Dans
la quatorzième livraison de la revue bimensuelle des Diipetes (Athènes,
Grèce), un article de Thomas Mastakouri puise inspiration dans la
figure du Héros de nos sociétés européennes antiques. Les idées
développées par l'auteur, tout en étant discutables de par un certain
romantisme de la révolte, ont cependant le mérite de nous interpeler et
nous invitent à une réflexion critique sur ce que peut vouloir encore
dire héroïcité. Ce que nous avons à réaliser est aussi d'une certaine
façon ce que nous avons à transmettre, c'est bien là la seule source de
grandeur et c'est pourquoi Boileau rappelait à juste titre qu'« on peut
être héros sans ravager la terre ».
Nous
vivons à une époque de grande aliénation morale et il va de soi que de
puissants intérêts économiques nous dirigent. Pour que ceux-ci puissent
continuer à croître, ils n'ont besoin que d'une chose : transformer la
masse des individus en troupeau, le citoyen devenant une unité docile,
ne réagissant qu'en fonction de la volonté et des avantages des bergers.
L'avilissement, la destruction de la personnalité sont à l'ordre du
jour et la passivité a gagné la plupart des hommes. Qu'en est-il des
réactions éventuelles ? Qu'entend-t-on le plus souvent ? “Laisse tomber”, “c'est un mauvais moment à passer”, “c'est nous qui allons sauver le monde ?”, “il y a pire”, “on est bien comme ça”,
etc... Et ceux qui tentent de réagir ? Des mots creux, quelques
insultes devant l'image du politicien qui apparaît sur le petit écran
en attendant le jeu télévisé habituel avec ses cadeaux et ses
starlettes.
La
voie suivie aujourd'hui par l'humanité est celle du martyr ; celui qui
baisse la tête, parce qu'il a été ainsi éduqué par sa religion, ses
gouvernants, son école, et ses parents. Mais est-ce que cela a toujours
été ainsi et plus particulièrement dans nos contrées ? Celui qui a
quelques connaissances historiques et un peu d'esprit critique connaît
la réponse. La civilisation qui, à une époque, a régné sur cette terre
hellène ne se fondait pas sur l'exemple du martyr et de l'esclave mais
sur celle du Héros qui, comme une flamme, se cache dans chacun d'entre
nous et ne se transforme que rarement de nos jours en feu pour
réchauffer, éclairer, brûler et se consumer.
L'hellénisme
et la civilisation européenne en général ne se sont pas fondés sur la
notion de masse comme d'autres civilisations antiques pour bâtir le
monde contemporain mais au contraire sur celle de la personne.
Le culte du héros dans la cité hellène
Nos
ancêtres adoraient les Héros comme des Dieux. Pour eux, il n'y avait
pas de gouffre entre l'Homme et le Dieu et chaque Cité hellène honorait
certains de ses morts comme des Déités. Ainsi, Athènes honorait Thésée
et Cecrops, Sparte Castor et Pollux, les frères jumeaux d'Hélène et
Clytemnestre, Thèbes Kadmos, la Théssalie Jason, l'Étolie Méléagre, la
Crête Minos, Corinthe Belléphoron. Les Héros, mythiques ou historiques
représentaient des exemples moraux et chaque Cité-État avait les siens
exactement comme les saints patrons par la suite. Les Héros se
réveillaient de leur profond sommeil et apparaissaient dans des
circonstances de crise pour sauver leur cité chérie d'un danger qui les
menaçait. Ainsi, Thésée apparut aux Athéniens avant la bataille de
Marathon et la légende dit que les Galates furent mis en déroute à
Delphes par le fantôme de Néoptolème, le fils d'Achille.
Cet article n'a pas pour but de dresser la liste de tous les Héros du
passé mais de mettre en valeur les caractéristiques essentielles de leur
comportement qui servait de modèle à nos aïeux et a profondément
transformé et relevé la civilisation hellène. Vivant, comme nous
l'avons dit, à une époque de relachement et de dégénérescence des
consciences, la mise en relief de ces particularités pourra sûrement
nous fournir des armes qui nous permettraient de lutter contre
l'aliénation qui menace de toutes parts.
Ainsi,
le premier caractère du Héros est son individualité absolue. Il n'est
jamais intégré dans la masse et ne suit ni ses réactions ni ses désirs.
