Les Etats-Unis, premier pays à accéder à la démocratie au
XVIIIe siècle, inaugurèrent une de ses déclinaisons un peu particulière
au travers du gouvernement des villes, du milieu du XIXe siècle jusqu’au
milieu du XXe, ce qu’on appela les « political machines ».
Ce système, issu d’un usage primaire de la démocratie, était adapté
aux besoins non moins primaires des nouveaux Immigrants. Si les pères
fondateurs étaient arrivés pour des raisons religieuses, ceux du XIXe
étaient plutôt poussés par la misère et la famine vers l’Amérique.
Devenant rapidement citoyens et électeurs, ils s’attiraient les
attentions intéressées des partis politiques qui voulaient gouverner les
villes. Aidés et secourus par des associations caritatives liées à ces
même partis, ils fournissaient en retour les bataillons électoraux
nécessaires pour leur assurer la pérennité du pouvoir. La machine
électorale ne recherchait pas la victoire d’un maire pour
l’accomplissement d’un projet politique déterminé mais avait pour seule
ambition sa propre survie afin de fournir toutes sortes de prébendes à
sa clientèle. On était loin des aspirations politiques des aristocrates
puritains de la Nouvelle Angleterre, inventeurs de la démocratie
américaine.
Cette pratique discutable fut essentiellement le fait du Parti
Démocrate qui s’en fit une spécialité. Le parti Républicain n’y a eu
recours qu’exceptionnellement. L’enfer étant pavé de bonnes intentions,
la raison originelle de cette déviance trouva son origine dans les
traditions de solidarité d’une communauté irlandaise très soudée pour
des raisons historiques, liées au sort tragique de la mère patrie.
De philanthropique à l’origine, la machine présenta vite tous les avatars conséquents à un tel contexte : clientélisme, spéculation, népotisme – et son corollaire l’incompétence des fonctionnaires -, et surtout au stade ultime, le règne du crime organisé sur certaines villes. Chicago en constitua l’exemple le plus significatif. Au final la machine a disparu très lentement à certains endroits, tant elle était incrustée.
De philanthropique à l’origine, la machine présenta vite tous les avatars conséquents à un tel contexte : clientélisme, spéculation, népotisme – et son corollaire l’incompétence des fonctionnaires -, et surtout au stade ultime, le règne du crime organisé sur certaines villes. Chicago en constitua l’exemple le plus significatif. Au final la machine a disparu très lentement à certains endroits, tant elle était incrustée.
I. La vie politique américaine et ses particularités
Contrairement à la vie politique européenne, il n’y a pas
d’affrontements idéologiques aux Etats-Unis, ou du moins les idéologies
américaines diffèrent des idéologies européennes. Les deux partis
principaux sont très peu différents à nos yeux, leur dualité reposant
sur la question de la primauté du pouvoir central fédéral ou du sur
celle du pouvoir des différents Etats. Au départ les Démocrates étaient
anti-fédéralistes, c’était les milieux d’affaires du Nord, composés par
l’aristocratie urbaine et puritaine, défendant la liberté des Etats face
au pouvoir fédéral. Le Parti « Républicain-Démocrate » (qui devint
ensuite le Parti Démocrate) naquit en 1798. Il a évolué au fils des
circonstances vers une doctrine inverse dès 1890 puis dans les années
1930 avec Roosevelt et le New Deal.
Le Parti Républicain est né plus tard, mais les partis qui en sont à
l’origine étaient au départ partisans de la décentralisation. C’était
plus le parti des ruraux, partisans de l’esclavage. Le Parti
Républicain, « Great Old Party » vit le jour en 1854 et regroupa des
dissidents nordistes du parti Whig (une formation éphémère) et du Parti
Démocrate, en opposition aux partisans démocrates du pouvoir des Etats.
