Charlemagne est l'héritier d'une illustre famille franque originaire
des environs de Liège (Belgique actuelle), les Pippinides. Il va
consolider et porter à son apogée le royaume quelque peu barbare reçu de
son père Pépin le Bref, lui-même fils de Charles Martel et petit-fils de Pépin de Herstal.
Ce royaume, qui s'étend des Pyrénées à la Rhénanie correspond à peu de chose près au royaume fondé trois siècles plus tôt par Clovis, sur les ruines de l'empire romain d'Occident. Pour cette raison, on l'appelle royaume des Francs (en latin, regnum Francorum).
En près d'un demi-siècle de règne, dont la moitié consacré à la
guerre, Charlemagne, assisté par des clercs passionnés, va creuser les
fondations d'un nouveau monde, le nôtre. À ce titre, il fait partie des
rares personnalités qui ont pesé sur le cours de l'Histoire
universelle.
André Larané
La formation de l'empire carolingien
Cliquez pour agrandirCharlemagne restaure un semblant d'État sur un territoire d'environ un million de km2, peuplé d'une quinzaine de millions d'habitants, de l'Èbre (Espagne) à l'Elbe (Allemagne) et au Tibre (Italie).
De cette construction éminemment fragile, simplement unie par la foi catholique et l'allégeance au pape, vont surgir les grands États qui vont faire la grandeur de la civilisation européenne au millénaire suivant...
«Carolus, Magnus Rex»
À la mort de leur père,
en 768, Charles et son jeune frère Carloman héritent chacun d'une part
du royaume, selon la tradition germanique du partage des héritages, qui
sera fatale à la dynastie. Heureusement, si l'on peut dire, la mort
prématurée de Carloman, trois ans plus tard, permet à Charles (29
ans) de refaire l'unité du royaume des Francs.
Le nouveau roi des Francs est un Barbare qui ne parle que le francique,
la langue des Francs. Intelligent et énergique, il n'a de cesse de
s'instruire. Il apprend le latin auprès des meilleurs clercs de son
temps, dont le plus connu est le moine anglais Alcuin. Ce moine sera à l'origine de la «renaissance carolingienne» et du retour en force du latin dans la culture occidentale.
Du fait qu'il n'y a plus depuis longtemps d'administration fiscale ni
d'impôts, Charles subvient à ses besoins et à ceux de sa cour en se
déplaçant de l'une de ses résidences à la suivante et en vivant sur les
ressources locales.
À la fin de sa vie, comme il souffre de rhumatismes, le roi établit
sa résidence principale près d'une source thérapeutique, en Rhénanie, au
coeur de son royaume, en un lieu qui s'appellera Aix-la-Chapelle (Aachen en allemand).
Son palais s'inspire de celui des rois lombards, à Pavie, avec une
chapelle palatine à une extrémité, une grande salle de réunion à l'autre
et un tribunal royal au milieu. L'ensemble est proprement grandiose
mais le roi n'en profite pas beaucoup. Il voyage sans arrêt pour
inspecter ses représentants et combattre ses ennemis.
Charles restaure un semblant d'administration dans l'Occident
européen ravagé par les guerres intestines. Il unifie le système
monétaire autour du denier d'argent qui concurrence dès lors le sou d'or
byzantin.
Il divise son royaume en comtés, sous l'autorité d'un compagnon du roi (du latin comes, comitis, dont nous avons fait comte) et en 250 entités de base du nom de «pagi», d'après le mot latin pagus qui désigne une circonscription rurale (en France, beaucoup de ces pagi sont devenus à la Révolution des départements).
Les régions périphériques, soumises à la pression des ennemis, sont appelées Marches (du francique marken, frontière). Elles sont confiées à des comtes de la Marche (en francique, markgraf, dont nous avons fait marquis). Dotés des pleins pouvoirs civils et militaires, ils sont parfois aussi appelés ducs (du latin dux, général).
Les habitants des pagi, surtout des travailleurs de la terre, sont désignés sous le terme pagenses, d'où nous viennent les mots paysan... et païen, car ces ruraux ont généralement tardé à adopter la foi chrétienne des citadins et des élites.
Pour éviter les abus de pouvoir des seigneurs locaux, Charles délègue fréquemment ses proches dans les pagi. Ces représentants, ou missi dominici (en latin, envoyés du maître) vont deux par deux et se surveillent l'un l'autre ! L'un est un comte et l'autre un évêque.
Le roi légifère beaucoup, pour améliorer la gestion quotidienne des
domaines agricoles, pour imposer les réformes ecclésiastiques et
conformer les moeurs - en particulier le mariage - aux canons chrétiens.
