Il
est une règle en archéologie qui veut que la fréquence des découvertes
sur un site prouve que ce site est le site originel de l'objet en
question. Dans le cas du symbole que sont les labyrinthes, le site
d'origine doit être le nord de l'Europe et non le sud. Environ 500
labyrinthes de pierre ont été découverts en Europe septentrionale,
jusqu'aux confins de l'Océan Arctique. Bon nombre de ces labyrinthes
datent de la préhistoire européenne, y compris ceux du Grand Nord. Dans
la zone méditerranéenne, on ne trouve que rarement ce symbole, perennisé
dans les alignements de pierres.
En
règle générale, le labyrinthe est considéré comme une sorte de jardin,
conçu pour jouer à s'égarer. Tous ceux qui ont eu l'occasion de visiter
des labyrinthes de haies dans les jardins et parcs anglais, français ou
italiens, sauront combien il est parfois difficile de retrouver le
chemin de la sortie. Le labyrinthe, en conséquence, est considéré par la
plupart de nos contemporains, comme un jeu où l'on s'amuse à s'égarer.
Beaucoup de princes européens du XVIe au XIXe siècle se sont fait
installer des jardins labyrinthiques pour amuser et distraire leurs
invités. Parmi les plus célèbres labyrinthes français, citons ceux de
Versailles, de Chantilly, du Jardin des Plantes ; en Angleterre, les
labyrinthes de Hatfield House, de Hertfordshire, de Hampton Court Palace
(à Londres), ainsi que le grand labyrinthe de Hazlehead Park à Aberdeen
; en Italie, aujourd'hui, on peut encore visiter le célèbre labyrinthe
de haies de la Villa Pisani à Stra, à l'ouest de Venise, avec une tour
et une statue de Minerve au centre. Ce sont là les labyrinthes les plus
connus et les mieux conservés aujourd'hui. 200.000 touristes
parcouraient chaque année les allées du labyrinthe de Stra, jusqu'au
moment où il a fallu les fermer au public qui devenait vraiment trop
nombreux et risquait d'abîmer le site.
Quant
au touriste qui s'intéresse à l'histoire de l'art, il peut visiter de
nombreux labyrinthes de mosaïques, surtout dans des églises. Ceux qui se
rendent en Italie pourront en voir de très beaux dans l'église Santa
Maria di Trastevere à Rome, ou encore dans l'église San Vitale de
Ravenne, dont le sol présente un magnifique labyrinthe. Dans la
cathédrale de Lucca, on peut apercevoir un labyrinthe gravé dans un mur
et flanqué d'une inscription latine signifiant "Ceci est le labyrinthe
que le Crétois Dédale a construit". En France, notons les labyrinthes de
la Cathédrale de Bayeux et de l'église de Saint-Quentin, qui attirent,
aujourd'hui encore, de nombreux amateurs d'art. En territoire allemand,
nous ne trouvons aujourd'hui plus qu'un seul labyrinthe : dans la crypte
de la Cathédrale de Cologne.
Mais
en Allemagne, comme en divers endroits d'Angleterre, on peut encore
voir les traces, dans l'herbe, de très anciens labyrinthes comme la
Roue (Rad) d'Eilenriede près de Hannovre ou les labyrinthes
d'herbe de Steigra et de Graitschen en Thuringe. Malheureusement, le
magnifique labyrinthe de Stolp en Poméranie, l'un des plus beaux du
monde, a été détruit.
En Angleterre, une bonne centaine de labyrinthes
En
Angleterre, au contraire de l'Allemagne où l'on ne trouve plus que les 3
labyrinthes que je viens de citer, le touriste amateur de sites
archéologiques pourra en visiter une bonne centaine. Dans les Iles
Britanniques, on les appelle Troy-town ou Murailles de Troie (Walls of Troy), exactement comme plusieurs labyrinthes scandinaves encore existants (Trojaborg ; en all. Trojaburg).
À l'évidence, labyrinthes britanniques et labyrinthes scandinaves sont
structurellement apparentés. Car il ne s'agit pas de constructions de
modèle simple, édifiées pour le seul plaisir du jeu, mais d'une allée
unique serpentant circulairement vers un centre, pour en sortir
immédiatement, toujours en serpentant. Il est intéressant de noter que
les élèves des écoles primaires, en Scandinavie, apprenaient encore,
dans les années 30, l'art de "dessiner des labyrinthes".
Avant de nous pencher sur la signification étymologique des termes "labyrinthes" et "Trojaborg" (Troy-town ; Troja-burg), je voudrais d'abord signaler qu'aujourd'hui, sur le territoire suédois, j'ai dénombré 296 Trojaborge de
pierre, dont les diamètres varient entre 4 et 24 m et qui comptent
généralement 12 segments circulaires ; en Finlande, y compris les Iles
Åland, j'en ai dénombré 150 ; dans le nord de l'Angleterre, 60 (dont 15
sont fouillés par des archéologues professionnels) ; en Norvège, 24 ; en
Estonie, 7 ; en Angleterre méridionale, 2 ; sur le territoire de la RFA
(avant la réunification), 1. Nous arrivons ainsi au nombre de 540 Trojaborge nord-européens
en pierres, auxquels il faut ajouter la centaine de labyrinthes en
prairie des Iles Britanniques et leurs 3 équivalents allemands.
