Au
matin du 21 janvier 1993, les Parisiens étaient venus par milliers place
de la Concorde commémorer dans la dignité et la prière le deuxième
centenaire du meurtre du roi Louis XVI. Parmi eux, fendant la foule,
l’ambassadeur des États-Unis venait déposer un coussin de fleurs de lys
sur le lieu où les révolutionnaires avaient jadis planté la guillotine ;
il rendait ainsi hommage à celui sans qui les États-Unis d’Amérique
n’auraient peut-être jamais dépassé le stade d’un joli rêve.
Une leçon donnée aux Anglais
Dès son avènement en 1774, le petit-fils de Louis XV brûlait de venger la France du funeste traité de Paris (1763) par lequel, entre autres, le Canada avait été cédé aux Anglais. Mais il fallait à tout prix éviter la guerre sur le continent européen déjà épuisé par trop de conflits armés. Or l’opinion publique en France, surtout dans la jeune noblesse, commençait à s’enfiévrer pour les colons d’Amérique, lesquels, refusant de payer les trop lourdes taxes réclamées par leur mère-patrie l’Angleterre, étaient entrés en rébellion. Or voici que, le 4 juillet 1776, ces derniers poussaient l’audace jusqu’à proclamer la déclaration d’Indépendance américaine ! Les soutenir pouvait être pour la France l’occasion d’arracher à la « perfide Albion » sa suprématie sur les mers...
Dans les salons, les cafés, les cercles philosophiques, les loges maçonniques, on ne jurait plus que par les « Insurgents » américains ; le mythe rousseauiste du « bon sauvage » aidant, on se mit à dénoncer l’Angleterre pourrie de richesses et de vices... En décembre 1776 débarquait à Nantes sur une frégate américaine l’inventeur du paratonnerre, Benjamin Franklin. Porté en triomphe jusqu’à Paris, le beau patriarche eut vite fait de conquérir la jeunesse, les milieux financiers, les clubs, la loge des Neuf sœufs et, dit-on, les dames... Les vocations germaient : en 1777, n’y tenant plus, le jeune marquis de La Fayette partit tenter la gloire à Philadelphie, siège du gouvernement de la colonie ; incorporé dans l’armée rebelle il devint major général, puis George Washington lui demanda de retourner en France pour convaincre Louis XVI d’envoyer un corps expéditionnaire au secours de ces révoltés bien incapables par eux-mêmes de sortir de l’improvisation.
Le roi ne prit pas spontanément sa décision. Peut-être considérait-il que seize ans plus tôt ceux qui étaient devenus les Insurgents avaient participé à l’invasion de Canada... Peut-être craignait-il que l’esprit d’indépendance contaminât les cervelles légères des troupes qui n’étaient que trop portées à l’insubordination... Peut-être aussi s’inquiétait-il de la situation financière du royaume, plus que délicate... Mais pourtant les efforts de modernisation de la marine française, voulus par le ministre Vergennes et par le roi lui-même, permettaient tous les espoirs. Et puis la France pouvait compter sur le soutien ou au moins la neutralité, de la Hollande et de l’Espagne… Voilà donc signé, dès le 6 février 1778, entre Louis XVI et Franklin un traité d’amitié et d’alliance : de l’aide plus ou moins clandestine (dont profitait Beaumarchais...), on passait à l’engagement officiel du côté des révoltés.
Le roi l’a voulu
Au cours de cette guerre, la France ne connut pas que des victoires ; longtemps même la situation fut incertaine, en dépit des audaces de l’amiral d’Estaing. Le marquis de Castries, nouveau ministre de la Marine, envoya De Grasse aux Antilles et Suffren aux Indes afin de harceler les Anglais dans leurs possessions à travers le monde. Enfin, en 1780, arriva en Virginie Rochambeau à la tête de 6 000 hommes : lui et Washington réussirent à encercler et à faire capituler le général britannique Cornwallis à Yorktown, le 17 octobre 1781. Ce jour-là l’Angleterre perdit définitivement l’Amérique.
Si les États-Unis entrèrent dans l’Histoire, ils le doivent donc essentiellement à Louis XVI, et non aux Américains eux-mêmes, lesquels, voyant arriver les troupes françaises, se dépêchèrent, dit Bernard Fay (1) de regagner leurs foyers, leurs terres et leurs commerces... Seul Washington avait la stature et la mentalité d’un soldat : c’est autour de lui que les jeunes nobles français illustrèrent avec bravoure ‘lidéal chevaleresque. Ce fut assurément la dernière guerre de gentilshommes que l’on vit dans le monde.
