C’est par l’intermédiaire d’un ami commun que j’ai eu l’honneur et l’immense plaisir de rencontrer Shimun [1],
personne au destin à part s’il en est ! Aîné d’une famille de six
enfants, Shimun est chaldéen. En juillet 1994 il émigre en Europe avec
l’une de ses soeurs pour fuir les persécutions religieuses dont les
siens étaient victimes en Turquie. Il est aujourd’hui installé à
Villiers-le-Bel où il a retrouvé la communauté chaldéenne qui s’y trouve
réfugiée, comptant actuellement quelques 10 000 personnes. Marié et
père de famille, Shimun a eu l’amabilité de bien vouloir se soumettre à
mes pressantes questions sur la situation de la communauté chaldéenne et
son histoire douloureuse.
Bonjour
Shimun, pouvez-vous nous dire quelques mots de présentation au sujet de
la communauté chaldéenne à laquelle vous appartenez ?
Très
volontiers. Les Chaldéens sont la population de l’ancienne Mésopotamie
qui correspond approximativement à nos Syrie, Iran, Irak, Turquie,
Géorgie… L’existence de mon peuple remonte à la civilisation sumérienne[2] tu te rends compte ? Nous fûmes l’une des premières grandes civilisations de l’histoire.
Il s’agit donc d’une communauté ethnique et non pas religieuse ?
Initialement
oui. En fait lorsqu’on veut faire référence à notre peuple, on dit
« Assyro-Chaldéens », tandis que le terme de « Chaldéens » désigne
aujourd’hui plutôt la partie catholique. Néanmoins les deux termes se
confondent souvent car la Chaldée a été évangélisée très tôt, notamment
par les apôtres saint Thomas et saint Thadée. Elle s’est convertie au
christianisme au IIè siècle ! L’histoire religieuse de la Chaldée a
ensuite été assez complexe, pour faire très bref disons que l’église
chaldéenne a rejoint Rome en 1553 lorsque le pape a choisi Jean Soulaqa
pour être notre patriarche. Tout cela pour te dire que la religion a
pénétré notre peuple au point qu’on en fasse une donnée de notre
identité comme le suggère ta question.
Merci pour ces précisions fort utiles. Aujourd’hui, dans quels pays la communauté chaldéenne se situe-t-elle et de quel lieu la communauté établie en France est-elle originaire ?
La
plupart des Chaldéens en France sont originaire du Hakkari, qui est une
région montagneuse au Sud-Est de l’Anatolie. Avant la première guerre
mondiale, la Turquie comptait environ 20% de chrétiens, mais
actuellement je dirais qu’il n’en reste que 0, 5% ? 0, 1% peut-être ;
beaucoup ont été tué ou bien ont immigré. Nous ne sommes plus que 300
000 en Irak par exemple. La plupart d’entre nous se trouvent en Syrie.
Beaucoup ont émigré en Inde aussi, puis aux Etats-Unis, en Australie, en
Europe…
En réalité les Chaldéens son un peuple à part entière, avec une histoire et des traditions extrêmement riches et fortes, mais nous sommes un peuple sans pays, 5 000 000 d’Assyro-chaldéens et Cyriaques à être éparpillés un peu partout dans le monde.
En réalité les Chaldéens son un peuple à part entière, avec une histoire et des traditions extrêmement riches et fortes, mais nous sommes un peuple sans pays, 5 000 000 d’Assyro-chaldéens et Cyriaques à être éparpillés un peu partout dans le monde.
Il s’agit en effet d’un exode massif ! Quand les Chaldéens ont-ils émigrés et pour quelles raison ?
Je pense que nous avons commencé à quitter nos terres dans les années 70, et énormément sont partis dans les années 90.