Sa volonté est exclusivement la sienne et, s'il devait être influencé
par une quelconque obligation morale, il le fait sciemment, conscient
des limites qu'il s'impose. L'héroïsme ne peut se développer au sein
d'une société despotique que celle-ci soit théocratique ou absolutiste.
L'héroïsme s'oppose aux acquis
En
second lieu, le Héros aime le changement. Sans évolution, quelque chose
dort en nous et ne se réveille que rarement. Bien qu'il contribue à
l'instauration de l'ordre au sein d'une société chaotique, lui-même
préfère le désordre et l'incertitude. L'héroisme tel un aiguillon
s'oppose aux acquis, refuse le compromis, secoue les fondements pourris
d'une collectivité. Tout est en perpétuel mouvement, disait le
grand philosophe Héraclite, et toute société figée, sans Héros pour la
sortir de son marasme est, à plus ou moins long terme, vouée à
disparaître. C'est ce qui est arrivé aux anciens Égyptiens. Pendant des
millénaires, ils ont bâti une civilisation dont les vestiges sont encore
visibles aujourd'hui. Cependant, leur système despotique et
théocratique étouffait toute individualité. Qui peut nous citer un grand
Héros égyptien ? Quelqu'un — à l'exception des pharaons — qui, dans un
éclat d'individualité ait fait évoluer l'Histoire ?... Qu'en est-il
advenu de cette brillante civilisation ? Elle est enterrée sous les
sables de l'Histoire, faute de Héros.
Les
religions étrangères se sont abattues sur un empire romain décadent
dont l'absolutisme démentiel s'était attelé à supprimer toute forme
d'individualité et à niveler les membres de la société. Dès le début, le
modèle du Héros fut remplacé par celui du martyr. Celui de l'individu
qui se donne à une collectivité souveraine, un Dieu, un Gouvernement, un
Empereur. L'exemple de celui qui vit et meurt sans se poser de
questions, ne remet pas en cause les Dogmes qui lui sont imposés,
croyant aveuglément et se remettant à d'autres pour son salut, sa
protection et sa sécurité.
Certains
confondent à tort Héros et martyr. Comme nous l'avons déjà dit, le
Héros se bat jusqu'à son dernier souffle, ne rend jamais les armes, ne
subit pas passivement son destin. Son principal souci consiste à
valoriser l'immortalité de son âme, à la perfectionner au fil des luttes
afin de gagner sa place parmi les Dieux et ce, sans l'aide de personne.
Il
n'ignore pas que le combat est inhérent à la nature humaine, qu'il ne
peut y avoir de progrès sans les contraires. Il ne s'avoue jamais vaincu
même s'il sait que tout est perdu d'avance. Il place sa dignité et son
honneur au-dessus des problèmes quotidiens. Ainsi, Achille était
conscient de son destin funeste s'il devait venger la mort de Patrocle
mais cela ne l'a pas empêché de le faire. Cucchulainn, le plus grand des
Héros irlandais n'a pas hésité à prendre les armes alors même que son
druide-instructeur lui avait prédit qu'il allait connaître la gloire et
la grandeur mais qu'il allait en mourir avant que ne lui pousse un seul
cheveu blanc sur la tête. Lorsque le dragon Fafnir, agonisant, menace
Siegfried de sa malédiction, ce dernier lui répondit que bien que chacun voulut garder ses trésors pour toujours, l'heure de la mort arrivait pour tous.
Ils sont tous Héros, c'est-à-dire des Hommes capables de défier leur
destin et mêmes les Dieux s'ils pensent avoir raison où si une
obligation morale le leur commande.
Chaque instant est unique
Il
vient en aide aux faibles et aux veillards mais ne supporte ni les
fainéants, ni les profiteurs et les voleurs. Il les considère comme des
“fardeaux de la terre”, un poids pour la Terre-Mère. Il sait être
courageux face au danger et patient devant les difflcultés de la vie
quotidienne sans pour autant rechercher l'affliction et l'adversité. Il
sait profiter des joies de la vie là où il les trouve, en écoutant une
chanson, après un baiser, devant un endroit idyllique ou l'hilarité d'un
enfant par ce qu'il sait que chaque instant est unique et qu'il ne se
reproduira peut-être jamais. De plus, il n'est pas stupide. Il sait
utiliser son intelligence chaque fois qu'il en a besoin. Il représente
la supériorité de l'Homme face à l'animal. Il sait rire avec ses propres
malheurs, car le rire est comme le vent qui chasse les nuages de la
misère et du défaitisme. Il essaie de résoudre seul ses problèmes tout
en respectant la Nature qu'il considère comme vivante et sacrée.
