Après
Munich, Daladier, président du Conseil, obtient sans peine une nouvelle
délégation de pouvoir. Paul Reynaud, ministre des Finances à partir du
1er novembre 1938, met en œuvre un programme d’austérité et de
rétablissement économique. La semaine de quarante-huit heures est
rétablie. La C.G.T. lance un mot d’ordre de grève générale. Daladier la
brise énergiquement. Le franc se rétablit, la production remonte. Mais
cette reprise économique paraît bien insuffisante et tardive face aux
nouvelles ambitions de Hitler. Le chancelier du Reich a commencé à
réclamer, dès octobre 1938, le retour à l’Allemagne de Dantzig, « ville
libre » depuis 1919 (96 % de ses habitants sont Allemands), liée à la
Pologne par une union douanière, et la suppression du « corridor »
coupant la Prusse Orientale du reste de l’Allemagne, également créé par
les traités de 1919 pour donner à la Pologne un accès à la mer. On sait
que ni le colonel Beck, ministre des Affaires étrangères polonais, ni
l’opinion publique n’accepteront les exigences allemandes. En vertu
d’une convention militaire de 1921 et du pacte de garanties mutuelles de
Locarno, la France est tenue d’assister la Pologne si elle est
attaquée. Depuis le dépeçage de la Tchécoslovaquie, un courant de
fermeté agite les démocraties occidentales. La France, qui serait fondée
à dénoncer son alliance depuis l’attitude de Varsovie dans l’affaire de
Munich, paraît disposée à tenir ses engagements. Sous l’impulsion de
Churchill, l’Angleterre est entrée dans la voie de la résistance à
Hitler. L’ancien ministre Edouard Bonnefous, auteur de nombreux ouvrages
d’histoire et de doctrine politique, notamment de Histoire politique de la IIIe République
(.P.U.F.), nous fait vivre les conditions dans lesquelles la France fut
amenée à déclarer la guerre à l’Allemagne. C’était il y a quarante ans.
Hitler veut faire manœuvrer ses divisions ? Pour l’heure, les Français songent d’abord à profiter des vacances, de la mer, du soleil. Il y avait eu tant d’alertes depuis deux ans que l’on se laissait, contre toute évidence, aller jusqu’à espérer que Hitler « bluffait ». Et, depuis deux ans, les nerfs avaient été tellement tendus que plus rien ne pouvait impressionner. D’autres, au contraire, aspiraient à ce que l’orage éclatât afin que l’atmosphère en fût purifiée.
André Tardieu écrivait dans le Journal, au sujet de l’alarme qu’avait produite en France le bruit d’un éventuel putsch nazi à Dantzig le 30 juin :
« Ces paniques seules pourraient nous valoir la guerre en faisant croire aux gens d’en face que nous avons peur et que leurs trois millions de soldats mobilisés pour cause de chômage nous jettent en transes. Ces paniques seules pourraient faire oublier à M. Hitler qu’il sera, dès la première bataille, assassiné (sic) par l’un des siens comme tant des siens le furent par lui. »
La France se sent bonne conscience. Elle a tout fait pour éviter la guerre, mais s’il doit y avoir un nouveau conflit, elle l’emportera. C’est ce que lui affirment en tout cas ses chefs militaires les plus prestigieux. Le 2 juillet, à Lille, le général Weygand déclare :
— Vous me demandez mon sentiment sur l’armée française ; je vous le dirai franchement avec l’unique souci de la vérité, ce qui ne me gêne nullement : je crois que l’armée française a une valeur plus grande qu’à aucun moment de son histoire. Personne chez nous ne désire la guerre, mais j’affirme que si on nous oblige à gagner une nouvelle victoire nous la gagnerons.
Deux mois plus tard, le général Gamelin, calme et souriant, déclarera, dans une conversation, à Lucien Lamoureux :
— Ah ! quel dommage que les Russes nous aient trahis (1), nous tenions les Allemands à la gorge. Il suffisait de serrer le lacet.
Lucien Lamoureux lui répond qu’assurément c’est regrettable. Mais c’est le passé. Ce qui importe, c’est l’avenir, et il l’interroge :
— Avez-vous confiance malgré la défection russe ?
Il réfléchit un moment, puis répond :
— Oui, mais ce sera plus long.
Le 14 juillet, le peuple de Paris fit un accueil frénétique aux unités qui défilaient sui les Champs-Elysées. Trente mille hommes et trois cent cinquante avions, parmi lesquels des détachements britanniques, apportèrent à la commémoration du cent cinquantième anniversaire de la Révolution une démonstration de force qui fit de cette célébration, avec la manifestation d’unité que donna l’Empire à la cérémonie du palais de Chaillot, la plus grande fête qu’ait connue Paris depuis l’armistice de 1918.
Mais si l’heure est officiellement à l’optimisme, on ne retrouve d’unanimité ni dans l’opinion ni même au gouvernement.
se battre pour la Pologne ?
Une opinion qui gagne en profondeur juge la Pologne avec sévérité, lui reprochant son ingratitude.
On se prend à regretter cette ardeur romantique des négociateurs français qui les incita, à Versailles, à vouloir faire renaître une grande Pologne.
