« Sans
la muraille des cyprès que nos jardiniers, laboureurs, vignerons,
plantent d’un bout à l’autre de leur plaine battue des vents, qu’est-ce
qu’y deviendraient les myrtes et les roses, les souches et les blés,
l’herbage des prairies et tout le petit peuple des fraisiers et des
fèves, des oignons, des aulx, des piments ? De son rempart de feuille
noire, ce guerrier protecteur doit sauver ce qui pointe des précoces
végétations, voilà son utilité principale.
Les poètes et les sages se sont bien efforcés de surprendre et de définir quelques autres symboles exprimés par ce beau tronc odoriférant, ce style fier, ce branchage plein d’harmonie : détourner les coups de la foudre, marquer l’heure au soleil, porter haut dans le deuil l’intérêt porté à la vie, avertir que tout est mortel… Soit ! Mais cela ne vient que fort loin après le grand devoir, qui est de monter la faction contre l’intempérie. Le cyprès dure, endure, il se tient immobile et fort contre tous ces esprits d’éternelle mobilité qui courent nos espaces et déchaînent le trouble sur les frêles semences de l’espérance et de la foi : quelle loi ne serait caduque, quelle constante naturelle ne céderait à l’incessante variation, si le gardien inébranlable ne s’élevait de dures racines qui ne tremblent point ? Solide et sûr, il permet ainsi l’éclosion des plus tendres promesses, il les défend de flotter à vau l’eau, à même le vent…
De pareils bienfaiteurs ne sauraient être appelés de simples amis. Ce sont des maîtres. »
Charles Maurras
Sans la muraille des cyprès Arles, Gibert, 1941 (Préface)
Maurras aimait à comparer le Politique à une fortification. Une des meilleures anthologies de son oeuvre ne s’intitule-t-elle pas La dentelle du rempart ? (1) Le rôle premier du Politique, le rôle premier de l’État consiste, en effet, à protéger la société et ses activités, à protéger les familles et les personnes. Cette protection est complexe. Le Politique protège contre l’agression extérieure, mais il protège aussi parfois les hommes contre eux-mêmes. Ce qui est différent de faire leur bonheur, tâche qui ne lui incombe pas.
L’État protecteur exerce donc de multiples fonctions, et Maurras de les rappeler en analysant le rôle de la muraille de cyprès, symbole poétique du Politique : « …marquer l’heure au soleil… avertir que tout est mortel ». Mais il revient vite au rôle essentiel, « monter la faction contre l’intempérie ». Bien que l’idée de défense armée vienne immédiatement à l’esprit, Maurras ne se contente pas de cette qualité évidente pour tout esprit normal. « Le cyprès dure et endure » : Le Politique assure la continuité, la stabilité. Il doit être fort, il doit servir d’arbitre, il protège « contre tous ces esprits d’éternelle mobilité qui courent nos espaces et déchaînent le trouble sur les frêles semences de l’espérance et de la foi ».
Voici notre cyprès « gardien inébranlable » des lois, des principes de la Loi qui ne sont pas d’éphémères « faits de société » comme dans les régimes où sévissent les moeurs démocratiques, où la muraille a été laissée à l’abandon même quand la fureur démagogique n’y a pas encore porté la hache égalitaire et libertaire.
Stabilité et continuité
Le rempart doit être « inébranlable ». Cela implique qu’il fasse l’objet de soins constants. S’il n’est pas entretenu, ou si les soldats se croient derrière lui à l’abri du danger, négligent d’entretenir leurs armes et somnolent, sa protection se révélera illusoire et le Pays connaîtra un jour une invasion étrangère qui ne sera pas obligatoirement militaire : elle pourra être économique, religieuse, culturelle. Songeons aux ravages accomplis par l’Université germanique dans l’esprit public français entre 1870 et 1914, quand la haute intelligence de notre pays se trouvait désarmée face à une organisation supérieure et hostile.
On peut s’endormir derrière le limes romain, on peut s’endormir derrière une ligne Maginot. Ces exemples, ainsi que bien d’autres que nous pourrions rechercher dans l’Histoire, montrent que le rempart du Politique ne saurait être une fondation établie une fois pour toutes. Comme il n’est pas de satisfaction passive et durable en ce monde, il n’est pas, en politique, de recettes, mais des principes d’une science dont l’application requiert une vigilance de tous les instants.
D’où la nécessité vitale d’une volonté politique consciente, indépendante, durable, liée au Bien commun du Pays. Et Maurras de conclure son allégorie : « Ainsi vous rendrez-vous un compte clair du principe qui, dans l’ordre des temps, passe avant tous les autres, celui de la défense et de la protection, le Principe du rempart, le Théorème du cyprès, le plus humain de tous, puisque tout homme doit être d’abord défendu, et par conséquent gouverné : Politique d’abord ».
