samedi 7 juillet 2012

Il y eut aussi un génocide chaldéen…


C’est par l’intermédiaire d’un ami commun que j’ai eu l’honneur et l’immense plaisir de rencontrer Shimun [1], personne au destin à part s’il en est ! Aîné d’une famille de six enfants, Shimun est chaldéen. En juillet 1994 il émigre en Europe avec l’une de ses soeurs pour fuir les persécutions religieuses dont les siens étaient victimes en Turquie. Il est aujourd’hui installé à Villiers-le-Bel où il a retrouvé la communauté chaldéenne qui s’y trouve réfugiée, comptant actuellement quelques 10 000 personnes. Marié et père de famille, Shimun a eu l’amabilité de bien vouloir se soumettre à mes pressantes questions sur la situation de la communauté chaldéenne et son histoire douloureuse.
Bonjour Shimun, pouvez-vous nous dire quelques mots de présentation au sujet de la communauté chaldéenne à laquelle vous appartenez ?
Très volontiers. Les Chaldéens sont la population de l’ancienne Mésopotamie qui correspond approximativement à nos Syrie, Iran, Irak, Turquie, Géorgie… L’existence de mon peuple remonte à la civilisation sumérienne[2] tu te rends compte ? Nous fûmes l’une des premières grandes civilisations de l’histoire.
Il s’agit donc d’une communauté ethnique et non pas religieuse ?
Initialement oui. En fait lorsqu’on veut faire référence à notre peuple, on dit « Assyro-Chaldéens », tandis que le terme de « Chaldéens » désigne aujourd’hui plutôt la partie catholique. Néanmoins les deux termes se confondent souvent car la Chaldée a été évangélisée très tôt, notamment par les apôtres saint Thomas et saint Thadée. Elle s’est convertie au christianisme au IIè siècle ! L’histoire religieuse de la Chaldée a ensuite été assez complexe, pour faire très bref disons que l’église chaldéenne a rejoint Rome en 1553 lorsque le pape a choisi Jean Soulaqa pour être notre patriarche. Tout cela pour te dire que la religion a pénétré notre peuple au point qu’on en fasse une donnée de notre identité comme le suggère ta question.
Merci pour ces précisions fort utiles. Aujourd’hui, dans quels pays la communauté chaldéenne se situe-t-elle et de quel lieu la communauté établie en France est-elle originaire ?
La plupart des Chaldéens en France sont originaire du Hakkari, qui est une région montagneuse au Sud-Est de l’Anatolie. Avant la première guerre mondiale, la Turquie comptait environ 20% de chrétiens, mais actuellement je dirais qu’il n’en reste que 0, 5% ? 0, 1% peut-être ; beaucoup ont été tué ou bien ont immigré. Nous ne sommes plus que 300 000 en Irak par exemple. La plupart d’entre nous se trouvent en Syrie. Beaucoup ont émigré en Inde aussi, puis aux Etats-Unis, en Australie, en Europe…
En réalité les Chaldéens son un peuple à part entière, avec une histoire et des traditions extrêmement riches et fortes, mais nous sommes un peuple sans pays, 5 000 000 d’Assyro-chaldéens et Cyriaques à être éparpillés un peu partout dans le monde.
Il s’agit en effet d’un exode massif ! Quand les Chaldéens ont-ils émigrés et pour quelles raison ?
Je pense que nous avons commencé à quitter nos terres dans les années 70, et énormément sont partis dans les années 90.
