Le
XIVe siècle vit l’apparition de la première armée proprement nationale,
ou, si l’on préfère, la première armée populaire. Il s’agit de l’armée
suisse, qui était composée de paysans libres et de bourgeois des villes.
Tous les Suisses de sexe masculin physiquement aptes au service étaient
soumis à la conscription et pouvaient porter des armes. Toutefois, en
pratique, l’armée ne se composait que de volontaires, le nombre de
soldats fournis par chaque canton étant proportionnel à celui de ses
habitants. De plus, on recrutait par conscription les jeunes gens
particulièrement forts et valides pour en faire des piquiers.
Le
principe de la conscription générale, dans un pays d’à peine plus de
500.000 habitants vivant presque exclusivement d’une agriculture de
subsistance, ne pouvait manquer avoir des répercussions à la fois sur la
stratégie et sur la tactique. Le fait de maintenir ne fût-ce que 4 ou
5% de sa population masculine sous les armes représentait un fardeau
qu’un pays comme la Suisse pouvait difficilement supporter pendant une
longue période. Il fallait labourer la terre et s’occuper du bétail.
Aussi les hommes ne pouvaient-ils servir que pendant des périodes
relativement courtes. C’est pourquoi les armées suisses ne s’engageaient
jamais dans une guerre d’usure : il leur fallait anéantir rapidement
l’adversaire. En tant que formation tactique, elles recouraient à
l’ancien groupement germanique en carré, constitué selon la parenté et la commune
; mais, en cas de bataille, cette formation ne pouvait se contenter de
disperser l’ennemi ; l’objectif des milices suisses était donc
d’empêcher par tous les moyens l’adversaire de récidiver. Comme il leur
ait lstrictement interdit de faire des prisonniers, tout homme tombant
aux mains des Suisses était froidement massacré. Et, bien que les
Suisses s’intéressassent fort au butin, ils prêtaient serment de ne pas
dépouiller les cadavres de leurs ennemis avant que la bataille fût
terminée par une victoire. En effet, tant la capture de prisonniers que
le pillage faisaient perdre du temps et différaient l’issue de la
bataille ; pour cette raison, les hommes coupables de l’une l’autre de
ces actions passaient en cour martiale, où ils étaient, au minimum,
condamnés à avoir un bras coupé à l’épée, mais où il arrivait aussi que
les juges rendissent sentence de pendaison ou de décapitation. Pendant
les guerres de Bourgogne, une petite ville qui offrit quelque assistance
aux Suisses vit sa population entière – hommes, femmes et enfants –
exterminée sans miséricorde. La garnison d’un château fut précipitée
dans le vide du sommet d’une des tours, et ceux qui avaient réussi à se
cacher furent ligotés et jetés vivants dans un lac voisin.
Le centre
des formations militaires suisses consistait en hommes armés légèrement,
équipés de haches longues ou courtes et de petites épées. Ils étaient
entourés de plusieurs rangées de piquiers, dont le rôle était de battre
en brèche les lignes des attaquants. Les arbalètes et, plus tard, les
armes à feu jouaient un rôle mineur, car les Suisses cherchaient à
engager aussi vite que possible un corps à corps avec l’ennemi : pour
cela, il est évident que les hommes armés d’épées, de piques et de
haches jouissaient d’un grand avantage. L’excellente coordination de
leurs armes de combat rapproché conférait aux Suisses, sur le champ de
bataille, la vigueur et la fermeté qui avaient toujours fait défaut aux
troupes à pied de l’armée féodale au cours des siècles précédents. Face à
une formation suisse, les cavaliers ennemis étaient arrêtés par les
piques, et cela suffisait à empêcher ceux qui se trouvaient derrière eux
d’avancer. Ceux que les chevaliers du Moyen Age appelaient avec mépris
les « valets » (en Italie i fanti, d’où découle le mot
« fantassin ») constituèrent, avec la stratégie suisse, une
« infanterie » à part entière, et celle-ci devint une « arme » aussi importante que les autres sur tous les champs de bataille d’Europe.
C’est
grâce à elle que les Suisses affirmèrent leur indépendance. En 1231 et
1240, l’empereur Frédéric II exempta de toute charge féodale (sauf
celles qui étaient dues directement à la couronne impériale) les cantons
d’Uri et de Schwyz. Ceux-ci, rejoints par Unterwald, signèrent en 1291
au Grütli « l’alliance éternelle » par laquelle ils juraient de se
soutenir mutuellement. Après la fin de la dynastie des Hohenstaufen, qui
fut suivie d’un interrègne marqué par un certain désordre, Rodolphe de
Habsbourg se fit élire roi d’Allemagne et ceignit la couronne du Saint
Empire romain germanique. Cette ascension des Habsbourg représentait
pour les Suisses une menace formidable. En 1315, ils réussirent à
attirer dans une embuscade le duc Léopold de Habsbourg : celui-ci se
trouva pris avec son armée féodale dans un étroit défilé surmonté des
deux côtés par des rochers abrupts, à Morgarten, près du lac d’Aegeri et
non loin du lac des Quatre-Cantons. Les Suisses déversèrent sur les
forces des Habsbourg une avalanche de rochers ; Léopold avait eu
l’imprudence de ne pas se faire précéder par une avant-garde et il tomba
dans le piège. Une fois que les éboulements eurent joué leur rôle
meurtrier, les Suisses descendirent et massacrèrent tous les survivants.
