En
1923, Trotski est encore au pouvoir en URSS. Il rédige un ensemble de
textes sur la question du mode de vie : un de ces textes concernant
l’utilisation du cinéma comme moyen de propagande et d’élimination de
toute vie religieuse et chrétienne. Comme le cinéma a essentiellement
servi à cette fonction au XXe siècle, avant que la télévision ne le remplace (la gluante demi-heure du Seigneur
n’aura rien changé, sinon accéléré le processus), je préfère citer ce
texte qui montre qu’un programme global de déchristianisation a été mis
en oeuvre aussi bien dans le monde communiste que dans celui dit libre
du libéralisme et de la démocratie. Cela ne fait que conformer les analyses de Kojève sur la Fin de l’Histoire et la création du petit dernier homme nietzschéen par-delà les frontières politico-stratégiques.
Trotski
cherche donc à divertir et éduquer les masses. Il remarque l’intrusion
du cinéma dans la vie quotidienne et son inutilisation par les
Bolcheviks - on est avant le cuirassé Potemkine ! :
« Le
désir de se distraire, de se divertir, de s’amuser et de rire est un
désir légitime de la nature humaine... Actuellement, dans ce domaine, le
cinématographe représente un instrument qui surpasse de loin tous les
autres. Cette étonnante invention a pénétré la vie de l’humanité avec
une rapidité encore jamais vue dans le passé. »
Le
cinéma s’impose vite à ses yeux comme un moyen de dressage des masses -
pardon, d’éducation ! Même le dessin animé a une fonction de dressage
de l’enfance, comme le montre le monde de Walt Disney ou celui de Tex
Avery aux USA. On peut aussi penser à Charlot ou au cinéma de Frank
Capra, caricaturaux dans leurs ambitions éducatives et mimétiques.
« C’est
un instrument qui s’offre à nous, le meilleur instrument de propagande,
quelle qu’elle soit - technique, culturelle, antialcoolique, sanitaire,
politique ; il permet une propagande accessible à tous, attirante, une
propagande qui frappe l’imagination ; et de plus, c’est une source
possible de revenus. »
La
source possible de revenus a été bien exploitée du côté de Hollywood en
tout cas, avec les plus grosses fortunes de l’époque ! Comme on sait,
il règne une entente cordiale à l’époque entre l’URSS et l’Amérique de
Roosevelt. Le cinéaste communiste et stalinien Eisenstein y sera reçu
comme un roi quelques années plus tard. Je cite Eisenstein
intentionnellement car il mêle subtilement dans son oeuvre le religieux
(orthodoxe) et le cinématographe. Il le fait dans son chef d’oeuvre Alexandre Nevski et surtout dans Ivan le terrible.
Ce n’est pas un hasard puisque l’un doit détrôner l’autre, après
l’avoir vampirisé. Voici comment Trotski présente son affaire :
« Le
cinématographe rivalise avec le bistrot, mais aussi avec l’Eglise. Et
cette concurrence peut devenir fatale à l’Eglise si nous complétons la
séparation de l’Eglise et de l’Etat socialiste par une union de l’Etat
socialiste avec le cinématographe. »
Trotski
a une vision politique et cynique de la religion, comme Hitler ou
Napoléon, et sans doute bien d’autres politiciens : pour lui elle est un
spectacle que l’on pourrait remplacer.
« On
ne va pas du tout à l’église par esprit religieux, mais parce qu’il y
fait clair, que c’est beau, qu’il y a du monde, qu’on y chante bien ;
l’Eglise attire par toute une série d’appâts socio-esthétiques que
n’offrent ni l’usine, ni la famille, ni la rue. La foi n’existe pas ou
presque pas. En tout cas, il n’existe aucun respect de la hiérarchie
ecclésiastique, aucune confiance dans la force magique du rite. On n’a
pas non plus la volonté de briser avec tout cela. »
Il
perçoit dans l’Eglise un ensemble de rites et de techniques dont on
ferait bien de s’inspirer. C’est ce que font les gens du showbiz comme
Coppola (les Baptêmes), les grandes messes ou bien sûr Madonna. Comme le rappelle Whoopi Goldberg dans Sister Act, les gens préfèrent aller à Las Vegas et payer que se rendre à la messe pour écouter gratis du chant sacré. The show is better ! Se voulant réaliste, Trotski ajoute :
« Le
divertissement, la distraction jouent un énorme rôle dans les rites de
l’Eglise. L’Eglise agit par des procédés théâtraux sur la vue, sur
l’ouïe et sur l’odorat (l’encens !), et à travers eux - elle agit sur
l’imagination. Chez l’homme, le besoin de spectacle, voir et entendre
quelque chose d’inhabituel, de coloré, quelque chose qui sorte de la
grisaille quotidienne -, est très grand, il est indéracinable, il le
poursuit de l’enfance à la vieillesse. »
Optimiste
pour l’avenir, Trotski estime que le cinéma remplacera l’Eglise et le
reste parce qu’il offre un show plus riche et plus varié.
« Le
cinématographe n’a pas besoin d’une hiérarchie diversifiée, ni de
brocart, etc. ; il lui suffit d’un drap blanc pour faire naître une
théâtralité beaucoup plus prenante que celle de l’église. A l’église on
ne montre qu’un "acte", toujours le même d’ailleurs, tandis que le
cinématographe montrera que dans le voisinage ou de l’autre côté de la
rue, le même jour et à la même heure, se déroulent à la fois la Pâque
païenne, juive et chrétienne. »
On
comprend dès lors l’importance politique, psychologique, culturelle du
cinéma comme moyen de dressage de masses et même des élites, puisqu’on a
fait des westerns et des films de propagande des chefs d’oeuvre du
genre humain et que l’on a créé le syndrome du film-culte souvent de
genre satanique ou contrôle mental. Je pense aussi aux films
catastrophes, éducateurs de masses en temps de crise (c’est-à-dire tout
le temps) et aux films conspiratifs comme ceux de Tony Scott, qui vient
de mourir d’une curieuse mort. Le réalisateur d’Ennemi d’Etat a tristement fini comme Daniel Gravotte, alias Sean Connery, jeté d’un pont dans l’Homme qui voulut être roi,
mort éminemment pontife et symbolique. J’en profite pour rappeler la
mort bizarre d’un certain nombre de cinéastes spécialistes du genre :
Stanley Kubrick, Alan J.Pakula, Peter George (scénariste de Dr Folamour),
les passionnants documentalistes Aaron Russo et Alan Francovitch. Le
lecteur pourra se faire une idée en se penchent sur leur cas. Mais gare à
la conspiration !
Je
laisse encore une fois la parole à Trotski, ce grand homme et
visionnaire inspirateur, si honteusement traité par le méchant Staline !
Pour beaucoup de gens à Hollywood ce fut d’ailleurs sa seule victime !
« Le
cinématographe divertit, éduque, frappe l’imagination par l’image, et
ôte l’envie d’entrer à l’église. Le cinématographe est un rival
dangereux non seulement du bistrot, mais aussi de l’Eglise. Tel est
l’instrument que nous devons maîtriser coûte que coûte ! »
Nicolas Bonnal http://www.france-courtoise.info
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