Au troisième siècle avant Jésus Christ, Rome n’était qu’une
puissance terrestre, dont l’ambition territoriale semblait limitée à la
péninsule italienne. Elle avait étendu sa domination par des annexions
ou des alliances avec les peuples du centre de cette péninsule, qui
exception faite des Étrusques, lui étaient très proches par leur langue,
leur religion, leur culture.
Limitée au nord par les Gaulois installés dans la plaine du Pô,
l’avancée vers le Sud s’était réalisée par un système d’alliances avec
les cités grecques qui occupaient le terrain depuis l’époque archaïque.
C’est à l’extrême Sud, au détroit de Messine, qu’elle se heurte à
Carthage qui domine tout l’ouest de la Sicile, l’Est étant resté aux
Grecs.
Dès la fin de la première guerre contre Carthage, qui va durer
vingt-trois ans de 264 à 241 avant Jésus Christ, même victorieuse, Rome
ne peut se permettre la même politique qu’auparavant. Militairement,
elle s’est emparée d’un site stratégique vital pour l’empire
carthaginois dont la métropole est intacte, entraînant un conflit
ultérieur qui ne se terminera que 120 ans plus tard par l’anéantissement
de Carthage en 146 avant JC.
Politiquement aussi : elle avait jusqu’alors rallié de gré ou de
force des peuples voisins avec leur terre, là elle a conquis une terre
plus lointaine dont elle ne peut s’allier les hommes sans risque. C’est
ainsi que Rome a commencé à bâtir son empire, au sens où on l’entend
actuellement.
I. Rome et Carthage, les origines d’un long conflit
Carthage était un empire maritime. Fondée par les Phéniciens du Moyen
Orient au IXe siècle avant JC (- 814) peuple sémite, elle possédait de
nombreux comptoirs dans toute la Méditerranée. Elle y régnait en maître,
et contrôlait le trafic maritime jusqu’aux colonnes d’Hercule,
actuellement Gibraltar. Sa domination sur la Sicile, tête de pont entre
le Sud de l’Europe et le Nord de l’Afrique lui assurait le contrôle du
passage entre la Méditerranée orientale et occidentale.
Tirant sa richesse de la mer, jusqu’alors ses principaux ennemis
avaient été les Grecs, ou du moins ceux dont les colonies étaient des
comptoirs marchands à savoir les Phocéens installés à Massalia
(Marseille), Alalia (Aléria), Empuria (actuel Emporia Brava), avec
lesquels la concurrence était rude. En 535 avant JC, ils avaient chassé
les Phocéens d’Alalia en Corse, avec l’aides des Etrusques. Les Grecs
occupaient le Sud de la péninsule italienne (appelée la Grande Grèce) et
l’Est de la Sicile où leur arrivée remontait à l’époque archaïque.
Politiquement, c’est une nation très bien organisée, d’après de nombreux auteurs anciens dont Aristote, « les Carthaginois passent pour être bien gouvernés, leur constitution est à beaucoup d’égards supérieure à la nôtre ». Carthage était même passée d’un mode de gouvernement monarchique à un mode démocratique.
Mais ses possessions en Afrique du Nord (actuelle Tunisie), sur la
côte sud de l’Espagne, l’actuelle Andalousie (Gadès aujourd’hui Cadix)
précieuse pour ses métaux, et surtout la côte ouest de la Sicile, la
Sardaigne et quelques comptoirs en Corse en faisait aussi une puissance
terrestre.
Toutes ces possessions faisaient face à la péninsule italienne.
Rome était à l’époque une puissance terrestre en expansion.
Rome était restée avant tout une cité-Etat même si cette cité avait
fini par chapeauter toute l’Italie centrale, par un système politique
très complexe. Elle avait commencé à fédérer autour d’elle, les cités
voisines du Latium, visiblement dans le but de constituer un ensemble
géographique cohérent. Ce fut l’instauration du synœcisme. On
distinguait trois catégories de citoyens :
- Les citoyens romains des origines qui participaient pleinement à la démocratie.
- Autour de ce noyau romain, on trouve les Latins. Ce sont des peuples qui ont une origine proche, tant par leur langue (italique, indo-européenne) que par leur religion. Les Latins, les Sabins, les Ombriens, les Volsques… Et les Étrusques, co-fondateur de Rome bien que d’origine différente (à l’heure actuelle, la question se pose encore de savoir s’ils étaient autochtones ou d’origine asiatique encore que cette hypothèse semble l’emporter). Ils étaient les citoyens romains, mais certains étaient des civitas sine suffragio, étaient citoyens mais privés du droit de vote. Cette différence pouvait venir des conditions d’où était venue l’alliance avec Rome. Soit ils avaient accepté l’alliance sans avoir combattu soit ils avaient tenté de résister et perdu. Mais pas toujours. Souvent c’était d’ailleurs ceux dont le territoire était plus éloigné de Rome. L’ager romanus occupe à peu près 1/5 Italie actuelle. Ils avaient le droit de se marier avec des citoyens romains.
- Les citoyens romains des origines qui participaient pleinement à la démocratie.
- Autour de ce noyau romain, on trouve les Latins. Ce sont des peuples qui ont une origine proche, tant par leur langue (italique, indo-européenne) que par leur religion. Les Latins, les Sabins, les Ombriens, les Volsques… Et les Étrusques, co-fondateur de Rome bien que d’origine différente (à l’heure actuelle, la question se pose encore de savoir s’ils étaient autochtones ou d’origine asiatique encore que cette hypothèse semble l’emporter). Ils étaient les citoyens romains, mais certains étaient des civitas sine suffragio, étaient citoyens mais privés du droit de vote. Cette différence pouvait venir des conditions d’où était venue l’alliance avec Rome. Soit ils avaient accepté l’alliance sans avoir combattu soit ils avaient tenté de résister et perdu. Mais pas toujours. Souvent c’était d’ailleurs ceux dont le territoire était plus éloigné de Rome. L’ager romanus occupe à peu près 1/5 Italie actuelle. Ils avaient le droit de se marier avec des citoyens romains.
Rome avait aussi des « alliés », des cités plus lointaines, où elle
avait implanté des colons, qui perdaient leur citoyenneté romaine en
échange de terres… Les « alliances » ayant été obtenues soit par la
force (victoire militaire), soit par reddition sans combats. Ces cités
devaient participer à l’effort de guerre et à la contribution
financière, mais n’avaient pas le droit de vote donc aucun pouvoir
décisionnel. Elles avaient gardé une certaine autonomie. Elles formaient
un ensemble terrestre cohérent.
C’est avec la Sicile se rompt l’amitié avec Carthage.
Rome dominait toute la péninsule sauf la plaine du Pô. Cet espace,
très riche, était occupé par les Gaulois qui avaient posé de gros
problèmes au IVe siècle avant JC. Le célèbre épisode du chef gaulois
Brennus, qui avait opposé aux tentatives romaines de négocier le montant
du tribut du après un raid victorieux un tonitruant « malheur aux
vaincus » est resté dans la légende. La conquête de la Cisalpine
gauloise à l’époque n’était pas encore garantie.
Au Sud les Grecs contrôlaient au départ toute la partie méridionale
de l’Italie, la Grande Grèce et l’Est de la Sicile. Rome avait commencé à
étendre son influence vers le Sud en obligeant les Grecs à des
alliances. En 272 avant JC, avait eu lieu le siège de Tarente, sa
capitulation, puis en 266 avant JC, celle des Sallentins et les
Messapiens. Ces cités et ces peuples bénéficiaient de la protection
romaine, mais avaient gardé une certaine autonomie.
Les historiens sont très partagés sur la raison pour laquelle Rome
est passée « outre-mer ». La Sicile, quoique proche malgré une
séparation maritime, lui était un territoire complètement étranger. Elle
était occupée de surcroît par deux peuples amis, les Grecs et les
Carthaginois, rivaux entre eux.
On peut supposer qu’il y avait la nécessité d’acquérir de nouvelles
terres cultivables, Rome n’ayant pas encore conquis la riche plaine du
Pô, car la Sicile était un grenier à blé. A moins qu’il ne se soit agit
du désir d’abaisser la puissance carthaginoise en vertu d’un principe
maintes fois prêté aux Romains : « si tu veux la paix, prépare la
guerre ».
En effet, la rivalité séculaire entre les Carthaginois et les Grecs
avait amené une alliance objective entre Rome et Carthage depuis les
Étrusques. Ils avaient conclu des traités d’alliance, le premier daté de
509 avant JC (d’après Polybe), puis en 348 avant JC d’après Diodore et
Tite Live, en 306 et 278 avant JC cités par Tite Live. Les premiers
étaient favorables à Carthage, le dernier plus favorable à Rome.
C’est Rome qui a ouvert les hostilités sous un prétexte apparemment futile.
II. La première guerre punique dite « guerre de Sicile »
Ce fut le détroit de Messine qui servit de casus belli.
Rome, puissance terrestre, n’avait pas jusqu’alors tenté de conquêtes
« outre-mer ». Suite à divers conflits localisés elle avait pris
cependant pied à Reghium (actuel Reggio di Calabre), face à Messine.
Messine était dans la zone contrôlée par les Grecs, mais des mercenaires
latins, les « Mamertins » (dont le nom vient du culte de Mars), en
avaient pris possession par la force.
Devant leur comportement agressif à l’encontre du voisinage, Hiéron
tyran de Syracuse mit le siège devant Messine. Ils en appelèrent donc à
Carthage encore alliée de Rome et qui répondit immédiatement. Mais ils
en appelèrent également à Rome (étant eux-même Campaniens). Le Sénat
hésita car le traité de 306 avant JC prévoyait de ne pas concurrencer la
présence carthaginoise en Sicile. Mais l’affaire portée devant le
peuple par le Tribun de la Plèbe amena une décision en faveur des
Mamertins. Prudente Rome envoya des « conseillers » aux Mamertins. Ils
devaient aider à trouver un accord, en fait il donnèrent des conseils
aux Mamertins pour se débarrasser de leurs alliés carthaginois devenus
importuns.
Devant ce qu’elle considéra comme une rupture d’alliance, donc une
déclaration de guerre, Carthage s’allia alors au tyran de Syracuse. Mais
celui-ci privilégia l’alliance romaine. C’était en 264 avant JC, et
c’est ainsi que commença la première Guerre Punique.
La victoire romaine fut difficile, la guerre dura de 264 à 241 avant JC.
Rome et Syracuse tentèrent de s’emparer de la Sicile occidentale,
Carthage avec sa flotte menaçait les côtes italiennes. Rome qui avait
déjà commencé à se constituer une flotte a dû fournir un immense effort
pour se hisser au niveau de Carthage. Elle connut d’abord de nombreux
déboires dont une défaite à Drépane en 249 avant JC, en tentant de
s’emparer de la Sicile occidentale. Il existe une légende qui prétend
que les Romains auraient construit 120 bateaux en 60 jours, à partir
d’un navire carthaginois échoué. Leur volonté de vaincre les amena à
trouver un moyen d’aborder les navires ennemis (technique du corbeau
citée par Polybe) de façon à éviter le combat naval pour le remplacer
par un combat de fantassins sur les ponts des navires. Malgré tout, elle
remporta, presque par miracle, une victoire navale inespérée aux îles
Égades en 241 avant JC. Les Carthaginois demandèrent la paix. Ils durent
céder la partie de la Sicile qu’ils contrôlaient et payer un tribut.
Ce qui ressort de cette guerre, c’est que Rome a fini par l’emporter
par une victoire inattendue, et surtout une victoire navale. La guerre
l’a obligée à avoir une flotte, elle lui a resservi souvent après.
En Sicile, les cités « libres » (grecques) qui avaient soutenu Rome
furent récompensées par une immunité de prélèvements, et il fut conclue
une alliance avec Syracuse. L’est de l’île reste grecque.
Par contre pour la partie carthaginoise, après sa victoire, Rome fut
amenée à concevoir un autre mode d’organisation. Jusqu’alors elle avait
soumis l’intégralité des territoires des cités libres à son autorité,
souvent en ralliant l’élite à sa cause par l’octroi de la citoyenneté
romaine. Jusqu’à présent les Alliés devaient payer un tribut et surtout
envoyer des hommes pour soutenir l’effort de guerre.
Or il était évident que Carthage restait potentiellement dangereuse
et Rome ne pouvait donc faire confiance aux Phéniciens de Sicile. Elle
avait eu parfois à déplorer des défections chez ses alliés. Les
anciennes recettes d’assimilation, applicables à des hommes libres ne
pouvaient s’appliquer, la Sicile était composée de grandes propriétés
sur lesquelles ont trouvait de nombreux esclaves. Pour la Sicile
carthaginoise, cette organisation préexistante, même très différente de
celle de Rome, pouvait être reprise sous réserve de concevoir un statut
particulier : la Province.
Ce qui fut fait et se fera par la suite après chaque conquête, même
sur le sol italien comme en Cisalpine, bien que ce territoire devint
Romain avant les autres par la suite. Il semble qu’il y ait eu à ce
moment ce moment, une distinction entre l’Italie et le reste du Monde.
III. La Sicile devint la première province du futur empire romain
La Province, stricto sensu est la « sphère d’activité d’un
magistrat ». Dans la république romaine, un magistrat avait en charge un
domaine, jusqu’alors une activité. Là, en Sicile, le Magistrat était le
gouverneur envoyé par Rome afin de faire appliquer les décisions prises
au Sénat. Il était le seul à détenir l’autorité de Rome, l’imperium. Il
avait le pouvoir civil, militaire, judiciaire et pratiquement pas de
contrôle, Rome était trop éloignée. Il y eut aussi très peu de
fonctionnaires, les magistrats étaient envoyés pour un an. Du fait de
l’éloignement, ils purent gouverner de façon autocratique. Il ne fut
concédé aucun statut aux provinciaux.
