Tacite
l’admirable... Voici comment il nous dépeint une agitation politique,
celle des légionnaires, si proches, avant le net, d’une révolte des
étudiants, d’un printemps arabe, d’une péripétie mondaine. C’est dans le
livre I des "Annales", chapitre XVI et XVII, qu’on a si mal lues à l’école... Nous sommes sous Tibère.
« Telle
était à Rome la situation des affaires, quand l’esprit de révolte
s’empara des légions de Pannonie ; révolte sans motif, si ce n’est le
changement de prince, qui leur montrait la carrière ouverte au désordre
et des récompenses à gagner dans une guerre civile. »
Le
printemps légionnaire va éclater. Il vient de l’inactivité et de
l’oisiveté, si propices à déclencher des troubles... La mutinerie débute
comme une fable d’Esope :
« Trois
légions étaient réunies dans les quartiers d’été, sous le commandement
de Junius Blésus. En apprenant la fin d’Auguste et l’avènement de
Tibère, ce général avait, en signe de deuil ou de réjouissance,
interrompu les exercices accoutumés. »
Et
là intervient un acteur. On sait le rôle que jouent les acteurs dans
les révolutions (Couthon, en France), le rôle subversif du théâtre
(Napoléon pensait à la Comédie-Française à Moscou...) et des spectacles
modernes. Lisez bien Tacite, c’est tout bonnement extraordinaire.
« De
là naquirent, parmi les soldats, la licence, la discorde,
l’empressement à écouter les mauvais conseils, enfin l’amour excessif
des plaisirs et du repos, le dégoût du travail et de la discipline. Il y
avait dans le camp un certain Percennius, autrefois chef d’entreprises
théâtrales, depuis simple soldat, parleur audacieux, et instruit, parmi
les cabales des histrions, à former des intrigues. Comme il voyait ces
esprits simples en peine de ce que serait après Auguste la condition des
gens de guerre, il les ébranlait peu à peu dans des entretiens
nocturnes ; ou bien, sur le soir, lorsque les hommes tranquilles étaient
retirés, il assemblait autour de lui tous les pervers. »
Le
Percennius est un bolchevik en herbe qui va reprendre tous les poncifs
des révolutionnaires de toutes les époques, ceux qui remplacent un ordre
ancien par un désordre nouveau ou un ordre bien pire encore. Plus
question d’obéir !
« Enfin
lorsqu’il se fut associé de nouveaux artisans de sédition, prenant le
ton d’un général qui harangue, il demandait aux soldats pourquoi ils
obéissaient en esclaves à un petit nombre de centurions, à un petit
nombre de tribuns. Quand donc oseraient-ils réclamer du soulagement,
s’ils n’essayaient, avec un prince nouveau et chancelant encore, les
prières ou les armes ? C’était une assez longue et assez honteuse
lâcheté, de courber, trente ou quarante ans, sous le poids du service,
des corps usés par l’âge ou mutilés par les blessures. Encore si le
congé finissait leurs misères ! Mais après le congé il fallait rester au
drapeau, et, sous un autre nom, subir les mêmes fatigues. Quelqu’un
échappait-il vivant à de si rudes épreuves ? On l’entraînait en des
régions lointaines, où il recevait comme fonds de terre, la fange des
marais et des roches incultes. »
Tacite
voit bien que dans une révolution tout repose sur une manipulation :
les gens doivent être convaincus qu’ils sont malheureux. C’est à cette
condition qu’ils sont prêts à tout risquer. Le style indirect,
Tacite le manie de main de maître. Ce génie historien comprend avant les
stratèges des propagandes et les agitateurs professionnels les méthodes
de contagion mentale, comme disait Gustave Le Bon. Il écrit plus loin :
« XXXI.
Presque dans le même temps et pour les mêmes raisons, les légions de
Germanie s’agitèrent plus violemment encore, étant en plus grand
nombre... Quand on apprit la fin d’Auguste, une foule de gens du peuple,
enrôlés depuis peu dans Rome, et qui en avaient apporté l’habitude de
la licence et de la haine du travail, remplirent ces esprits grossiers
de l’idée "que le temps était venu, pour les vieux soldats, d’obtenir un
congé moins tardif, pour les jeunes d’exiger une plus forte paye, pour
tous de demander du soulagement à leurs maux et de punir la cruauté des
centurions." »
L’agitation
dégénère souvent en messianisme ; et le messianisme apocalyptique
dégénère en barbarie comme 1789, comme en 1917 et bien sûr en 1933. On
s’en prend aux élites que l’on veut écharper. Ici ce sont les centurions
qui font les frais de ce millénarisme libérateur :
« Soudain
la fureur les emporte, et ils fondent l’épée à la main sur les
centurions, éternels objets de la haine du soldat, et premières victimes
de ses vengeances. Ils les terrassent et les chargent de coups,
s’acharnant soixante sur un seul, comme les centurions étaient soixante
par légion. Enfin ils les jettent déchirés, mutilés, la plupart morts,
dans le Rhin ou devant les retranchements. »
Comment dit-on, déjà, rien de nouveau sous le sommeil ?
par Nicolas Bonnal http://www.france-courtoise.info
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