Amoureux
de Marie Mancini, le jeune Louis XIV en oubliait presque la politique.
Le coeur déchiré, il admit néanmoins que seul son mariage avec l’infante
d’Espagne assurerait la sécurité du royaume.
Cette année-là, la seizième de son règne, Louis XIV vingt ans, achevait son apprentissage des servitudes du métier de roi. Encore soumis à la reine mère Anne d’Autriche, veuve de Louis XIII, et au cardinal ministre Jules Mazarin, il ne craignait pas de braver leurs interdits pour prendre des risques à la tête de l’armée.
Une demoiselle au bord du désespoir
Car, si en 1648 le traité de Westphalie avait mis fin à la guerre de Trente ans et garantissait pour longtemps l’Europe contre une hégémonie allemande, la France n’en continuait pas moins de se battre contre les Habsbourg d’Espagne. Pour compliquer la situation, Louis de Condé, premier prince du sang, le vainqueur de Rocroi (1643), s’était laissé gagner par l’esprit de la Fronde, au point d’avoir rejoint le camp espagnol ! Heureusement, Henri de la Tour d’Auvergne, vicomte de Turenne et maréchal de France, tenait bon. En 1657, Mazarin avait dû s’allier avec l’Angleterre de l’odieux Cromwell (traité de Paris) pour permettre à Turenne d’enlever le fort de Mardyck et la ville de Dunkerque (laquelle, en exécution du traité, il avait fallu rendre aux Anglais), puis de prendre Furnes, Bergues et Dixmude et d’assiéger Gravelines.
Or, à l’été 1658, après des semaines de surmenage, le jeune roi tomba malade. Les saignées et purgations (remèdes du temps…) n’arrêtaient pas la fièvre, ni les accès de délire. On le crut perdu et, à Paris, déjà les courtisans se rapprochaient de son frère, Philippe duc d’Orléans… Or Louis guérit subitement, mais la reine mère se dépêcha de le reconduire à Paris… où il apprit que sa maladie avait mis au bord du désespoir une gentille demoiselle de la cour !
Un amour impossible
Celle dont il apprenait qu’il était si follement aimé n’était autre que Marie Mancini, l’une des quatre nièces de Mazarin. Il avait jusqu’alors plutôt remarqué sa soeur Olympe, mais aussitôt il fut sous le charme de Marie, de ses dix-neuf ans, de sa taille souple, de sa sombre chevelure, de ses grands yeux noirs. À Fontainebleau, à la fin de l’été, ce ne furent que promenades en forêt, danses et présents magnifiques, et cela continua au Louvre où ils passaient leurs soirées ensemble.
Les tourtereaux en oubliaient presque la politique. Mazarin, lui, non ! Il savait que le seul moyen d’obtenir la paix avec l’Espagne serait de marier le jeune roi avec l’infante d’Espagne Marie-Thérèse. Mariage doublement consanguin, puisque le roi Philippe IV, père de l’infante, était le frère d’Anne d’Autriche et que sa mère, Élisabeth de France, était le soeur du feu roi Louis XIII…
Comme Philippe IV tergiversait, le cardinal fit semblant de vouloir finalement marier Louis XIV à Marguerite de Savoie. La cour se déplaça même jusqu’à Lyon en octobre pour rencontrer cette pseudo-fiancée. Marie Mancini fut du voyage, sans quitter Louis des yeux… Il n’y avait guère de risque qu’il tombât amoureux de la Savoyarde…
Soudain, coup de théâtre. Le roi d’Espagne acceptait de donner sa fille à Louis pour arrêter les fléaux de la guerre. Il allait falloir au plus vite rentrer à Paris et gagner Saint-Jean-de-Luz pour signer le traité et procéder à cette grandiose union. Durant l’hiver 1658-1659, Louis, plus amoureux que jamais de Marie, se refusait coûte que coûte à épouser l’infante. Anne d’Autriche, qui chérissait son fils, n’ayant pu par ses pleurs et ses gémissements le faire fléchir, Mazarin prit les grands moyens : il décida d’exiler sa nièce à La Rochelle. La colère du roi fut effroyable. Le cardinal menacé de disgrâce, en arriva à dire qu’il ferait tuer sa nièce plutôt que de renoncer au projet de mariage espagnol. Les adieux le 22 juin furent déchirants. Louis pleura beaucoup. (Ce qui devait trois ans plus tard inspirer à Racine dans sa tragédie Bérénice le vers célèbre : « Vous êtes empereur, seigneur, et vous pleurez. »)
Olympienne sérénité
Au moins les amoureux inconsolables pourraient-ils encore s’écrire, et même se rencontrer quand la cour passerait à Bayonne sur la route de Saint-Jean-de-Luz. Mais entretemps, Mazarin avait pressé les choses : le mariage avec l’infante était décidé officiellement. Plus moyen de reculer sauf grave incident diplomatique… Louis et Marie se virent à Bayonne, toujours aussi épris. Puis, même le mariage célébré, elle suivit la cour à Fontainebleau, vit le roi, plus distant que jamais, mais ne parvint pas à le haïr. « Fortifié par l’épreuve », il se figeait dans « son olympienne sérénité », dit Georges Bordonove. Après la mort de Mazarin (9 mars 1661) accablé par les efforts accomplis pour la paix avec l’Espagne, elle se résignerait à épouser à Rome le prince Lorenzo Colonna, qui ne put jamais la rendre heureuse…
Quant à Louis XIV, désormais convaincu qu’un roi doit faire passer la raison d’État avant ses affaires de coeur, il ne pouvait encore deviner que son sacrifice allait donner quarante ans plus tard en la personne d’un de ses petits-fils, Philippe, la couronne d’Espagne aux Bourbons…
Michel Fromentoux L’ACTION FRANÇAISE 2000 du 3 au 16 juin 2010
Cette année-là, la seizième de son règne, Louis XIV vingt ans, achevait son apprentissage des servitudes du métier de roi. Encore soumis à la reine mère Anne d’Autriche, veuve de Louis XIII, et au cardinal ministre Jules Mazarin, il ne craignait pas de braver leurs interdits pour prendre des risques à la tête de l’armée.
