Jean
Sevillia, journaliste et écrivain, analyse la réforme de l’enseignement
de l’histoire et ses conséquences. Il s’inquiète en particulier d’une
version de l’histoire imposée pars des «réseaux».
On
doit cependant y voir également, multiculturalisme oblige, l’effet d’un
changement de valeurs. […] Non seulement le roman national a été
abandonné, mais il est en passe d’être stigmatisé parce qu’il
manifesterait – horresco referens – une «passion identitaire».
L’absence
de l’histoire en terminale scientifique est la manifestation la plus
éclatante de la dégradation de cette matière dans le cursus scolaire.
Mais le problème de l’histoire à l’école ne tient pas seulement au
nombre d’heures de cours : l’orientation des programmes est en cause.
Les programmes? Ceux qui sont en vigueur ont été élaborés par les services de la Rue de Grenelle entre 2006 et 2008.
À
l’école primaire, l’élève est censé étudier les grandes périodes
historiques et la géographie française. Au collège, il doit ensuite
parcourir l’histoire de l’Occident, de l’Antiquité au XXe siècle, avec
chaque année une initiation aux mondes extérieurs: la Chine des Han ou
l’Inde des Guptas en sixième, un empire africain (Mali, Ghana, Songhaï
ou Monomotapa) en cinquième, la traite négrière en quatrième. Au lycée,
le cursus prévoit la reprise du programme du collège, mais sous l’angle
d’éclairages thématiques tels que «L’invention de la citoyenneté dans le
monde antique» ou «Croissance économique et mondialisation».
Pour
les lycéens, un découpage de ce type suppose que les acquis de l’école
primaire et du collège aient été réellement assimilés. À ce titre, le
programme actuel a été d’emblée contesté, nombre d’enseignants lui reprochant son caractère théorique, pour ne pas dire utopique. […]
Ainsi, en dépit du discours officiel qui prétend le contraire, la
chronologie, condamnée il y a plus de trente ans au nom d’une approche
thématique et transversale de l’histoire, n’est-elle toujours pas
rentrée en grâce. N’importe quel assistant de faculté peut
raconter d’édifiantes anecdotes à ce sujet, beaucoup d’étudiants de
première année hésitant à situer les Mérovingiens par rapport aux
Carolingiens ou peinant à aligner correctement la liste des régimes
politiques français du XIXe siècle, du Premier Empire à la IIIe
République. Et encore s’agit-il de jeunes attirés par l’histoire! […]
Les diatribes contre «l’histoire officielle» ont ceci d’hypocrite, cependant, qu’elles ignorent – ou feignent d’ignorer – qu’il a toujours existé une histoire officielle,
en France, des origines du pays à nos jours. Soit de manière active,
quand l’Etat diffusait consciemment une certaine vision du passé dans le
but de légitimer son pouvoir, ce qui s’est vu sous la monarchie comme
sous la République. Soit de manière passive, quand l’État
laissait s’installer dans ses rouages des réseaux décidés à utiliser
leur position institutionnelle pour imposer une certaine interprétation
du passé, version devenue officielle à force d’être dominante. Or, c’est dans ce dernier cas de figure que nous nous trouvons.
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