Gérard Baudin L’Action Française 2000 du 19 avril au 2 mai 2007
(1) La dentelle du rempart, Paris, Grasset, 1937. Le livre a pour préface d’excellentes Notes pour un hommage à Charles Maurras de l’éditeur Bernard Grasset, publiées peu avant dans La Revue universelle.
Les poètes et les sages se sont bien efforcés de surprendre et de définir quelques autres symboles exprimés par ce beau tronc odoriférant, ce style fier, ce branchage plein d’harmonie : détourner les coups de la foudre, marquer l’heure au soleil, porter haut dans le deuil l’intérêt porté à la vie, avertir que tout est mortel… Soit ! Mais cela ne vient que fort loin après le grand devoir, qui est de monter la faction contre l’intempérie. Le cyprès dure, endure, il se tient immobile et fort contre tous ces esprits d’éternelle mobilité qui courent nos espaces et déchaînent le trouble sur les frêles semences de l’espérance et de la foi : quelle loi ne serait caduque, quelle constante naturelle ne céderait à l’incessante variation, si le gardien inébranlable ne s’élevait de dures racines qui ne tremblent point ? Solide et sûr, il permet ainsi l’éclosion des plus tendres promesses, il les défend de flotter à vau l’eau, à même le vent…
De pareils bienfaiteurs ne sauraient être appelés de simples amis. Ce sont des maîtres. »
Charles Maurras
Sans la muraille des cyprès Arles, Gibert, 1941 (Préface)
Maurras aimait à comparer le Politique à une fortification. Une des meilleures anthologies de son oeuvre ne s’intitule-t-elle pas La dentelle du rempart ? (1) Le rôle premier du Politique, le rôle premier de l’État consiste, en effet, à protéger la société et ses activités, à protéger les familles et les personnes. Cette protection est complexe. Le Politique protège contre l’agression extérieure, mais il protège aussi parfois les hommes contre eux-mêmes. Ce qui est différent de faire leur bonheur, tâche qui ne lui incombe pas.
L’État protecteur exerce donc de multiples fonctions, et Maurras de les rappeler en analysant le rôle de la muraille de cyprès, symbole poétique du Politique : « …marquer l’heure au soleil… avertir que tout est mortel ». Mais il revient vite au rôle essentiel, « monter la faction contre l’intempérie ». Bien que l’idée de défense armée vienne immédiatement à l’esprit, Maurras ne se contente pas de cette qualité évidente pour tout esprit normal. « Le cyprès dure et endure » : Le Politique assure la continuité, la stabilité. Il doit être fort, il doit servir d’arbitre, il protège « contre tous ces esprits d’éternelle mobilité qui courent nos espaces et déchaînent le trouble sur les frêles semences de l’espérance et de la foi ».
Voici notre cyprès « gardien inébranlable » des lois, des principes de la Loi qui ne sont pas d’éphémères « faits de société » comme dans les régimes où sévissent les moeurs démocratiques, où la muraille a été laissée à l’abandon même quand la fureur démagogique n’y a pas encore porté la hache égalitaire et libertaire.
Stabilité et continuité
Le rempart doit être « inébranlable ». Cela implique qu’il fasse l’objet de soins constants. S’il n’est pas entretenu, ou si les soldats se croient derrière lui à l’abri du danger, négligent d’entretenir leurs armes et somnolent, sa protection se révélera illusoire et le Pays connaîtra un jour une invasion étrangère qui ne sera pas obligatoirement militaire : elle pourra être économique, religieuse, culturelle. Songeons aux ravages accomplis par l’Université germanique dans l’esprit public français entre 1870 et 1914, quand la haute intelligence de notre pays se trouvait désarmée face à une organisation supérieure et hostile.
On peut s’endormir derrière le limes romain, on peut s’endormir derrière une ligne Maginot. Ces exemples, ainsi que bien d’autres que nous pourrions rechercher dans l’Histoire, montrent que le rempart du Politique ne saurait être une fondation établie une fois pour toutes. Comme il n’est pas de satisfaction passive et durable en ce monde, il n’est pas, en politique, de recettes, mais des principes d’une science dont l’application requiert une vigilance de tous les instants.
D’où la nécessité vitale d’une volonté politique consciente, indépendante, durable, liée au Bien commun du Pays. Et Maurras de conclure son allégorie : « Ainsi vous rendrez-vous un compte clair du principe qui, dans l’ordre des temps, passe avant tous les autres, celui de la défense et de la protection, le Principe du rempart, le Théorème du cyprès, le plus humain de tous, puisque tout homme doit être d’abord défendu, et par conséquent gouverné : Politique d’abord ».
Gérard Baudin L’Action Française 2000 du 19 avril au 2 mai 2007
(1) La dentelle du rempart, Paris, Grasset, 1937. Le livre a pour préface d’excellentes Notes pour un hommage à Charles Maurras de l’éditeur Bernard Grasset, publiées peu avant dans La Revue universelle.
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