Si
Morgarten fut un éclatant succès, ce n’était pas encore une véritable
bataille d’infanterie ; mais le triomphe fut suffisant pour que Zurich,
Zoug, Glaris, Berne et Lucerne adhérassent à la ligue. Systématiquement,
les huit cantons entreprirent alors d’expulser les Habsbourg.
Un
autre Léopold, neveu de celui qui avait été défait à Morgarten, décida
de prendre une revanche. Avec une armée de 4.000 hommes, il partit en
guerre contre l’armée suisse, qui comptait alors quelque 6.000 soldats.
Au lieu de se diriger, comme on s’y attendait, vers Zurich ou Lucerne,
il avança le 9 juillet 1386 dans la direction de Sempach, une petite
ville située à quelques kilomètres au nord de Lucerne, qui avait
autrefois appartenu aux Habsbourg mais s’était jointe à la Confédération
en même temps que Lucerne elle- même. Léopold de Habsbourg rassembla
ses troupes près du lac de Sempach et mit le siège devant la ville, puis
il alla à la rencontre des Suisses, qui apparurent, venant d’un sommet
d’un monticule abrupt. Les chevaliers autrichiens mirent pied à terre et
essayèrent de gravir la colline tandis que leurs arbalétriers tiraient
sur les Suisses et leur causaient beaucoup de pertes. Le duc Léopold se
lança lui-même dans la bataille, car il s’imaginait avoir en face de lui
le gros des troupes suisses et il voulait en finir vite ; mais il ne
s’agissait que d’une avant-garde, et le gros des forces suisses apparut
soudain au nord, avançant rapidement et pénétrant dans le flanc de
l’armée autrichienne. Le nom d’Arnold de Winkelried, qui dirigeait ce
contingent et est censé s’être sacrifié pour ouvrir une brèche, est
légendaire. Les chevaliers autrichiens qui avaient pied à terre furent
littéralement balayés par la violence de l’attaque suisse ; Léopold et
une grande partie de ses soldats furent tués sur-le-champ. Ainsi Sempach
confirma ce que Courtrai avait démontré : l’infanterie pouvait vaincre
la cavalerie féodale. Entre-temps, la bataille de Laupen (1339) avait
prouvé que les formations en carré des Suisses pouvaient avoir raison de
chevaliers. Embuscade meurtrière à Morgarten, victoire des fantassins
sur les cavaliers à Laupen, victoire en terrain découvert sur une armée
de chevalier à Sempach : les jours de la chevalerie médiévale étaient
comptés.
Ayant
ramené les Autrichiens à la raison, les Suisses reprirent l’offensive
contre la Souabe et démontrèrent à nouveau que leur infanterie était
invincible. Ce fut un moment décisif dans l’histoire militaire du
Moyen-Age. Les Suisses reçurent une foule de propositions de la part des
diverses puissances qui voulaient louer les services de leur soldats.
La première levée de troupes qui eut lieu en Suisse pour répondre à une
telle demande se fit en 1424 : la république de Florence offrait de
payer 8.000 florins rhénans en échange des services de 10.000 hommes
pendant trois mois. A la fin du siècle, le montant des offres s’était
élevé à tel point que toute l’armée suisse se transforma en troupes
mercenaires. Mais, à la différence des autres, les contingents suisses
n’étaient pas composés de soldats de fortune ; ils venaient en droite
ligne de leurs cantons et de leurs commune. A longue échéance, la
saignée que représentait ce service pour les Suisses devint trop forte
et la Confédération ne fut plus en mesure de la supporter.
Néanmoins,
elle conserva la suprématie sur les champs de bataille de l’Italie
septentrionale et de la Bourgogne pendant plus d’un siècle. Mais les
Suisses négligèrent les nouveaux développements en matière d’armements
et de méthodes de combat ; par exemple, ils remarquèrent à peine
l’avènement de la cavalerie légère, l’amélioration des mousquets et la
mobilité accrue de l’artillerie de campagne.