Surtout ils étaient protectionnistes. Le problème de l’esclavage fut le
déclencheur. Les bien-pensants qui aujourd’hui encensent Lincoln et
dénigrent les Républicains oublient que ce Président nordiste qui a mené
la Guerre de Sécession contre les esclavagistes du Sud, était
républicain. Et que cela ne fut pas sans incidence au départ sur le vote
Noir.
En fait, il y eut inversion des choix, les fédéralistes sont les ancêtres des Républicains, les Républicains ceux des Démocrates.
En fait, il y eut inversion des choix, les fédéralistes sont les ancêtres des Républicains, les Républicains ceux des Démocrates.
Les USA sont une démocratie décentralisée de proximité. Les élections
des instances représentatives se font au niveau des Etats. Les
Américains élisent les gouverneurs, les shérifs, les maires… Les élus
locaux ont une grande autonomie, les opportunités électorales sont
nombreuses. Pour comprendre aussi le pourquoi de la mise en place du
système des political machines, il faut avoir à l’esprit le «
système des dépouilles ». Un président démocrate, Jackson (1829/1837)
avait licencié des fonctionnaires incompétents à son arrivée. Du coup,
après lui, son successeur républicain licencie tous les fonctionnaires
de l’administration précédente. Depuis, l’habitude a perduré et la
fonction publique change après chaque élection.
II. Les Irlandais catholiques débarquent en nombre
Les Irlandais catholiques arrivent en nombre à New York au milieu du
XIXe siècle. De la misère de leur île natale et de sa situation
politique sous le joug anglais, ils importent un état d’esprit né du «
whiteboysism ». Les white-boys, aussi appelés les Niveleurs, les Lady
Clare ou les Molly Maguire, sont des personnages dont le signe de
reconnaissance est une chemise blanche, un ruban vert et balle au fusil.
Ils se sont organisés contre la domination anglaise par la création de
tribunaux parallèles. La main mise anglaise sur l’Irlande s’étant opérée
par la spoliation des terres (raison première de l’intérêt porté par
l’Angleterre exsangue sur la verte Erin), cela se traduisait par le fait
que les litiges opposant les propriétaires anglais aux fermiers
irlandais, voyaient toujours des verdicts favorables aux Anglais, devant
les tribunaux légaux, comme il est aisé d’imaginer. Il « convenait »
donc de rejuger. Les White Boys prononçaient des verdicts contraires.
Afin de faire exécuter les « sentences », ils exerçaient des menaces
directes sur les propriétaires anglais (envoi d’une balle comme
avertissement sans frais…). Les travailleurs étrangers délocalisés en
Irlande par les Anglais, ou les fermiers irlandais qui acceptaient de
reprendre les fermes dont les propriétaires anglais avaient auparavant
expulsé des fermiers irlandais, étaient aussi l’objet de leurs «
attentions ».
Bien évidemment c’était une organisation clandestine et illégale (pouvant aller jusqu’au meurtre des récalcitrants) mais, basée sur des principes de justice, la population irlandaise la respectait. Elle reposait sur la solidarité, la loi du silence, l’organisation. Cela n’avait rien à voir avec une milice, dont l’existence se « justifie » par l’absence de pouvoir existant, même oppressant et spoliateur. Là il s’agissait d’organisation parallèle.
Bien évidemment c’était une organisation clandestine et illégale (pouvant aller jusqu’au meurtre des récalcitrants) mais, basée sur des principes de justice, la population irlandaise la respectait. Elle reposait sur la solidarité, la loi du silence, l’organisation. Cela n’avait rien à voir avec une milice, dont l’existence se « justifie » par l’absence de pouvoir existant, même oppressant et spoliateur. Là il s’agissait d’organisation parallèle.
Les Irlandais arrivés les premiers en tant qu’immigrants au XIXe
siècle à New York ont donc une solide expérience de l’organisation, et
parlent anglais. Ils ont juste à adapter leurs habitudes de rebelles à
la démocratie des villes américaines pour les diriger. New York fut la
première grande ville de l’histoire à être dirigée par « le peuple » ou
du moins des élus qui le représentait directement.