Après la chute de son empire, le pouvoir ottoman a voulu assurer ses
frontières et s’est appuyé sur la minorité la plus importante du pays :
les Kurdes. Ils leur ont dit : « Débarrassez-nous des chrétiens et nous
vous promettons les terres que vous aurez libérées ». Ses accords n’ont
pas été respectés par l’Etat turque ; cependant les Kurdes y ont cru, et
alors la série de persécutions et de massacres que ma communauté a
souvent connue depuis l’arrivée des musulmans s’est fortement accentuée,
en particulier avec le génocide de 1915. Durant cette période, les
chrétiens n’étaient pas mieux traités que des bêtes. Dans mon village tu
avais les Kurdes qui arrivaient à n’importe quel moment du jour et de
la nuit : s’ils avaient besoin de nourriture, de vêtements, d’argent, tu
ne pouvais pas refuser ni discuter, même si tu n’en avais pas les
moyens; c’était une espèce d’impôt qui était institué. Mais il y avait
des infiltrés qui appartenaient aux milices de l’Etat, si bien que si
l’on coopérait avec les Kurdes, le lendemain l’armée turque arrivait,
mettait les hommes au soleil et les battaient [3]…
Tu
as de nombreux exemples de chrétiens qui partaient parfois à l’hôpital
comme tout le monde, mais si l’on découvrait qu’ils étaient chrétiens on
pouvait les empoisonner. C’est arrivé à une famille très proche de la
mienne : un jour le fils mal en point est conduit à l’hôpital, là on
rassure la famille disant qu’il va s’en sortir. Mais le lendemain, son
frère part aux nouvelles et on lui annonce sa mort sans explications.
Il arrivait aussi qu’on se dénonce entre frères pour avoir une prime. J’ai perdu mon cousin d’une manière semblable au cours de l’année 1994 : il partait vers Istanbul… En chemin on lui glisse un courrier dans les bagages qui le faisait passer pour un agent kurde, on s’arrange pour le faire contrôler, puis on l’arrête pour complicité avec le PKK [4]. Il a été incarcéré. Nous n’avons plus jamais eu de nouvelles de lui. Mon oncle et le maire du village sont partis demander des nouvelles et ont été incarcéré à leur tour. Nous avons appris qu’il aurait été maltraité jusqu’à en devenir méconnaissable, puis jeté d’un hélico. Ceux qui l’ont dénoncé comme agent du PKK ont eu une belle prime…
Il arrivait aussi qu’on se dénonce entre frères pour avoir une prime. J’ai perdu mon cousin d’une manière semblable au cours de l’année 1994 : il partait vers Istanbul… En chemin on lui glisse un courrier dans les bagages qui le faisait passer pour un agent kurde, on s’arrange pour le faire contrôler, puis on l’arrête pour complicité avec le PKK [4]. Il a été incarcéré. Nous n’avons plus jamais eu de nouvelles de lui. Mon oncle et le maire du village sont partis demander des nouvelles et ont été incarcéré à leur tour. Nous avons appris qu’il aurait été maltraité jusqu’à en devenir méconnaissable, puis jeté d’un hélico. Ceux qui l’ont dénoncé comme agent du PKK ont eu une belle prime…
Cependant
je tiens à dire que certaines familles nous ont protégés ; mes
grands-parents ont été protégés par des Kurdes, pendant un an… deux ans.
Bien-sûr nous avions la possibilité d’éviter ces mauvais traitements : il suffisait de se convertir à l’Islam ! Certains l’ont fait. D’autres ont préféré leur foi.
Bien-sûr nous avions la possibilité d’éviter ces mauvais traitements : il suffisait de se convertir à l’Islam ! Certains l’ont fait. D’autres ont préféré leur foi.
C’est donc pour un motif religieux que vous vous êtes exilé ?
Nous personnellement
on est parti parce que notre foi était mise en cause, alors que nous
avions là-bas énormément de moyens. Il ne faut pas oublier ça. Nous ne
sommes pas là pour profiter, sinon nous serions restés chez nous… Mais
tu sais, pour nous l’Europe était chrétienne, on allait arriver en terre
catholique ! J’imaginais des processions dans les rues ! Mais nous
sommes énormément déçus, il y a tout sauf la foi. Pourtant ce n’est pas
les monuments évoquant la foi qui manquent. Je suis déçu… au point de me
dire que j’aurais préféré me faire massacrer là-bas par les musulmans
plutôt que rester ici. Pourquoi ? Parce que si ça n’est pas moi qui perd
la foi, ce sont mes enfants… Les enfants sont conditionnés par la
société occidentale matérialiste et s’ils vivent selon nos valeurs ils
seront rejetés de la société. Le confort qu’on a aujourd’hui c’est comme
une maladie qui nous tue de l’intérieur et on ne s’en rend même pas
compte.
Je
serai toujours reconnaissant envers la France, parce que la France m’a
tout donné sans contrepartie. Mais au final, tu t’installes, etc., et ce
qui est le plus cher, on te le prend : ta famille, ta foi, on t’enlève
tout pouvoir dessus… Peu à peu on oublie l’objectif pour lequel on était
venu en France. Seulement 40% des Chaldéens aujourd’hui vont à l’église
autour de moi…
Vous ne devez pas vous sentir Français dans ces conditions ; de quelle nationalité vous revendiquez-vous ?