En rupture avec la tradition orale antérieure, il a soin de mettre
par écrit les lois et ordonnances pour mieux en assurer l'application.
Ses textes juridiques sont appelé «capitulaires» parce qu'ils sont divisés en articles ou chapitres - comme les lois actuelles -.
Ainsi publie-t-il près de cinquante capitulaires après l'an 800, parmi lesquels le capitulaire De villis dans lequel il rappelle avec une précision maniaque les principes de gestion d'un domaine rural.
Afin de garder un semblant de lien avec le peuple, le roi réunit tous les ans, avant de partir à la guerre, une assemblée ou «plaid» (du latin placere, plaire) censée réunir tous les hommes libres, en fait seulement les personnages principaux du royaume.
Au service de Dieu
Attentif aux affaires religieuses, Charles, très pieux, s'honore de soutenir l'évêque de Rome, autrement dit le pape, qu'il va ériger définitivement en chef spirituel de l'Église d'Occident, autrement dit de la catholicité.
Les papes qui se succèdent à Rome pendant son règne répondent avec
faveur à ses avances car ils ont besoin d'être protégés contre les
Lombards, des Germains christianisés établis au siècle précédent dans la
plaine du Pô.
Or, ils ne peuvent compter sur leur protecteur habituel, le basileus
qui règne à Constinople sur l'empire romain d'Orient, car celui-ci a
bien d'autres préoccupations en tête (agressions arabes, querelles
autour de l'iconoclasme,
luttes de palais...). D'ailleurs, depuis les années 770, les papes ne
prennent même plus la peine de faire valider par le basileus leur
élection par le peuple de Rome.
Lecteur assidu de La Cité de Dieu, l'ouvrage majeur de saint Augustin (Ve siècle), le roi des Francs constitue une vingtaine d'archevêchés pour favoriser l'évangélisation de l'Occident.
Il encourage saint Benoît d'Aniane, de son vrai nom Witiza, qui a entrepris de rénover et étendre la règle bénédictine dans les monastères.
En 809, il réunit dans sa résidence d'Aix-la-Chapelle un concile qui introduit le «Filioque», une subtilité théologique qui participera au malentendu religieux entre Grecs et Latins : selon les premiers, le Saint Esprit procède «du Père par le Fils» ; selon les seconds, il procède «du Père et du Fils» !
Des guerres sans fin
Le règne personnel de Charles 1er, très long (44 ans), est une suite incessante de guerres, en premier lieu contre les fils de son frère Carloman et leurs partisans, en second lieu contre les Saxons païens de Germanie, les Bretons et les musulmans d'Espagne,
qui menacent son royaume sur ses frontières, ainsi que contre les
Lombards qui menacent le pape. Le roi ne passe pratiquement pas un été
sans combattre et ce, dans toutes les directions.
De l'Aquitaine, peu sûre, il fait un royaume vassal confié à son fils
Louis. C'en est fini de l'antique supériorité du Midi gallo-romain sur
le Nord barbare... Beaucoup plus tard, vers 790, le roi constitue une Marche de Bretagne confiée à son fils Charles le Jeune pour protéger le royaume contre les agressions des Bretons de la péninsule.
- Charles fait la guerre aux Lombards :
À
l'appel du pape Adrien 1er, menacé par ses voisins lombards, il
franchit les cols alpins et, le 16 juin 774, après un très long siège,
entre dans Pavie, la capitale des rois lombards (près de Milan).
Il dépose le roi Didier - dont on lui avait fait épouser la fille ! - et ceint la «couronne de fer» des rois lombards (ainsi appelée parce que son armature intérieure viendrait d'un clou en fer de la croix du Christ).
Il prend dès lors le titre de «roi des Francs et des Lombards» et donne à l'un de ses fils, Pépin, le titre inédit de roi d'Italie.
Il profite de l'occasion pour effectuer son premier pèlerinage à
Rome, histoire d'entretenir les bonnes relations entre sa dynastie et le
Saint Siège. Bien entendu, il est reçu avec tous les égards par le pape
dans son palais du Latran.
- Charles fait la guerre aux Saxons :
Comme le roi des Francs dispose d'une armée redoutable mais peu
nombreuse, au maximum 50.000 à 100.000 combattants pour tenir un
territoire grand comme deux fois la France actuelle, il se montre
impitoyable avec ceux qui lui tiennent tête, pour leur ôter l'envie de
continuer, et conciliant avec ceux qui se soumettent.
En
772, Charles se jette sur les Saxons, redoutables guerriers germains -
et païens - qui, depuis l'époque de Clovis, n'en finissent pas de
harceler le royaume des Francs. Ils peuplent les forêts qui s'étendent
entre la mer du Nord et l'Elbe (ce qui correspond au Land actuel de Basse-Saxe).
Dès sa première campagne, il détruit l'Irminsud, un arbre
sacré que vénèrent les Saxons. Une deuxième campagne en 775 aboutit à un
baptême de masse à Paderborn, au coeur de la Saxe, où le roi des Francs
établit l'une de ses résidences.
Mais cela n'y fait rien. Un chef prestigieux, Widukind (le Vercingétorix saxon !), soulève son peuple en 778.
Les Francs reprennent le chemin de la guerre. Pour ne pas perdre leur
avantage, ils restent sur place certains hivers au lieu de se
démobiliser comme de coutume, profitant de ce que les marais sont pris
par les glaces et les forêts dénudés et impropres à cacher les ennemis.
Surtout, ils pratiquent des méthodes de plus en plus brutales. En 782, après qu'une armée franque eut été écrasée au pied du Süntelgebirge, sur la rive orientale de la Weser, Charles fait décapiter 4.500 prisonniers saxons à Verden, au sud de Brême.
En dépit de la reddition de Widukind en 785, les rébellions
continuent. Elles ne prendront fin qu'en 804 après plusieurs campagnes
supplémentaires et des déportations de populations.
Par un capitulaire publié en 785, après le baptême de Widukind (Capitulatio de partibus Saxoniae), le roi des Francs annonce : «(...)
Tout Saxon non baptisé qui cherchera à se dissimuler parmi ses
compatriotes et refusera de se faire administrer le baptême sera mis à
mort». Dont acte.
Mais Charles manifeste parallèlement le souci de développer la Saxe.
Il multiplie les fondations urbaines et publie en 793 un édit de
pacification. Pour consolider l'intégration de la Saxe à son royaume, il
annexe aussi en 775 la Frise voisine, une région pauvre qui a
l'avantage d'être en liaison étroite avec les îles britanniques.
- Charles fait la guerre aux Arabes d'Espagne :
Au sud des Pyrénées, Charlemagne intervient contre l'émir de Cordoue
Abd al-Rahman à l'appel de son rival, le gouverneur de Barcelone. Mais
après la prise de Pampelune et un échec devant Saragosse, en 778, il
doit rentrer dare-dare en raison d'une nouvelle sédition saxonne. Son
arrière-garde essuie un revers dans le col de Roncevaux.
Le roi des Francs arrive néanmoins à constituer une Marche d'Espagne tout au long des Pyrénées, afin de simplement protéger son royaume contre les agressions musulmanes. C'est le début de la «Reconquista» espagnole.
- Charles fait la guerre aux Avars :
Le roi des Francs se confronte à la sédition du duc de Bavière
Tassilon III, fils d'une fille naturelle de Charles Martel et cousin de
Charlemagne. Il finit par le déposer en 788. Tassilon continue cependant
de comploter avec les Avars, des nomades d'origine turque établis dans
la plaine du Danube.
En 796, l'armée franque fond sur le «Ring», la résidence de leur chef, le Khagan.
Cela leur vaut de récupérer de fabuleux trésors : quinze chariots
remplis d'objets en métal précieux qui vont décorer Saint-Pierre de Rome
et d'autres grandes églises, et surtout rémunérer les compagnons du
roi.
La consécration
Lors d'un nouveau voyage en Italie, à la Noël 800, le pape confère à Charles le titre inédit d'«Empereur des Romains».
Pour les contemporains, il s'agit rien moins que de restaurer l'empire
romain, après une longue parenthèse (en Occident) et à un moment où (en
Orient) le trône de Constantinople est vacant ou tout comme. N'est-il
pas occupé par une femme, une usurpatrice, l'impératrice Irène ?
Les clercs de la cour de Charles 1er prennent dès 773 l'habitude de désigner le roi des Francs du qualificatif latin de Carolus Magnus. Il s'agirait d'une abréviation de «Carolus, Magnus Rex» (Charles, le grand Roi), devenue «Charlemagne» dans la langue populaire et, en allemand, Karl der Grosse (*).
Mais en dépit de son prestige et de la reconnaissance par ses pairs, le calife de Bagdad et le basileus de Constantinople, l'empire carolingien laisse déjà entrevoir des signes de faiblesse.
Avec la pacification des frontières et l'arrêt des conquêtes, il n'y a
plus de butin pour assurer la fidélité des seigneurs. Qui plus est se
font jour de nouvelles menaces avec les premières incursions de Vikings sur les côtes de la mer du Nord.
Charlemagne meurt dans son palais d'Aix-la-Chapelle le 28 janvier
814, à 71 ans. Il est inhumé dans la chapelle palatine le jour même.
Sous ses successeurs, dépourvus de poigne et de charisme, les seigneurs
prennent très vite leurs distances vis-à-vis du pouvoir central, n'ayant
pas de plus pressant souci que de protéger leurs domaines, leur unique
source de revenus.
L'embryon d'État qu'a fondé Charlemagne disparaît peu après sa mort. De ses cendres va surgir la société féodale... et une légende épique qui s'est prolongée jusqu'à nous.
De la fin du Moyen Âge à la Seconde Guerre mondiale, Français et Allemands tentent chacun de leur côté de «naturaliser»
à leur profit l'empereur, pour s'approprier une page glorieuse de
l'Histoire européenne et justifier aussi la possession de la Rhénanie et
de la rive gauche du Rhin.
Le mythe de Charlemagne, père de l'Europe, est né au XIXe siècle, notamment à l'initiative de Victor Hugo (La Légende des Siècles). Après la Seconde Guerre mondiale, les fondateurs de la Communauté européenne tentent de le relancer. Il est à noter que l'empire carolingien coïncide assez exactement avec les six pays signataires du traité de Rome : Allemagne, Belgique, France, Hollande, Italie et Luxembourg.
C'est le constat que fait l'historien Emmanuel Berl : «L'Europe carolingienne commence vers Brême. Elle suit l'Elbe, puis la Saale ; elle rejoint le Danube ; elle le descend jusqu'aux premiers contreforts des Carpathes ; elle suit les Alpes jusqu'à Venise, s'arrête au sud de Rome et longe ensuite la côte méditerranéenne jusqu'à Barcelone. Cette ligne a longtemps tracé, elle trace encore, une frontière culturelle. Au Nord et à l'Est, elle coïncide à peu près avec les limites de la catholicité ; sur la rive droite de l'Elbe et en Angleterre, le protestantisme a vaincu» (*).
Faut-il pour autant voir en Charlemagne le père de l'Europe ? Ce n'est pas l'avis du grand historien médiéviste Jacques Le Goff : «L'empire fondé par Charlemagne est d'abord un empire franc. Et c'est un véritable esprit patriotique qui le fonde. Charlemagne envisagea même, par exemple, de donner des noms francs aux mois du calendrier. Cet aspect est rarement mis en valeur par les historiens. Il est important de le souligner, parce que c'est le premier échec de toutes les tentatives de construire une Europe dominée par un peuple ou un empire. L'Europe de Charles Quint, celle de Napoléon et celle de Hitler, étaient en fait des anti-Europe, et il y a déjà quelque chose de ce dessein contraire à la véritable idée d'Europe dans la tentative de Charlemagne» (*).
http://www.herodote.net/Charlemagne_742_814_-synthese-1891.php
Le mythe de Charlemagne, père de l'Europe, est né au XIXe siècle, notamment à l'initiative de Victor Hugo (La Légende des Siècles). Après la Seconde Guerre mondiale, les fondateurs de la Communauté européenne tentent de le relancer. Il est à noter que l'empire carolingien coïncide assez exactement avec les six pays signataires du traité de Rome : Allemagne, Belgique, France, Hollande, Italie et Luxembourg.
C'est le constat que fait l'historien Emmanuel Berl : «L'Europe carolingienne commence vers Brême. Elle suit l'Elbe, puis la Saale ; elle rejoint le Danube ; elle le descend jusqu'aux premiers contreforts des Carpathes ; elle suit les Alpes jusqu'à Venise, s'arrête au sud de Rome et longe ensuite la côte méditerranéenne jusqu'à Barcelone. Cette ligne a longtemps tracé, elle trace encore, une frontière culturelle. Au Nord et à l'Est, elle coïncide à peu près avec les limites de la catholicité ; sur la rive droite de l'Elbe et en Angleterre, le protestantisme a vaincu» (*).
Faut-il pour autant voir en Charlemagne le père de l'Europe ? Ce n'est pas l'avis du grand historien médiéviste Jacques Le Goff : «L'empire fondé par Charlemagne est d'abord un empire franc. Et c'est un véritable esprit patriotique qui le fonde. Charlemagne envisagea même, par exemple, de donner des noms francs aux mois du calendrier. Cet aspect est rarement mis en valeur par les historiens. Il est important de le souligner, parce que c'est le premier échec de toutes les tentatives de construire une Europe dominée par un peuple ou un empire. L'Europe de Charles Quint, celle de Napoléon et celle de Hitler, étaient en fait des anti-Europe, et il y a déjà quelque chose de ce dessein contraire à la véritable idée d'Europe dans la tentative de Charlemagne» (*).
http://www.herodote.net/Charlemagne_742_814_-synthese-1891.php
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