● Saint Tammany et le Parti Démocrate
Les Irlandais récupèrent à leur profit une organisation antérieure,
la société de Saint Tammany. Tammany, Chef indien du Delaware, se
convertit au Christianisme et fut canonisé en 1770. La Société de Saint
Tammany était vouée à lutter contre l’influence des grands aristocrates
et les « mauvais » étrangers, une vision que d’aucuns qualifieraient
volontiers de « populiste » de nos jours. Les structures de
l’organisation ont des références indiennes, le chef ou « grand sachem »
doit être né en Amérique. Ils tentent d’exercer une influence par leurs
votes sur la démocratie. En 1832, ils parviennent à faire élire leur
héros (un homme d’origine modeste), le général Andrew Jackson, choisi
par le Parti Démocrate comme candidat. C’est ainsi que débute leur «
fusion » avec le Parti Démocrate, parti qui auparavant attirait à lui
les aristocrates autochtones …par méfiance envers les Irlandais… Ironie
des circonstances, le Parti Démocrate devient le pilier des Irlandais.
● La prédominance irlandaise sur New York
L’Amérique est une terre d’immigration, les nouveaux arrivants
obtiennent vite la nationalité américaine. De plus, en 1826 est
supprimée une clause qui imposait un cens électoral. Pour s’en rendre
compte, relevons qu’il y avait 18.000 électeurs en 1825 à New York,
43.000 en 1835. Pour l’élection du maire le suffrage est indirect au
départ, mais direct après 1834.
De plus l’immigration irlandaise explose entre 1846 et 1848
consécutivement à la grande famine. Les Irlandais s’installent nombreux
dans la sixième circonscription de l’East Side. En 1850, un quart de la
population de New York est d’origine irlandaise, cinq ans plus tard elle
est d’un tiers. Contrairement à d’autres immigrés dont les Scandinaves
et les Allemands, plus ruraux et qui vont s’installer à l’intérieur du
pays, les Irlandais choisissent la ville, et ils y fondent des églises
catholiques. Nombreux et dotés du droit de vote car devenus Américains,
on assiste d’après le sociologue Moynihan, à la « fusion entre les usages de la campagne irlandaise et la politique de la ville américaine ».
III. La machine
Un parti préexistant, le Parti Démocrate et une structure antérieure,
la société de saint Tammany, ont permis aux Irlandais de commencer à
élaborer un « système » – la machine – qui devait leur permettre de
mettre la main sur New York. Et dès le milieu du XIXe, la machine
fonctionne.
Au départ, il y a échange de bon procédé : entraide (Saint Tammany)
contre « bon » usage de son bulletin de vote. Toutes les organisations
irlandaises d’entraide, même apolitiques, avaient des liens avec le
Parti Démocrate. Un immigré fraîchement débarqué a du mal à survivre
dans la grande ville sans aide. L’aide c’est la Providence. Pour trouver
un logement – la ville est surpeuplée – un travail ou un marché (si
c’est un petit entrepreneur), et quelques fois pour certains, nourriture
et vêtements. La « machine » est là pour aider.
Elle aide aussi les malades (fourniture de médicaments) ou les victimes d’accidents (nombreux incendies à l’époque qui font de nombreux sinistrés), a aussi ses entrées dans le système judiciaire pour les délits mineurs. Elle aide aussi les personnes en faillite pour se reconstruire, organise des kermesses pour trouver de l’argent pour les familles des travailleurs victimes d’accidents du travail. Elle fournit aussi des aides au plan administratif. Elle s’adapte aussi aux immigrants suivants, qui ne sont plus essentiellement irlandais ni anglophones : Juifs d’Europe centrale, Italiens, etc. C’est l’intelligence du système.
