A
l'époque à laquelle il écrivait ce texte, Ernst Udet n'était encore
qu'un débutant. Mais ce novice prussien allait devenir, avec 62
victoires, l'As n°2 de l'aviation de son pays... :
"Il y avait une certaine activité le long des lignes et le bruit courait que l'autre camp préparait une grande offensive. Nous pouvions apercevoir chaque jour se détachant sur le ciel d'été de longues rangées de ballons captifs, comme une enfilade de saucisses monstrueuses. Ces ballons constituaient un danger pour nos troupes et la décision fut prise de faire quelque chose.
Je commençais ma journée de bonne heure pour avoir le soleil dans le dos pour l'attaque des ballons. Je volais très haut, plus haut que jamais jusqu'ici. L'altimètre indiquait 4500 mètres et l'air été léger mais glacial.
En dessous, le monde m'apparaissait comme un énorme aquarium. Juste au dessus de Lierval, là où Reinhold s'était fait descendre, j'aperçus un avion ennemi qui, de loin, avait l'air d'une libellule.
Puis je vis un petit point en mouvement rapide, venant de l'ouest. Il ne tarda pas à prendre forme et je pus l'identifier bientôt comme un Spad. Il était probablement à la recherche des intrus de mon espèce. Je verrouillais mes bretelles et sentis dès cet instant, que ce serait un combat acharnés.
Nous étions à la même altitude, un rayon de soleil sur la carlingue de mon adversaire me permit de voir sa peinture brun clair.
Tout de suite le combat tournoyant s'engagea, chacun à l'affût d'une occasion. Du sol, on nous prenait sans doute pour deux oiseaux de proie se livrant au jeu de la période des amours comme au printemps, mais lui et moi savions qu'il s'agissait du jeu de la vie ou de la mort. Le premier des deux à réussir à se glisser dans la queux de l'autre serait le vainqueur. Telle est la loi des monoplaces : on peut tirer que devant soi ; pris par derrière on est perdu.
Au cours du combat, nous sommes passés parfois si près l'un de l'autre que j'ai pu observer en détail le visage de mon adversaire - ou du mois ce que je pouvais en voir sous son casque. Sur le flanc de l'appareil, il y avait une cigogne et deux mots peints en blanc. A la cinquième passe il me frôla de si près que je sentis le souffle de son hélice - Je réussis à lire les lettres du mot V-I-E-U-X. Et tout le monde savait à l'époque que le "Vieux Charles" était l'avion de Guynemer.
J'aurais du m'en douter. Il n'y avait pas deux pilotes alliés à manier un appareil avec une telle maîtrise. Comme la plupart des bêtes de proie, cet homme aimait chasser tout seul. Ce fut Guynemer qui mit au point la tactique d'attaque du soleil dans le dos. C'est comme cela qu'il avait descendu mon copain Puz. Il était à l'époque crédité de 30 victoires déjà et je sentis que ce serait le combat de ma vie.
Je tentai un Immelmann pour essayer de l'avoir par dessus ; mais il comprit immédiatement mon idée et fit une évasive en demi-tonneau. Je risquais une autre manœuvre, et Guynemer la déjoua instantanément. Le jeu de cache-cache se prolongeait.
A un moment donné, au sortir d'un virage, il prit l'avantage une fraction de seconde - et d'une grêle de balles enveloppa ma cellule.
Je sortis le grand jeu, tout ce que je savais faire, virages boucles, tonneaux, glissades... Il collait au moindre de mes mouvements avec des réflexes incroyablement rapides et précis. Petit à petit, je réalisais que je n'étais pas de sa force. Non seulement son avion était supérieur, mais le pilote était un duelliste hors pair. Seulement je n'avais pas le choix, me battre ou rompre le combat, et tourner le dos serait signer mon arrêt de mort.
J'engageais un virage très serré, et l'espace d'un instant, je l'eu enfin dans mon collimateur. Je pressais la détente... Rien ! Ma mitrailleuse était enrayée. Tenant le manche de la main gauche, je secouai énergiquement la mitrailleuse de ma main droite. Rien à faire.
J'eus une seconde la tentation de lui échapper en piquant à mort, mais avec un tel adversaire la manœuvre eut été sans espoir. En quatre secondes dans ma queue, il m'aurait descendu sans la moindre difficulté.
Alors le combat tournoyant se poursuivit. Pour moi, c'était la plus extraordinaire leçon de pilotage - abstraction faîte des risques bien sur - j'avoue avoir totalement oublié pendant un moment que mon partenaire s'appelait Guynemer, et que c'était mon ennemi. Il m'a semblé que j'étais à l'entraînement, au dessus d'un terrain, avec un vieil ami... Mais cette impression ne dura guère. Nous étions en combat tournoyant depuis 8 minutes déjà, les 8 minutes les plus longues de ma carrière de pilote. Brusquement, Guynemer partit en retournement, en vol sur le dos il me passa sur la tête. Du coup, je lâchai le manche pour cogner de mes deux points sur ma foutue mitrailleuse ! La méthode était primitive, mais quelque fois ça marchait !
Guynemer m'avait regardé faire et savait désormais que j'étais sa victime sans défense. Il fit une nouvelle passe juste sur ma tête, il était pratiquement en vol inversé, et là, à ma stupéfaction, il me fit signe de la main, en un geste amical, et mit cap à l'ouest.
Je rentrai au terrain stupéfait.
Certains ont ensuite prétendu que Guynemer avait lui aussi subit un enrayage de mitrailleuse, d'autres qu'il a eu peur que, dans mon désespoir, je lui fonce dessus avec mon avion. Je n'en crois rien. Pour moi, Guynemer donna ce soir là une démonstration de la pérennité de quelque chose qui s'inspire de l'ancienne chevalerie, et qui survivait encore aux méthodes modernes de combat.