Malheureusement, la zone archéologique méditerranéenne ne compte plus,
aujourd'hui, de labyrinthes de ce type ; seuls demeurent les labyrinthes
des églises et ceux, récents et en haies, des parcs. Nous pouvons en
revanche découvrir des labyrinthes gravés sur des parois rocheuses,
comme dans le Val Camonica dans les Alpes italiennes, ou à Pontevedra en
Espagne septentrionale. Ce labyrinthe ibérique présente le même modèle
que celui découvert sur la pierre irlandaise de Wicklow et celui de
Tintagel en Cornouailles.
J'ai
cherché à découvrir un labyrinthe en Crète, qui confirmerait la légende
de Thésée et Ariane. Je n'ai pas découvert le fameux labyrinthe de
Cnossos. Or, on associe très justement la Crète au symbole du
labyrinthe, car, au British Museum et dans le Musée de
l'Antiquité de Berlin, les visiteurs peuvent y voir des labyrinthes sur
des monnaies crétoises du IIième et du Vième siècle avant notre ère. En
Égypte, pays d'où nous viendrait, d'après les linguistes, le terme
"labyrinthe" (Loperohint, soit le palais à l'entrée du lac,
allusion à un labyrinthe disparu, qui se serait situé sur les rives du
Lac Méri), je n'ai pas eu plus de chance qu'en Crète et je n'ai pas
trouvé la moindre trace d'un labyrinthe. D'autres spécialistes de
l'étymologie croyent que l'origine du mot labyrinthe vient du terme
"labrys", qui désigne la double hache crétoise.
Un piège pour l'astre solaire ?
Quant au nom scandinave de Trojaborg,
il n'a rien à voir avec la ville de Troye en Asie Mineure, comme l'a
prouvé un spécialiste allemand des symboles, qui vivait au siècle
dernier, le Dr. Ernst Krause. Trojaborg serait une dérivation d'un terme indo-européen que l'on retrouve en sanskrit, draogha,
signifiant "poseur de pièges". Dans la mythologie indienne, en effet,
existe une figure de "poseur de pièges", qui pose effectivement des
pièges pour attraper le soleil.
En langue vieille-persique, nous retrouvons la même connotation dans la figure d'un dragon à trois têtes, du nom de druja; en langue suédoise dreja
signifie l'acte de "tourner" ou de manipuler un tour. Le sens caché du
labyrinthe se dévoile dans la légende de Thésée et d'Ariane, dans l'Edda
et dans la Chanson des Nibelungen, où nous retrouvons, partout, une
jeune fille solaire gardée par un dragon ou un Minotaure, symboles des
forces de l'obscurité. Le mot "Troja" se retrouve, outre dans le nom de
la ville de l'épopée homérique, dans le nom de centaines de labyrinthes
scandinaves et britanniques, dans la danse labyrinthique française, le
Troyerlais, dans la ville de Troyes en Champagne, dans les trojarittes
de la Rome antique, dans le nom de Hagen von Tronje, figure de la
Chanson des Nibelungen. Des dizaines de noms de lieu en Europe portent
la trace du vocable "troja".
Le
Prof. Karl Kerényi, l'un des principaux spécialistes contemporains des
mythes et des symboles, est l'un des très nombreux experts qui admettent
aujourd'hui l'origine nordique du symbole du labyrinthe. Les pays du
Nord, pauvres en soleil, développent une mythologie qui cherche à rendre
cet astre captif, au contraire des mythologies du Sud de l'Europe. Les
archéologues spécialisés dans la préhistoire, sur base de leurs
fouilles, datent les labyrinthes nord-européens de l'Âge du Bronze (de
1800 à 800 avant notre ère) ; les labyrinthes sur parois rocheuses de
l'Europe centrale, de même que le labyrinthe en pierres plates d'argile
de Pylos dans le Péloponèse, datent, eux, de 1200 à 1100 avant notre
ère. Un labyrinthe de vases étrusque date, lui, du VIIe ou du VIe siècle
avant notre ère, tandis que les monnaies de Cnossos, sur lesquelles
figurent des la-byrinthes, datent du Vième et du IIième siècle avant
notre ère.
La
ressemblance est frappante entre les labyrinthes des monnaies crétoises
du IIe siècle avant notre ère et la configuration du labyrinthe suédois
de Visby en Gotland. Cette configuration, nous la retrouvons dans de
nombreux sites de Suède, et aussi en Norvège, en Finlande et en Estonie.
D'où, la question de l'origine septentrionale de ces symboles
labyrinthiques se pose tout naturellement.
Ces
labyrinthes reflètent le tracé astronomique des planètes. Les mythes
associés aux labyrinthes, d'après de nombreux chercheurs et érudits,
reflètent la nostalgie du soleil chez les peuples des régions
septentrionales de l'Europe.
► Dr. Frithjof Hallman, Combat païen n°19, 1992. (texte issu de Mensch und Maß, 23.2.1992)
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