Les gouverneurs devinrent souvent très riches au détriment des
assujettis et leur attitude fut souvent concussionnaire. Rome préleva de
lourds tributs sur l’île sous forme de production agricole, droits de
douane.. Une partie des terres fut confisquée et louée. La Sicile devint
le grenier à blé de Rome et ses productions virent concurrencer celles
produites en Italie continentale.
Les produits agricoles de Sicile furent en concurrence directe avec
ceux d’Italie continentale. La richesse ainsi procurée aux riches
Romains qui s’y accaparèrent de grandes terres en Sicile (les latifundias)
ainsi qu’aux riches négociants, combinée aux désastres causés par la
guerre chez les citoyens romains plus modestes, contribuèrent à aggraver
le clivage entre l’élite romaine et le peuple.
La Sardaigne fut quant à elle, l’objet de la deuxième guerre punique.
Les rapports avec Carthage s’étaient améliorés après la première
guerre punique, une paix avait été conclue en 241 avant JC, la paix de
Lutatius Catulus. Mais, profitant de la faiblesse de Carthage, Rome ne
tarda pas à pousser son avantage.
Carthage étendait sa domination sur la Sardaigne et la Corse. Rome
l’accusa de menacer ses côtes juste en face, et annexa la Sardaigne en
237 avant JC, puis la Corse. La Sardaigne présentait un avantage
stratégique au milieu de la Méditerranée, économique aussi (c’était
aussi une terre à blé) mais de surcroît, couverte de forêts elle pouvait
fournir le bois nécessaire à la construction des navires. Il semblerait
que Rome, dès son passage outre-mer, était bien décidée à continuer à
s’étendre.
Hamilcar, à la tête de Carthage décida de s’étendre en Espagne afin
de reconstituer une partie de sa puissance. En 218 avant JC, son fils,
Hannibal reprit les hostilités. Il mit pied en Europe – à dos d’éléphant
selon la légende – et franchit ainsi les Alpes vers l’Italie. Il
espérait jouer des frustrations occasionnées chez les Alliés de Rome
entre citoyens selon qu’ils soient ou non de plein droit. Certaines
villes comme Capoue trahirent Rome, qui échappa de peu à la défaite.
Hannibal n’osa pas attaquer la ville de Rome elle même mais la menace
fut à un moment pressante. Le noyau central des cités entourant Rome
tint bon et resta fidèle. Ainsi Hannibal, resté quinze ans sur la
péninsule romaine et malgré des succès notoires ( le Tessin en –218, de
La Trébie en –217, du Lac Trasimène également en –217, et de Cannes en
–216), dut malgré tout repartir sans avoir vaincu Rome. Carthage fut
amenée à conclure un traité très dur en faveur de Rome en 201 avant JC
après la victoire de Zama en -202 remportée par Scipion devenu de ce
fait Scipion l’Africain.
IV. La bataille de Zama
Rome s’empara d’une partie de l’Espagne après la deuxième guerre punique.
On ignore s’il y a eu volonté dominatrice au départ où si l’Empire
est né du hasard de l’extension à l’infini des possessions. Ce qui est
sûr c’est qu’au départ, le mot Empire pour qualifier Rome renvoie à une
notion géographique. Rome était encore ne l’oublions pas une République
quand commença les premiers assujettissements de peuples plus lointains
que les métropolitains.
Quoiqu’il en soit, la première Guerre Punique, suivie d’une attitude
que nous qualifierions aujourd’hui d’ »impérialiste », provoqua la
deuxième Guerre Punique qui failli lui être fatale. Hannibal avait
pénétré en Italie, y était resté plusieurs années et le lent travail de
Rome pour unifier l’Italie a bien failli être anéanti. Parce qu’elle ne
l’a pas été, et qu’elle a éliminé militairement la puissance dominante
de l’époque, Carthage, et mis en oeuvre un processus de gouvernement
adapté à la gestion pragmatique de ses conquêtes, Rome avait désormais
les mains libres pour conquérir le reste du monde méditerranéen.
On peut considérer que c’est la conquête de la Sicile carthaginoise
qui a marqué une rupture dans la politique romaine, autant par la fin de
l’ alliance carthaginoise que par le nouveau mode d’organisation choisi
pour établir son autorité sur les vaincus. Rupture également par une
extension au delà de la Mer de ses prétentions territoriales. La cité
état des origines commençait à se comporter en grande puissance. Avec
toutes les conséquences induites. Quand Rome a attaqué Carthage, l’issue
du combat n’était en rien acquise. Parce qu’elle a su s’adapter à
l’adversaire pour le battre sur son propre terrain, la Mer, parce
qu’elle a compris dès la victoire acquise qu’il lui fallait poser les
bases de la colonisation, la République romaine a généré une autre
société beaucoup plus inégalitaire qui la conduisit à l’Empire.
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