ANALYSE : Geoffrey ASHE, Kelten, Druiden und König Arthur. Mythologie der Britischen Inseln,
Walter Verlag, Olten/Freiburg im Breisgau,1992, 391 pages, DM 72, ISBN
3-530-02363-1 (titre anglais : Mythology of the British Isles, Methuen,
London, 1990).
Véritable
encyclopédie du monde celtique-britannique des mégalithes à César et de
Boadicée à l’épopée du Beowulf, richement illustré de gravures peu
connues et de photos inédites, ce livre de Geoffrey Ashe est
incontournable pour ceux qui veulent aborder ce domaine vaste et varié
de notre passé. Geoffrey Ashe est un expert du cycle arthurien, enseigne
dans diverses universités américaines et est un des co-fondateurs du
Camelot Research Committee, qui organise les fouilles à Cadbury Castle
dans le Somerset. Nous avons sélectionné quelques thématiques de cet
ouvrage pour les lecteurs d’Antaios et mis l’accent sur l’Atlantique, le
Grand Océan, dans les mythologies britanniques:
1. Les ley lines :
Alfred
Watkins, un meunier anglais, avait découvert que les monuments
préhistoriques (menhir, mégalithes, tombaux monumentaux) ou que des
monuments ayant pris le relais de tels sites (églises, chapelles) se
trouvaient dans des alignements parfaits, permettant aux voyageurs de
s’orienter et d’emprunter toujours le chemin le plus court d’un point à
un autre. En anglais, ces alignements ont reçu le nom de ley lines. A la
suite des découvertes de Watkins, bon nombre d’archéologues
professionnels ou amateurs ont répertorié des alignements, dont la
longueur moyenne était de 15 km et qui comportaient au moins quatre
sites. Ce système de repérage dans la plus ancienne Europe correspond à
un système chinois, le Feng-Shui. Leur existence prouve aussi un
enracinement très lointain de la culture dans le territoire britannique
et la valeur de la civilisation mégalithique de la frange littorale
atlantique de notre continent.
2. Gwyn et le peuple des fées :
Le peuple
des fées, dans l’imaginaire britannique, habite un autre monde ou un
monde souterrain. Les fées ne sont pas toujours les êtres minuscules,
jolis, graciles comme des papillons que l’on dessine dans les contes
illustrés pour enfants. Ce peuple d’ailleurs et du sous-sol n’est pas
homogène : il y a les Elfes, les Pixies, les Goblins, les Portunes, etc.
Les uns sont d’une beauté éblouissante, les autres d’une laideur
cauchemardesque. Les fées avaient des rois et des reines, dont le plus
ancien était Gwyn ap Nudd, démonisé ultérieurement par les missionnaires
chrétiens. Pourtant, Gwyn ne disparaît pas de l’imaginaire des Gallois,
qui disent aux prêtres qu’il a reçu la mission de Dieu de contenir les
démons d’Annwfn (“le monde d’en-dessous”), d’exercer un pouvoir
“vicarial” sur eux et de les empêcher ainsi de précipiter le monde dans
la destruction. Mais, ajoute Ashe, l’élément le plus significatif dans
le culte des fées est une horreur de tout ce qui est lié au fer. Est-ce
une réminiscence des ères où il n’y avait pas encore domination de ce
métal ? Les fées et les mondes souterrains de la mythologie britannique
semblent représenter “ceux d’avant le fer”. Elfes, fées et pixies vivent
dans des grottes ou dans des tombes-tumuli, proches des morts, non pas
les morts de ceux qui y vivent maintenant, mais ceux des peuples et des
époques antérieurs. Gwyn (= Le Blanc) est le fils de Nudd ou Nodon, dont
le culte était encore célébré au IIIe siècle de l’ère chrétienne, où le
peuple de la Britannia romaine lui a construit un temple à Lydney dans
la Forêt de Dean. Nodon, dernier grand dieu celtique, détient une
multitude de fonctions : il est le dieu de l’eau et des chiens, il est
pêcheur et chasseur, il est guérisseur, il retrouve les objets perdus.
Il fait penser au Saint-Hubert et au Saint-Antoine de la dévotion
populaire de nos campagnes, qui sont sans nul doute ses avatars
christianisés.
3. Le Dieu d’au-delà des eaux et le “Paradis de l’Ouest” :
Ashe nous
explique que les Iles Britanniques étaient le bout du monde pour les
Grecs et les Romains. Les habitants de ces Iles savaient, eux,
qu’au-delà de l’Océan se trouvaient d’autres îles (Shetland, Féroé,
Islande), des glaces et, plus loin encore, un continent au climat plus
clément, où vivait un Dieu en exil. Ce Dieu avait été démis de ses
fonctions par un Dieu plus jeune, qui l’a traité avec respect, se
bornant à l’éloigner et à neutraliser son action sur le monde. Ce Dieu
dort dans une montagne d’or. Tous les 30 ans, disent les légendes, quand
la planète Saturne entre dans la constellation du Taureau, des bandes
de pèlerins franchissent les eaux pour visiter une grande baie bordée
d’îles et y recueillir un savoir ésotérique, concernant les étoiles et
bien d’autres domaines de la nature et du cosmos. Plutarque rapporte ces
faits que lui aurait signalés un certain Demetrius, en poste en
Britannia vers l’an 80 de l’ère chrétienne. Ashe estime que Plutarque a
sans doute hellénisé le récit de Demetrius, en attribuant à ce Dieu
exilé d’au-delà des grandes eaux les traits de Chronos, renversé par
Zeus. Quoi qu’il en soit, la description de la baie bordée d’îles par
Plutarque, constate Ashe, correspond à l’embouchure du Saint-Laurent.
Des compagnons perdus d’Hercule, poussés vers l’Ouest par les vents et
les courants, s’y seraient installés. Est-ce là un indice de
l’installation d’éléments européens en Amérique depuis la nuit des
temps, confirmée par la récente découverte de momies d’homines europei
vieilles de 10.000 ans dans l’Etat de Washington, près du Pacifique ?
Dans un
ex-cursus (pp. 321-327), Ashe revient sur le “paradis de l’Ouest”,
thématique récurrente dans les plus anciens récits britanniques. Dans
les récits du barde gallois Taliesin, évoquant un voyage vers “Avalon”
et repris par Geoffrey dans sa Vita Merlini, on conte le voyage du Roi
Arthur, blessé, vers le Pays d’Avalun, accompagné de jeunes femmes qui
connaissent les arts de guérir. Ashe note que ces récits, issus de
l’œuvre de Taliesin, et retravaillés par Geoffroy, Wace et Layamon,
plusieurs personnages mi-mythologiques mi-historiques laissent supposer
que les Irlandais connaissaient les routes de l’Atlantique et,
partiellement, les côtes nord-américaines. Le personnage clef qui permet
de tirer de telles conclusions est le timonier de l’embarcation qui
mène Arthur vers Avalon, Barinthus, “qui connaît les eaux et les étoiles
du ciel” (donc les courants marins, les lieux où ils entraînent les
embarcations et la carte stellaire du ciel qui permet aux audacieux
timoniers de se guider). L’Insula pomorum , Avallach, Ablach ou Emain
Ablach, Tir na nOg et Mag Mon sont autant de noms pour désigner des
espaces paradisiaques (insulaires ou continentaux) où règne l’abondance,
où les fruits se cueillent sans effort et où la nature offre des
céréales sans qu’il ne faille se briser l’échine pour cultiver les
champs. Bon nombre de ces îles ou terres sont peuplées de femmes
entourées d’une aura de magie blanche et prodiguant bien-être et
bonheur.