Après la chute de son empire, le pouvoir ottoman  a voulu assurer ses frontières et s’est appuyé sur la minorité la plus importante du pays : les Kurdes. Ils leur ont dit : « Débarrassez-nous des chrétiens et nous vous promettons les terres que vous aurez libérées ». Ses accords n’ont pas été respectés par l’Etat turque ; cependant les Kurdes y ont cru, et alors la série de persécutions et de massacres que ma communauté a souvent connue depuis l’arrivée des musulmans s’est fortement accentuée, en particulier avec le génocide de 1915. Durant cette période, les chrétiens n’étaient pas mieux traités que des bêtes. Dans mon village tu avais les Kurdes qui arrivaient à n’importe quel moment du jour et de la nuit : s’ils avaient besoin de nourriture, de vêtements, d’argent, tu ne pouvais pas refuser ni discuter, même si tu n’en avais pas les moyens; c’était une espèce d’impôt qui était institué. Mais il y avait des infiltrés qui appartenaient aux milices de l’Etat, si bien que si l’on coopérait avec les Kurdes, le lendemain l’armée turque arrivait, mettait les hommes au soleil et les battaient [3]
Tu as de nombreux exemples de chrétiens qui partaient parfois à l’hôpital comme tout le monde, mais si l’on découvrait qu’ils étaient chrétiens on pouvait les empoisonner. C’est arrivé à une famille très proche de la mienne : un jour le fils mal en point est conduit à l’hôpital, là on rassure la famille disant qu’il va s’en sortir. Mais le lendemain, son frère part aux nouvelles et on lui annonce sa mort sans explications.
Il arrivait aussi qu’on se dénonce entre frères pour avoir une prime. J’ai perdu mon cousin d’une manière semblable au cours de l’année 1994 : il partait vers Istanbul… En chemin on lui glisse un courrier dans les bagages qui le faisait passer pour un agent kurde, on s’arrange pour le faire contrôler, puis on l’arrête pour complicité avec le PKK [4]. Il a été incarcéré. Nous n’avons plus jamais eu de nouvelles de lui. Mon oncle et le maire du village sont partis demander des nouvelles et ont été incarcéré à leur tour. Nous avons appris qu’il aurait été maltraité jusqu’à en devenir méconnaissable, puis jeté d’un hélico. Ceux qui l’ont dénoncé comme agent du PKK ont eu une belle prime…
Cependant je tiens à dire que certaines familles nous ont protégés ; mes grands-parents ont été protégés par des Kurdes, pendant un an… deux ans.
Bien-sûr nous avions la possibilité d’éviter ces mauvais traitements : il suffisait de se convertir à l’Islam ! Certains l’ont fait. D’autres ont préféré leur foi.
C’est donc pour un motif religieux que vous vous êtes exilé ?
Nous personnellement on est parti parce que notre foi était mise en cause, alors que nous avions là-bas énormément de moyens. Il ne faut pas oublier ça. Nous  ne sommes pas là pour profiter, sinon nous serions restés chez nous… Mais tu sais, pour nous l’Europe était chrétienne, on allait arriver en terre catholique ! J’imaginais des processions dans les rues ! Mais nous sommes énormément déçus, il y a tout sauf la foi. Pourtant ce n’est pas les monuments évoquant la foi qui manquent. Je suis déçu… au point de me dire que j’aurais préféré me faire massacrer là-bas par les musulmans plutôt que rester ici. Pourquoi ? Parce que si ça n’est pas moi qui perd la foi, ce sont mes enfants… Les enfants sont conditionnés par la société occidentale matérialiste et s’ils vivent selon nos valeurs ils seront rejetés de la société. Le confort qu’on a aujourd’hui c’est comme une maladie qui nous tue de l’intérieur et on ne s’en rend même pas compte.
Je serai toujours reconnaissant envers la France, parce que la France m’a tout donné sans contrepartie. Mais au final, tu t’installes, etc., et ce qui est le plus cher, on te le prend : ta famille, ta foi, on t’enlève tout pouvoir dessus… Peu à peu on oublie l’objectif pour lequel on était venu en France. Seulement 40% des Chaldéens aujourd’hui vont à l’église autour de moi…
Vous ne devez pas vous sentir Français dans ces conditions ; de quelle nationalité vous revendiquez-vous ?
Je suis Chaldéen avant tout. Puis Français en raison de ma terre d’accueil : je m’investis pour les Chaldéens en France et pour les intérêts français.