Les
lectrices seront sans doute lasses d'entendre parler exclusivement de
Héros masculins. En effet, les traditions européennes ne sont pas
exemptes d'Héroïnes. Ainsi, la Béotienne Atalante tua les 2 centaures
qui avaient tenté de la violer, participa à l'expédition des Argonautes
et fut la première à toucher le sanglier de Calydon au cours d'une
chasse. La reine Kathe initia Cuchulainn à l'art de la guerre. La reine
des Iceni de Grande-Bretagne, Boudicca (Bodicée), “la victorieuse”
conduisit son armée contre l'envahisseur romain, mettant hors de combat
de nombreuses légions. Tacite racontait que les femmes germaniques
combattaient aux côtés de leurs hommes. Les Déesses étaient, dans
l'antiquité, aussi nombreuses que les Dieux et étaient honorées et
adorées avec la même ferveur. Cependant, le fait de tenir.une épée et de
combattre comme un homme ne suffisait pas pour faire d'une femme une
Héroïne. Antigone représente le modèle le plus significatif de l'Héroine
qui ne renonça ni à son dévouement ni à sa grandeur d'âme pour lutter
contre le pouvoir en place tout en sachant qu'elle allait connaître une
fin atroce. Mais avec l'avènement d'un système patriarcal étranger à
l'Europe, la femme allait bientôt être transformée en simple objet
sexuel et de procréation.
Et
aujourd'hui qui pourrait être considéré comme Héros ? Citons quelques
exemples : l'employé qui refuse de contribuer à s'enrichir sur le dos
des autres tout en sachant qu'il risque de perdre son emploi, la mère
qui élève seule son enfant et affronte avec fierté les ragots du
voisinage, celui qui éteint sa télévision pour lire un livre ou écouter
de la musique, la femme qui décide d'entreprendre des études dans une
école qui n'admettait auparavant que des hommes. L'héroïsme se reconnaît
à des milliers de petites et grandes choses de la vie quotidienne.
Les
modèles de références de nos ancêtres étaient leurs propres Dieux. Les
Olympiens, les Dieux des Celtes et ceux des Scandinaves étaient
eux-mêmes des Héros, c'est-à-dire des êtres qui luttaient contre leur
propre destinée, se battant comme les Hommes, avec leurs défauts et
leurs qualités, à la recherche de leur propre éveil.
De l'inégalité des dieux à l'égalité devant l'État
Les
anciens Dieux n'étaient pas invincibles ni savants ni des modèles de
bonté et cela les rapprochait des humains par rapport au Démiurge
souverain, sans visage et inapprochable. Que cela n'en déplaise à
certains, les anciens Dieux ne prodiguaient pas que des faveurs, ils ne
considéraient pas tous les individus de la même façon. Ce n'est que
grâce à son propre degré d'éveil que l'Homme pouvait atteindre l'Olympe,
le Valhalla ou les Iles des Bienheureux. Les autres entamaient la
descente dans le monde d'en bas dans l'attente de leur prochaine
réincarnation et tenter à nouveau de se détacher de ce cycle infernal en
accédant à la divination. Avec l'avènement de la nouvelle religion, le
serviteur fut mis au même pied d'égalité que le maître et, pire encore,
le Héros fut considéré comme un Homme ordinaire. Le régime totalitaire
de l'ancienne et de la nouvelle Rome ne pouvait fonctionner autrement.
Tous devaient être égaux sous la férule du Régime, de l'Empereur et de
Dieu. Les conséquences ne se sont pas faites attendre. Chaque science ou
philosophie contraires au dogmes ambiants étaient éradiquées. Toute
recherche de la Beauté était considérée comme un tabou. Toute liberté
de pensée et de choix fut condamnée. Ceux qui s'exprimaient différemment
des normes établies étaient considérés comme hérétiques, jetés dans des
geôles et brûlés vifs.