Mais la machine aide aussi les autres « pauvres » ou les immigrants installés. En fait, elle se substitue à une aide sociale d’Etat qui n’a jamais vraiment vu le jour en Amérique où les aides sont souvent restées aux mains de bienfaiteurs privés.
Elle aide aussi les malades (fourniture de médicaments) ou les victimes d’accidents (nombreux incendies à l’époque qui font de nombreux sinistrés), a aussi ses entrées dans le système judiciaire pour les délits mineurs. Elle aide aussi les personnes en faillite pour se reconstruire, organise des kermesses pour trouver de l’argent pour les familles des travailleurs victimes d’accidents du travail. Elle fournit aussi des aides au plan administratif. Elle s’adapte aussi aux immigrants suivants, qui ne sont plus essentiellement irlandais ni anglophones : Juifs d’Europe centrale, Italiens, etc. C’est l’intelligence du système.
Mais la machine aide aussi les autres « pauvres » ou les immigrants installés. En fait, elle se substitue à une aide sociale d’Etat qui n’a jamais vraiment vu le jour en Amérique où les aides sont souvent restées aux mains de bienfaiteurs privés.
L’aide étant subordonnée au bulletin de vote, il est vital de garder
l’électeur sur le territoire. La naturalisation est encouragée mais
surtout, l’électeur doit s’engager moralement à ne pas déménager en
échange du service rendu. Ce qui est parfois un peu contraignant,
l’Irlandais aurait tendance à chercher à s’installer dans des quartiers
agréables, dès que sa situation s’améliore… L’Eglise catholique qui y
trouve aussi son compte, participe également à ces incitations à
l’enracinement électoral. L’engagement est moral, la loyauté est au cœur
du système.
● Le boss : les élus passent, le boss est éternel
Particularité du système, la pierre angulaire n’est pas l’élu, c’est le boss. Il est au cœur de chaque circonscription, ou ward. En fait le système a deux piliers.
La machine n’est pas au service du politicien élu, c’est le politicien qui est au service de la machine. C’est à lui [le Maire] qu’il revient d’accorder des avantages aux électeurs afin de faire marcher la machine en leur faveur. Entre autres applications, à New York en 1855, sur 1149 agents de police municipaux, 431 sont d’origine irlandaise, soit un quart.
Le boss a des lieutenants, un par secteur de son ward, afin de « surveiller » l’électorat, sait-on jamais. Mais c’est le boss qui se montre aux populations en difficulté quand il y a lieu. Il promet l’aide de la machine sans leur demander leur vote. Il sait que « les pauvres sont plus reconnaissants que les riches » … Il dispose d’emplois en réserve dans la fonction publique ou peut influencer les employeurs inféodés à la machine pour qu’ils emploient ses obligés.
La machine n’est pas au service du politicien élu, c’est le politicien qui est au service de la machine. C’est à lui [le Maire] qu’il revient d’accorder des avantages aux électeurs afin de faire marcher la machine en leur faveur. Entre autres applications, à New York en 1855, sur 1149 agents de police municipaux, 431 sont d’origine irlandaise, soit un quart.
Le boss a des lieutenants, un par secteur de son ward, afin de « surveiller » l’électorat, sait-on jamais. Mais c’est le boss qui se montre aux populations en difficulté quand il y a lieu. Il promet l’aide de la machine sans leur demander leur vote. Il sait que « les pauvres sont plus reconnaissants que les riches » … Il dispose d’emplois en réserve dans la fonction publique ou peut influencer les employeurs inféodés à la machine pour qu’ils emploient ses obligés.
Cette organisation bicéphale fait toute la différence. Un boss, n’est
pas un élu de l’élite. C’est l’interface agissant. Traditionnellement
pour l’élite, l’engagement en politique est un devoir, un service rendu à
ses concitoyens, moins favorisés. Mais la classe à laquelle il
appartient, la bourgeoisie, attend de ses représentants traditionnels
des lois en faveur de ses intérêts. Là, c’est un peu la même chose sauf
que l’élu est redevable au peuple, et que l’idéologie en est loin. Le
peuple a des besoins plus primaires qui ne s’embarrassent pas de
justifications idéologiques. L’idéologie est un souci d’intellectuel,
du moins de celui qui est libéré du souci de sa survie…
● Les dérives et les réactions qu’elles entraînent
Les machines sont coûteuses car elles doivent organiser de nombreuses
manifestations pour encadrer les citoyens (parades, défilés). Elles
font payer les chefs d’entreprise afin de bénéficier de leurs bienfaits.
Avec ces budgets considérables, arrive la corruption même si tous les
bosses ne sont pas corrompus. De plus, si les immigrants participaient à
la vie de la société américaine en votant, ils n’étaient plus consultés
sur le choix des candidats. Mais surtout, l’élu au service de la
machine devait être un candidat docile, sans grande personnalité, afin
d’être là uniquement pour faire tourner la machine. On atteignait ici
les limites de ce système clientéliste. Ceci provoqua de nombreuses
réactions de l’élite. Un boss resté célèbre, évoque une… corruption
honnête et une corruption malhonnête. L’honnête profite du système mais
agit dans l’intérêt de la ville. Il explique ce qu’est une « honnête
spéculation ».
Ce système de clientélisme politique est tel qu’il gagne le système
politique entier. Un président, Garfield est assassiné en 1891 (par un «
client » mécontent). En réaction, le Pendleton Act, en 1883, met fin ou en partie au système des dépouilles. Le Civil Service Commission,
met sur pied un système de concours pour accéder aux postes de
fonctionnaires fédéraux. Le système va être opérationnel entièrement au
milieu du XXe siècle.
Dans les villes comme New York il y a tentative de confier
l’administration à des commissions de professionnels vers 1850-1860.
Mais surtout on adopte l’usage du vote à bulletin secret pour la
première fois, lors des présidentielle de 1896. Ces changements vont
limiter les dégâts mais pas avant le milieu du XXe siècle. Entre temps,
Chicago a offert un exemple paroxystique des dérives.
● Chicago, de la machine à la corruption généralisée et au crime
Chicago fut une ville turbulente, bastion des luttes sociales
américaines. En 1830, Chicago n’est qu’un bivouac. En 1850, elle compte
300.000 habitants, 1 million en 1890, 1,7 million en 1900. Elle voit
arriver des Irlandais puis des Allemands. Il y a de nombres rixes vers
1850, en 1855 les émeutes de la bière mettent en relief le besoin de
contrôler la municipalité. Au départ, il y a alternance entre
Républicains et Démocrates selon leur capacité à fournir des emplois aux
nouveaux arrivés, c’est le terreau du absolu du clientélisme et du
gouvernement des machines. C’est une ville de revendications ouvrières
au départ. Là encore, on l’oublie en France mais le 1er mai naquit à
Chicago, en 1886. Une manifestation pour réclamer la journée de 8 heures
entraîna des émeutes où des ouvriers et des policiers furent tués. Il
s’ensuivit les exécutions de huit leaders ouvriers anarchistes, les «
Martyrs de Haymarket ».
C’est aussi à Chicago qu’eurent lieu les tentatives du « Mouvement
Progressiste » au début du XXe siècle. Des hommes politiques d’origine
sociale aisée voulaient prendre la municipalité en défendant la cause
des ouvriers. Mais ces derniers à la botte des machines démocrates, se
défièrent d’eux car ces hommes politiques étaient suspects de sympathie
pour les Républicains. Il y eut aussi tentative de réorganiser la
machine en 1931 par un élu démocrate, un maire originaire de Bohême,
Anton Cermak. Il s’est appuyé sur les immigrants récents contre le maire
précédent lié au syndicat du crime, assassiné en 1933. Il voulait
intégrer les Noirs. En effet, Chicago voit arriver une forte immigration
noire du Sud après 1910, avec le cortège classique, la ségrégation et
les émeutes quand des Noirs veulent fréquenter des lieux réservés aux
Blancs. Malgré tout ils s’organisent dans leurs quartiers au sud de la
ville et votent républicain (Lincoln était républicain). Oscar de Priest
devint le premier élu municipal noir en 1915, puis au congrès en 1928,
remplacé en 1934 par un autre Noir mais démocrate. Les Noirs sont
nombreux mais la machine électorale démocrate pour conserver son
électorat blanc faisait perdurer la ségrégation. La machine atteint là
toutes ses limites.