Trois récits
irlandais revêtent une importance capitale dans la mythologie du
“Paradis de l’Ouest” : Le voyage de Bran, Le voyage de Mael Duin et, à
l’ère chrétienne, la Navigatio Sancti Brendani. Dans Le voyage de Bran,
le héros, Bran, est une forme humanisée d’un dieu celtique qui
entreprend un voyage sur mer à bord de trois bateaux, avec chacun neuf
hommes d’équipage. En chemin, ils rencontrent le dieu celtique de la
mer, Manannan, qui leur indique la direction de nombreuses îles dont
Emain Ablach (Avalon). La version de Geoffroy précise que ces îles
peuvent être atteintes “dans certaines conditions” (sans doute liées à
la météorologie et aux courants marins). Les embarcations décrites
étaient vraisemblablement des curraghs (ou coracles), construits à
l’aide de peaux de bœuf huilées tendues sur une armature de bois et mus
par des rames et des voiles. On en possède des traces archéologiques.
Dans Le voyage de Mael Duin, le récit de l’odyssée des marins irlandais
dans 29 îles prend une tournure plus fantastique.
Il est
toutefois attesté historiquement que les utilisateurs les plus acharnés
des curraghs étaient les moines irlandais qui, surtout à partir du VIe
siècle, quittent souvent l’Irlande en groupes compacts pour des
“pèlerinages maritimes”, moins par engouement missionnaire que par
volonté de découvrir des terres de repli en cas de persécution. Sont-ils
les héritiers de ces pèlerins païens qui s’embarquaient tous les 30 ans
quand Saturne entrait dans la constellation du Taureau ? Ainsi, on sait
avec certitude que les moines marins atteignent les Orcades (Orkneys)
en 579, les Shetlands en 620, les Féroé en 670 et l’Islande en 795. Un
certain Cormac aurait été poussé par les vents vers le Grand Nord
arctique. La Navigatio Sancti Brendani, texte rédigé entre 900 et 920,
relate les voyages de Saint-Brendan, moine navigateur irlandais du VIe
siècle. Mais le récit du Xe siècle mêle à des descriptions historiques
des éléments des cycles mythologiques, notamment le personnage de
Barinthus, qui vient chez Brendan à Ardfert dans le Kerry. Celui-ci
parle au moine navigateur d’un voyage qu’il a entrepris vers l’Ouest,
dans le “Pays promis aux saints”. Ce pays serait le Paradis des
chrétiens et non plus l’Avalon des païens. Mais comme la tradition
orientale chrétienne situait ce Paradis à l’Est d’Israël, en Asie, on
peut supposer que Brendan, figure historique, voulait déjà atteindre
cette Asie paradisiaque en empruntant le chemin de l’Ouest. Brendan
savait donc que la Terre était ronde, tout comme Vergilius (Fergill), le
moine irlandais, évangélisateur de la Bavière et de l’Autriche,
condamné à l’oubli par les Papes de Rome pour avoir professé cette
“doctrine diabolique” de la sphéricité de la Terre. Barinthus, dont le
nom est directement tiré de la mythologie, est sans nul doute un
prédécesseur inconnu de Brendan. Le récit ajoute que Brendan prend alors
la mer avec dix-sept compagnons, sur les conseils de ce Barinthus. Rien
ne permet d’affirmer avec certitude que Brendan ait mis pied sur le
continent américain. Le voyage aurait duré plusieurs années. Ils
auraient abordé un continent et l’auraient exploré. Un ange leur serait
apparu et leur aurait dit qu’ils se trouvaient aux abords du Paradis et,
qu’un jour, cette terre accueillerait des persécutés, s’ouvrirait à
tous les peuples chrétiens, mais que Brendan, obéissant serviteur de
Dieu devait rebrousser chemin avec ses compagnons, car il était trop tôt
pour révéler à l’œkoumène l’existence de ce paradis à portée des
audacieux. On voit aussi à quelles interprétations messianiques ces
paroles de l’“Ange” peuvent conduire… Ashe nous explique que le récit de
Brendan nous permet d’affirmer avec certitude que l’expédition du moine
capitaine a effectivement exploré les Féroé et l’Islande. Le récit ne
décrit pas d’icebergs ni de banquises (alors que Le voyage de Mael Duin
en décrit, avec des détails monstrueux jusqu’au grotesque). Toutes les
autres terres décrites peuvent être St. Kilda, Rockall, le Groenland (en
été) et les bancs de Terre-Neuve (New Foundland). Deux passages, admet
Ashe, très prudent et très scientifique, pourraient faire croire à des
descriptions des Bahamas et de la Jamaïque.
