par Iaroslav Lebedynsky
Le Dniepr, « voie des Varègues aux
Grecs », loin d'être seulement un axe commercial animé, ouvrit la Russie
aux influences culturelles et religieuses de Byzance. C'est ainsi que,
pendant plus de trois siècles, Kiev fut le centre d'une civilisation
originale et la capitale d'un État dont Iaroslav Lebedynsky, auteur
notamment de l'ouvrage Le prince Igor (L'Harmattan, 2001), nous fait
revivre ici les heures les plus brillantes.
De la légende à l'histoire
Les débuts de l'État kiévien sont connus par les sources locales – la Chronique des années écoulées,
hélas biaisée par des réfections successives à la gloire de la dynastie
princière – que complètent des données byzantines, arabes et
occidentales. Ces questions étant encore ardemment débattues, on se
bornera ici aux faits les plus sûrs.
Depuis la grande expansion des Slaves
aux VIe et VIIe siècles, les tribus slaves du groupe oriental, demeurées
à proximité du foyer primitif, formaient une dizaine de petites
principautés ou chefferies. Certaines étaient vassales des Khazars,
peuple turc nomade fixé dans la steppe russe et qui avait bâti un
« empire » assez solide. Dans la seconde moitié du IXe siècle, plusieurs
de ces tribus furent unies à l'initiative d'une dynastie et d'une élite
militaire issues des « Varègues », c'est-à-dire de ces groupes
d'aventuriers, marchands et mercenaires, à forte composante scandinave,
qui hantaient la grande route commerciale entre la Baltique et la mer
Noire justement baptisée « voie des Varègues aux Grecs ». Ce groupe
dirigeant et le territoire qu'il dominait furent connus sous le nom de Rous',
dont l'origine et le sens initial demeurent obscurs. Dans des
circonstances embrumées par la légende, des chefs varègues montèrent sur
les trônes de diverses principautés slaves-orientales et notamment
celui de Kiev, capitale des Polianes idéalement située sur le Dniepr.
Ils se posèrent en rivaux des Khazars.
Oleg, au pouvoir à Kiev à partir de 882,
soumit plusieurs autres tribus slaves-orientales et même finnoises et
il était assez puissant, dès 907, pour entreprendre la première d'une
série de grandes campagnes contre Constantinople. À partir de ce moment,
la Rous', la « Ruthénie » kiévienne, devint un acteur
essentiel de la politique est-européenne et une pièce importante sur
l'échiquier diplomatique byzantin.
Croissance de la Ruthénie
Les successeurs d'Oleg – Igor
(913-945) ; la régente Olga (945-964) ; Sviatoslav, le premier à porter
un nom slave (964-972) – achevèrent d'unir par la force les tribus
slaves-orientales, notamment les récalcitrants Drevlianes. La dynastie
s'était slavisée, même si les Varègues continuèrent à jouer un rôle
militaire important jusqu'au début du XIe siècle.
Igor puis Sviatoslav attaquèrent
Constantinople moins dans l'espoir de s'en emparer que pour lui
extorquer des accords commerciaux avantageux. En même temps, les
souverains kiéviens durent affronter les nomades turcophones de la
steppe méridionale. Sviatoslav porta en 965 un coup fatal à l'Empire
khazar affaibli, mais tomba lui-même lors d'un combat contre les
Petchénègues en 972.
La mort de Sviatoslav fut suivie par une
série de conflits entre ses fils, dont sortit vainqueur en 980
Volodimer (Vladimir). Fratricide et débauché, celui qui allait devenir
« saint Vladimir » inaugura son règne par une série de victoires sur la
Pologne et sur diverses tribus révoltées, et s'efforça d'ériger en
religion d'État le « paganisme » slave-oriental alors dominé par le
culte de Péroun, dieu de l'orage et protecteur des guerriers. Puis, en
988, Vladimir changea complètement d'orientation et opta pour le
christianisme de rite byzantin.
La conversion au christianisme
La Chronique des années écoulées
présente cette conversion comme le résultat d'une sorte d'étude
comparative entre religions – islam, christianisme latin et grec, et
même judaïsme – à laquelle aurait fait procéder Vladimir. En fait, le
christianisme avait pénétré depuis longtemps en Ruthénie, et la régente
Olga aurait été baptisée en 955 lors d'un voyage à Constantinople. Pour
le reste, la décision de Vladimir dut être le résultat de calculs
complexes dans lesquels entraient ses convictions personnelles, la
perspective d'une alliance avec l'empire d'Orient, peut-être aussi
l'échec de sa tentative de « paganisme d'État ». En tout cas, ce choix
fut décisif et il a orienté jusqu'à nos jours la spiritualité et la
culture des Slaves orientaux.
La conversion ordonnée par Vladimir – et
imposée, lorsque c'était nécessaire, par la force – fit entrer la
Ruthénie dans l'orbite culturelle de Byzance tout en préservant son
identité et sa pleine souveraineté politique. L'architecture et la
peinture byzantines furent introduites et des écoles artistiques locales
se développèrent rapidement. Pour les besoins du culte puis de
l'administration, ce n'est pas la langue grecque qui fut adoptée, mais
le vieux-slave tel qu'il était écrit au moyen de l'alphabet
« cyrillique » dans la Bulgarie voisine, également slave et orthodoxe.
Cette langue d'ailleurs vite influencée par les parlers slaves-orientaux
locaux, servit à traduire les textes saints, mais aussi, sous les
successeurs de Vladimir, à noter l'histoire et le droit ruthène. Le
monnayage de Vladimir manifeste cette dualité du modèle byzantin et de
l'individualité ruthène : le souverain y est représenté en costume
d'empereur, mais accompagné de son emblème, un « trident » qui rappelle
les tamgas héraldiques non-figuratifs des peuples nomades, et avec une légende en slave.
On ne saurait trop souligner
l'importance du saut qualitatif causé par la conversion : sous Vladimir,
la Ruthénie « barbare » et « païenne » devint un empire chrétien et un
partenaire à part entière des grandes puissances de l'époque. On
relèvera en contrepoint, pour la déplorer, la disparition de pans
entiers de la culture pré-chrétienne des Slaves orientaux. Leur
religion, en particulier, n'est connue que par bribes.
Note du C.N.C.: le présent texte est soumis à des droits
d'auteurs et de copie, nous ne pouvons pas le reproduire entièrement, il
vous faudra donc poursuivre la lecture sur le site de CLIO.Lisez la suite ICI
Illustration: La Justice des Rus, par Ivan Bilibine
http://cerclenonconforme.hautetfort.com/
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