Le Figaro Magazine – 10/03/2012
Le 18 mars 1962, la signature des accords d’Evian allait mettre fin à 130 ans de souveraineté française en Afrique du Nord. Un demi-siècle plus tard, il est temps de raconter le conflit qui a conduit à l’indépendance de l’Algérie sans occulter une part de la réalité.
Le 18 mars 1962, la signature des accords d’Evian allait mettre fin à 130 ans de souveraineté française en Afrique du Nord. Un demi-siècle plus tard, il est temps de raconter le conflit qui a conduit à l’indépendance de l’Algérie sans occulter une part de la réalité.
1 L’Algérie, une création française
L’Algérie heureuse » : dans la mémoire des Français nés « là-bas », l’expression évoque un art de vivre, des couleurs, des odeurs et des saveurs dont le souvenir, un demi-siècle après, les hante encore. Mais de quand dater cette Algérie heureuse ? D’avant 1954, année de l’insurrection déclenchée par le FLN ? D’avant la Seconde Guerre mondiale quand, dans la foulée du centenaire du débarquement français en Algérie (1930) et de l’Exposition coloniale (1931), l’idée d’« Empire » faisait rêver les Français ? Historiquement, l’Algérie est une création de la France. Au début du XIXe siècle, le pays n’est qu’une juxtaposition de territoires peuplés de tribus hétérogènes (Arabes, Kabyles, Chaouias, Touareg…) et de contrées inhabitées. Ce sont les colonisateurs qui, après les dures guerres de conquête menées jusqu’en 1870, dessinent des frontières, tracent des routes, bâtissent des villes et créent des institutions, conférant une unité à un espace organisé en trois départements français. A côté des « indigènes » (mot d’époque), l’Algérie devient une colonie de peuplement. Aux habitants venus de métropole s’ajoutent des Espagnols, des Italiens ou des Maltais qui, au fil du temps, acquièrent la nationalité française. Français, les Juifs d’Algérie, eux, le sont depuis 1870. Tous ceux-là, qu’on appelle les Européens, constituent une communauté originale, nourrie par les idéaux de la IIIe République : patriotisme, instruction publique, morale civique, promotion sociale. Les colons proprement dits, parmi eux, ne sont qu’une poignée : moins de 20 000 vers 1950. La plupart sont des citadins dont beaucoup exercent de petits métiers : songeons à l’enfance pauvre d’Albert Camus.
Cette société est mêlée. Européens et musulmans vivent côte à côte, fréquentant les mêmes bancs d’école. Cependant, alors que les élites indigènes aspirent à l’intégration (voir le parcours de Ferhat Abbas), les milieux dirigeants coloniaux sont hostiles à toute réforme politique. Aussi apparaît-il, à côté d’un authentique loyalisme indigène nourri par la fraternité des batailles de 1914-1918 et de 1943-1945, un courant autonomiste qui se transforme bientôt en courant indépendantiste. Le 8 mai 1945, à Sétif, une émeute aboutit à l’assassinat d’une vingtaine d’Européens, drame qui provoque une impitoyable répression. Vers 1950, deux populations coexistent en Algérie. D’un côté 900 000 Européens, citadins en majorité, jouissant de tous les droits de la nationalité et de la citoyenneté. De l’autre 8 millions de musulmans, majoritairement ruraux, et souffrant du sous-équipement hors des trois grandes villes, Alger, Oran et Constantine. « L’assimilation de l’Algérie à la France avait déjà échoué en 1954, avant même le déclenchement de l’insurrection », estime Guy Pervillé, un spécialiste de l’Algérie coloniale (1). L’Algérie heureuse ? La formule est donc vraie, mais ne traduit pas la fragilité de la situation.
L’Algérie heureuse » : dans la mémoire des Français nés « là-bas », l’expression évoque un art de vivre, des couleurs, des odeurs et des saveurs dont le souvenir, un demi-siècle après, les hante encore. Mais de quand dater cette Algérie heureuse ? D’avant 1954, année de l’insurrection déclenchée par le FLN ? D’avant la Seconde Guerre mondiale quand, dans la foulée du centenaire du débarquement français en Algérie (1930) et de l’Exposition coloniale (1931), l’idée d’« Empire » faisait rêver les Français ? Historiquement, l’Algérie est une création de la France. Au début du XIXe siècle, le pays n’est qu’une juxtaposition de territoires peuplés de tribus hétérogènes (Arabes, Kabyles, Chaouias, Touareg…) et de contrées inhabitées. Ce sont les colonisateurs qui, après les dures guerres de conquête menées jusqu’en 1870, dessinent des frontières, tracent des routes, bâtissent des villes et créent des institutions, conférant une unité à un espace organisé en trois départements français. A côté des « indigènes » (mot d’époque), l’Algérie devient une colonie de peuplement. Aux habitants venus de métropole s’ajoutent des Espagnols, des Italiens ou des Maltais qui, au fil du temps, acquièrent la nationalité française. Français, les Juifs d’Algérie, eux, le sont depuis 1870. Tous ceux-là, qu’on appelle les Européens, constituent une communauté originale, nourrie par les idéaux de la IIIe République : patriotisme, instruction publique, morale civique, promotion sociale. Les colons proprement dits, parmi eux, ne sont qu’une poignée : moins de 20 000 vers 1950. La plupart sont des citadins dont beaucoup exercent de petits métiers : songeons à l’enfance pauvre d’Albert Camus.
Cette société est mêlée. Européens et musulmans vivent côte à côte, fréquentant les mêmes bancs d’école. Cependant, alors que les élites indigènes aspirent à l’intégration (voir le parcours de Ferhat Abbas), les milieux dirigeants coloniaux sont hostiles à toute réforme politique. Aussi apparaît-il, à côté d’un authentique loyalisme indigène nourri par la fraternité des batailles de 1914-1918 et de 1943-1945, un courant autonomiste qui se transforme bientôt en courant indépendantiste. Le 8 mai 1945, à Sétif, une émeute aboutit à l’assassinat d’une vingtaine d’Européens, drame qui provoque une impitoyable répression. Vers 1950, deux populations coexistent en Algérie. D’un côté 900 000 Européens, citadins en majorité, jouissant de tous les droits de la nationalité et de la citoyenneté. De l’autre 8 millions de musulmans, majoritairement ruraux, et souffrant du sous-équipement hors des trois grandes villes, Alger, Oran et Constantine. « L’assimilation de l’Algérie à la France avait déjà échoué en 1954, avant même le déclenchement de l’insurrection », estime Guy Pervillé, un spécialiste de l’Algérie coloniale (1). L’Algérie heureuse ? La formule est donc vraie, mais ne traduit pas la fragilité de la situation.
2 Une violence extrême dans les deux camps
L’insurrection éclate à la Toussaint 1954. Le 31 octobre, le FLN a annoncé son intention de parvenir à l’indépendance « par tous les moyens ». Les attentats s’enchaînent alors. Le 20 août 1955, à El-Halia, dans le Constantinois, 71 civils européens sont massacrés. De 1955 à 1957, on passe de 5 Européens tués à 50 par mois. De la part des indépendantistes, cette stratégie vise à creuser le fossé entre les communautés. Mais les rebelles exercent également la terreur sur leurs frères musulmans : notables, caïds, anciens combattants ou gardes champêtres sont les premières cibles, victimes d’abominables sévices (mutilations faciales, émasculations, égorgements, éviscérations). En 1956, une moyenne de 16 musulmans pro-français sont assassinés chaque jour. En ville, le FLN pratique le terrorisme aveugle, posant des bombes dans les cafés, les stades, les autobus ou les cinémas. Le 30 septembre 1956, à Alger, on relève 60 blessés ; le 10 février 1957, 9 morts et 45 blessés ; le 3 juin 1957, 8 morts et 90 blessés…
