jeudi 2 mai 2013

Réflexions sur la Révolution de Charles Maurras

Lorsque Charles Maurras se lance dans la vie publique et commence à mûrir sa pensée politique, cela fait juste cent ans que la Révolution a éclaté. En 1889, il atteint vingt et un ans, il vote pour la première fois, et c'est pour un candidat boulangiste, le juif Alfred Naquet !
Au cours du siècle écoulé, la critique de la Révolution a été faite par les penseurs les plus divers. Les uns, Joseph de Maistre, Louis de Bonald, se placent d'un point de vue principalement religieux, et opposent les vérités de la Foi à la "Raison" déifiée par les révolutionnaires. D'autres adoptent un point de vue positiviste, tels Auguste Comte et Ernest Renan. D'autres encore, comme le sociologue Frédéric Le Play et l'historien Hippolyte Taine, s'attachent empiriquement à analyser les faits, leurs causes et les conséquences
La synthèse
Charles Maurras réalise la synthèse de ces divers courants. Il écarte les préoccupations métaphysiques. Son souci est de trouver une base d'accord entre tous les Français sur un événement – la Révolution – qui a engendré de profondes divisions dans le pays. Maurras adopte la méthode de Taine qui, le premier, a étudié la Révolution d'une façon scientifique.
La pensée de Maurras sur la Révolution est particulièrement développée dans ses Réflexions sur la Révolution de 1789 parues en 1948 aux Éditions des Îles d'Or. Chez le même éditeur Maurras a publié un autre ouvrage très dense, L'Ordre et le Désordre, les idées positives et la Révolution, dont cette rubrique a déjà traité (cf. A.F. 2000 du 28 juillet 2005).
Recherchant les causes de la Révolution, Maurras dénonce le mouvement des "Lumières" qui s'est développé au cours du XVIIIe siècle et qui a gagné progressivement toutes les élites de la société d'Ancien Régime. Il dénonce les « idées suisses » développées par « le misérable Rousseau ». Il observe au XVIIIe siècle une défaillance de l'intelligence française qui rejette alors les traditions, les valeurs qui font la force des sociétés et qui vont être balayées par un individualisme sans frein, ferment d'anarchie.
La défaillance de l'autorité
Les hommes du XVIIIe siècle ont été grisés par les progrès des connaissances et se sont laissés emporter par leur orgueil en envoyant promener les cadres intellectuels qui avaient jusqu'alors gouverné la pensée.
Maurras souligne le rôle de la franc-maçonnerie et celui des sociétés de pensée, ce dernier mis en lumière par Augustin Cochin (cf. L'A.F. 2000 du 3 février 2005). Il ne sous-estime pas non plus le rôle de l'Angleterre et des agitateurs à sa solde.
Cependant, il s'attache surtout à analyser le comportement de l'autorité face à cette entreprise subversive. Cette autorité a été défaillante. Louis XVI était lucide et plein de bonne volonté, mais il n'a pas fait son métier de Roi. Il était en effet contaminé par les idées nouvelles. Face à la subversion, il ne faut pas hésiter à user de la force, même si l'on doit faire quelques victimes. En saisissant les occasions favorables pour faire preuve d'énergie – elles se sont présentées – Louis XVI aurait sauvé et la France et son trône.
Ainsi, si la Révolution l'a emporté, « la cause fut intellectuelle et morale. L'anarchie triompha parce qu'elle était convaincue qu'elle était le vrai, le juste, le beau ; l'autorité tomba parce qu'elle professait sur l'anarchie les opinions de l'anarchie... »
À la décharge de Louis XVI, on peut avancer que le malheureux roi – dont Maurras célèbre les éminentes qualités morales – n'a guère trouvé de soutien autour de lui. Il a été trahi de toutes parts. Les idées nouvelles avaient pénétré l'esprit de la plupart des élites et il n'existait pas – en dehors de quelques écrivains – de courant intellectuel sur lequel le Roi eût pu s'appuyer.
Maurras montre, après Taine, qu'il y a un enchaînement logique dans les différentes phases de la Révolution et il revient souvent sur cette idée. Un engrenage a entraîné la France, en l'espace de dix ans, de 1789 à 1799, de l'anarchie libérale au despotisme napoléonien, en passant par la Terreur. « De l'individualisme absolu à l'État absolu, la chaîne est logique », écrit-il. Au nom d'une liberté abstraite et de la souveraineté de l'individu, l'État révolutionnaire va combattre les libertés concrètes. Il veut en effet créer un homme nouveau, une nouvelle société à base d'individualisme. Il en viendra ainsi à vouloir exterminer tous ceux qui restent marqués par l'ordre ancien, et même ceux qui n'en sont que suspects.
Des "patriotes" cosmopolites
Maurras passe en revue les principaux événements de la période 1789-1791 et leur donne leur signification profonde : le vote du 23 juin instituant le vote par tête au lieu de la tradition du vote par groupes : la représentation populaire change alors de nature. Le 14 juillet, en abattant la Bastille on a abattu les défenses de l'État, sans pour autant supprimer l'arbitraire. La folle nuit du 4 août s’est déroulée aux dépens du tiers-état, plus encore que de la noblesse et du haut-clergé par suite de la disparition des libertés collectives. La perte des libertés professionnelles a entraîné le règne de l'or et l'oppression des ouvriers. Le 26 août, la Déclaration des Droits de l'Homme fut l'affirmation d'un « droit divin de l'individu ».
Maurras critique aussi la conception que les jacobins ont du patriotisme. Pour eux, l'appartenance à la patrie repose sur la seule volonté des citoyens ; elle tend ainsi à se confondre avec l'adhésion à une idéologie. La Révolution était au fond cosmopolite.
Maurras tire en fin de compte un bilan largement négatif de la Révolution. Elle a conduit à la guerre civile et à vingt-trois ans de guerre étrangère qui ont saigné le pays. Dans l'ordre politique et moral, elle a été désastreuse. Les idées révolutionnaires imprègnent encore l'enseignement, les grands médias et la législation. Elles ont pénétré chez beaucoup de gens de "droite" qui n'osent les combattre. Mais pour Maurras « toutes les espérances flottent sur le navire d'une contrerévolution » (Pour un jeune Français).
Pierre PUJO L’Action Française 2000 du 6 au 19 octobre 2005
* Éd. des Îles d'or, 1948

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