Une demoiselle au bord du désespoir
Car, si en 1648 le traité de Westphalie avait mis fin à la guerre de Trente ans et garantissait pour longtemps l’Europe contre une hégémonie allemande, la France n’en continuait pas moins de se battre contre les Habsbourg d’Espagne. Pour compliquer la situation, Louis de Condé, premier prince du sang, le vainqueur de Rocroi (1643), s’était laissé gagner par l’esprit de la Fronde, au point d’avoir rejoint le camp espagnol ! Heureusement, Henri de la Tour d’Auvergne, vicomte de Turenne et maréchal de France, tenait bon. En 1657, Mazarin avait dû s’allier avec l’Angleterre de l’odieux Cromwell (traité de Paris) pour permettre à Turenne d’enlever le fort de Mardyck et la ville de Dunkerque (laquelle, en exécution du traité, il avait fallu rendre aux Anglais), puis de prendre Furnes, Bergues et Dixmude et d’assiéger Gravelines.
Or, à l’été 1658, après des semaines de surmenage, le jeune roi tomba malade. Les saignées et purgations (remèdes du temps…) n’arrêtaient pas la fièvre, ni les accès de délire. On le crut perdu et, à Paris, déjà les courtisans se rapprochaient de son frère, Philippe duc d’Orléans… Or Louis guérit subitement, mais la reine mère se dépêcha de le reconduire à Paris… où il apprit que sa maladie avait mis au bord du désespoir une gentille demoiselle de la cour !
Un amour impossible
Celle dont il apprenait qu’il était si follement aimé n’était autre que Marie Mancini, l’une des quatre nièces de Mazarin. Il avait jusqu’alors plutôt remarqué sa soeur Olympe, mais aussitôt il fut sous le charme de Marie, de ses dix-neuf ans, de sa taille souple, de sa sombre chevelure, de ses grands yeux noirs. À Fontainebleau, à la fin de l’été, ce ne furent que promenades en forêt, danses et présents magnifiques, et cela continua au Louvre où ils passaient leurs soirées ensemble.
Les tourtereaux en oubliaient presque la politique. Mazarin, lui, non ! Il savait que le seul moyen d’obtenir la paix avec l’Espagne serait de marier le jeune roi avec l’infante d’Espagne Marie-Thérèse. Mariage doublement consanguin, puisque le roi Philippe IV, père de l’infante, était le frère d’Anne d’Autriche et que sa mère, Élisabeth de France, était le soeur du feu roi Louis XIII…
Comme Philippe IV tergiversait, le cardinal fit semblant de vouloir finalement marier Louis XIV à Marguerite de Savoie. La cour se déplaça même jusqu’à Lyon en octobre pour rencontrer cette pseudo-fiancée. Marie Mancini fut du voyage, sans quitter Louis des yeux… Il n’y avait guère de risque qu’il tombât amoureux de la Savoyarde…
Soudain, coup de théâtre. Le roi d’Espagne acceptait de donner sa fille à Louis pour arrêter les fléaux de la guerre. Il allait falloir au plus vite rentrer à Paris et gagner Saint-Jean-de-Luz pour signer le traité et procéder à cette grandiose union. Durant l’hiver 1658-1659, Louis, plus amoureux que jamais de Marie, se refusait coûte que coûte à épouser l’infante. Anne d’Autriche, qui chérissait son fils, n’ayant pu par ses pleurs et ses gémissements le faire fléchir, Mazarin prit les grands moyens : il décida d’exiler sa nièce à La Rochelle. La colère du roi fut effroyable. Le cardinal menacé de disgrâce, en arriva à dire qu’il ferait tuer sa nièce plutôt que de renoncer au projet de mariage espagnol. Les adieux le 22 juin furent déchirants. Louis pleura beaucoup. (Ce qui devait trois ans plus tard inspirer à Racine dans sa tragédie Bérénice le vers célèbre : « Vous êtes empereur, seigneur, et vous pleurez. »)
Olympienne sérénité
Au moins les amoureux inconsolables pourraient-ils encore s’écrire, et même se rencontrer quand la cour passerait à Bayonne sur la route de Saint-Jean-de-Luz. Mais entretemps, Mazarin avait pressé les choses : le mariage avec l’infante était décidé officiellement. Plus moyen de reculer sauf grave incident diplomatique… Louis et Marie se virent à Bayonne, toujours aussi épris. Puis, même le mariage célébré, elle suivit la cour à Fontainebleau, vit le roi, plus distant que jamais, mais ne parvint pas à le haïr. « Fortifié par l’épreuve », il se figeait dans « son olympienne sérénité », dit Georges Bordonove. Après la mort de Mazarin (9 mars 1661) accablé par les efforts accomplis pour la paix avec l’Espagne, elle se résignerait à épouser à Rome le prince Lorenzo Colonna, qui ne put jamais la rendre heureuse…
Quant à Louis XIV, désormais convaincu qu’un roi doit faire passer la raison d’État avant ses affaires de coeur, il ne pouvait encore deviner que son sacrifice allait donner quarante ans plus tard en la personne d’un de ses petits-fils, Philippe, la couronne d’Espagne aux Bourbons…
Michel Fromentoux L’ACTION FRANÇAISE 2000 du 3 au 16 juin 2010
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