Au moyen
âge, la Navigatio Sancti Brendani était jugée suffisamment crédible pour
que l’on mentionne sur les cartes les «Terres de Brendan». Elles ont
intrigué un certain Christophe Colomb. On connaît la suite. Quand la
route de la soie et des épices a été coupée par les Ottomans, qui
prennent Byzance en 1453, l’Europe, Portugais en tête, cherche une issue
à son dramatique enclavement, veut retrouver la route de l’Asie à tout
prix, y compris en affrontant les flots tumultueux de l’Atlantique : le
récit de Brendan a-t-il éveillé les attentions ? Reste la figure de
Barinthus : est-il un marin mythique ou celui qui personnifie des
lignées et des lignées de pèlerins de la mer, de la préhistoire
jusqu’aux moines irlandais ? La découverte de l’Homme de Kennewick, dans
l’Etat de Washington près du Pacifique, prouve en effet que ni Brendan
ni Eric le Rouge ni Colomb n’ont été les premiers Européens à mettre le
pied sur le continent américain. La découverte de cet Homme de Kennewick
est postérieure aux recherches d’Ashe. Les textes ne nous communiquent
que d’infimes bribes du savoir des marins irlandais, sans doute transmis
oralement de génération en génération, certainement jusqu’aux marins
normands et bretons qui connaissaient très vraisemblablement les bancs
de Terre-Neuve.
4. Ascendances wotanique et arthurienne des rois anglais :
Durant le
haut moyen âge, immédiatement après l’installation des Angles, des Jutes
et des Saxons sur le sol de l’ancienne Britannia romaine, l’Angleterre
actuelle était une “heptarchie” de sept royaumes germaniques. Cette
heptarchie est présidée par le Bretwalda (l’organisateur de la
Britannia), un de ces rois, que l’on choisi à tour de rôle, selon une
tournante. Ces rois, non chrétiens, se réclamaient d’une ascendance
divine, wotanique en l’occurrence. L’office du Bretwalda est marqué par
cette référence wotanique. La fonction de chef de la heptarchie est
entourée d’une aura de mystère, très probablement liée aux cultes du
dieu borgne à la lance magique. Le Bretwalda devait avoir des contacts
sur le continent, pour lier sa fonction religieuse à une tradition
antérieure, transmise par les Germains de la terre ferme à leurs cousins
devenus britanniques après la chute de l’Empire romain. En Britannia
toutefois, les Saxons, les Angles et les Jutes se mêlent aux Celtes
britanniques. Ainsi Cerdic, fondateur de la dynastie ouest-saxonne
(Wessex), affirmait une ascendance wotanique, mais son nom indique aussi
des origines celtiques. Cerdic est donc un Celto-Saxon, incarnation de
la fusion à l’œuvre en Britannia. Les ancêtres païens des rois
d’Angleterre procèdent donc d’une double filiation, à la fois germanique
et celtique, plongeant leurs origines dans les deux héritages
mythologiques.
Nous n’avons
sélectionné que quelques thèmes du riche et volumineux ouvrage d’Ashe.
Son œuvre, rappelons-le, embrasse l’ensemble de la mythologie
britannique, dans toute sa complexité et tous ses aspects.
(article paru sous le pseudonyme de "Detlev BAUMANN" dans la revue "Antaios").
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire