Les
institutions de la France d’Ancien régime ont été fort bien étudiées au
cours des dernières décennies. On ne saurait que vivement recommander
aux étudiants, comme aux personnes voulant compléter leur culture
générale, ou glaner des renseignements, les deux volumes de format
commode, de M. Philippe Sueur, intitulés Histoire du droit public français XVe-XVIIIe siècle (1). Ils sont bien informés, bien écrits. Ils comportent des index commodes et de substantielles bibliographies.
Cependant, la réédition de l’ouvrage de Roland Mousnier, illustre professeur de Sorbonne disparu en 1993, Les institutions de la France sous la Monarchie absolue 1598-1789 (2) permet de pénétrer plus profondément dans le passé de notre pays. Ce livre compte, certes, plus de 1.500 pages, mais son intérêt ne faiblit pas. Car Mousnier fait revivre non seulement des institutions mais aussi et surtout des hommes. Il ne s’en tient pas, comme le font souvent ses collègues des facultés de droit, à une conception de l’institution comme « idée directrice, c’est-à-dire l’idée d’une fin déterminée de bien public à atteindre par des procédures prévues et imposées selon un comportement obligatoire » (p. 5). Mousnier estime qui « en simplifiant et en forçant les termes, l’on pouvait presque dire qu’une institution, c’est un groupe d’hommes », « qu’il n’y a institution que si l’idée et les procédures se sont incarnées dans des hommes qui les mettent en œuvre, qui leur donnent force contraignante et imposent ainsi des actions à d’autres hommes. Ce groupe institutionnel est donc en même temps un groupe social. »
Ainsi, Roland Mousnier ne considère les institutions proprement dites - telles que les conçoivent les juristes - que comme un squelette. Ayant consacré une thèse d’État à La vénalité des offices sous Henri IV et Louis XIII, il avait opéré de grands dépouillements dans les archives de Normandie, et, à Paris, au Palais-Soubise. Il avait ensuite dirigé de nombreuses recherches. Ainsi disposait-il d’une immense documentation. Il la mit en œuvre notamment dans ce gros volume qui contient autant - sinon davantage - d’histoire sociale que d’histoire des institutions proprement dites.
Officiers et commissaires
Sa première partie présente d’une part la société française d’Ancien régime, avec sa classification en ordres, d’autre part, l’État, les moyens dont il dispose, qui vont s’accroissant avec le temps. La seconde partie étudie les institutions et leur fonctionnement, mais sans les séparer de la vie de leurs titulaires ; ce qui rend ces pages étonnamment vivantes. En particulier, celles qui ont trait au "procès des trois cents ans", c’est-à-dire à l’opposition et à la lutte qui opposèrent les officiers royaux - propriétaires de leurs offices, donc inamovibles, indépendants à l’égard du pouvoir - et les commissaires - nommés par le Roi, par une "commission" temporaire et révocable, pour un temps et une mission donnés - dont le type même est l’intendant, ancêtre du préfet. Les pages les plus brillantes du livre sont sans doute celles qui évoquent la Fronde et son échec, ainsi que la poursuite de l’affrontement des officiers et des commissaires tout au long du XVIIIe siècle. On voit alors apparaître les fonctionnaires, avec des études du corps des Ponts et Chaussées et du corps des ingénieurs des fortifications...
Ce livre constitue un monument d’érudition dominée. Il nous charme. Mais, soyons objectif. En dépit de son volume, des lacunes apparaissent : aucun développement substantiel n’est consacré à l’armée, à la marine, à la police, qui furent d’indéniables - et admirables - instruments du développement de la puissance royale ; à un moindre degré, la lacune porte sur les services d’assistance et d’enseignement, dont les ministres ont commencé à se soucier. Mais quittons cette pente où nous entraîne notre esprit critique toujours en éveil. Et profitons de cet admirable travail.
René PILLORGET L’Action Française 2000 du 28 juillet au 24 août 2005
(1) Philippe Sueur : Histoire du droit public français XVe-XVIIIe (col. Thémis droit ; Presses Universitaires, 1982, 2 vol.).
