
me choqua en un tel lieu, et je commençais à formuler des doutes à son
égard. Pourtant, il exerce un effet magique sur les esprits qui n’ont
pas atteint leur maturité. Au lieu de l’inviter, selon le mot de Dante, à
perdre l’espérance en entrant dans ces lieux, on demandait au
malheureux criminel à menottes de méditer sur l’illusoire promesse de
Liberté qui l’avait expédié dans cette prison, ainsi que sur les
plaisirs qu’il allait connaître dans l’étroite Liberté de sa cellule. Je
suis certain qu’il n’y avait là aucune intention ironique. On est si
bien habitué à ce mot qu’on ne voit pas pourquoi il ne servirait pas à
orner le mur d’une prison. Les “immortels principes de 89” sont
excellents dans les péroraisons; ils n’ont jamais été mis en pratique –
ils ne peuvent pas l’être. Le chimiste Lavoisier, le poète Chénier,
l’homme d’État Malesherbes, le philosophe Condorcet, pour ne pas parler
des politiciens et de la racaille de la Révolution, purent lire sur leur
mandat d’arrêt le mot magnifiquement inscrit de Liberté. Lavoisier
mendia quelques jours de survie pour terminer sa dernière grande
expérience. Ainsi que le sait chaque écolier, il reçut l’ “immortelle”
réponse que la République n’avait besoin ni de savants, ni de chimistes.
Le vrai symbole de la Liberté, c’est la guillotine, et je voudrais qu’à
l’entrée du port de New-York, à la place de la déesse à la torche, on
mît l’échafaud où ont fini toutes les revendications humaines au nom de
la Liberté.
Sisley Huddleston *
Le Mythe de la Liberté entretiens en temps de guerre, Lyon, Lardanchet, 1943
Le point de départ ironique de cette réflexion politique est particulièrement ingénieux : le mot Liberté écrit sur les murs des prisons de la République ! Étudiant à Paris, Sisley Huddleston fréquentait alors des milieux “avancés”. Un jour qu’il s’indignait de l’arrestation de quelques manifestants de gauche pour lesquels il éprouvait de la sympathie, un camarade lui dit : « Quand nous serons au pouvoir, nous mettrons les autres en prison. Chacun son tour ! »
Les illusions s’évanouirent. Le jeune Anglais étudiant en France comprit ce jour comment les partisans de la “Liberté” la conçoivent pour les autres. Il se rappela que les socialistes, partisans ombrageux de la “Liberté”, lui sont hostiles dans les questions économiques, qu’ils dénoncent la “liberté du travail” et veulent imposer leurs grèves par la violence à ceux qui ne partagent pas leurs idées. Il se rappela que le libéralisme économique est souvent pour l’ouvrier la liberté de mourir de faim.
Il se rappela que dans la France républicaine, la devise “Liberté” était mise au service des formes les plus intolérantes de l’anticléricalisme, que la démocratie détruit la liberté des personnes en les soumettant à la loi du nombre et que le terrorisme révolutionnaire était son ultima ratio, son ultime argument pour assurer le Bonheur et la Liberté : « La Liberté ou la Mort », on ne sort pas de ce dilemme dans une logique démocratique.
On parlera de l’hypocrisie du mythe de la Liberté car la civilisation est essentiellement une renonciation à la liberté au sens vague et absolu du mot. Bonald observait, par exemple, que la liberté de la presse ne concernait que les hommes qui écrivent : « Qu’est-ce qu’une liberté publique qu’il faut entourer de tant de précautions et dont l’exercice doit être l’objet d’une surveillance continuelle, tant l’abus est voisin de l’usage ? »
Dans un État sain, la liberté de la presse est inconcevable car une presse “libre” peut empoisonner une nation et mettre le monde à feu et à sang. Les pharmaciens ont-ils le droit de vendre n’importe quel poison à n’importe qui dans n’importe quelle condition ? La seule liberté du clerc c’est d’élever le public et non de flatter ses instincts les plus bas, de nourrir ses curiosités malsaines, d’entretenir son ignorance et ses idées erronées. Il n’existe donc pas de “Liberté’, en politique, mais des libertés concrètes, précises, hiérarchisées, ayant pour corollaires des devoirs. Une société saine, dirigée par un État sain accorde des libertés bien définies, bien limitées pour éviter à la fois l’anarchie et la dictature.