"Il y avait une certaine activité le long des lignes et le bruit courait que l'autre camp préparait une grande offensive. Nous pouvions apercevoir chaque jour se détachant sur le ciel d'été de longues rangées de ballons captifs, comme une enfilade de saucisses monstrueuses. Ces ballons constituaient un danger pour nos troupes et la décision fut prise de faire quelque chose.
Je commençais ma journée de bonne heure pour avoir le soleil dans le dos pour l'attaque des ballons. Je volais très haut, plus haut que jamais jusqu'ici. L'altimètre indiquait 4500 mètres et l'air été léger mais glacial.
En dessous, le monde m'apparaissait comme un énorme aquarium. Juste au dessus de Lierval, là où Reinhold s'était fait descendre, j'aperçus un avion ennemi qui, de loin, avait l'air d'une libellule.
Puis je vis un petit point en mouvement rapide, venant de l'ouest. Il ne tarda pas à prendre forme et je pus l'identifier bientôt comme un Spad. Il était probablement à la recherche des intrus de mon espèce. Je verrouillais mes bretelles et sentis dès cet instant, que ce serait un combat acharnés.
Nous étions à la même altitude, un rayon de soleil sur la carlingue de mon adversaire me permit de voir sa peinture brun clair.
Tout de suite le combat tournoyant s'engagea, chacun à l'affût d'une occasion. Du sol, on nous prenait sans doute pour deux oiseaux de proie se livrant au jeu de la période des amours comme au printemps, mais lui et moi savions qu'il s'agissait du jeu de la vie ou de la mort. Le premier des deux à réussir à se glisser dans la queux de l'autre serait le vainqueur. Telle est la loi des monoplaces : on peut tirer que devant soi ; pris par derrière on est perdu.
Au cours du combat, nous sommes passés parfois si près l'un de l'autre que j'ai pu observer en détail le visage de mon adversaire - ou du mois ce que je pouvais en voir sous son casque. Sur le flanc de l'appareil, il y avait une cigogne et deux mots peints en blanc. A la cinquième passe il me frôla de si près que je sentis le souffle de son hélice - Je réussis à lire les lettres du mot V-I-E-U-X. Et tout le monde savait à l'époque que le "Vieux Charles" était l'avion de Guynemer.
J'aurais du m'en douter. Il n'y avait pas deux pilotes alliés à manier un appareil avec une telle maîtrise. Comme la plupart des bêtes de proie, cet homme aimait chasser tout seul. Ce fut Guynemer qui mit au point la tactique d'attaque du soleil dans le dos. C'est comme cela qu'il avait descendu mon copain Puz. Il était à l'époque crédité de 30 victoires déjà et je sentis que ce serait le combat de ma vie.
Je tentai un Immelmann pour essayer de l'avoir par dessus ; mais il comprit immédiatement mon idée et fit une évasive en demi-tonneau. Je risquais une autre manœuvre, et Guynemer la déjoua instantanément. Le jeu de cache-cache se prolongeait.
A un moment donné, au sortir d'un virage, il prit l'avantage une fraction de seconde - et d'une grêle de balles enveloppa ma cellule.
Je sortis le grand jeu, tout ce que je savais faire, virages boucles, tonneaux, glissades... Il collait au moindre de mes mouvements avec des réflexes incroyablement rapides et précis. Petit à petit, je réalisais que je n'étais pas de sa force. Non seulement son avion était supérieur, mais le pilote était un duelliste hors pair. Seulement je n'avais pas le choix, me battre ou rompre le combat, et tourner le dos serait signer mon arrêt de mort.
J'engageais un virage très serré, et l'espace d'un instant, je l'eu enfin dans mon collimateur. Je pressais la détente... Rien ! Ma mitrailleuse était enrayée. Tenant le manche de la main gauche, je secouai énergiquement la mitrailleuse de ma main droite. Rien à faire.
J'eus une seconde la tentation de lui échapper en piquant à mort, mais avec un tel adversaire la manœuvre eut été sans espoir. En quatre secondes dans ma queue, il m'aurait descendu sans la moindre difficulté.
Alors le combat tournoyant se poursuivit. Pour moi, c'était la plus extraordinaire leçon de pilotage - abstraction faîte des risques bien sur - j'avoue avoir totalement oublié pendant un moment que mon partenaire s'appelait Guynemer, et que c'était mon ennemi. Il m'a semblé que j'étais à l'entraînement, au dessus d'un terrain, avec un vieil ami... Mais cette impression ne dura guère. Nous étions en combat tournoyant depuis 8 minutes déjà, les 8 minutes les plus longues de ma carrière de pilote. Brusquement, Guynemer partit en retournement, en vol sur le dos il me passa sur la tête. Du coup, je lâchai le manche pour cogner de mes deux points sur ma foutue mitrailleuse ! La méthode était primitive, mais quelque fois ça marchait !
Guynemer m'avait regardé faire et savait désormais que j'étais sa victime sans défense. Il fit une nouvelle passe juste sur ma tête, il était pratiquement en vol inversé, et là, à ma stupéfaction, il me fit signe de la main, en un geste amical, et mit cap à l'ouest.
Je rentrai au terrain stupéfait.
Certains ont ensuite prétendu que Guynemer avait lui aussi subit un enrayage de mitrailleuse, d'autres qu'il a eu peur que, dans mon désespoir, je lui fonce dessus avec mon avion. Je n'en crois rien. Pour moi, Guynemer donna ce soir là une démonstration de la pérennité de quelque chose qui s'inspire de l'ancienne chevalerie, et qui survivait encore aux méthodes modernes de combat.
Aussi dois-je déposer ce témoignage personnel en hommage sur la tombe inconnue dans laquelle il repose."
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