Action désintéressée
Quel profit en retira la France ? Si l’on sen tient aux termes du traité signé à Versailles le 3 septembre 1783, il n’y avait pas de quoi jubiler : nous récupérions le Sénégal, Tobago, Saint-Pierre-et-Miquelon, nous gagnions le droit de fortifier Dunkerque et les comptoirs de l’Inde, et l’Espagne reprenait la Floride. Nous avions porté un rude coup à la puissance maritime britannique, mais celle-ci avait eu la perfide habileté non seulement de reconnaître l’indépendance des treize colonies, mais d’accorder à celles-ci toutes les positions qu’elles voulaient au sud et à l’est du Mississipi, ce qui devait avoir pour effet de rendre moins nécessaire leur alliance avec la France. De fait, dès les années suivantes, le nouveau pays allait nouer avec son ancienne mère patrie - et non avec la France des relations commerciales privilégiées...
Plus grave : personne ne s’inquiéta sur le moment de l’aura que la victoire des rebelles donnait aux idées des Lumières... Curieusement l’engouement pour les États-Unis retomba tout de suite après le traité, mais bien des officiers partis se battre outre-Atlantique (la Fayette, le vicomte de Noailles...) allaient sentir en 1789 se ranimer en eux la flamme libertaire. Toutefois cette contagion n’était pas fatale ; certains anciens officiers allaient mourir sous la Terreur, et d’autres comme par exemple le marquis de La Rouërie allaient combattre héroïquement la Révolution. En 1783 tout laissait à penser que Louis XVI sortait auréolé pour toujours de cette aide totalement désintéressée apportée à un jeune peuple. La modestie même des gains retirés par la France rehaussait le prestige de celle-ci, qui redevenait l’arbitre de l’Europe. Le roi, peut-être sans le vouloir, avait aussi fortement ébréché l’anglomanie qui, depuis la régence et surtout depuis Montesquieu, cherchait outre-Manche des modèles politiques : tout le monde savait désormais qu’une nation pratiquant le parlementarisme pouvait être injuste et despotique... Et du même coup était apparue au grand jour par l’exemple des Insurgents eux-mêmes l’inaptitude dun régime démocratique à conduire les destinées d’un pays...
Nul en 1783 n’aurait prédit la Révolution six ans plus tard. Pourquoi alors Louis XVI ne sut-il pas profiter de ce regain de ferveur ? Tout simplement - et c’est ici la plus funeste conséquence de la guerre d’Amérique - parce que l’expédition avait coûté en cinq ans deux milliards de livres, « l’équivalent de dix années des dépenses ordinaires de l’État » signale Jean de Viguerie (2). Il s’ensuivit pour la France une instabilité ministérielle qui laissa l’État désarmé devant la fronde des privilégiés opposés aux réformes indispensables et accula le roi à rassembler en 1789 les états généraux. En ce sens on peut dire que cette guerre a causé la perte de la monarchie.
Idéalisme américain
Les États-Unis, de leur côté, n’allaient cesser de s’agrandir vers le sud et vers l’ouest pendant tout le XIXe siècle. En 1803, Napoléon leur vendit pour 80 millions de francs l’immense Louisiane où la marque de la France est restée malgré tout indélébile.
Les États-Unis ne perdirent jamais de vue la conception moraliste et idéaliste qui avait inspiré leurs ancêtres les premiers migrants, certains d’avoir reçu de Dieu la mission de fonder en ce Nouveau Monde un État parfait aux antipodes de ceux de la vieille Europe, si souvent en guerre... Sans doute, si ce peuple neuf avait en devenant indépendant fondé une monarchie héréditaire, aurait-ils saisi de génération en génération les réalités concrètes qui fondent les civilisations. À défaut de cette communauté historique de destin, les Américains s’identifient dans l’idée toute messianique d’une mission au service de leur modèle infaillible de démocratie... Même les affaires purement matérielles de rendement, d’efficacité, d’enrichissement, sont pour eux signe d’élection divine...