Contrairement à la Grande-Bretagne qui, plus réaliste, aurait voulu maintenir le nouvel État dans ses anciennes limites géographiques et ne lui donner, à Dantzig, que le simple droit portuaire, la France imposa sa vision. Elle obtint, pour la Pologne, une partie de la Russie blanche et de l’Ukraine. L’Union soviétique s’en souviendra. Au détriment de l’Allemagne, un corridor fut tracé, qui donna aux Polonais accès à la mer. Le maréchal Foch, parlant du « corridor », devait dire au major Polson Newman :
— C’est là que se trouve l’amorce d’un nouveau conflit mondial.
À Varsovie, on oublia vite. La Pologne refusa de participer à la Petite Entente. Elle émit des prétentions sur le domaine colonial français, sur Madagascar notamment. Varsovie entendit traiter à égalité avec Moscou, Berlin et les démocraties : « Nous ne craignons rien car on nous craint. » Tel était le slogan des milieux officiels polonais.
L’approche du danger n’entama pas la confiance des héritiers de Stanislas Poniatowski. Georges Bonnet rapporta à l’ambassadeur de Pologne à Paris ce propos de Hitler à Karl Burckhard (2) :
— Je conquerrai la Pologne en trois semaines avec mon armée mécanisée.
Et Lukasiewicz de répondre sérieusement :
— Absurde! C’est nous qui envahirons l’Allemagne dès le début des hostilités.
Le ministre de la Guerre, Kasprzicki, s’exclamait, quant à lui : « Notre génie est l’offensive et c’est en prenant l’offensive que nous vaincrons. » Dès lors, et bien qu’il fût combattu par de : nombreux journaux comme l’Intransigeant, l’Époque ou l’Humanité, Marcel Déat, affirmant dans l’Œuvre que « mourir pour Dantzig » était une folie, exprimait, il ne faut pas se le dissimuler, un sentiment assez répandu à l’époque chez beaucoup de Français.
De même, sans doute, approuvaient-ils secrètement les efforts de Georges Bonnet pour sauver la paix à tout prix. Pourtant la presse tout entière faisait campagne contre un nouveau Munich.
Une caricature fut publiée dans un journal. Elle représentait Clemenceau descendant de son socle, aux Champs-Elysées, et désignant le ministre des Affaires étrangères qui se trouve à quelques pas de là :
— Il serait capable de me faire mettre dans un camp de concentration.
Georges Suarez rapporte que, chaque jour, Kérillis publiait la liste d’officiers généraux et d’officiers supérieurs du cadre de réserve ou en retraite, qui apportaient leur adhésion à la campagne qu’il menait dans son journal. « Bravo ! Continuez ! Plus d’humiliation pour la France, pas de nouveau Munich ! »
Jean Fabry, ancien ministre de la Guerre, dans le Matin :
« Nous sommes cent six millions d’hommes derrière la même frontière, qui va de l’Écosse au Sahara en passant par Strasbourg et Nice : quarante-six millions de Britanniques, quarante-deux millions de Français, dix-huit millions de Nord-Africains ; cent six millions d’hommes qui ont, derrière eux, toutes les mers libres, toutes les ressources de leur empire. »
Mais c’est André Tardieu qui faisait preuve du plus incroyable aveuglement, hélas ! partagé par certains :
« L’ennemi – ses actes le prouvent depuis quatre ans – ne veut ni ne peut faire la guerre.
« II manque de matières premières. Il manque de réserve d’or. Il manque de trésorerie et de numéraire. Il manque, malgré sa force apparente, de stabilité intérieure.
« Voilà quatre ans que, manquant de tout cela, il s’en tire par le bluff… »
Hitler veut faire manœuvrer ses divisions ? Pour l’heure, les Français songent d’abord à profiter des vacances, de la mer, du soleil. Il y avait eu tant d’alertes depuis deux ans que l’on se laissait, contre toute évidence, aller jusqu’à espérer que Hitler « bluffait ». Et, depuis deux ans, les nerfs avaient été tellement tendus que plus rien ne pouvait impressionner. D’autres, au contraire, aspiraient à ce que l’orage éclatât afin que l’atmosphère en fût purifiée.
André Tardieu écrivait dans le Journal, au sujet de l’alarme qu’avait produite en France le bruit d’un éventuel putsch nazi à Dantzig le 30 juin :
« Ces paniques seules pourraient nous valoir la guerre en faisant croire aux gens d’en face que nous avons peur et que leurs trois millions de soldats mobilisés pour cause de chômage nous jettent en transes. Ces paniques seules pourraient faire oublier à M. Hitler qu’il sera, dès la première bataille, assassiné (sic) par l’un des siens comme tant des siens le furent par lui. »
La France se sent bonne conscience. Elle a tout fait pour éviter la guerre, mais s’il doit y avoir un nouveau conflit, elle l’emportera. C’est ce que lui affirment en tout cas ses chefs militaires les plus prestigieux. Le 2 juillet, à Lille, le général Weygand déclare :
— Vous me demandez mon sentiment sur l’armée française ; je vous le dirai franchement avec l’unique souci de la vérité, ce qui ne me gêne nullement : je crois que l’armée française a une valeur plus grande qu’à aucun moment de son histoire. Personne chez nous ne désire la guerre, mais j’affirme que si on nous oblige à gagner une nouvelle victoire nous la gagnerons.
Deux mois plus tard, le général Gamelin, calme et souriant, déclarera, dans une conversation, à Lucien Lamoureux :
— Ah ! quel dommage que les Russes nous aient trahis (1), nous tenions les Allemands à la gorge. Il suffisait de serrer le lacet.
Lucien Lamoureux lui répond qu’assurément c’est regrettable. Mais c’est le passé. Ce qui importe, c’est l’avenir, et il l’interroge :
— Avez-vous confiance malgré la défection russe ?
Il réfléchit un moment, puis répond :
— Oui, mais ce sera plus long.
Le 14 juillet, le peuple de Paris fit un accueil frénétique aux unités qui défilaient sui les Champs-Elysées. Trente mille hommes et trois cent cinquante avions, parmi lesquels des détachements britanniques, apportèrent à la commémoration du cent cinquantième anniversaire de la Révolution une démonstration de force qui fit de cette célébration, avec la manifestation d’unité que donna l’Empire à la cérémonie du palais de Chaillot, la plus grande fête qu’ait connue Paris depuis l’armistice de 1918.
Mais si l’heure est officiellement à l’optimisme, on ne retrouve d’unanimité ni dans l’opinion ni même au gouvernement.
se battre pour la Pologne ?
Une opinion qui gagne en profondeur juge la Pologne avec sévérité, lui reprochant son ingratitude.
On se prend à regretter cette ardeur romantique des négociateurs français qui les incita, à Versailles, à vouloir faire renaître une grande Pologne.
Contrairement à la Grande-Bretagne qui, plus réaliste, aurait voulu maintenir le nouvel État dans ses anciennes limites géographiques et ne lui donner, à Dantzig, que le simple droit portuaire, la France imposa sa vision. Elle obtint, pour la Pologne, une partie de la Russie blanche et de l’Ukraine. L’Union soviétique s’en souviendra. Au détriment de l’Allemagne, un corridor fut tracé, qui donna aux Polonais accès à la mer. Le maréchal Foch, parlant du « corridor », devait dire au major Polson Newman :
— C’est là que se trouve l’amorce d’un nouveau conflit mondial.
À Varsovie, on oublia vite. La Pologne refusa de participer à la Petite Entente. Elle émit des prétentions sur le domaine colonial français, sur Madagascar notamment. Varsovie entendit traiter à égalité avec Moscou, Berlin et les démocraties : « Nous ne craignons rien car on nous craint. » Tel était le slogan des milieux officiels polonais.
L’approche du danger n’entama pas la confiance des héritiers de Stanislas Poniatowski. Georges Bonnet rapporta à l’ambassadeur de Pologne à Paris ce propos de Hitler à Karl Burckhard (2) :
— Je conquerrai la Pologne en trois semaines avec mon armée mécanisée.
Et Lukasiewicz de répondre sérieusement :
— Absurde! C’est nous qui envahirons l’Allemagne dès le début des hostilités.
Le ministre de la Guerre, Kasprzicki, s’exclamait, quant à lui : « Notre génie est l’offensive et c’est en prenant l’offensive que nous vaincrons. » Dès lors, et bien qu’il fût combattu par de : nombreux journaux comme l’Intransigeant, l’Époque ou l’Humanité, Marcel Déat, affirmant dans l’Œuvre que « mourir pour Dantzig » était une folie, exprimait, il ne faut pas se le dissimuler, un sentiment assez répandu à l’époque chez beaucoup de Français.
De même, sans doute, approuvaient-ils secrètement les efforts de Georges Bonnet pour sauver la paix à tout prix. Pourtant la presse tout entière faisait campagne contre un nouveau Munich.
Une caricature fut publiée dans un journal. Elle représentait Clemenceau descendant de son socle, aux Champs-Elysées, et désignant le ministre des Affaires étrangères qui se trouve à quelques pas de là :
— Il serait capable de me faire mettre dans un camp de concentration.
Georges Suarez rapporte que, chaque jour, Kérillis publiait la liste d’officiers généraux et d’officiers supérieurs du cadre de réserve ou en retraite, qui apportaient leur adhésion à la campagne qu’il menait dans son journal. « Bravo ! Continuez ! Plus d’humiliation pour la France, pas de nouveau Munich ! »
Jean Fabry, ancien ministre de la Guerre, dans le Matin :
« Nous sommes cent six millions d’hommes derrière la même frontière, qui va de l’Écosse au Sahara en passant par Strasbourg et Nice : quarante-six millions de Britanniques, quarante-deux millions de Français, dix-huit millions de Nord-Africains ; cent six millions d’hommes qui ont, derrière eux, toutes les mers libres, toutes les ressources de leur empire. »
Mais c’est André Tardieu qui faisait preuve du plus incroyable aveuglement, hélas ! partagé par certains :
« L’ennemi – ses actes le prouvent depuis quatre ans – ne veut ni ne peut faire la guerre.
« II manque de matières premières. Il manque de réserve d’or. Il manque de trésorerie et de numéraire. Il manque, malgré sa force apparente, de stabilité intérieure.
« Voilà quatre ans que, manquant de tout cela, il s’en tire par le bluff… »
Georges Bonnet, quant à lui, poursuivait sa politique. Le rapport des forces étant défavorable à la France, comment, dès lors, éviter le déclenchement du conflit ? Dénoncer le pacte avec la Pologne ? Cela était exclu vis-à-vis de l’opinion. La seule alternative possible était de tenter d’atténuer les accords de 1921.
Dans les mois qui précédèrent la guerre, Lukasiewicz (3) mit en garde son gouvernement. Le 17 décembre, il écrivait :
« Le ministre français des Affaires étrangères paraît considérer constamment comme un fardeau pour la France ses alliances à l’est de l’Europe. »
Il y avait donc une partie de l’opinion qui, par lassitude, par résignation, ou au contraire par patriotisme, acceptait désormais la perspective d’une guerre. Il y avait d’autres Français qui continuaient à se demander : à quoi bon se battre pour la Pologne ? Il y avait ceux, enfin, qui, depuis, de longues années, réclamaient la paix à tout prix.
la réunion capitale du 23 août
Sitôt connue la nouvelle de la signature du pacte germano-soviétique, Georges Bonnet alla trouver Daladier dans la matinée du 23 août pour lui demander de convoquer d’urgence le Comité permanent de la Défense nationale. Le ministre des Affaires étrangères exposa ses craintes au président du Conseil :
— Le pacte germano-russe rompt l’équilibre des forces au profit de nos adversaires…
J’estime que cette situation doit être exposée devant les chefs de l’armée et qu’il faut les entendre avant de prendre une décision.
À 18 heures, le Comité permanent de la Défense nationale fut réuni. Y assistaient les trois ministres de la Défense nationale, Daladier, Campinchi pour la Marine, Guy La Chambre, ministre de l’Air, et les trois commandants en chef : général Gamelin pour l’armée de terre, amiral Darlan pour la marine, général Vuillemin pour l’aviation, etc.
Depuis Munich, la thèse de Georges Bonnet était qu’il fallait gagner du temps. II ne partageait pas l’optimisme de Chamberlain ; il avait demandé qu’on intensifie le réarmement français et qu’on commande des avions modernes aux États-Unis.
La question que posa Georges Bonnet, ce matin-là, était de savoir s’il ne vaudrait pas mieux tenter un compromis, même médiocre, plutôt que de faire la guerre? Le généralissime Gamelin, à la question posée par le ministre des Affaires étrangères, répondit :
— La France, dans la situation diplomatique présente, est en état de remporter la victoire.
Et il poursuivit :
— L’armée polonaise offrira une résistance honorable à l’armée allemande. Le froid et le mauvais temps arrêteront rapidement les hostilités, si bien qu’au printemps de 1940 la bataille se poursuivra encore à l’Est. À ce moment, l’armée française sera renforcée par de nombreuses divisions britanniques débarquées sur le continent.
À la première question posée : « N’y a-t-il pas intérêt pour la France, au point de vue militaire, à reconsidérer son alliance avec la Pologne et à profiter du temps gagné pour augmenter ses armements ? », le Comité répondit catégoriquement par la négative.
Sur le second point : « L’armée, la marine, l’aviation françaises sont-elles en état de nous permettre de tenir nos engagements envers la Pologne ? », « Oui, répondent le général Gamelin et l’amiral Darlan. L’armée de terre et la marine sont prêtes. Par ailleurs, la mobilisation française apportera par elle-même un certain soulagement à la Pologne, en retenant, face à nos frontières, un grand nombre d’unités allemandes. »
À son tour, Guy La Chambre donna son opinion :
— Malgré ce que nous savons des forces allemandes (quatre mille avions de guerre en ligne, cinq mille en réserve et trois mille avions de coopération (4), la situation de notre aviation ne doit plus peser sur les décisions du gouvernement, comme elle l’a fait en 1938, au moment de Munich.
En définitive, le Comité aboutit aux conclusions suivantes :
« La France n’a pas le choix. La seule solution à envisager est de tenir nos engagements envers la Pologne, engagements qui sont d’ailleurs antérieurs à l’ouverture des négociations avec l’U.R.S.S. »
La France était, en effet, engagée aux côtés de la Pologne depuis le traité signé le 19 février 1921 par Aristide Briand et Sapieha.
Le général Gamelin a, par la suite, tenté de s’expliquer ainsi sur le fond. Au procès de Riom, il déclarera :
— Je n’avais pas le droit de dire au gouvernement que. nous ne pouvions pas gagner la guerre.
Dans ses Mémoires, parus sous le titre Servir, après la guerre, il contestera avoir jamais affirmé que « l’armée était prête ». Il aurait seulement dit :
— Les mesures de mobilisation et de concentration sont prêtes…
tension à Dantzig
Depuis le mois de mars, Dantzig était en effervescence. La ville était constamment enfiévrée. Les incidents se multipliaient et, selon notre ambassadeur à Varsovie, Léon Noël, la responsabilité en incombait la plupart du temps aux Allemands.
Le 5 juillet, on signala que des formations paramilitaires allemandes (S.A. et S.S.) avaient débarqué. On colportait les nouvelles les plus folles. L’arrivée de Hitler semblait imminente… Les autorités polonaises perdaient leur sang-froid, tandis que les journaux allemands affirmaient :
« La famine règne en ville et des accrochages sérieux ont lieu tout le long de la frontière polono-dantzickoise. »
En définitive, il ne se passait rien.
Le 1er août, un nouvel accès de fièvre survint. La presse allemande annonça que la Pologne venait de doubler le nombre de ses douaniers par rapport à 1920. Le trafic du port ne représentant plus que 10 % du trafic de 1920, nul doute que Varsovie ait soudain décidé d’étrangler définitivement Dantzig…
À quelques jours de là, un soldat polonais fut abattu par un douanier allemand, sur le territoire de la ville libre. Il s’agissait vraisemblablement d’un règlement de comptes personnel. Les journaux polonais soutinrent néanmoins que l’affaire s’était déroulée en territoire polonais.
Chodacki, représentant de Varsovie à Dantzig, adressa à Greiser un ultimatum : « Les autorités de Dantzig se sont opposées à l’activité des douaniers polonais. »
Le Führer conseilla à Greiser et au gauleiter Forster de s’incliner (5). Les Polonais triomphèrent bruyamment : « Hitler a eu peur. »
Furieux, le chancelier du Reich convoqua Burckhard au Berghof, le 11 août, pour lui exprimer son mécontentement.
Le 24 août, tandis que se déroulaient, dans toute l’Europe, les derniers préparatifs de guerre et les ultimes négociations pour sauver la paix, le navire de guerre allemand Schlesvig-Holstein, arborant le grand pavois entra dans la baie de Dantzig. Hitler apportait ainsi son soutien au gauleiter Forster qui, la veille, avait été proclamé chef de l’Etat de la ville libre. Simultanément, les Polonais intensifièrent leurs mesures militaires.
Le Führer avait donné l’ordre d’attaquer en Pologne, aussitôt après la signature du pacte germano-soviétique.
C’était la fin des illusions entretenues par le traité de Versailles.
Hitler sursoit a son offensive
Le pacte germano-soviétique conclu, hisser a pu dire : « J’ai le monde dans ma poche. » Ne pensant qu’en termes de rapport de forces encouragé par l’impunité dont il jouissait lors de ses précédentes annexions, peut-être imaginait-il que les démocraties ne mettraient pas leur existence en péril pour venir au secours d’une Pologne, à ses yeux condamnée d’avance.
Or, loin de s’incliner, Chamberlain éleva immédiatement la voix. Le 24 août, devant les deux Chambres réunies à Westminster, le Premier ministre déclara :
— Si malgré tous nos efforts pour sauver garder la paix – et Dieu sait si j’en ai fait ! – nous nous voyons contraints, malgré tout, d’engager un combat qui apportera des souffrances et des misères indicibles à toute l’humanité, nous ne lutterons pas pour l’avenir politique d’une ville étrangère, mais pour le maintien de principes dont j’ai déjà parlé et dont la destruction équivaudrait à celle de toute possibilité de paix et de sécurité pour tous les peuples de la terre.
Après son discours, Chamberlain demanda au Parlement d’adopter l’Emergence Powers Bill. Il obtint un vote de quatre cent soixante-dix-sept voix contre quatre. Jamais, même après Munich, il n’avait obtenu telle majorité.
Hitler en fut inquiet. D’autant qu’il reçut peu après le rapport que lui adressait son ambassade à Londres et qui soulignait que l’opinion britannique était en complet accord avec le gouvernement.
Le Führer décida alors de surseoir à attaque de la Pologne et fit une ultime démarche auprès du gouvernement britannique, qu’il espérait encore pouvoir détacher de la France et de la Pologne.
Par l’intermédiaire de Sir Neville Henderson, il fit une offre surprenante. Il proposa à Londres une alliance étroite, allant jusqu’à s’engager à défendre l’Empire britannique sur tout point où cet Empire pourrait être menacé.
Mais, le 25 août, fut publiée la nouvelle de la signature du pacte anglo-polonais prévoyant une assistance automatique en cas d’agression contre la Pologne. Or, Hitler pensait qu’après la conclusion du pacte germano-soviétique Londres renoncerait à soutenir Varsovie.
L’Italie, la grande alliée de l’Allemagne nazie, ne va pas non plus favoriser les projets du Führer. Hitler avait fait demander, dès le 11 août, à Mussolini, d’entrer dans la guerre à ses côtés. Le Duce était réticent.
Le 25 août, Hitler en personne revint à la charge. Il téléphona au Duce. Mussolini hésita et finit par déclarer que l’Italie accepterait de suivre son alliée, si l’Allemagne lui fournissait matières premières et matériel de guerre en quantités suffisantes. Ciano écrit alors dans son Journal :
« Nos besoins sont énormes. Les stocks étant à peu près nuls. On dresse la liste : elle tuerait un taureau s’il pouvait la lire. »
Hitler aurait d’ailleurs été encore plus inquiet s’il avait su qu’à la défection de ses alliés s’ajoutait l’opposition de certains officiers. L’amiral Canaris, chef des services de renseignements de l’armée, assisté des généraux Wirgleben, Halder, Thomas, ainsi que du colonel Oster, tirait des plans pour renverser Hitler avant que l’Allemagne ne soit entraînée dans un désastre. Mais les conjurés pensaient qu’un coup de force ne pouvait réussir qu’à l’occasion d’une déclaration de guerre à la Grande-Bretagne. Or ils apprirent que l’attaque contre la Pologne venait d’être soudainement reportée. Comme en 1938, ils renoncèrent.
Ce qui avait échoué avec Londres allait-il réussir avec Paris ?
Le Führer convoqua l’ambassadeur Coulondre et lui déclara (6) :
— Je n’ai aucune hostilité envers la France. J’ai renoncé formellement à l’Alsace-Lorraine ; j’ai reconnu la frontière franco-allemande telle qu’elle existe actuellement. Je ne veux pas de conflit avec votre pays. La pensée que je puisse être amené à combattre la France à cause de la Pologne m’est infiniment pénible. Mais les provocations polonaises ont créé, pour le Reich, une situation qui ne saurait se prolonger. Il poursuivit :
— Je vaincrai, je pense, et vous croyez que vous vaincrez. Mais une chose est certaine : c’est que le sang français et le sang allemand couleront, le sang de deux peuples également braves… Il m’est très pénible de penser que nous pourrions en arriver là. Dites-le de ma part, je vous prie, au président Daladier.
Daladier répondit le lendemain, avec fermeté, que la paix était entre les mains du Führer.
le 1er septembre, la Pologne est attaquée
Hitler allait-il se laisser gagner par la raison ? Écouterait-il la voix de Pie XII qui, s’adressant au monde, s’écria :
— Une heure grave sonne de nouveau pour la grande famille humaine, une heure où vont être prises de terribles décisions dont notre autorité spirituelle ne saurait se désintéresser et qui nous incitent à faire appel aux cœurs et aux esprits, pour qu’ils ne s’écartent pas du chemin de la justice et de la paix…
Sur un ton aussi pathétique, Roosevelt, comme en écho au pape, adressait, lui aussi, un pressant appel à l’Allemagne et à la Pologne.
Le 28 août, le gouvernement britannique suggéra à Hitler de relancer les négociations. D’abord réticent, le Führer finit par accepter. Il exposa ses exigences dans une note au gouvernement britannique : Dantzig, la totalité du corridor, une partie de la haute Silésie polonaise… Berlin attendait un émissaire polonais pour le mardi 30 août.
De son côté, l’Italie aussi tenta d’infléchir le cours des événements. Le 31 août, Mussolini offrit à la France et à la Grande-Bretagne la réunion d’une conférence pour le 5 septembre.
À Paris, Alexis Léger s’écria :
— Je m’attendais à ce piège ! Gardons- nous d’y tomber.
Mais Bonnet passa outre et demanda à Daladier de réunir sur-le-champ le Conseil des ministres. Le ministre des Affaires étrangères et Anatole de Monzie prononcèrent alors un brûlant plaidoyer en faveur de la paix et de la reprise des négociations. Mais leurs collègues ne paraissaient pas convaincus. D’autant qu’en pleine séance on remit au président du Conseil une lettre de l’ambassadeur Coulondre défendant la thèse de la fermeté et exposant des arguments contraires à ceux développés l’instant d’avant par le ministre des Affaires étrangères :
« L’épreuve de force tourne à notre avantage. J’apprends de source sûre que depuis cinq jours Hitler se montre hésitant, qu’il y a flottement au sein du parti et que les rapports signalent un mécontentement grandissant dans le peuple… »
Coulondre terminait par cette prévision qui est restée célèbre dans les annales de notre diplomatie :
« Vous êtes pêcheur, je crois. Eh bien ! le poisson est ferré ! Il faut maintenant manœuvrer avec l’habileté nécessaire pour le noyer sans qu’il casse le fil. »
Stupéfiés par ces propos, ne sachant plus qui croire, les ministres restèrent perplexes. Ce que disait notre représentant à Berlin ne correspondait nullement à l’idée que Georges Bonnet, à travers les rapports des différents agents diplomatiques, se faisait de la situation. La séance fut levée dans la confusion. De Monzie note dans son Journal : « Mais qu’avons-nous décidé de répondre au comte Ciano ? Oui ou non ? »
Le gouvernement décida finalement d’attendre l’opinion de Londres. Mais, le 1er septembre, les Allemands attaquèrent la Pologne. Dans la matinée du 2 septembre, Lukasiewicz fit une démarche auprès de Bonnet pour inviter la France à remplir ses obligations. Une véritable dispute finit par les opposer. L’ambassadeur de Pologne explosa :
— Parler, parler, parler. À quoi cela sert-il de parler? La Pologne a besoin d’action et d’action immédiate.
Ce même jour, la Grande-Bretagne et la France firent connaître leur réponse à l’Italie Les Alliés n’acceptaient de négocier que m Hitler ordonnait à ses armées de rejoindra leurs bases de départ. Mussolini retira alors son offre de conférence.
Beck se faisait des illusions
Cependant, avant cet épilogue, Pie XII avait de nouveau lancé un appel en faveur de la paix.
Il rejoignait ainsi les efforts poursuivis, depuis le 28 août, par les Britanniques, qui croyaient plus au succès d’une négociation directe entre Varsovie et Berlin qu’en celui d’une médiation de Mussolini.
Le 29 août, Ribbentrop avait remis une note à Henderson, fixant les conditions d’une discussion avec la Pologne, exigeant que l’émissaire de Varsovie ait tous pouvoirs pour discuter et fixant la date limite du 30 août. NI Londres ni Paris ne comprirent qu’il s’agissait d’un ultimatum; aussi les choses traînèrent-elles en longueur.
Les Anglais tentèrent de convaincre Beck de se rendre en personne à Berlin. Notre ambassadeur Coulondre conseilla de charger l’ambassadeur polonais Lipski de rencontrer Ribbentrop. Beck ne voulait pas connaître l’humiliation de Schuschnigg ou de Hacha. D’ailleurs, il continuait de penser que, si Hitler n’avait pas attaqué la Pologne le 26 comme prévu, c’était par impuissance.
C’est en vain que les ambassadeurs France et d’Angleterre à Varsovie tentèrent de dissiper les illusions des Polonais.
La totalité des divisions blindées, mécanisées ou motorisées, quarante divisions d’infanterie et les deux tiers des avions entrèrent simultanément en Pologne à l’aube du 1er septembre et sans déclaration de guerre. Les Panzerdivisionen dessinèrent avec les divisions motorisées et les divisions mécaniques un double mouvement d’encerclement des forces polonaises ayant pour objet de « tenailler » le cœur de la Pologne. Dans le même temps, l’infanterie allemande attaquait le front pendant que l’aviation détruisait, par sa tactique des bombardements en piqué, les nœuds de communications ferroviaires et routiers.
Les villes elles-mêmes devenaient la cible d’attaques aériennes systématiques Les avions du général Galland, déjà responsable du bombardement de Guernica, s’employaient maintenant a détruire Varsovie.
Le Conseil des ministres du 1er septembre décida de demander le lendemain au Parlement un vote de crédits qui impliquerait l’autorisation d’engager les hostilités contre l’Allemagne afin de respecter l’alliance franco-polonaise.
Daladier : « C’est la France qui commande aujourd’hui. »
Dans l’après-midi du 2 septembre, le Parlement se réunit en session extraordinaire. Le président du Conseil, Édouard Daladier, à la Chambre des députés, et le vice président du Conseil, Camille Chautemps, au Sénat, donnèrent lecture aux parlementaires d’un message du président de la République et d’une communication du gouvernement.
Daladier monta à la tribune pour lire la déclaration rédigée en Conseil des ministres :
— Messieurs, le gouvernement a décidé la mobilisation générale.
Après avoir retracé les efforts de la France et de la Grande-Bretagne pour sauver la paix, le président du Conseil s’efforça de définir la portée réelle du conflit.
— Le temps presse! La France et l’Angleterre ne peuvent assister en spectatrices à l’anéantissement d’un peuple ami… S’agit-il seulement d’un conflit germano-polonais ? Non, messieurs ! Il s’agit d’un nouveau pas, accompli par la dictature hitlérienne, dans la voie de la domination de l’Europe et du monde…
La Chambre passa ensuite à la discussion d’un projet de loi portant « ouverture de crédits supplémentaires et autorisations d’engagement de dépense au titre du budget général et du compte des investissements en capital de l’exercice 1939 ».
Le mot guerre n’est pas prononcé. « Ainsi, dira Adrien Marquet, la déclaration de guerre sera enveloppée dans du papier de soie pour éviter de heurter les épidermes sensibles.. »
Hitler en tirera argument pour dégarnir son front occidental et renforcer les troupes opérant en Pologne.
La Chambre adopta le projet de loi à l’unanimité. Cependant, Benoist-Méchin, dans le tome VI de son Histoire de l’armée allemande, conteste ce dernier point :
« Herriot annonce alors que le vote aura lieu à main levée, pour ne pas rompre la belle unanimité de l’Assemblée.
— Avis favorable ? demande-t-il d’une voix forte.
Un grand nombre de bras se lèvent. Les députés opposés à la guerre se regardent en silence. C’est le moment, pour eux, de jouer leur va-tout. Quoi qu’il dût nous en coûter par la suite, écrira Jean Montigny, nous nous disposions à faire le geste qui aurait au moins libéré nos consciences. Il attendent que le président prononce la phrase traditionnelle :
Avis contraires ? pour lever à leur tour le bras en signe de protestation.
Mais Herriot se garde de poser la question.
— La séance est levée ! déclare-t-il brièvement.
C’est ainsi, termine Benoist-Méchin, que le lendemain on pourra lire dans le Journal officiel : la demande de crédits militaires a été adoptée à l’unanimité. »
Au Sénat, les débats se déroulèrent à peu près de la même manière.
un tour de passe-passe
Le gouvernement qui avait voulu éviter un débat, peut-être pénible, en comité secret sur la question de la déclaration de guerre, interpréta le vote du Parlement comme une autorisation d’engager les hostilités.
Tous les parlementaires, cependant, ne l’avaient pas compris ainsi et, après le vote, l’ancien ministre Piétri devait dire à M. Campinchi, ministre de la Marine :
— Je pense que la guerre ne commencera pas sans qu’il y ait un vote formel du Parlement.
Le ministre répondit alors :
Tu ne t’es donc pas aperçu que tu viens de la voter ?
Comment cela ?
Les soixante-cinq milliards de crédits ne te suffisent pas comme approbation ?
Lucien Lamoureux porte ce jugement sévère dans ses Carnets inédits :
« Quel risque pour Daladier si la France perd la guerre !
Mais quelle décadence du régime parlementaire ce tour de passe-passe révèle, aucun débat n’ayant marqué la réunion du Parlement en une heure aussi décisive. Les rares députés qui ont voulu parler ont dû renoncer à la parole devant l’hostilité générale et le refus de Herriot de la leur accorder…
Le Parlement de 1870 avait une autre allure… »
l’Angleterre et la France déclarent la guerre
En Grande-Bretagne, l’opinion publique réclamait avec impatience une intervention de l’Angleterre aux côtés de la Pologne, et le Premier ministre Chamberlain craignait d’être mis en minorité aux Communes où Churchill menait une vive campagne en faveur d’une déclaration de guerre à l’Allemagne.
Le comte Raczynski, ambassadeur de Pologne à Londres, rapporte dans ses Mémoires que Churchill lui téléphona dans la nuit du 2 au 3 septembre. Il voulait connaître les dernières nouvelles du front et il exprima sa crainte que la Grande-Bretagne ne s’incline :
— J’espère, j’espère, dit-il, que l’Angleterre tiendra ses…
L’ambassadeur écrit alors : « La voix de Churchill tremblote et s’arrête… Je pus l’entendre pleurer distinctement. » Raczjnski ! note enfin : « Il semblait profondément humilié et coupable. » Mais il se ressaisit vite et appela Corbin, notre représentant à Londres, pour lui demander ce que la France voulait faire en définitive. « Ses aboiements, devait dire Corbin plus tard, faisaient vibrer le téléphone. »
L’état-major français, qui souhaitait achever ses préparatifs à l’abri d’éventuels bombardements allemands, demanda au gouvernement de lui assurer encore quelques heure de paix.
Daladier tenta de convaincre les Anglais mais ceux-ci pensèrent que les hésitations de Paris devaient avoir une autre cause.
Halifax télégraphia à l’ambassadeur d’Angleterre à Paris :
« Nous vous serons reconnaissants de tout ce que vous pourrez faire pour insuffler du courage et de la résolution à M. Bonnet. »
Chamberlain pressa Corbin :
— La France doit intervenir. L’ambassadeur ne put que répondre :
— Songez à la position particulière de mon pays. N’étant pas protégé par la mer, il est beaucoup plus vulnérable que le vôtre aux attaques de l’aviation allemande. Imaginez l’embouteillage de nos gares, l’engorgement de nos voies ferrées, nos trains pris d’assaut par des milliers de femmes et d’enfants. Déclencher les opérations à minuit entraînerait une catastrophe.
Le 3 septembre, à 9 heures, Sir Neville Henderson remit le texte de l’ultimatum britannique à l’interprète Schmidt.
« Dans la note que j’ai eu l’honneur de remettre à Votre Excellence le 1er septembre, sur ordre du secrétaire d’État pour les Affaires étrangères du gouvernement de Sa Majesté, je vous ai averti que le gouvernement britannique remplirait sans hésiter ses obligations envers la Pologne si le gouvernement du Reich ne lui donnait pas des assurances satisfaisantes qu’il avait suspendu toute action agressive contre la Pologne et qu’il était prêt à retirer promptement ses forces du territoire polonais…
« J’ai l’honneur de vous faire savoir en conséquence que si le gouvernement du Reich ne fait pas parvenir à Londres, au gouvernement de Sa Majesté, aujourd’hui 3 septembre avant 11 heures du matin (heure anglaise d’été) des assurances satisfaisantes dans le sens indiqué plus haut, l’état de guerre existera à partir de cette heure entre les deux pays. »
Paul Schmidt se rendit alors chez le Führer, qu’il trouva en compagnie de Ribbentrop. L’interprète traduisit le texte de la note anglaise.
Hitler se tourna vers Ribbentrop :
Et à présent ?
Je suppose, répond Ribbentrop d’une voix blanche, que dans l’heure qui vient les Français vont nous apporter un ultimatum semblable…
Effectivement, Georges Bonnet allait donner des instructions à Coulondre pour que celui-ci porte à la Wilhelmstrasse l’ultimatum français. Mais le gouvernement britannique était furieux d’apprendre que la France n’entrerait en guerre que le 4 septembre à 5 heures du matin, soit dix-huit heures après l’Angleterre.
Georges Bonnet appela Daladier qui consulta le général Colson :
— Les délais peuvent être abrégés. Bonnet parvint à joindre Coulondre au moment où celui-ci quittait l’ambassade. La France entrerait en guerre le 3 septembre à 17 heures, et non le 4 au matin…
À la fin de l’entrevue, Ribbentrop déclara à notre ambassadeur :
La France sera l’agresseur.
Mais Coulondre eut le mot de la fin :
L’Histoire jugera.
Édouard Bonnefous, de l’Institut Historia septembre 1979
(1) Pacte germano-russe conclu le 23 août 1939, alors que, depuis trois mois, la France et la Grande-Bretagne négociaient avec l’U.R.S.S. une alliance militaire, qui semblait devoir se faire.
(2) Haut-commissaire de la S.D.N à Dantzig
(3) Ambassadeur de Pologne à Paris
(4) Ces chiffres sont inexacts, ainsi que le note Benoist-Méchin dans son Histoire de l’armée allemande ; d’après le Kriegstagebuch des Oberkommandos der Wehrmacht, l’Allemagne ne dispose en 1939 que de deux mille sept cent quatre-vingt-cinq avions de première ligne et de deux mille quatre cent trente-trois appareils de réserve.
(5) Greiser : président du Sénat. Forster : « Führer » des nazis de Dantzig, dont la majorité de la population était de race allemande.
(6) R. Coulondre : De Staline à Hitler, p. 287. R. Coulondre avait succédé à François-Poncet, nommé à Rome.
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