jeudi 2 mai 2013

Les Fêtes celtiques et les trois fonctions

Nous prendrons pour point de départ les quatre fêtes canoniques irlandaises telles qu’elles sont énumérées et décrites dans les textes médiévaux :
Samain (« réunion, assemblée ») au premier novembre ;
Imbolc (« lustration ») au premier février ;
Beltaine (« feu de Bel ») au premier mai ;
Lugnasad (« réunion de Lug ») au premier août.
Il importe de remarquer que ces quatre fêtes ne portent pas d’autre nom, que leur nom est limité à l’Irlande sans être transposable à une quelconque fête continentale et qu’il n’y a aucun terme spécialisé en irlandais pour désigner la « fête » proprement dite. Le terme usuel, irlandais féil, gallois gwyl, breton gouel, est un emprunt au latin vigilia et ne sert à désigner que la fête d’un saint dans le calendrier liturgique chrétien. Pour les fêtes profanes, il faut se contenter de l’irlandais feasta et du breton fest (qui sont des emprunts, direct ou indirect, par l’intermédiaire de l’anglais, au vieux français feste). Le gallois a un autre mot : gwledd « banquet ».
Nous vous renvoyons, quant à la description générale, à tout ce qui a été dit dans Les Druides (éd. 1986, p. 231-262) et dans La Civilisation celtique (éd. 1990, p. 160-163) et dans Les fêtes celtiques (éd. 1995). La répétition serait superflue. Mais nous insisterons ici sur l’aspect trifonctionnel des quatre fêtes celtiques lequel est très clairement implicite.
Samain, au 1er novembre, marque le début de la saison sombre, clôt la période d’activité militaire et marque le début de l’année. C’est la fête collective de toute l’Irlande puisque la présence de chacun est obligatoire sous peine de mort ou de sanction grave. Elle est l’occasion de cérémonies religieuses et officielles mais le principal moment en est un banquet auquel participent toutes les classes de la société. N’appartenant, ni à l’année qui se termine ni à celle qui commence, Samain est en dehors du temps chronologique et se situe de ce fait dans le mythe, sans idée de durée, c’est-à-dire en réalité dans l’éternité: des événements mythiques se produisent sans interruption ni discontinuité d’une Samain à l’autre, ce qui explique que les gens du sid puissent intervenir dans les affaires humaines ou laisser des hommes pénétrer dans le sid, voire les y inviter ou les y emmener. Avec la participation des druides, de la flaith ou noblesse guerrière et des gens du peuple, la fête est explicitement totale et trifonctionnelle. Elle a été remplacée dans le calendrier chrétien par la Toussaint et la fête des morts. C’est la seule fête celtique dont nous ayons la dénomination gauloise correspondante: Samonios dans le calendrier de Coligny. Le sens étymologique du nom est « réunion ».
Imbolc est, au 1er février, en dépit de tentatives étymologiques aberrantes, la fête de la « lustration » après toutes les souillures de l’hiver. Elle est très peu attestée dans les textes parce qu’elle a pratiquement disparu pour être remplacée par l’immense folklore de sainte Brigit, comprise en cette occurrence comme l’accoucheuse de la Vierge. Elle correspond aux Lupercales latines ou fêtes de février. C’est typiquement la fête de la troisième fonction productrice et artisanale. 
Beltaine « feu de Bel » est, au 1er mai, la fête du feu et des maîtres du feu et des éléments atmosphériques, les druides. Fête sacerdotale par excellence, elle indique le début de la saison claire et aussi le commencement de l’activité guerrière. Il n’y a pas d’équivalence continentale attestée mais, dans toute l’Europe, y compris l’ancien domaine celtique, le folklore de mai est immense et varié. C’est surtout celui qui a été le plus difficilement christianisé.
Lugnasad ou «assemblée de Lug» est, au 1er août, la fête royale par définition intrinsèque, en particulier celle du roi régulateur et « centre » de la société humaine. Cela explique les jeux, les concours de poésie et les assemblées de toutes sortes qui en marquent le déroulement. Mais le roi est toujours et en toutes circonstances, en tant que détenteur du pouvoir politique, le représentant le plus éminent de la classe guerrière. Le folklore a fait de Lugnasad une fête agraire à cause de sa position dans le calendrier mais c’est un glissement tardif et l’attribution à Lug de la fête résulte de sa position centrale dans le calendrier. L’équivalent gaulois, récupéré par la politique romaine du début de l’Empire, porte le nom latin de Concilium Galliarum ou « assemblée des Gaules ». 
Ces quatre fêtes ont en commun d’être décalées de quarante à quarante-cinq jours sur la date calendaire normale. Deux d’entre elles, Samain et Belteine, comportent des sacrifices et des cérémonies religieuses en même temps que des assemblées administratives et politiques. Elles ont toutes survécu et laissé des traces importantes dans le folklore irlandais. Samain a été récupérée par l’Église pour la fête des morts et de la Toussaint, cependant que le folklore de mai est resté très important dans toute l’Europe occidentale.
Pour aller plus loin :
1
• Christian-J. Guyonvarc’h et Françoise Le Roux, Les fêtes celtiques, Ouest France, 1995
2
• Philippe Walter, Mythologies chrétiennes, Imago, 2003.

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