En 1955, Richard Daley, d’origine irlandaise est élu maire. Il est
démocrate et est réélu grâce à la machine jusqu’en 1976. Il est
considéré comme le « dernier boss des grandes villes » (en fait il fut
maire) et fut très controversé. Il a modernisé la ville, a réduit la
ségrégation, aidé au départ des classes moyennes noires des ghettos
bastions, mais a laissé les autres habitants encore plus à la merci de
la machine démocrate. Il pratiqua le déni de réalité sur l’existence du
ghetto pour conserver l’électorat populaire blanc. De là l’émergence du
mouvement Black Power dans les quartiers noirs du West Side ou South
Side. On assista à une ethnicisation du vote. Quelques membres des
classes moyennes noires purent quitter les ghettos, les autres tentèrent
de s’allier aux Latinos. Surtout Daley fut soupçonné de toucher des
pots de vin, car il dissout toute une unité de police sous un prétexte
futile, celle justement chargée d’enquêter sur les activités
criminelles. Le ghetto noir se radicalise, on voit émerger à Chicago les
Blacks Panthers. Ils tentent par la violence, de regrouper des Noirs,
des Latinos et des Blancs opposés au système Daley. En 1969, ils sont
tout simplement assassinés dans leur appartement par la brigade
antisubversive du département de police.
● Al Capone et la machine
Chicago, voit l’émergence du crime organisé, grâce aux réseaux de la
machine. Les responsables de la pègre intègrent les circuits municipaux.
Al Capone, né à Naples en 1895, a grandi à New York parmi la pègre.
Durant la Première Guerre Mondiale il acquiert sa célèbre balafre ou
scarface. Il gagne Chicago et met la main sur la criminalité italienne
de la ville. La prohibition est ratifiée au niveau national le
29/01/1919 par le 18éme amendement de la Constitution.
Dès 1920, il achète les policiers et les juges de la ville avec la
complicité des politiciens. Le phénomène alerte dès les débuts les
esprits honnêtes – un réseau important d’hommes d’affaires, de
journalistes, de politiciens – tentent de réagir. Il y a mise en place
de commissions contre le crime. Ils parviennent à démontrer la
corruption de 712 officiers de police dont ils obtiennent le transfert
en n 1920. Le 14/02/1929, c’est le massacre dit de la Saint Valentin, en
fait celui des concurrents irlandais de Capone.
Il y a prise de conscience de la problématique clientéliste suite à
la crise économique en 1929. Cinquante mille citoyens résidant dans le
même quartier que Capone déclarent ne plus vouloir payer l’impôt. La
dénonciation de la corruption généralisée amène à confier une mission
Eliot Ness. Celui-ci, né à Chicago en 1903, est diplômé de son
université. Il échoue à faire le ménage dans la police municipale car
personne ne veut témoigner. Mais il réussit à établir que Capone ne paie
pas ses impôts au bout de trois ans d’enquête pour établir le dossier.
Al Capone plonge, il prend onze ans. Puis il replonge pour fraude et
meurt d’une crise cardiaque en 1947 dans sa prison où un espace
particulier lui était aménagé.
● La machine impossible à enrayer…
Le système perdure après la Seconde Guerre Mondiale avec le
successeur de Capone, Anthony Accardo, Joe le Batteur. Il s’introduit
dans tous les milieux organisés de la ville comme le réseau juif,
finalement il amplifie le système de corruption des édiles. Après 1945,
100 juges de la circonscription de Chicago sont soupçonnés de toucher
des pots de vin. En 1979, c’est l’élection de Jane Byrne, produit de la
machine mais qui prétend vouloir réformer le système. C’est un virage à
180°, il y a nouvelle trahison de l’électorat noir. Chicago voit
l’élection du premier maire noir en 1983 (Washington) avec le soutien
hispanique. Il meurt en 1987. En 1989, c’est l’élection du fils de
Richard Daley, modéré, différent de son père. Il gère en homme
d’affaires la ville. C’est un professionnel.
Quand on réalise comment les innocentes sociétés caritatives des
débuts du XIXe siècle furent à l’origine des machines et comment
celles-ci ont perverti la vie politique des grandes villes américaines,
ne faut-il pas s’interroger davantage sur l’aboutissement de tout
système décentralisé où la quantité d’argent brassé permet
immanquablement aux féodalités de renaître avec leur cortège de
corruption, que sur le système américain en lui même ? Les analogies
avec nos problèmes sont légions. Nous avons là un parfait exemple
également de l’aboutissement de la communautarisation du vote et ses
limites. Une communauté d’immigrés très peu différente de la communauté
d’accueil au départ – les Irlandais sont blancs et chrétiens – la
précarité entraînant une nécessaire solidarité, finit par aboutir à ce
qu’un parti devenu « populaire » comme ce fut le cas du Parti Démocrate,
ait à choisir parmi les minorités, laquelle satisfaire (petits Blancs,
Noirs ou Latinos)… La démocratie reposant sur la démographie on peut
deviner aisément la suite, d’autant plus quand on constate que ce parti
libéral « bourgeois » et anti-fédéraliste, devint au fil du temps,
fédéraliste et populaire sous l’influence des minorités qui l’ont peu ou
prou cannibalisé ? Un parti qui a vu ses électeurs blancs des origines
glisser vers le Parti Républicain au fil des évolutions opportunes qu’il
a eu à subir. Raison pour laquelle le Parti Républicain a gouverné les
USA beaucoup plus longtemps que le Parti Démocrate au niveau fédéral.
Jusqu’à présent…
Bibliographie :
PORTES Jacques, Les Etats-Unis, de l’indépendance à la première guerre mondiale, Paris, Armand Colin, 2008.
BERNARD Vincent, Histoire des États-Unis, Paris, Flammarion, 2008.
BRUN Jeanine, America, America !, trois siècles d’immigration aux Etats-Unis, Paris, Gallimard Julliard, 1980.
KASPI André, La civilisation américaine, Paris, PUF, 1993.
BOORSTIN Daniel, Histoire des Américains, l’aventure coloniale, naissance d’une nation, l’expérience démocratique, Paris, Robert Laffont, 1993.
TINDALL George Brown, SHI David, America, a narrative history, New York, Norton, 1999.
Revue L’Histoire, n°339 février 2009, Dossier Chicago, N DIAYE Pap et ROLLAND Caroline « La saga d’une forteresse démocrate », pp. 40-49 , et HURET Romain « Sous la loi d’Al Capone », pp. 54-59.
PORTES Jacques, Les Etats-Unis, de l’indépendance à la première guerre mondiale, Paris, Armand Colin, 2008.
BERNARD Vincent, Histoire des États-Unis, Paris, Flammarion, 2008.
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KASPI André, La civilisation américaine, Paris, PUF, 1993.
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TINDALL George Brown, SHI David, America, a narrative history, New York, Norton, 1999.
Revue L’Histoire, n°339 février 2009, Dossier Chicago, N DIAYE Pap et ROLLAND Caroline « La saga d’une forteresse démocrate », pp. 40-49 , et HURET Romain « Sous la loi d’Al Capone », pp. 54-59.
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