Les
guerres des anciens fondées sur les mises en valeur individuelles et
qui pouvaient être comparées à des scènes théâtrales ont cédé la place
aux guerres d'intérêts ou de religions, inconnues jusqu'alors et qui ont
tant fait couler de sang sur notre vieux continent. Le Héros guerrier a
cédé la place au combattant sans volonté, simple pion au service d'un
stratège qui, autrefois, dirigeait les combats sur le terrain,
aujourd'hui, du fond d'une salle, entouré de spécialistes en guerres de
tous genres, décide des batailles en se fondant sur des chiffres, des
statistiques et des comparaisons. Le citoyen inconscient a, depuis fort
longtemps, perdu son identité à l'exception d'un pseudo-droit ou
obligation de voter de temps en temps pour ceux qui le dominent, sans
pour autant qu'il puisse réellement s'exprimer sur la manière dont il
est gouverné. L'agriculteur, l'artisan, le philosophe se sont mués en
unités de consommation, qui doivent acheter de plus en plus en suivant
les prescriptions de la publicité et du marché, indifférents à la
catastrophe écologique qui se produit autour d'eux.
L'amour,
ce cadeau des Dieux, cette communion des corps et des esprits, tel un
feu ardent, a été transformé en péché, dépravation alors qu'au même
moment il est utilisé de la façon la plus vile qui soit pour placer
toutes sortes de produits auprès de récepteurs décérébrés jusqu'à leur
dicter des modes de comportements. L'Homme sain qui était en contact
permanent avec ses Dieux a, aujourd'hui, besoin d'intermédiaires, de
“représentants de Dieu” sur Terre auto-proclamés, sous la menace
permanente d'une damnation éternelle s'il lui venait à l'idée de douter
ou de contester les dogmes en place. L'acception même de la notion de
Héros a été déformée de la façon la plus ignoble qui soit, lorsqu'elle
est utilisée de nos jours pour décrire des individus qui ne savent pas
placer correctement trois mots mais se contentent simplement de planter
quelques ballons dans des filets ou des paniers, vêtus comme des
publicités ambulantes aux couleurs des généreux sponsors qui les
financent. Les anciens Olympiens concouraient pour la gloire et un
rameau d'olivier, les “héros” d'aujourd'hui pour la belle voiture que
leur offrira le Président ainsi que les nouveaux et juteux contrats qui
les attendent.
Un
Homme sensé ne peut qu'être affligé devant une telle situation. La voie
du martyr, de l'individu aveuglé et passif qui confie son destin entre
les mains de tierces personnes a conduit la société au bord du
précipice. Que peut faire celui qui veut résister ? Qui a la volonté de
réagir différemment du bétail ? La réponse est simple ; il doit avoir
du courage et continuer à être lui-même. S'il rencontre des compagnons
qui partagent des points de vue identiques, entrer en contact avec eux
sans pour autant abandonner son individualité. Le Héros n'a point besoin
de maître ou de gourou car personne ne pourra le sauver à part
lui-même.
Aussi,
si vous ne craignez pas de vous promener dans des endroits sombres et
affirmer que vous êtes dans le vrai ; si vous croisez un enfant et que
vous avez envie de jouer avec lui, de même que si vous rencontrez un
vieillard et que vous voulez partager ses connaissances ; si pour vous
l'amour est un cadeau irremplaçable et non quelque chose dont vous avez
honte ; si chaque défi n'est pas pour vous ni trop difficile pour
l'affronter ni trop facile pour l'ignorer ; si vous permettez à chacun
d'exprimer son opinion sans pour autant vous faire influencer ; si vous
voulez vider le verre de la vie jusqu'à la dernière goutte sans craindre
les conséquences ; si vous vous sentez ainsi, alors vous êtes sûrement
sur le chemin du Héros. Et ceux qui regardent des cieux la destinée des
Hommes doivent sûrement êtres fiers de vous.
► Thomas MASTAKOURI, Nouvelles de Synergies Européennes n°30-31, 1997. (tr. fr. Nikiforos Periklis)
► Thomas MASTAKOURI, Nouvelles de Synergies Européennes n°30-31, 1997. (tr. fr. Nikiforos Periklis)
1 commentaire:
Salutation
Superbe article.
Dominique.
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