Le
23 septembre 1862, le roi de Prusse Guillaume 1er, confronté à une
grave crise politique, nomme à la Chancellerie un homme à poigne, le
comte Otto von Bismarck.
Les
journaux libéraux de Berlin ne lui donnent que quelques mois. Dans les
faits, il va gouverner le pays puis l'ensemble de l'Allemagne pendant
vingt-huit ans et bouleverser les rapports de force sur la scène
européenne.
Alban Dignat
Guillaume
1er a succédé à son frère le 2 janvier 1861 sur le trône de Prusse,
principal État d'Allemagne du Nord. Cet homme profondément pieux de 64
ans est d'emblée troublé par le régime de délation qu'a instauré le
gouvernement réactionnaire du défunt roi (la Camarilla).
Il est aussi irrité par la virulence de l'opposition libérale à l'assemblée du Landtag,
qui s'oppose au vote de crédits militaires en vue de renforcer l'armée.
Lors des crises européennes des années 1848, 1852 et 1859, il a pu
mesurer la médiocrité de l'armée prussienne et de son commandement.
Une
fois sur le trône, dans le souci de ramener la Prusse au-devant de la
scène européenne, il a préparé avec le chef d'état-major von Moltke et
le ministre de la Guerre Albert von Roon une nouvelle loi militaire,
avec l'ambition de pouvoir mobiliser jusqu'à 500.000 honmmes en cas de
guerre. Mais les députés dénoncent le coût du projet (quatre millions de
thaler supplémentaires par an) et le risque qu'il nuise au développement économique et prive l'industrie d'une précieuse main-d'oeuvre.
Découragé,
le roi envisage d'abord d'abdiquer puis se ravise et se dit qu'il
pourrait tenter un nouveau départ avec Otto von Bismarck. Il a remarqué
son tempérament ardent et ses convictions rigides comme député au Landtag
puis ambassadeur à la Diète de Francfort (1851-1859), ambassadeur à
Saint-Pétersbourg (1859-1862) et depuis mai 1862, ambassadeur à Paris.
Bismarck
lui-même attend son heure. Plusieurs fois dans les années et les mois
précédents, il a cru pouvoir accéder au gouvernement comme ministre des
Affaires étrangères, voire comme chef du gouvernement, avec le soutien
de son ami von Roon. Mais à chaque fois, le roi Guillaume 1er avait
repoussé l'idée, par incompatibilité de caractère avec le fougueux
géant. Le Kronprinz (le prince héritier) soupçonnait quant à lui le comte d'être vendu à Napoléon III et aux Français !
Cette fois, sera la bonne...
Le
16 septembre 1862, à Paris, Bismarck, qui rentre tout juste de ses
vacances dans le sud de la France, reçoit de son ministre Bernstorff un
télégramme chiffré l'informant que le roi l'attend d'urgence à
Berlin. Le matin du 22 septembre, un officier introduit l'ambassadeur
auprès du roi au château de Babelsberg, près de Potsdam.
D'après
le récit qu'a fait plus tard Bismarck de la rencontre, le roi lui
montre son acte d'abdication, sur une table, et lui dit : «Je ne
veux plus régner si je ne puis le faire en assumant la responsabilité
devant Dieu, selon ma conscience, devant mes sujets. Je ne trouve plus
de ministre qui soit disposé à diriger mon gouvernement. C'est pourquoi
j'ai résolu d'abdiquer».
À quoi Bismarck répond : «Je suis prêt depuis le mois de mai - Votre Majesté le sait - à assumer la responsabilité du pouvoir».
-- Seriez-vous prêt à soutenir les projets militaires sans les modifier?
-- Oui, Sire,
-- À quelles conditions?
-- Sans aucune condition...
-- Il est donc de mon devoir de tenter de poursuivre la lutte avec vous... Je n'abdique pas.
-- Seriez-vous prêt à soutenir les projets militaires sans les modifier?
-- Oui, Sire,
-- À quelles conditions?
-- Sans aucune condition...
-- Il est donc de mon devoir de tenter de poursuivre la lutte avec vous... Je n'abdique pas.
C'est ainsi que le comte Otto von Bismarck (47 ans) est nommé ministre d'État et ministre-président, autrement dit chef du gouvernement.
Jusqu'à
sa mort, en 1888, le roi Guillaume 1er va lui conserver sa confiance
malgré leur incompatibilité de caractère et de très violents heurts
entre les deux hommes ! Bismarck lui-même ne quittera le pouvoir
contraint et forcé que deux ans plus tard, après vingt-huit à la tête du
gouvernement. La Prusse, l'Allemagne et l'Europe en sortiront
profondément transformées.
Un incident révélateur
Dès
le 30 septembre 1862, soit une semaine après la nomination de Bismarck,
un incident va donner le ton du changement et révéler la ferme volonté
de Bismarck de réaliser enfin l'unité de l'Allemagne autour de la
Prusse, fut-ce au prix de la guerre... Le nouveau ministre-président
assiste à une séance de la commission parlementaire du budget. Il est
avec quelques ministres et une vingtaine de députés, majoritairement
hostiles.
Il prend la parole et devise sur un ton courtois puis laisse échapper : «L'Allemagne
ne s'intéresse pas au libéralisme de la Prusse mais à sa force
(...). La Prusse doit rassembler ses forces et les tenir en réserve pour
un moment favorable qu'on a déjà laissé passer plusieurs fois. Depuis
les traités de Vienne, nos frontières ne sont pas favorables au
développement de notre État. Ce n'est pas par des discours et des votes
de majorité que les grandes questions de notre époque seront résolues,
comme on l'a cru en 1848, mais par le fer et par le sang».
Les
députés présents vont s'empresser de répercuter ces paroles et en
particulier les derniers mots qui laissent augurer le basculement du
pays vers la militarisation et la guerre. Le scandale est immense et le
roi lui-même s'en trouve bouleversé.
Bismarck
comprend qu'il a été un peu loin et, montant à la hâte dans un train,
se rend à la rencontre du roi. Il le rejoint dans la petite gare de
Juterborg. Guillaume 1er lui réserve un accueil glacial. Mais après une
chaude discussion, la première d'une longue série, il se laisse
convaincre par les arguments de son ministre. Celui-ci aura carte
blanche pour mener à bien ses projets : réforme militaire, guerre contre
l'Autriche puis contre la France, avec au final l'accomplissement de
son rêve : l'unification de l'Allemagne autour de la monarchie
prussienne.
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