Le FLN se présente par ailleurs comme un parti révolutionnaire qui a pour vocation, ses buts atteints, d’exercer seul le pouvoir. Dès lors que le Mouvement national algérien de Messali Hadj refuse cette logique, le FLN mène contre lui une lutte féroce, appliquant à ses concurrents les mêmes méthodes que celles utilisées contre les Européens ou les indigènes loyalistes. En 1957, 315 musulmans du village de Melouza, réputé fidèle à Messali Hadj, sont liquidés par le FLN. La violence de ce dernier s’exerce aussi en métropole, tant contre les forces de l’ordre que contre les travailleurs algériens rétifs à ses mots d’ordre. Le 3 avril 1955, l’état d’urgence est proclamé en Algérie. Le 12 mars 1956, à Paris, l’Assemblée approuve l’attribution des pouvoirs spéciaux à l’armée, mesure demandée par le chef du gouvernement, le socialiste Guy Mollet, et obtenue grâce au soutien des députés communistes. A Alger, en janvier 1957, les « pleins pouvoirs civils et militaires » sont encore confiés par Guy Mollet au général Massu, commandant de la 10e division parachutiste. Afin de mettre les poseurs de bombes hors d’état de nuire, les soldats remontent les filières, arrêtent les coupables et leurs soutiens musulmans ou européens. Les uns après les autres, les chefs sont capturés : 122 attentats ont été commis à Alger en décembre 1956, 6 en août 1957, aucun en novembre 1957. Pour parvenir à ce résultat, quelles méthodes ont été utilisées ? Hélie de Saint Marc, dans ses Mémoires, évoque la bataille d’Alger qui, « dans la suite d’épreuves que ma génération de soldats a eue à affronter, reste sûrement la plus amère : au paroxysme du terrorisme, la France a répondu par le paroxysme de la répression ». Il est aujourd’hui établi que, dans la traque aux terroristes, des interrogatoires violents ont été pratiqués, sans qu’on puisse incriminer globalement toute l’armée française d’avoir utilisé la torture. A la guerre, la fin justifie-t-elle les moyens ? Non, répondent la morale et l’honneur. Mais la guerre révolutionnaire bouscule les codes habituels, puisque le terrorisme ignore lui-même la morale et l’honneur. C’est le FLN qui a revendiqué, en 1954, le droit d’employer « tous les moyens ». Chronologiquement, c’est lui qui porte la première responsabilité dans la montée aux extrêmes qui a caractérisé la guerre d’Algérie.
L’insurrection éclate à la Toussaint 1954. Le 31 octobre, le FLN a annoncé son intention de parvenir à l’indépendance « par tous les moyens ». Les attentats s’enchaînent alors. Le 20 août 1955, à El-Halia, dans le Constantinois, 71 civils européens sont massacrés. De 1955 à 1957, on passe de 5 Européens tués à 50 par mois. De la part des indépendantistes, cette stratégie vise à creuser le fossé entre les communautés. Mais les rebelles exercent également la terreur sur leurs frères musulmans : notables, caïds, anciens combattants ou gardes champêtres sont les premières cibles, victimes d’abominables sévices (mutilations faciales, émasculations, égorgements, éviscérations). En 1956, une moyenne de 16 musulmans pro-français sont assassinés chaque jour. En ville, le FLN pratique le terrorisme aveugle, posant des bombes dans les cafés, les stades, les autobus ou les cinémas. Le 30 septembre 1956, à Alger, on relève 60 blessés ; le 10 février 1957, 9 morts et 45 blessés ; le 3 juin 1957, 8 morts et 90 blessés…
Le FLN se présente par ailleurs comme un parti révolutionnaire qui a pour vocation, ses buts atteints, d’exercer seul le pouvoir. Dès lors que le Mouvement national algérien de Messali Hadj refuse cette logique, le FLN mène contre lui une lutte féroce, appliquant à ses concurrents les mêmes méthodes que celles utilisées contre les Européens ou les indigènes loyalistes. En 1957, 315 musulmans du village de Melouza, réputé fidèle à Messali Hadj, sont liquidés par le FLN. La violence de ce dernier s’exerce aussi en métropole, tant contre les forces de l’ordre que contre les travailleurs algériens rétifs à ses mots d’ordre. Le 3 avril 1955, l’état d’urgence est proclamé en Algérie. Le 12 mars 1956, à Paris, l’Assemblée approuve l’attribution des pouvoirs spéciaux à l’armée, mesure demandée par le chef du gouvernement, le socialiste Guy Mollet, et obtenue grâce au soutien des députés communistes. A Alger, en janvier 1957, les « pleins pouvoirs civils et militaires » sont encore confiés par Guy Mollet au général Massu, commandant de la 10e division