Ils s’en
tenaient obstinément à leurs anciennes méthodes. Avec 10.000 ou 15.000
piquiers, ils étaient prêts à attaquer n’importe quel effectif de
cavalerie ; et ils y réussirent en effet jusqu’au jour où ils se
heurtèrent aux lansquenets, qui, eux, avaient fait la synthèse des
techniques suisses et des récents développements militaires que les
Suisses avaient ignorés. Les lansquenets, par exemple,
n’avaient aucune objection contre la guerre d’usure que pratiquaient
leurs commandants et que les Suisses refusaient de mener. Lors des
combats entre Charles Quint et François ler pour la possession de la
Lombardie, les Suisses abandonnèrent purement et simplement le champ de
bataille parce qu’ils étaient las des manœuvres perpétuelles des deux
armées conformément à leur tradition, ils attendaient un engagement
décisif pour en finir ; celui-ci ne se produisant pas, ils quittèrent la
partie.
En 1522,
lorsque le maréchal français de Lautrec recruta à nouveau 16.000
Suisses, ceux-ci exigèrent que l’ennemi fût défait à coups de pique et
d’épée. L’armée de Charles Quint était commandée par un Italien, le
capitaine Prospero Colonna, et consistait en 19.000 hommes, partie
fantassins espagnols commandés par Pescara, partie lansquenets allemands
commandés par Georg von Frundsberg. En avril, les forces impériales
avaient pris position dans un petit relais de chasse, le château de
Bicocca (« la Bicoque »), au nord-est de Milan. Colonna avait construit
un réseau compliqué de fortifications, de tranchées interconnectées et
de remblais, qui rendait une attaque directe sinon impossible, du moins
fort risquée. Le maréchal de Lautrec n’avait aucune intention de s’y
lancer : ayant pour lui la supériorité numérique (il commandait 32.000
hommes), il comptait obliger Colonna, à force d’escarmouches, à
abandonner ses positions. Mais ce projet provoqua une véritable
mutinerie chez les Suisses : si on ne leur ordonnait pas de passer à
l’attaque, ils menaçaient de rentrer chez eux. Instruit par l’expérience
de l’année précédente, le maréchal de Lautrec céda. Il avait un autre
sujet de préoccupation : la rivalité entre les deux chefs du contingent
suisse, Albert von Stein et Arnold von Winkelried (descendant lointain
du héros de Sempach). A la bataille de Marignan – où les Suisses avaient
été vaincus -, Winkelried avait reproché à Stein d’avoir abandonné
prématurément le champ de bataille et contribué ainsi à la défaite ;
mais, comme il n’avait pu donner la preuve de ce qu’il avançait, il
avait été obligé de faire amende honorable. A « la Bicoque », les deux
capitaines s’efforçaient néanmoins de présenter un front uni ; mais
c’était Stein et non Winkelried qui insistait surtout pour que l’assaut
fût livré immédiatement. Le maréchal de Lautrec dressa ses plans en
conséquence : les 16.000 Suisses attaqueraient de front ; le reste de
l’armée, composé de Vénitiens et de Français, prendraient les forces de
Colonna à revers. Les deux mouvements effectués contre les flancs de
l’armée autrichienne auraient lieu pour commencer, puis, une fois que
l’ennemi serait occupé à défendre ses ailes, les Suisses pourraient
procéder à leur attaque de front. Mais les Suisses n’attendirent pas
l’ordre du maréchal et se précipitèrent sur le champ de bataille de leur
propre initiative. Au prix de lourdes pertes, ils s’emparèrent de la
première tranchée creusée par les troupes de Colonna et réussirent à
abattre une partie du remblai ; ils se heurtèrent alors à une forêt de
piques tenues par les lansquenets allemands, tandis que les
mousquetaires espagnols les soumettaient à un feu roulant. Les Suisses
résistèrent bravement et Winkelried voulut même provoquer Frundsberg en
combat singulier, mais celui-ci ignora le défi, et le capitaine suisse
fut tué tandis qu’il essayait de se frayer un chemin au milieu des
troupes autrichiennes. Un véritable carnage s’ensuivit, et les Suisses
furent finalement obligés de se retirer en laissant sur le champ de
bataille 3.000 cadavres, dont celui d’Albert von Stein. La bataille de
« la Bicoque » mit un terme à la réputation des Suisses. Quant à celle
des lansquenets, elle ne faisait que commencer.
A la suite
des humiliantes défaites qu’elles avaient subies pendant les guerres
hussites, les forces impériales germa- niques avaient compris qu’il
fallait absolument réformer le système militaire existant, et cela
d’autant plus que les innovations apportées en France par Charles VII
n’étaient pas passées inaperçues. L’événement décisif, à cet égard, fut
la bataille de Guinegatte, au cours de laquelle l’armée bourguignonne,
composée de fantassins flamands, battit l’armée française le 7 août
1479. Les Bourguignons étaient conduits par l’archiduc Maximilien de
Habsbourg, gendre du duc de Bourgogne Charles le Téméraire, qui avait
trouvé la mort deux ans plus tôt à la bataille de Nancy ; c’était à la
suite de cela que Maximilien (futur empereur Maximilien 1er) avait
recruté des Flamands et les avait entraînés en s’inspirant de la
tactique des Suisses. En les enrôlant, il avait beaucoup insisté
pour que les soldats destinés à former des unités communes provinssent
des mêmes districts : c’était encore une adaptation du système suisse,
qui, en veillant à l’identité d’origine sociale de ses recrues, assurait
l’homogénéité et le sentiment de communauté de ses troupes.
Mais, si Maximilien remporta de la sorte une victoire à Guinegatte,
celle-ci n’eut ni conséquences stratégiques ni répercussions politiques,
car il ne put poursuivre ses adversaires afin de leur imposer ses
conditions, et, comme il était à court d’argent, ses troupes
l’abandonnèrent pour rentrer chez elles. Aussi l’archiduc se tourna-t-il
vers d’autres territoires et y recruta-t-il des hommes que les
Allemands baptisèrent Landsknechte (« serviteurs du pays »), expression d’où dérive le mot français « lansquenet ».
Bien
que les lansquenets fussent à certains égards des mercenaires, il
serait erroné de leur appliquer ce terme, car ils en différaient tant
par leur composition originale que par d’autres particularités. Il
fallait, avant tout, que toute la troupe recrutée par ce moyen provint
de la même région ; ces soldats d’origine commune constituaient une
unité qui demeurait constante, même si elle n’avait pas toujours le même
chef. Ce à quoi les lansquenets s’apparentaient le plus,
c’étaient aux milices populaires mérovingiennes ; mais celles-ci, depuis
le règne de Charlemagne et l’avènement du système féodal, étaient
passées à l’arrière-plan et étaient tombées dans l’oubli. Toutefois, en
certaines occasions, on avait vu ces milices reparaître : des
soldats provenant de la même région se rangeaient sous les ordres d’un
chef auquel ils avaient juré obéissance ou qu’ils avaient élu eux-mêmes ;
ces soldats avaient leurs propres tribunaux et étaient toujours des
hommes libres. On vit ainsi une unité, qu’on peut considérer
comme une anticipation des lansquenets, servir en 1276 sous les ordres
de Rodolphe de Habsbourg ; mais, après la bataille, les chevaliers
décapitèrent les prisonniers que cette unité avait faits sans lui
demander sa permission, et elle refusa de renouveler son engagement. Un
siècle plus tard, la ville d’Ulm et la ligue des villes souabes
recrutèrent une unité de « serviteurs » libres, qui prit le nom de « Fédération de la liberté »,
et, depuis lors, ces troupes jouèrent un rôle important dans plusieurs
guerres en Allemagne, sous des noms différents et avec des succès
divers. Dans le Holstein, on les appelait les « gardes noirs », et, quand ils se mettaient au service de la Hanse, ils devenaient « l’infanterie marine ».
La composition de ces unités avait perdu sa pureté originelle et, tout
comme les groupes de mercenaires ordinaires, elles recrutaient la lie de
la société, y compris des assassins ; mais elles continuaient à
observer le code qu’elles s’étaient fixé, et les maraudeurs étaient
sévèrement punis par leurs camarades : les peines allaient de
l’enchaînement (le coupable était suspendu par les quatre membres à des
chaînes) au bûcher.
Dans
les rares occasions où une ville envoyait des contingents à l’empereur,
elle habillait ses soldats de vêtements de couleur afin qu’on les
reconnût aisément. Tel fut le cas des lansquenets de Maximilien, qui les
baptisa de ce nom pour éviter certaines critiques : les États de
l’Empire germanique étaient las des mercenaires, tout comme l’étaient
les Français, et ils souhaitaient se débarrasser de cette plaie, de
sorte que le recrutement effectué par Maximilien avait suscité des
craintes et des soupçons. C’est pour répondre à ceux-ci que l’archiduc
rétorqua qu’il s’agissait non pas de mercenaires mais de « serviteurs du pays », ce qu’il démontra par sa méthode de recrutement, par l’origine de ses soldats et par la discipline rigide qu’il leur imposa.
Entre 1482
et 1486, Maximilien recruta des lansquenets en Rhénanie et dans les
régions voisines du bas Rhin, et il les forma comme il avait formé ses
troupes précédentes, selon le modèle suisse. Une vive hostilité opposa
bientôt les lansquenets aux mercenaires suisses. Sous les ordres du duc
Sigismond de Tyrol, avec à leur tête le capitaine Friedrich Kappler, les
lansquenets battirent les condottières vénitiens à la bataille de
Calliano, en 1487. Un an plus tard, faisant partie de l’armée de
l’empire, ils furent envoyés aux Pays- Bas et, en route, ils prirent
leurs quartiers à Cologne ; lorsque les troupes suisses voulurent
également s’y installer, l’archevêque de Cologne leur refusa l’entrée de
la ville pour éviter tout heurt entre eux et les lansquenets. En 1490,
Maximilien partit en guerre contre les Hongrois, et, à cette occasion,
les lansquenets prirent d’assaut la ville de Stuhlweissenburg ; dès
lors, leur réputation, en Europe, fut équivalente à celle des Suisses. A
cette époque, Maximilien disposait de deux régiments de lansquenets
comportant chacun 3.000 à 4.000 hommes. Ceux-ci lui étaient aveuglément
dévoués, et c’était précisément ce qui lui avait fait défaut par le
passé, de sorte qu’il ne cessait de se dépenser pour que ces
contingents, en provenance des villes allemandes, fussent bien
conscients de représenter une élite militaire. Mais, sur le plan
politique, il se vérifia dès le début que les lansquenets constituaient
une institution difficile à traiter. Il fallait les prendre pour
ce qu’ils étaient : une confrérie militaire, dont le métier était de
faire la guerre ; ils étaient souvent méfiants et obstinés, mais, sur le
champ de bataille, leur bravoure était insurpassable et ils étaient
d’une remarquable endurance.
Maximilien
d’Autriche s’était rendu compte que le système militaire féodal avait
besoin d’être transformé, en particulier sur le plan économique. Aussi
le recrutement de lansquenets fut-il organisé sur une base complètement
nouvelle. L’empereur accordait à un colonel – en général doté d’une
certaine réputation militaire – un brevet pour recruter des troupes ; il
recevait pour cela une somme forfaitaire titre d’avance. Le colonel
gardait souvent une bonne partie de cet argent pour lui-même et
engageait les hommes en leur promettant un riche butin à l’issue de la
guerre, et semble que beaucoup de lansquenets aient dû financer eux
mêmes leur équipement. En fait, le colonel recruteur était un «
entrepreneur militaire » et, contrairement à ce qu’avait obtenu des
états généraux d’Orléans Charles VII de France, Maximilien, devenu
empereur d’Allemagne, ne put jamais persuader la Diète allemande de
lever des impôts régulier destinés à financer l’armée, et ses
successeurs n’y parvinrent pas davantage. L’expédient qui consistait à
charger un colonel de lever des troupes était donc assez fragile, car
l’argent comptant dont disposait l’empereur était restreint. La seule
chance qu’avaient les lansquenets d’être payés résidait dans la conquête
d’un vaste butin, et ils le savaient fort bien. De plus, la Diète avait
fixé des limites géographiques aux zones de recrutement ; en 1495, la
Diète de Worms permit l’empereur de recruter des lansquenets dans tout
l’empire mais uniquement pour la campagne d’Italie. En toute autre
circonstance, il dut s’en tenir à ses propres États.
Lors des
premières campagnes pour le recrutement de lansquenets, il est prouvé
que l’officier recruteur prête grande attention au caractère des hommes
qu’il engageait. La nouvelle recrue recevait un peu d’argent mais devait
fournir elle-même ses armes. Les recruteurs exigeaient de l’empereur
une somme correspondant à l’engagement d beaucoup plus de lansquenets
qu’ils n’en recrutaient en fait. Les hommes de grande expérience, qu’on
plaçait aux premiers rangs, recevaient une double paie : le recruteur
donnait leurs armes à des lansquenets ordinaires, dont la paie était
simple, mais, sur les rôles militaires, ces hommes figuraient pour une
paie double, et c’était le recruteur qui mettait la différence dans sa
poche. Ainsi il grugeait à la fois l’empereur et la recrue.
Le colonel
qui avait reçu le brevet de recruteur nommait des capitaines ; ceux-ci
nommaient eux-mêmes des lieutenants, des enseignes, des sergents, des
quartiers-maîtres et des caporaux (ces derniers étaient aussi parfois
élus par les hommes). Les lansquenets se répartissaient en compagnies
dont chacune avait son « guidon » (« Fähnlein« ), analogue à la
bannière de l’armée féodale. Il y avait environ 400 hommes sous un «
guidon » et un régiment de lansquenets se composait de 10 à 18
compagnies, elles-mêmes baptisées « Fähnlein » ; mais il
s’agissait là d’unités administratives et non tactiques : l’unité
tactique était, comme chez les Suisses, le bataillon, ou formation en
carré.
La plus grande force des lansquenets résidait dans leur structure interne et dans l’ordre qui régnait à l’intérieur de celle-ci.
Comme les gens de toute autre profession, ils formaient une corporation
analogue aux « guildes » des artisans et des commerçants. Avant la
bataille, le capitaine de chaque unité devait consulter le conseil de la
compagnie, le « cercle » ( Ring ), l’informer de ses plans et tenir
compte de ses avis. Chaque unité élisait son représentant, qui agissait
comme porte-parole vis-à-vis du capitaine. Un capitaine suprême
exerçait, au-dessus de tous les autres, les pouvoirs judiciaires et
disciplinaires, avec l’aide d’un magistrat et de ses assistants ;
ceux-ci, choisis dans les compagnies, étaient eux-mêmes des lansquenets ;
dans certains cas particuliers, les lansquenets avaient le droit de
juger et de punir eux-mêmes un de leurs membres. L’accusé était traduit
devant le Ring de sa compagnie ; il devait répondre de ses
actes et se défendre lui-même comme il le pouvait. Si l’accusé était
reconnu coupable, les lansquenets exécutaient immédiatement la sentence.
Toutes ces mesures étaient destinées à fournir aux lansquenets cette
cohésion interne qui avait fait l’excellence des Suisses. Ils avaient
leur constitution, la « lettre d’articles » (« Artikelbrief« ),
sur laquelle toutes les recrues devaient prêter serment. Tous ces
dispositifs n’avaient rien de nouveau ; l’empereur Frédéric Barberousse,
comme les Suisses plus tard, avait recouru à une structure analogue ;
mais les Allemands l’avaient adaptée à leurs besoins. Georg von
Frundsberg, qu’on a souvent surnommé « le père des lansquenets », avait
stipulé que la prestation de serment devait avoir lieu par petits
groupes : « S’ils sont réunis en une grande assemblée avant d’avoir
prêté serment, ils refusent de jurer sur la lettre d’articles ; ils
commencent par faire valoir leurs propres exigences selon leur bon
vouloir, et il faut que vous y accédiez, et, après cela, vous n’êtes
plus tranquille. On ne peut pas obliger les gens à faire la guerre tout
le temps ; c’est pourquoi il faut que vous puissiez leur présenter la
loi sur laquelle ils ont juré. »
La teneur
et la forme de ces articles variaient considérablement d’une troupe à
l’autre, mais la base en était toujours la même : un engagement
contractuel réciproque par les lansquenets et par ceux qui les payaient.
Les soldats juraient de remplir leur devoir, et l’empereur, pour sa
part devait les payer comme il était convenu, en tant que seigneur loyal
à l’égard de ses hommes.
Les
lansquenets prêtaient serment d’obéissance à tous ordres reçus ; le
principe d’obédience était sans équivoque et il était explicitement
déclaré qu’il s’appliquait à tous, quel que fût leur rang. Au XVIe
siècle, la paie mensuelle des lansquenets s’élevait à 4 florins. Il
arrivait toutefois souvent qu’il y eût de vives discussions à ce propos
et que les lansquenets exigeassent que le mois commençât ou finît avec
chaque bataille ou prise de ville. Le roi de France François 1er accepta
une fois de garder les lansquenets à son service pendant 10 mois et, à
la veille de la bataille, de leur payer un mois supplémentaire. Philippe
de Hesse, ce prince allemand qui se rendit célèbre par sa bigamie que
Melanchthon et Luther condamnèrent, avait conseillé à ses fils de ne
faire que des guerres défensives, car, autrement, les exigences des
lansquenets seraient telles qu’ils ne pourraient les satisfaire. D’autre
part, il était interdit aux lansquenets de constituer des « syndicats »
: s’ils avaient des plaintes à formuler, ils devaient le faire par
l’entremise de leurs représentants ou, à défaut, par celle d’un
lansquenet à double paie qui serait désigné spécialement pour aller
transmettre la plainte au capitaine. L’ère féodale ne s’était pas
achevée brusquement, d’un seul coup : on en trouve encore des traces
dans les « lettres d’articles ». Ainsi, les cavaliers n’étaient pas
recrutés individuellement mais en petites unités : un chevalier avec des
aides à cheval ; et les chevaliers bénéficiaient de privilèges
particuliers, de même que d’autres spécialistes, tels que les
artilleurs, les hommes du génie et les sapeurs.
Tout homme
était tenu de veiller à l’entretien de ses armes, de ses vêtements et,
le cas échéant, de son cheval, qu’il avait toujours l’obligation
d’acheter au quartier-maître. Les lansquenets devaient aussi se procurer
leur nourriture, qui leur était vendue par des vivandières affectées à
chaque compagnie. Comme ces femmes auraient eu du mal à transporter tout
le ravitaillement nécessaire à une grande armée, il était inévitable
qu’on vît les lansquenets s’approvisionner également dans le pays, et, à
cet égard, ils constituaient pour un territoire en guerre une plaie
aussi pénible que l’avaient été les mercenaires. Dans certaines des
« lettres d’articles », on spécifie que le fourrage pour les chevaux, le
pain, les légumes et quelques autres produits alimentaires sont les
seules denrées que les lansquenets ont le droit de prendre dans un pays
ami ou neutre : il leur était strictement interdit de s’emparer de
bétail et de biens domestiques, et de forcer les armoires et les coffres
des habitants.