Pour eux, comme la dit Jefferson (le deuxième président, de 1801 à 1809) les alliances et les conflits entre nations nexpriment que des « jalousies mutuelles » qui les condamnent à la « guerre éternelle ». Doù ce besoin américain de diffuser par l’économie, le commerce, la culture cet idéalisme internationaliste. Woddrow Wilson (président de 1913 à 1921) allait jusqu’à dire : « Nous sommes venus pour racheter le monde en lui donnant liberté et justice. » On sait ce que fut le fameux traité de Versailles inspiré par lui en 1918 et dont Jacques Bainville avait aussitôt prévu quil népargnerait point à l’Europe une nouvelle conflagration vingt ans plus tard... Maurras reprochait à Wilson d’être un émule de Le Chapelier : comme celui-ci, supprimant les corporations, fit le malheur des ouvriers devenus libres de mourir de faim, l’idéologue d’Outre-Atlantique parlait d’un monde où les nations ne contracteraient plus d’alliances entre elles parce qu’elles seraient toutes soumises à une instance supranationale...
Cela dit, il n’est pas question pour nous de manquer de reconnaissance envers les Américains qui ont, par deux fois, apporté leur secours à la France. Entre les deux pays, l’histoire, la géographie et l’intérêt appellent la bonne entente. Mais nous nen n’affirmerons pas moins qu’en matière politique les États-Unis n’ont pas de leçon à nous donner. Certains Français gagnés par l’idéologie mondialiste, voient un modèle pour leur Europe des régions dans la constitution fédérale des États-Unis. C’est oublier que si pour des États sans aucun passé à sauvegarder, le fédéralisme a été un facteur d’union, il en serait tout autrement en Europe où les nations démantelées ne seraient plus qu’un magma informe.
Un modèle ?
Quant au modèle électif américain, on sait sur quels abus il débouche bien souvent (corruption, concusion, prévarication) Citons encore Maurras : « C’est malgré ces abus et malgré ces institutions, c’est malgré la politique, c’est parce que la politique est en réalité comme un organe insignifiant presque superflu de l’immense activité américaine, c’est parce que, durant un siècle, l’État, les hommes d’État et les institutions d’État n’ont presque jamais compté, emportés et noyés dans le torrent dune magnifique vitalité, c’est par sa production, c’est par son territoire, c’est par ses réserves naturelles, par son capital physique et économique accumulé à l’infini, que l’Union américaine est devenue ce que nous la voyons aujourd’hui. Ce colosse porte des parasites également colossaux et qui tueraient des États moindres mais dont il n’a même pas souci de se délivrer. Avant de proposer à la France de l’imiter, il faudrait donner à la France la taille, le poids et la force matérielle de l’Amérique. »
On ne saurait mieux juger le modèle américain.
Michel Fromentoux LAction Française 2000 du 5 au 18 octobre 2006
(1) Naissance dun monstre : l’opinion publique. Éd.Perrin, 1960.
(2) Louis XVI, le roi bienfaisant. Éd. du Rocher, 2003.
Une leçon donnée aux Anglais
Dès son avènement en 1774, le petit-fils de Louis XV brûlait de venger la France du funeste traité de Paris (1763) par lequel, entre autres, le Canada avait été cédé aux Anglais. Mais il fallait à tout prix éviter la guerre sur le continent européen déjà épuisé par trop de conflits armés. Or l’opinion publique en France, surtout dans la jeune noblesse, commençait à s’enfiévrer pour les colons d’Amérique, lesquels, refusant de payer les trop lourdes taxes réclamées par leur mère-patrie l’Angleterre, étaient entrés en rébellion. Or voici que, le 4 juillet 1776, ces derniers poussaient l’audace jusqu’à proclamer la déclaration d’Indépendance américaine ! Les soutenir pouvait être pour la France l’occasion d’arracher à la « perfide Albion » sa suprématie sur les mers...
Dans les salons, les cafés, les cercles philosophiques, les loges maçonniques, on ne jurait plus que par les « Insurgents » américains ; le mythe rousseauiste du « bon sauvage » aidant, on se mit à dénoncer l’Angleterre pourrie de richesses et de vices... En décembre 1776 débarquait à Nantes sur une frégate américaine l’inventeur du paratonnerre, Benjamin Franklin. Porté en triomphe jusqu’à Paris, le beau patriarche eut vite fait de conquérir la jeunesse, les milieux financiers, les clubs, la loge des Neuf sœufs et, dit-on, les dames... Les vocations germaient : en 1777, n’y tenant plus, le jeune marquis de La Fayette partit tenter la gloire à Philadelphie, siège du gouvernement de la colonie ; incorporé dans l’armée rebelle il devint major général, puis George Washington lui demanda de retourner en France pour convaincre Louis XVI d’envoyer un corps expéditionnaire au secours de ces révoltés bien incapables par eux-mêmes de sortir de l’improvisation.
