Causerie prononcée par le lieutenant-colonel
Mourey le samedi 30 janvier 1993 devant les membres de la Société
d'Histoire et d'Archéologie de Chalon-sur-Saône. Cette causerie est
dédiée à la mémoire des 368 000 Helvètes qui se sacrifièrent au pied de
la colline de Sanvignes, pour une certaine idée de la Gaule (extraits).
Mesdames et Messieurs,
... Je suis, devant vous, dans une vieille ville de la vieille
Europe, dans une Bourgogne qui faisait rayonner sa pensée sur le monde,
autrefois. Et je viens vous parler du passé. Je viens vous parler de ces
Éduens qui furent nos ancêtres...
... Au début, je ne pensais pas écrire… seulement une courte notice
historique sur le château de Taisey... Comme je m'intéressais aux comtes
de Chalon et à l'énigmatique comtesse Béatrice, j'ai étudié d'assez
près leur forteresse de Mont-St-Vincent. C'était leur repaire et leur
refuge. Les bases cyclopéennes des murailles, le mystère qui planait sur
ses noms antérieurs, tout cela m'intriguait beaucoup. En outre, je me
rendais bien compte des avantages tactiques et stratégiques de la
position... J'ai retraduit les Commentaires que Jules César a
écrits sur la guerre des Gaules vers l'an 52 avant J.C. et j'en suis
arrivé à la conclusion formelle que Bibracte, capitale de notre pays
éduen, n'était pas au Mont-Beuvray, mais au Mont-St-Vincent...
...La bataille d'Alésia, telle que je l'ai reconstituée, les champs
de bataille que j'ai découverts, les théories bien assises que
j'ébranle, les horizons fabuleux que j'ouvre, tout cela, on ne veut pas
le voir ni en parler. On ne prend en considération que ma contestation
de Bibracte au Mont-Beuvray...
...Mesdames et messieurs, je vous invite à grimper avec moi par la
pensée, jusque sur le sommet de la colline de Sanvignes. Dans la plaine
de Montceau, dans ce couloir de la Dheune au relief peu accentué, la
colline de Sanvignes se dresse un peu comme un cône, magnifique poste
d'observation.
Du haut de cette hauteur, portons notre regard en direction de la
Suisse. 368 000 Helvètes avaient quitté leur patrie pour émigrer. Avec
leurs très nombreux chariots, ils se dirigeaient vers le pays des
Eduens.
Ils s'arrêtèrent au pied d'un mont. Stoffel et Jullian ont pensé à
la colline de Sanvignes. Et comme par hasard, ils sont tombés juste.
C'est ici, à Sanvignes, qu'il faut bien comprendre le déplacement de
la migration. Il est absurde de croire que les Helvètes aient coupé au
plus court à travers les monts du Chalonnais. Il est évident qu'ils ont
remonté la vallée de la Saône, puis celle de la Dheune. Ils
progressaient par des étapes d'environ 15 km, d'un point de
ravitaillement à un autre, d'un oppidum éduen à un autre oppidum éduen,
d'une station à une autre station. Migrants pacifiques, ils
bivouaquaient au pied de ces oppidum et achetaient leur ravitaillement
aux Eduens qui s'y trouvaient. Chaque journée de marche était
certainement suivie d'une journée de repos.
Les Helvètes au pied de l'oppidum de Sanvignes, c'est bon, c'est logique.
Quant à César, il faut bien comprendre qu'il poursuivait les
Helvètes en se déplaçant de position défensive en position défensive.
César sur le point fort de l'oppidum de Gourdon, c'est bon, c'est
logique. Entre Sanvignes et Gourdon, il y a 11 km 800. Entre les camps
helvètes et les camps romains, César écrit dans ses Commentaires
qu'il y avait une distance de 11 km 800 : il y a concordance. Bref, il
ne peut y avoir aucun doute sur ce point : lors de leur avant-dernier
camp avant la bataille, les Helvètes se trouvaient à Sanvignes, César se
trouvait à Gourdon.
Le Commandant Stoffel voit ensuite les Helvètes se diriger vers
l'Arroux. Il a raison. La direction de marche des Helvètes n'a pas
changé. Mais c'est à l'Arroux que sa théorie devient complètement
incohérente. Normalement, il aurait dû arrêter les Helvètes au pied de
la hauteur de Toulon-sur-Arroux, comme il les avaient fait s'arrêter
auparavant au pied de la hauteur de Sanvignes. Une distance d'environ 15
km sépare ces deux points. C'est une étape normale et maximum pour des
femmes et des enfants qui marchent à pied. On sait que les légionnaires
romains pouvaient faire des étapes de 30 km ; aujourd'hui, nos soldats
entraînés font la même chose. Mais dans leurs premiers mois
d'instruction, nos recrues du Service des essences ne faisaient pas plus
de 20 km à la fois. 15 km avec des femmes et des enfants, c'est un
maximum...
Première erreur de la thèse Stoffel : il fait franchir l'Arroux aux
Helvètes... On dirait qu'il ne se rappelle plus les problèmes que le
défilé du Jura avait posés aux Helvètes : un seul chariot pouvait à
peine passer. Il ne se souvient plus de leur désastre quand ils ont
franchi la Saône. Il a oublié la lenteur de leur progression de la Saône
à Sanvignes. Dans son désir de prouver, face à ses détracteurs d'Autun,
que Bibracte est au Mont-Beuvray, Stoffel franchit l'Arroux. Il
s'engage dans une région sauvage et montagneuse. Il s'en va, tout seul,
sur les mauvais chemins qui mènent à Montmort...
...Quatrième erreur de la thèse Stoffel... dans sa théorie, tous ces
chariots auraient fait un demi-tour en marchant tout en obliquant pour
se rendre au mont Beuvray, c'est impossible... il fallait comprendre
que : les Helvètes, le plan de mouvement ayant été modifié en
conseil (commutato consilio), décidèrent (durant la nuit évidemment)
d'inverser leur cheminement (itinere converso). Il s'ensuit donc
que les Helvètes n'ont pas fait un demi-tour absurde en marchant et
qu'ils n'ont pas livré bataille contre César dans les montagnes de
Montmort. C'est au départ de leur camp de Toulon-sur-Arroux, qu'ils sont
revenus vers l'est, alors que la veille, il marchait en direction de
l'ouest...
...Les Helvètes n'ont pas franchi la rivière. Venant de Sanvignes,
et après avoir parcouru une distance raisonnable de 15 km, ils se sont
arrêtés au pied de l'oppidum de Toulon-sur-Arroux, de la même façon
qu'ils s'étaient arrêtés au pied de l'oppidum de Sanvignes. César est à 4
km 400 du camp helvète...
...Lorsque César écrit dans ses Commentaires qu'il voulait
se rendre à Bibracte qui ne se trouvait pas à plus de 27 km de sa
position, il fallait comprendre, mesdames et messieurs, à 27 km du
Mont-St-Vincent et non à 27 km du Mont-Beuvray.
Ce n'est donc pas en allant de Toulon-sur-Arroux vers le
Mont-Beuvray qu'il faut rechercher le champ de bataille des Helvètes,
c'est en allant de Toulon-sur-Arroux vers le Mont-St-Vincent. Ce champ
de bataille, il se trouve au pied de la colline de Sanvignes. Le terrain
s'accorde parfaitement avec le texte des Commentaires.
Ce champ de bataille de Sanvignes a été le théâtre de deux actions de combat.
Première action de combat : un coup de main manqué que César a tenté
sur les camps des Helvètes, le matin de leur départ de Sanvignes vers
Toulon-sur-Arroux — itinéraire aller.
Deuxième action de combat : cette fameuse bataille entre les
Helvètes et les Romains lorsque quittant l'Arroux et Toulon-sur-Arroux,
les deux armées revinrent sur leurs pas — itinéraire retour...
Voici ci-dessus le dispositif de César pour le coup de main manqué. Voici les noms de baptême qu'il a donnés au terrain...
Voici ci-dessous le dispositif de César pour la bataille. Voici les
noms de baptême qu'il a donnés au terrain. Ce sont les mêmes. Mons, c'est la colline de Sanvignes, proximus collis, c'est le mont Maillot.
Il y a concordance. Comme c'est écrit dans les Commentaires
— itinere converso, le cheminement ayant été inversé — César et les
Helvètes sont revenus sur leurs pas. Ils ont fait demi-tour, Ils
tournaient le dos au Mont-Beuvray. Ils marchaient en direction du
Mont-St-Vincent… Bibracte.
Après avoir réétudiée, une fois de plus, cette fameuse bataille pour
les besoins de cette causerie, je me demande si César a vraiment gagné
sur le plan militaire comme il le dit.
J'ai expliqué dans mon ouvrage l'habile manœuvre de César, la nasse
dans laquelle il espérait écraser les Helvètes, en les rejettant dans
les fonds et en les prenant en tenaille (croquis ci-dessous).
J'ai expliqué la non moins habile manœuvre des Helvètes qui ont
balayé sans difficulté les légions du mont de Sanvignes en les prenant
par derrière et en s'y installant. Dans une position défavorable,
dominées par ceux qu'elles poursuivaient, violemment attaquées sur leur
flanc gauche, les lignes de bataille romaines se trouvaient dans une
position particulièrement critique. (croquis ci-dessous).
Pris à partie sur deux fronts et peut-être plus, presque totalement
encerclé dans un fond de terrain et alors que la nuit tombait, j'affirme
que César était perdu et qu'il n'a trouvé son salut que par un coup de
génie.
Ce coup de génie, c'était une action/coup de poing. Perdu pour
perdu, il a lancé sa deuxième ligne de bataille à l'assaut des femmes et
des enfants qui se trouvaient en attente avec leurs chariots à
Dornand.
En entendant les cris de leurs femmes et de leurs enfants que les
Romains égorgeaient, les Helvètes cessèrent le combat. Ils n'avaient
failli ni à l'honneur, ni à la gloire.
Au premier chapitre des manuels scolaires suisses, figure la bataille des Helvètes. Je dédie cette causerie à leur mémoire.
(1993, cela va faire bientôt vingt ans.) (son site)
Pour une explication plus détaillée :
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