Gérard Baudin L’Action Française 2000 n° 2738 – du 20 décembre 2007 au 2 janvier 2008
* Sisley Huddleston (1883-1952) était un journaliste et écrivain britannique. Après avoir travaillé à un journal des forces britanniques pendant la Première Guerre mondiale, il s’installa à Paris après la guerre jusque dans les années 1930. Pendant la Seconde Guerre mondiale, il prit la nationalité française. Il publia un entretien avec le maréchal Pétain. Il fut emprisonné par les Alliés en 1944. Il laisse une oeuvre variée de réflexions sur les lettres, l’histoire et l’époque où il a vécu.
Sisley Huddleston *
Le Mythe de la Liberté entretiens en temps de guerre, Lyon, Lardanchet, 1943
Le point de départ ironique de cette réflexion politique est particulièrement ingénieux : le mot Liberté écrit sur les murs des prisons de la République ! Étudiant à Paris, Sisley Huddleston fréquentait alors des milieux “avancés”. Un jour qu’il s’indignait de l’arrestation de quelques manifestants de gauche pour lesquels il éprouvait de la sympathie, un camarade lui dit : « Quand nous serons au pouvoir, nous mettrons les autres en prison. Chacun son tour ! »
Les illusions s’évanouirent. Le jeune Anglais étudiant en France comprit ce jour comment les partisans de la “Liberté” la conçoivent pour les autres. Il se rappela que les socialistes, partisans ombrageux de la “Liberté”, lui sont hostiles dans les questions économiques, qu’ils dénoncent la “liberté du travail” et veulent imposer leurs grèves par la violence à ceux qui ne partagent pas leurs idées. Il se rappela que le libéralisme économique est souvent pour l’ouvrier la liberté de mourir de faim.
Il se rappela que dans la France républicaine, la devise “Liberté” était mise au service des formes les plus intolérantes de l’anticléricalisme, que la démocratie détruit la liberté des personnes en les soumettant à la loi du nombre et que le terrorisme révolutionnaire était son ultima ratio, son ultime argument pour assurer le Bonheur et la Liberté : « La Liberté ou la Mort », on ne sort pas de ce dilemme dans une logique démocratique.
On parlera de l’hypocrisie du mythe de la Liberté car la civilisation est essentiellement une renonciation à la liberté au sens vague et absolu du mot. Bonald observait, par exemple, que la liberté de la presse ne concernait que les hommes qui écrivent : « Qu’est-ce qu’une liberté publique qu’il faut entourer de tant de précautions et dont l’exercice doit être l’objet d’une surveillance continuelle, tant l’abus est voisin de l’usage ? »
Dans un État sain, la liberté de la presse est inconcevable car une presse “libre” peut empoisonner une nation et mettre le monde à feu et à sang. Les pharmaciens ont-ils le droit de vendre n’importe quel poison à n’importe qui dans n’importe quelle condition ? La seule liberté du clerc c’est d’élever le public et non de flatter ses instincts les plus bas, de nourrir ses curiosités malsaines, d’entretenir son ignorance et ses idées erronées. Il n’existe donc pas de “Liberté’, en politique, mais des libertés concrètes, précises, hiérarchisées, ayant pour corollaires des devoirs. Une société saine, dirigée par un État sain accorde des libertés bien définies, bien limitées pour éviter à la fois l’anarchie et la dictature.
Gérard Baudin L’Action Française 2000 n° 2738 – du 20 décembre 2007 au 2 janvier 2008
* Sisley Huddleston (1883-1952) était un journaliste et écrivain britannique. Après avoir travaillé à un journal des forces britanniques pendant la Première Guerre mondiale, il s’installa à Paris après la guerre jusque dans les années 1930. Pendant la Seconde Guerre mondiale, il prit la nationalité française. Il publia un entretien avec le maréchal Pétain. Il fut emprisonné par les Alliés en 1944. Il laisse une oeuvre variée de réflexions sur les lettres, l’histoire et l’époque où il a vécu.
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