Jamais je me considérerais Turque car quand on apporte une nationalité, il faut donner une contrepartie : la France ne m ‘a pas demandé de prendre la nationalité et en plus elle m’a donné la contrepartie avant. En Turquie on t’y oblige[5] et la seule fois où tu vois la « sécurité » c’est pour t’embarquer. Moi, on m’a imposé une nationalité, mais dans ce cas-là qu’on me donne des infrastructures, de l’électricité, des écoles, etc. Pourquoi nous marginaliser ? Depuis quand existe la Turquie[6] ? Depuis quand existe les Chaldéens ? Il faut un minimum de reconnaissance ! Il faut respecter chacun de la même manière… Les Turques viennent de Mongolie en plus, ils ne sont même pas chez eux.
La loi condamnant le génocide arménien concerne-t-il les Chaldéens ? A-t-il eu un effet positif sur le traitement qui est réservé aux chrétiens en Turquie ?
On parle du génocide arménien mais pas du génocide chaldéen car les Chaldéens n’ont pas de pays, mais il s’agit de la même chose. Environ 900 000 Assyro-Chaldéens ont été massacré et 1 500 000 Arméniens. Malgré tout le massacre de notre peuple n’est pas encore reconnu ; le seul pays à l’avoir fait est la Suède.
Concrètement les chrétiens sont toujours victimes des persécutions. Lors de la guerre en Irak, par exemple, la communauté est visée tous les jours, mais on n’en parle pas. On ne peut pas car une simple manifestation accroîtrait les répressions musulmanes en Irak.
Avez-vous des perspectives d’avenir ?
On pourrait aujourd’hui essayer de revendiquer une zone de liberté, d’autonomie en Irak à Ninive. Il a été question de faire un état fédéral en Irak. On pourrait créer une élite catholique démocratique qui agirait comme un modèle dans cette région. On ne demande qu’à pouvoir vivre sans contraintes sur ses propres terres, cela serait pour nous un sacré soulagement.
Mais nous ne nous faisons pas d’illusions, si cette question a été évoquée, ça n’est que pour calmer éventuellement les tensions en Irak ou avoir une base occidentale dans cette région.
Ce que je voudrais c’est d’abord que nous construisions une école pour nos enfants ici en France.
Récemment un livre a été publié par M. Jean Monneret : Le martyre oublié des chrétiens chaldéens [7]. Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?
J’ai une estime sans borne pour le travail qu’a effectué M. Monneret ! Pour sa patience, pour le talent avec lequel il a rendu notre histoire et nos interventions. Ma famille lui a servi d’intermédiaire avec le monde chaldéen, c’est elle qui est interrogée le long du livre. Il a aussi rapporté mon expérience qu’il a traduite avec une grande délicatesse. Je n’ai qu’un mot : merci.
[1] Le prénom a été modifié selon les souhaits de mon interlocuteur.
[2] La civilisation sumérienne a durée du VIè au IIè millénaire avant Jésus-Christ.
[3] En effet, les accords n’ayant pas été respectés par l’Etat, les Kurdes se sont révoltés, si bien que les Chaldéens se sont retrouvés coincé entre deux feux : l’Etat turque et les Kurdes.
[4] Parti des Travailleurs du Kurdistan.
[5] Le Hakkari a été rattaché à la Turquie en 1925. En 1934 les Assyro-Chaldéens sont forcé à adopté des patronymes turques.
[6] Invasion musulmane au VIIè siècle. 1299 : début de l’empire Ottoman qui sera démantelé après
La Première Guerre Mondiale. Création de la Turquie le 24 juillet 1923.
[7] Jean Monneret, Le martyre oublié des chrétiens chaldéens, être catholique en Turquie…, Via Romana, 2012.
Vous trouvez dans cet ouvrage de nombreux témoignages bouleversants, ainsi qu’une chronologie traçant à grands traits l’histoire des Chaldéens de Turquie.

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