(2) Roland Mousnier : Les institutions de la France sous la monarchie absolue 1598-1789. Collection Quadrige/Manuels, Paris.
Cependant, la réédition de l’ouvrage de Roland Mousnier, illustre professeur de Sorbonne disparu en 1993, Les institutions de la France sous la Monarchie absolue 1598-1789 (2) permet de pénétrer plus profondément dans le passé de notre pays. Ce livre compte, certes, plus de 1.500 pages, mais son intérêt ne faiblit pas. Car Mousnier fait revivre non seulement des institutions mais aussi et surtout des hommes. Il ne s’en tient pas, comme le font souvent ses collègues des facultés de droit, à une conception de l’institution comme « idée directrice, c’est-à-dire l’idée d’une fin déterminée de bien public à atteindre par des procédures prévues et imposées selon un comportement obligatoire » (p. 5). Mousnier estime qui « en simplifiant et en forçant les termes, l’on pouvait presque dire qu’une institution, c’est un groupe d’hommes », « qu’il n’y a institution que si l’idée et les procédures se sont incarnées dans des hommes qui les mettent en œuvre, qui leur donnent force contraignante et imposent ainsi des actions à d’autres hommes. Ce groupe institutionnel est donc en même temps un groupe social. »
Ainsi, Roland Mousnier ne considère les institutions proprement dites - telles que les conçoivent les juristes - que comme un squelette. Ayant consacré une thèse d’État à La vénalité des offices sous Henri IV et Louis XIII, il avait opéré de grands dépouillements dans les archives de Normandie, et, à Paris, au Palais-Soubise. Il avait ensuite dirigé de nombreuses recherches. Ainsi disposait-il d’une immense documentation. Il la mit en œuvre notamment dans ce gros volume qui contient autant - sinon davantage - d’histoire sociale que d’histoire des institutions proprement dites.
Officiers et commissaires
Sa première partie présente d’une part la société française d’Ancien régime, avec sa classification en ordres, d’autre part, l’État, les moyens dont il dispose, qui vont s’accroissant avec le temps. La seconde partie étudie les institutions et leur fonctionnement, mais sans les séparer de la vie de leurs titulaires ; ce qui rend ces pages étonnamment vivantes. En particulier, celles qui ont trait au "procès des trois cents ans", c’est-à-dire à l’opposition et à la lutte qui opposèrent les officiers royaux - propriétaires de leurs offices, donc inamovibles, indépendants à l’égard du pouvoir - et les commissaires - nommés par le Roi, par une "commission" temporaire et révocable, pour un temps et une mission donnés - dont le type même est l’intendant, ancêtre du préfet. Les pages les plus brillantes du livre sont sans doute celles qui évoquent la Fronde et son échec, ainsi que la poursuite de l’affrontement des officiers et des commissaires tout au long du XVIIIe siècle. On voit alors apparaître les fonctionnaires, avec des études du corps des Ponts et Chaussées et du corps des ingénieurs des fortifications...
Ce livre constitue un monument d’érudition dominée. Il nous charme. Mais, soyons objectif. En dépit de son volume, des lacunes apparaissent : aucun développement substantiel n’est consacré à l’armée, à la marine, à la police, qui furent d’indéniables - et admirables - instruments du développement de la puissance royale ; à un moindre degré, la lacune porte sur les services d’assistance et d’enseignement, dont les ministres ont commencé à se soucier. Mais quittons cette pente où nous entraîne notre esprit critique toujours en éveil. Et profitons de cet admirable travail.
René PILLORGET L’Action Française 2000 du 28 juillet au 24 août 2005
(1) Philippe Sueur : Histoire du droit public français XVe-XVIIIe (col. Thémis droit ; Presses Universitaires, 1982, 2 vol.).
(2) Roland Mousnier : Les institutions de la France sous la monarchie absolue 1598-1789. Collection Quadrige/Manuels, Paris.
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