Une fois
qu’une ville avait été prise, les lansquenets devaient, même s’ils
n’avaient pas encore été payés, obéir strictement aux ordres du colonel.
La force d’occupation était tenue de construire des fortifications,
stipulation qui causa fréquemment des difficultés, parce que les
lansquenets jugeaient contraire à leur dignité de se livrer à des
travaux manuels.
Dans le
cas où un conflit se fût déclaré entre les lansquenets, il leur était
expressément défendu d’en appeler à la nation, car, si les compatriotes
des lansquenets en cause étaient venus à leur secours, une véritable
guerre civile eût risqué de se développer. Cependant, ces conflits entre
lansquenets n’étaient pas rares ; ils s’élevaient surtout au sujet des
femmes, du ravitaillement ou du butin. On leur permettait de se battre
en duel, mais à armes courtoises (émoussées) et à l’écart du campement
principal. Le butin que les lansquenets ramassaient en cas de victoire
leur appartenait, exception faite de la poudre à canon et des pièces
d’artillerie, qu’ils devaient remettre au capitaine.
On voit
que les « lettres d’articles » étaient des constitutions aussi bien que
des codes de discipline, dans le cadre desquels fonctionnaient des
armées massives, du moins en comparaison de celles du Moyen-Age.
Jusque-là, aucun État n’avait été assez fort, économiquement parlant,
pour aligner des armées aussi considérables : c’est avec l’apparition de
l’État national français que tout avait changé, ainsi qu’en raison de
la consolidation de la couronne d’Angleterre sous les Tudors, de
l’importance prise par l’Espagne en tant que nation et de
l’accroissement territorial du domaine des Habsbourg. Toutefois, si les
choses évoluèrent à partir de ce moment-là, on ne saurait dire que les
fonds qui avaient manqué jusqu’alors devinrent soudain disponibles : ils
se trouvèrent plus aisément accessibles, mais jamais en quanti- tés
suffisantes pour mener à terme les campagnes engagées aux XVe et XVIe
siècles ; de sorte que, pour les lansquenets, le problème économique
demeura. Maximilien d’Autriche avait essayé de créer une troupe d’élite
qui lui fût loyale, mais comment pouvait-il, et comment ses successeurs
pourraient- ils assurer le maintien de cette loyauté s’ils se trouvaient
incapables d’honorer leur part du contrat ? En Europe centrale, ce fut
Wallenstein qui trouva la réponse à ce problème fondamental, mais
seulement au XVIIe siècle.
L’insuffisance
de la paie des lansquenets était compensée par le butin, mais, pour
obtenir celui-ci, on donnait fatalement libre cours à des excès. Les
chants que chantaient les lansquenets à l’époque, et qui nous ont été
conservés, expriment de manière énergique les ravages qu’ils causaient
dans les territoires sur lesquels ils se battaient. Toutefois, la
cruauté n’était pas l’apanage des lansquenets ou des mercenaires, car
l’ère dite de la chevalerie abonde en exemples du même genre : tout est
affaire de proportions. Ce qui est frappant, c’est qu’à la fin du
Moyen-Age les guerres mettaient en jeu des troupes beaucoup plus
nombreuses, et, lorsqu’une ville était prise d’assaut par les
lansquenets, c’étaient des milliers d’hommes qui violaient et pillaient,
et non plus des centaines comme autrefois. Il arrivait bien souvent,
désormais, qu’une ville capitulât en échange d’une promesse de clémence ;
or, sitôt les portes ouvertes, le sac commençait. Et le capitaine ou le
colonel qui, naguère, avait peut-être refréné les mauvais instincts de
quelques chevaliers, comment eût-il pu à présent empêcher d’abuser de sa
victoire ou traduire en cour martiale toute une armée ? Le grand prévôt
qui aurait arrêté l’un des lansquenets aurait eu à affronter l’unité
tout entière. En outre, les lansquenets savaient fort bien que leurs
supérieurs s’intéressaient tout autant qu’eux au butin, qu’ils en
profitaient souvent au détriment de leurs hommes et qu’ils y étaient du
reste obligés, dans une large mesure, par la pénurie financière du
souverain qui les employait.
Au cours
de leurs campagnes, les lansquenets emmenaient Une suite importante.
Chacun d’eux désirait avoir avec lui sa femme, voire plusieurs femmes,
et au moins un domestique. D’ailleurs, les femmes étaient indispensables
pour s’occuper des malades et des blessées. Et puis… il y avait le
repos du guerrier : en 1567, lorsque le duc d’Albe, venant d’Italie,
marcha sur les Flandres, son armée était accompagnée de 400 prostituées,
suite qui ne laissait pas d’être assez encombrante. Parmi les
lansquenets allemands, les femmes servaient encore à transporter les
bagages : on a estimé que chaque femme portait en moyenne entre 20 et 30
kilos de marchandises diverses !
Leur
arme principale, comme celle des Suisses, était la pique. Au moment où
on leur donnait l’ordre de « former le serpent », ils devaient pointer
leurs piques : la formation du « serpent » était le mouvement par lequel
la colonne en marche se transformait en carré en vue de l’attaque,
mouvement qui ne pouvait être exécuté convenablement qu’après quantité
d’exercices ; il semble que ce soit à la fin du XVe siècle que les
lansquenets l’ont exécuté de façon parfaite ; or c’est précisément
l’époque où le train militaire de leurs unités était le plus chargé. En
bataille rangée, les choses se passaient bien ; mais, lorsqu’ils
rencontraient l’ennemi à l’improviste, la manœuvre était plus difficile.
Le maniement de la pique n’était pas non plus aisé. Un contemporain en a écrit ceci : « Le
plus désagréable, c’est la vibration de la hampe. J’en ai fait moi-même
l’expérience : lorsqu’on se bat avec une longue pique, il est presque
impossible d’atteindre sa cible, car la pointe vibre trop, surtout lors
de fortes poussées, et elle vibre le plus fort lorsqu’on utilise toute
la longueur de l’arme, avec le bras droit entièrement étendu. Il faut
une poussée lente et sûre, effectuée avec réflexion, en attendant le
moment favorable, si l’on veut frapper un mercenaire en armure aux
endroits les plus sensibles du cou ou de l’abdomen et atteindre avec
précision les articulations de l’armure. »
En
principe, des forces supérieures battent des troupes moins nombreuses ;
mais il arrivait souvent que les forces fussent équilibrées, et, dans ce
cas, pour amener une décision, il fallait que l’une des masses armées
opérât une brèche dans l’autre. Avant l’avènement de l’artillerie et des
mousquets, cette tâche incombait à un groupe d’hommes choisis très
soigneusement pour cela. Il les fallait d’abord spécialement forts, car
ils devaient manier à deux mains un glaive à deux tranchants plus grand
qu’eux-mêmes. Ce glaive était si lourd qu’on ne pouvait l’utiliser
qu’une seule fois et qu’il fallait donc atteindre sa cible du premier
coup ; en cas d’échec, l’attaquant était inéluctablement transpercé par
les piques de l’ennemi. Lors de tels engagements, peu avant la rencontre
des deux armées, le groupe d’assaut, placé au second rang, s’avançait
de quelques pas devant le premier, ce qui constituait pour l’adversaire
un élément de surprise. Mais, en raison du risque encouru en pareil cas,
la force à elle seule ne suffisait pas, et la promesse de récompenses
non plus : aussi chargeait-on fréquemment de cette mission meurtrière
des condamnés à mort qui, s’ils réussissaient à pratiquer une brèche
dans les rangs ennemis, voyaient leur peine commuée ou annulée. Les
lansquenets donnaient le nom de « compagnie perdue » (« verlorener Haufe« )
au groupe d’hommes exceptionnellement courageux ou tout à fait
désespérés qui acceptaient de courir le risque de se frayer un chemin
dans un carré composé parfois de cent guerriers de front et d’autant de
rangées.
La
« compagnie perdue » cessa d’être nécessaire au moment où le mousquet
devint d’un usage courant chez les lansquenets. Dès 1507, l’empereur
Maximilien renonçait à l’arbalète. Dans toute l’Europe, on commença à
former des armées sur le modèle des Suisses et des Allemands ; les
résultats obtenus furent inégaux selon les pays. Par exemple, après la
défaite de Guinegatte, Louis XI essaya de remodeler son infanterie selon
ces principes, mais il n’y parvint pas tout à fait et n’obtint ainsi
qu’une seule victoire, devant Gênes en 1507. Les efforts de François 1er
ne furent pas plus heureux : il semble que ses fantassins aient déserté
en masse, par exemple en 1543, lorsque l’infanterie française était
censée défendre Luxembourg contre les Allemands et, au lieu de cela,
leur abandonna la ville. En Espagne, Ferdinand d’Aragon fit venir,
paraît-il, une troupe de Suisses pour la donner en exemple à son
infanterie : et en effet l’infanterie espagnole se battit en Italie
selon les mêmes tactiques que les Suisses et les lansquenets ; à la
bataille de Ravenne, en 1512, elle se couvrit d’une gloire qu’elle
allait conserver un siècle et demi durant, tout en maintenant un
caractère national remarquable. N’ayant pas encore derrière eux les
ressources du Nouveau Monde, Castille et Aragon étaient alors trop
pauvres pour se payer des mercenaires, de sorte que la nécessité les
obligeait à tirer le maximum de leurs propres ressources militaires. En
définitive, ce furent les lansquenets et les Espagnols qui dominèrent,
sur les champs de bataille européens, jusqu’au milieu du XVIIe siècle.