parachutiste. Afin de mettre les poseurs de bombes hors d’état de nuire, les soldats remontent les filières, arrêtent les coupables et leurs soutiens musulmans ou européens. Les uns après les autres, les chefs sont capturés : 122 attentats ont été commis à Alger en décembre 1956, 6 en août 1957, aucun en novembre 1957. Pour parvenir à ce résultat, quelles méthodes ont été utilisées ? Hélie de Saint Marc, dans ses Mémoires, évoque la bataille d’Alger qui, « dans la suite d’épreuves que ma génération de soldats a eue à affronter, reste sûrement la plus amère : au paroxysme du terrorisme, la France a répondu par le paroxysme de la répression ». Il est aujourd’hui établi que, dans la traque aux terroristes, des interrogatoires violents ont été pratiqués, sans qu’on puisse incriminer globalement toute l’armée française d’avoir utilisé la torture. A la guerre, la fin justifie-t-elle les moyens ? Non, répondent la morale et l’honneur. Mais la guerre révolutionnaire bouscule les codes habituels, puisque le terrorisme ignore lui-même la morale et l’honneur. C’est le FLN qui a revendiqué, en 1954, le droit d’employer « tous les moyens ». Chronologiquement, c’est lui qui porte la première responsabilité dans la montée aux extrêmes qui a caractérisé la guerre d’Algérie.
3 Une guerre gagnée par l’armée française
C’est seulement le 5 octobre 1999 que le Parlement français a rétroactivement reconnu l’existence d’un « état de guerre » en Algérie de 1954 à 1962. Une mesure qui a pris en compte la réalité : ce conflit, tous bords confondus, a provoqué environ 300 000 victimes militaires ou civiles. A leurs débuts, le FLN et sa branche militaire, l’Armée de libération nationale (ALN), représentent quelques centaines d’hommes, sans prise sur la population. En 1956, l’extension de la rébellion conduit Guy Mollet à faire appel au contingent. Afin de répondre à la stratégie indépendantiste visant à séparer les communautés, la doctrine politique et militaire de la IVe République, a contrario, obéit à deux principes : intégration et pacification. La dimension civile et la dimension militaire de ces deux objectifs étant intimement liées, l’armée se trouve chargée par le gouvernement de la République de missions qui, en métropole, relèvent de l’autorité civile.
Pour les militaires, les opérations dans les départements algériens font suite à la guerre d’Indochine. Elément capital. D’une part, parce que les officiers ne veulent pas subir une nouvelle défaite. D’autre part, parce qu’ils vont appliquer en Afrique du Nord des recettes expérimentées au Tonkin ou en Annam, en tentant de mettre les autochtones de leur côté. Dans le djebel, pendant que les unités d’élite, légionnaires et parachutistes, traquent les maquisards, la troupe quadrille le pays. De leur côté, les Sections administratives spéciales (SAS) organisent l’autodéfense des musulmans contre les terroristes, et édifient des écoles et des dispensaires là où l’incurie administrative avait délaissé la population rurale indigène.
En octobre 1956, un détournement d’avion couvert par le gouvernement permet l’arrestation des chefs extérieurs du FLN. L’organisation terroriste urbaine des indépendantistes est anéantie, en 1957, lors de la bataille d’Alger. A partir de 1957, la construction d’une ligne fortifiée le long de la frontière entre l’Algérie et la Tunisie isole de leurs bases les bandes de l’ALN. Privées d’armes et de renforts, celles-ci sont progressivement mises hors de combat. En 1959, de Gaulle étant président de la République, un nouveau dispositif militaire, le plan Challe, s’emploie à pacifier définitivement le territoire ; 400 000 hommes, contingent compris, et 210 000 supplétifs musulmans servent sous le drapeau français. Au printemps 1960, l’armée a gagné : sur 46 000 fellaghas, l’ALN a perdu 26 000 tués et 10 000 prisonniers. Cette indéniable réussite est aujourd’hui occultée. Christophe Dutrône, un historien qui vient de lui consacrer un livre, observe néanmoins que « la victoire militaire acquise sur le terrain n’aurait pu être pérennisée qu’en allant jusqu’au bout de la logique d’intégration amorcée en 1958 (2) » . Le vrai tournant de la guerre d’Algérie sera donc politique.