Le roi ne prit pas spontanément sa décision. Peut-être considérait-il que seize ans plus tôt ceux qui étaient devenus les Insurgents avaient participé à l’invasion de Canada... Peut-être craignait-il que l’esprit d’indépendance contaminât les cervelles légères des troupes qui n’étaient que trop portées à l’insubordination... Peut-être aussi s’inquiétait-il de la situation financière du royaume, plus que délicate... Mais pourtant les efforts de modernisation de la marine française, voulus par le ministre Vergennes et par le roi lui-même, permettaient tous les espoirs. Et puis la France pouvait compter sur le soutien ou au moins la neutralité, de la Hollande et de l’Espagne… Voilà donc signé, dès le 6 février 1778, entre Louis XVI et Franklin un traité d’amitié et d’alliance : de l’aide plus ou moins clandestine (dont profitait Beaumarchais...), on passait à l’engagement officiel du côté des révoltés.
Le roi l’a voulu
Au cours de cette guerre, la France ne connut pas que des victoires ; longtemps même la situation fut incertaine, en dépit des audaces de l’amiral d’Estaing. Le marquis de Castries, nouveau ministre de la Marine, envoya De Grasse aux Antilles et Suffren aux Indes afin de harceler les Anglais dans leurs possessions à travers le monde. Enfin, en 1780, arriva en Virginie Rochambeau à la tête de 6 000 hommes : lui et Washington réussirent à encercler et à faire capituler le général britannique Cornwallis à Yorktown, le 17 octobre 1781. Ce jour-là l’Angleterre perdit définitivement l’Amérique.
Si les États-Unis entrèrent dans l’Histoire, ils le doivent donc essentiellement à Louis XVI, et non aux Américains eux-mêmes, lesquels, voyant arriver les troupes françaises, se dépêchèrent, dit Bernard Fay (1) de regagner leurs foyers, leurs terres et leurs commerces... Seul Washington avait la stature et la mentalité d’un soldat : c’est autour de lui que les jeunes nobles français illustrèrent avec bravoure ‘lidéal chevaleresque. Ce fut assurément la dernière guerre de gentilshommes que l’on vit dans le monde.
Action désintéressée
Quel profit en retira la France ? Si l’on sen tient aux termes du traité signé à Versailles le 3 septembre 1783, il n’y avait pas de quoi jubiler : nous récupérions le Sénégal, Tobago, Saint-Pierre-et-Miquelon, nous gagnions le droit de fortifier Dunkerque et les comptoirs de l’Inde, et l’Espagne reprenait la Floride. Nous avions porté un rude coup à la puissance maritime britannique, mais celle-ci avait eu la perfide habileté non seulement de reconnaître l’indépendance des treize colonies, mais d’accorder à celles-ci toutes les positions qu’elles voulaient au sud et à l’est du Mississipi, ce qui devait avoir pour effet de rendre moins nécessaire leur alliance avec la France. De fait, dès les années suivantes, le nouveau pays allait nouer avec son ancienne mère patrie - et non avec la France des relations commerciales privilégiées...
Plus grave : personne ne s’inquiéta sur le moment de l’aura que la victoire des rebelles donnait aux idées des Lumières... Curieusement l’engouement pour les États-Unis retomba tout de suite après le traité, mais bien des officiers partis se battre outre-Atlantique (la Fayette, le vicomte de Noailles...) allaient sentir en 1789 se ranimer en eux la flamme libertaire. Toutefois cette contagion n’était pas fatale ; certains anciens officiers allaient mourir sous la Terreur, et d’autres comme par exemple le marquis de La Rouërie allaient combattre héroïquement la Révolution. En 1783 tout laissait à penser que Louis XVI sortait auréolé pour toujours de cette aide totalement désintéressée apportée à un jeune peuple. La modestie même des gains retirés par la France rehaussait le prestige de celle-ci, qui redevenait l’arbitre de l’Europe. Le roi, peut-être sans le vouloir, avait aussi fortement ébréché l’anglomanie qui, depuis la régence et surtout depuis Montesquieu, cherchait outre-Manche des modèles politiques : tout le monde savait désormais qu’une nation pratiquant le parlementarisme pouvait être injuste et despotique... Et du même coup était apparue au grand jour par l’exemple des Insurgents eux-mêmes l’inaptitude dun régime démocratique à conduire les destinées d’un pays...
Nul en 1783 n’aurait prédit la Révolution six ans plus tard. Pourquoi alors Louis XVI ne sut-il pas profiter de ce regain de ferveur ? Tout simplement - et c’est ici la plus funeste conséquence de la guerre d’Amérique - parce que l’expédition avait coûté en cinq ans deux milliards de livres, « l’équivalent de dix années des dépenses ordinaires de l’État » signale Jean de Viguerie (2). Il s’ensuivit pour la France une instabilité ministérielle qui laissa l’État désarmé devant la fronde des privilégiés opposés aux réformes indispensables et accula le roi à rassembler en 1789 les états généraux. En ce sens on peut dire que cette guerre a causé la perte de la monarchie.
Idéalisme américain
Les États-Unis, de leur côté, n’allaient cesser de s’agrandir vers le sud et vers l’ouest pendant tout le XIXe siècle. En 1803, Napoléon leur vendit pour 80 millions de francs l’immense Louisiane où la marque de la France est restée malgré tout indélébile.
Les États-Unis ne perdirent jamais de vue la conception moraliste et idéaliste qui avait inspiré leurs ancêtres les premiers migrants, certains d’avoir reçu de Dieu la mission de fonder en ce Nouveau Monde un État parfait aux antipodes de ceux de la vieille Europe, si souvent en guerre... Sans doute, si ce peuple neuf avait en devenant indépendant fondé une monarchie héréditaire, aurait-ils saisi de génération en génération les réalités concrètes qui fondent les civilisations. À défaut de cette communauté historique de destin, les Américains s’identifient dans l’idée toute messianique d’une mission au service de leur modèle infaillible de démocratie... Même les affaires purement matérielles de rendement, d’efficacité, d’enrichissement, sont pour eux signe d’élection divine...
Pour eux, comme la dit Jefferson (le deuxième président, de 1801 à 1809) les alliances et les conflits entre nations nexpriment que des « jalousies mutuelles » qui les condamnent à la « guerre éternelle ». Doù ce besoin américain de diffuser par l’économie, le commerce, la culture cet idéalisme internationaliste. Woddrow Wilson (président de 1913 à 1921) allait jusqu’à dire : « Nous sommes venus pour racheter le monde en lui donnant liberté et justice. » On sait ce que fut le fameux traité de Versailles inspiré par lui en 1918 et dont Jacques Bainville avait aussitôt prévu quil népargnerait point à l’Europe une nouvelle conflagration vingt ans plus tard... Maurras reprochait à Wilson d’être un émule de Le Chapelier : comme celui-ci, supprimant les corporations, fit le malheur des ouvriers devenus libres de mourir de faim, l’idéologue d’Outre-Atlantique parlait d’un monde où les nations ne contracteraient plus d’alliances entre elles parce qu’elles seraient toutes soumises à une instance supranationale...
Cela dit, il n’est pas question pour nous de manquer de reconnaissance envers les Américains qui ont, par deux fois, apporté leur secours à la France. Entre les deux pays, l’histoire, la géographie et l’intérêt appellent la bonne entente. Mais nous nen n’affirmerons pas moins qu’en matière politique les États-Unis n’ont pas de leçon à nous donner. Certains Français gagnés par l’idéologie mondialiste, voient un modèle pour leur Europe des régions dans la constitution fédérale des États-Unis. C’est oublier que si pour des États sans aucun passé à sauvegarder, le fédéralisme a été un facteur d’union, il en serait tout autrement en Europe où les nations démantelées ne seraient plus qu’un magma informe.
Un modèle ?
Quant au modèle électif américain, on sait sur quels abus il débouche bien souvent (corruption, concusion, prévarication) Citons encore Maurras : « C’est malgré ces abus et malgré ces institutions, c’est malgré la politique, c’est parce que la politique est en réalité comme un organe insignifiant presque superflu de l’immense activité américaine, c’est parce que, durant un siècle, l’État, les hommes d’État et les institutions d’État n’ont presque jamais compté, emportés et noyés dans le torrent dune magnifique vitalité, c’est par sa production, c’est par son territoire, c’est par ses réserves naturelles, par son capital physique et économique accumulé à l’infini, que l’Union américaine est devenue ce que nous la voyons aujourd’hui. Ce colosse porte des parasites également colossaux et qui tueraient des États moindres mais dont il n’a même pas souci de se délivrer. Avant de proposer à la France de l’imiter, il faudrait donner à la France la taille, le poids et la force matérielle de l’Amérique. »
On ne saurait mieux juger le modèle américain.
Michel Fromentoux LAction Française 2000 du 5 au 18 octobre 2006
(1) Naissance dun monstre : l’opinion publique. Éd.Perrin, 1960.
(2) Louis XVI, le roi bienfaisant. Éd. du Rocher, 2003.
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