Je
suis Chaldéen avant tout. Puis Français en raison de ma terre
d’accueil : je m’investis pour les Chaldéens en France et pour les
intérêts français.
Jamais
je me considérerais Turque car quand on apporte une nationalité, il
faut donner une contrepartie : la France ne m ‘a pas demandé de prendre
la nationalité et en plus elle m’a donné la contrepartie avant. En
Turquie on t’y oblige[5] et la seule fois où tu vois la
« sécurité » c’est pour t’embarquer. Moi, on m’a imposé une nationalité,
mais dans ce cas-là qu’on me donne des infrastructures, de
l’électricité, des écoles, etc. Pourquoi nous marginaliser ? Depuis
quand existe la Turquie[6] ? Depuis quand existe les Chaldéens ?
Il faut un minimum de reconnaissance ! Il faut respecter chacun de la
même manière… Les Turques viennent de Mongolie en plus, ils ne sont même
pas chez eux.
La
loi condamnant le génocide arménien concerne-t-il les Chaldéens ?
A-t-il eu un effet positif sur le traitement qui est réservé aux
chrétiens en Turquie ?
On
parle du génocide arménien mais pas du génocide chaldéen car les
Chaldéens n’ont pas de pays, mais il s’agit de la même chose. Environ
900 000 Assyro-Chaldéens ont été massacré et 1 500 000 Arméniens. Malgré
tout le massacre de notre peuple n’est pas encore reconnu ; le seul
pays à l’avoir fait est la Suède.
Concrètement
les chrétiens sont toujours victimes des persécutions. Lors de la
guerre en Irak, par exemple, la communauté est visée tous les jours,
mais on n’en parle pas. On ne peut pas car une simple manifestation
accroîtrait les répressions musulmanes en Irak.
Avez-vous des perspectives d’avenir ?
On
pourrait aujourd’hui essayer de revendiquer une zone de liberté,
d’autonomie en Irak à Ninive. Il a été question de faire un état fédéral
en Irak. On pourrait créer une élite catholique démocratique qui
agirait comme un modèle dans cette région. On ne demande qu’à pouvoir
vivre sans contraintes sur ses propres terres, cela serait pour nous un
sacré soulagement.
Mais
nous ne nous faisons pas d’illusions, si cette question a été évoquée,
ça n’est que pour calmer éventuellement les tensions en Irak ou avoir
une base occidentale dans cette région.
Ce que je voudrais c’est d’abord que nous construisions une école pour nos enfants ici en France.
Récemment un livre a été publié par M. Jean Monneret : Le martyre oublié des chrétiens chaldéens [7]. Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?
J’ai
une estime sans borne pour le travail qu’a effectué M. Monneret ! Pour
sa patience, pour le talent avec lequel il a rendu notre histoire et nos
interventions. Ma famille lui a servi d’intermédiaire avec le monde
chaldéen, c’est elle qui est interrogée le long du livre. Il a aussi
rapporté mon expérience qu’il a traduite avec une grande délicatesse. Je
n’ai qu’un mot : merci.
[1] Le prénom a été modifié selon les souhaits de mon interlocuteur.
[2] La civilisation sumérienne a durée du VIè au IIè millénaire avant Jésus-Christ.
[3]
En effet, les accords n’ayant pas été respectés par l’Etat, les Kurdes
se sont révoltés, si bien que les Chaldéens se sont retrouvés coincé
entre deux feux : l’Etat turque et les Kurdes.
[4] Parti des Travailleurs du Kurdistan.
[5] Le Hakkari a été rattaché à la Turquie en 1925. En 1934 les Assyro-Chaldéens sont forcé à adopté des patronymes turques.
[6] Invasion musulmane au VIIè siècle. 1299 : début de l’empire Ottoman qui sera démantelé après
La Première Guerre Mondiale. Création de la Turquie le 24 juillet 1923.
[7] Jean Monneret, Le martyre oublié des chrétiens chaldéens, être catholique en Turquie…, Via Romana, 2012.
Vous
trouvez dans cet ouvrage de nombreux témoignages bouleversants, ainsi
qu’une chronologie traçant à grands traits l’histoire des Chaldéens de
Turquie.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire