Le Figaro Magazine - 16/02/2008
Le 23 février, au mont Valérien, Nicolas Sarkozy assistera à la cérémonie d'hommage au commandant Honoré d'Estienne d'Orves, pionnier de la Résistance. Un contrepoint bienvenu après l'évocation de Guy Môquet.
Le 23 février prochain, date anniversaire de l'exécution, en 1942, de sept membres du réseau du musée de l'Homme, Nicolas Sarkozy doit assister, au mont Valérien, à une cérémonie au cours de laquelle un hommage sera rendu à Honoré d'Estienne d'Orves. Rallié au général de Gaulle, cet officier de marine avait gagné l'Angleterre en septembre 1940. Affecté au 2e Bureau des Forces navales françaises libres, il avait organisé des filières de renseignement en France occupée. Débarqué à la Pointe du Raz dans la nuit du 22 au 23 décembre 1940, caché à Nantes, il s'était rendu à Paris, mettant sur pied les ramifications de son réseau, baptisé Nemrod.
Dès le 21 janvier 1941, cependant, d'Estienne d'Orves est arrêté, à Nantes, par les Allemands : il a été trahi par son opérateur radio. En quelques jours, le réseau est démantelé. D'abord conduits à Berlin, puis ramenés à Paris, l'officier et ses compagnons sont incarcérés à la prison du Cherche-Midi. Ils y reçoivent la visite quotidienne d'un aumônier allemand, l'abbé Franz Stock.
Le 26 mai 1941, la cour martiale condamne à mort d'Estienne d'Orves et huit de ses amis, les autres membres du réseau écopant de peines de prison. Rêvant de voir grandir ses cinq enfants, d'Estienne d'Orves cède à l'invitation de son avocat allemand et signe une demande de recours en grâce, qui est envoyée à Berlin. En attendant, il revoit sa femme et se nourrit de lectures : saint Thomas d'Aquin, Bergson, l'Imitation de Jésus-Christ. Il s'extasie un jour devant cette phrase de Péguy : « Il faut avoir une âme inhabituée ». « Entièrement tendu vers cet effort, raconte son biographe, Etienne de Montety, d'Estienne reçoit dans son ascèse l'appui indéfectible de l'abbé Stock qui continue à le visiter, lui apporte des livres et, le samedi, la communion » (*).
Depuis Vichy, même l'amiral Darlan s'efforce d'obtenir sa grâce. Le 22 juin 1941, toutefois, rompant l'alliance Hitler-Staline conclue en 1939, les Allemands ont attaqué l'URSS. Obéissant à Moscou en toutes circonstances, les communistes français entrent dans la Résistance, en privilégiant la tactique des attentats individuels contre l'armée d'occupation. Le 4 août 1941, l'assassinat de l'aspirant Moser, au métro Barbès, lance l'engrenage provocation-représailles. Un contexte qui a sans doute contribué à faire échouer les négociations entreprises pour sauver d'Estienne d'Orves et ses compagnons : c'est Hitler en personne qui refuse la grâce à ceux d'entre eux qui sont officiers.
Le 28 août, dans sa cellule, le commandant d'Estienne d'Orves rédige quatre lettres. L'une à sa sœur, l'autre à un ami, la troisième à l'abbé Stock - cette lettre sera lue le 23 février prochain au mont Valérien : « Je prie Dieu de donner à la France et à l'Allemagne une paix dans la justice comportant le rétablissement de la grandeur de mon pays. Et aussi que nos gouvernants fassent à Dieu la place qui lui revient. » La dernière missive s'adresse à sa femme : « Je veux que tu continues à mener notre vie courageuse auprès des enfants qui ont besoin de toi. Tu leur expliqueras ce que j'ai fait pour qu'ils sachent que leur papa n'a eu qu'un but : la grandeur de la France, et qu'il y a consacré sa vie. » A l'aube du 29 août 1941, Honoré d'Estienne d'Orves est exécuté, au mont Valérien, en compagnie de Maurice Barlier et de Yan Doornik.
Nicolas Sarkozy, après son élection, avait émis le vœu que la dernière lettre de Guy Môquet, fusillé par les Allemands à l'âge de 17 ans, le 22 octobre 1941, soit lue chaque année dans tous les lycées de France : « 17 ans et demi, ma vie a été courte, je n'ai aucun regret, si ce n'est de vous quitter tous »... Ces mots sont émouvants. Suffisent-ils à faire du jeune martyr un héros de la Résistance ? Guy Môquet avait été arrêté par la police française, en octobre 1940, pour avoir distribué des tracts communistes, alors que le PCF - interdit par le gouvernement Daladier, sous la IIIe République, pour avoir approuvé le pacte-germano-soviétique d'août 1939 - venait de négocier (en vain) la reparution de l'Humanité avec les autorités allemandes. Emprisonné, le jeune Môquet n'avait participé à aucune action contre les occupants. C'est en représailles après l'attentat commis par trois militants communistes contre le Feldkommandant de la place de Nantes qu'avec 23 autres otages, il sera exécuté.
Il ne s'agit pas de réveiller une guerre des mémoires en opposant Honoré d'Estienne d'Orves à Guy Môquet. Mais au moment où le chef de l'Etat est ramené à ses fondamentaux, beaucoup se réjouiront de voir évoquer en sa présence la figure d'un officier de tradition, patriote et catholique, et pionnier de la Résistance.
http://www.jeansevillia.com
(*) Etienne de Montety, Honoré d'Estienne d'Orves, Perrin, 2001
Le 23 février, au mont Valérien, Nicolas Sarkozy assistera à la cérémonie d'hommage au commandant Honoré d'Estienne d'Orves, pionnier de la Résistance. Un contrepoint bienvenu après l'évocation de Guy Môquet.
Le 23 février prochain, date anniversaire de l'exécution, en 1942, de sept membres du réseau du musée de l'Homme, Nicolas Sarkozy doit assister, au mont Valérien, à une cérémonie au cours de laquelle un hommage sera rendu à Honoré d'Estienne d'Orves. Rallié au général de Gaulle, cet officier de marine avait gagné l'Angleterre en septembre 1940. Affecté au 2e Bureau des Forces navales françaises libres, il avait organisé des filières de renseignement en France occupée. Débarqué à la Pointe du Raz dans la nuit du 22 au 23 décembre 1940, caché à Nantes, il s'était rendu à Paris, mettant sur pied les ramifications de son réseau, baptisé Nemrod.
Dès le 21 janvier 1941, cependant, d'Estienne d'Orves est arrêté, à Nantes, par les Allemands : il a été trahi par son opérateur radio. En quelques jours, le réseau est démantelé. D'abord conduits à Berlin, puis ramenés à Paris, l'officier et ses compagnons sont incarcérés à la prison du Cherche-Midi. Ils y reçoivent la visite quotidienne d'un aumônier allemand, l'abbé Franz Stock.
Le 26 mai 1941, la cour martiale condamne à mort d'Estienne d'Orves et huit de ses amis, les autres membres du réseau écopant de peines de prison. Rêvant de voir grandir ses cinq enfants, d'Estienne d'Orves cède à l'invitation de son avocat allemand et signe une demande de recours en grâce, qui est envoyée à Berlin. En attendant, il revoit sa femme et se nourrit de lectures : saint Thomas d'Aquin, Bergson, l'Imitation de Jésus-Christ. Il s'extasie un jour devant cette phrase de Péguy : « Il faut avoir une âme inhabituée ». « Entièrement tendu vers cet effort, raconte son biographe, Etienne de Montety, d'Estienne reçoit dans son ascèse l'appui indéfectible de l'abbé Stock qui continue à le visiter, lui apporte des livres et, le samedi, la communion » (*).
Depuis Vichy, même l'amiral Darlan s'efforce d'obtenir sa grâce. Le 22 juin 1941, toutefois, rompant l'alliance Hitler-Staline conclue en 1939, les Allemands ont attaqué l'URSS. Obéissant à Moscou en toutes circonstances, les communistes français entrent dans la Résistance, en privilégiant la tactique des attentats individuels contre l'armée d'occupation. Le 4 août 1941, l'assassinat de l'aspirant Moser, au métro Barbès, lance l'engrenage provocation-représailles. Un contexte qui a sans doute contribué à faire échouer les négociations entreprises pour sauver d'Estienne d'Orves et ses compagnons : c'est Hitler en personne qui refuse la grâce à ceux d'entre eux qui sont officiers.
Le 28 août, dans sa cellule, le commandant d'Estienne d'Orves rédige quatre lettres. L'une à sa sœur, l'autre à un ami, la troisième à l'abbé Stock - cette lettre sera lue le 23 février prochain au mont Valérien : « Je prie Dieu de donner à la France et à l'Allemagne une paix dans la justice comportant le rétablissement de la grandeur de mon pays. Et aussi que nos gouvernants fassent à Dieu la place qui lui revient. » La dernière missive s'adresse à sa femme : « Je veux que tu continues à mener notre vie courageuse auprès des enfants qui ont besoin de toi. Tu leur expliqueras ce que j'ai fait pour qu'ils sachent que leur papa n'a eu qu'un but : la grandeur de la France, et qu'il y a consacré sa vie. » A l'aube du 29 août 1941, Honoré d'Estienne d'Orves est exécuté, au mont Valérien, en compagnie de Maurice Barlier et de Yan Doornik.
Nicolas Sarkozy, après son élection, avait émis le vœu que la dernière lettre de Guy Môquet, fusillé par les Allemands à l'âge de 17 ans, le 22 octobre 1941, soit lue chaque année dans tous les lycées de France : « 17 ans et demi, ma vie a été courte, je n'ai aucun regret, si ce n'est de vous quitter tous »... Ces mots sont émouvants. Suffisent-ils à faire du jeune martyr un héros de la Résistance ? Guy Môquet avait été arrêté par la police française, en octobre 1940, pour avoir distribué des tracts communistes, alors que le PCF - interdit par le gouvernement Daladier, sous la IIIe République, pour avoir approuvé le pacte-germano-soviétique d'août 1939 - venait de négocier (en vain) la reparution de l'Humanité avec les autorités allemandes. Emprisonné, le jeune Môquet n'avait participé à aucune action contre les occupants. C'est en représailles après l'attentat commis par trois militants communistes contre le Feldkommandant de la place de Nantes qu'avec 23 autres otages, il sera exécuté.
Il ne s'agit pas de réveiller une guerre des mémoires en opposant Honoré d'Estienne d'Orves à Guy Môquet. Mais au moment où le chef de l'Etat est ramené à ses fondamentaux, beaucoup se réjouiront de voir évoquer en sa présence la figure d'un officier de tradition, patriote et catholique, et pionnier de la Résistance.
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(*) Etienne de Montety, Honoré d'Estienne d'Orves, Perrin, 2001
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