4 L’indépendance : un choix politique de De Gaulle
Georgette Elgey, auteur d’une Histoire de la IVe République, déplore de voir certains jeunes chercheurs se demander pourquoi, après la « Toussaint rouge », Pierre Mendès France, le président du Conseil, n’avait pas parlé de « guerre d’Algérie ». L’historienne dénonce cet anachronisme : en 1954, personne, en France, n’avait idée qu’une guerre commençait sur le territoire national. Car pour tous, de la gauche à la droite, l’appartenance de l’Algérie à la France relevait de l’évidence. Après le déclenchement de l’insurrection, le radical Pierre Mendès France tient en effet un discours très ferme : « On ne transige pas lorsqu’il s’agit de défendre la paix intérieure de la nation, l’unité, l’intégrité de la République : les départements d’Algérie constituent une partie de la République française. » Un point de vue corroboré par le ministre de l’Intérieur, un certain François Mitterrand, qui rappelle que « l’Algérie, c’est la France ». Jusqu’en 1958, même à gauche, ceux qui songent à l’indépendance sont très minoritaires. Comment en serait-il autrement, dès lors que la IVe République engage des moyens militaires et financiers considérables en Algérie ?
En vue de ramener le général de Gaulle au pouvoir, ses partisans exploitent le sentiment Algérie française. Le 13 mai 1958, dans une étonnante ambiance de fraternité franco-musulmane, un comité de salut public constitué à Alger engage un bras de fer avec Paris, appelant de Gaulle au gouvernement. Le 29 mai, le président de la République, René Coty, nomme le Général à la présidence du Conseil. Le 4 juin 1958, à Alger, devant une foule enthousiaste, le Général lâche sa célèbre phrase : « Je vous ai compris. » En apparence, tout donne à penser qu’il poursuivra la politique algérienne de ses prédécesseurs. En octobre 1958, le plan de Constantine prévoit un programme d’investissements économiques sur cinq ans. Et le Général soutient l’armée dans sa lutte contre la rébellion : « Moi vivant, jamais le drapeau FLN ne flottera sur l’Algérie », affirme-t-il encore en août 1959.
La population européenne, les militaires et les musulmans loyalistes sont dès lors convaincus que la France restera en Algérie. Cruel malentendu. Car le 16 septembre 1959, de Gaulle proclame le droit des Algériens à l’autodétermination.
A quel moment s’y est-il résolu ? Ce débat divise les historiens. La plupart, aujourd’hui, estiment que le Général est arrivé au pouvoir en sachant qu’il allait donner l’indépendance à l’Algérie. De Gaulle – il le dira à Alain Peyrefitte – ne croit pas à l’intégration des musulmans et il nourrit de grands projets qui, à ses yeux, supposent de tourner la page coloniale de l’histoire de France. Le chef de l’Etat sait de plus que l’opinion métropolitaine le suivra, comme le prouvera le référendum de janvier 1961 (79 % de voix pour l’autodétermination). L’Algérie française est condamnée.
Georgette Elgey, auteur d’une Histoire de la IVe République, déplore de voir certains jeunes chercheurs se demander pourquoi, après la « Toussaint rouge », Pierre Mendès France, le président du Conseil, n’avait pas parlé de « guerre d’Algérie ». L’historienne dénonce cet anachronisme : en 1954, personne, en France, n’avait idée qu’une guerre commençait sur le territoire national. Car pour tous, de la gauche à la droite, l’appartenance de l’Algérie à la France relevait de l’évidence. Après le déclenchement de l’insurrection, le radical Pierre Mendès France tient en effet un discours très ferme : « On ne transige pas lorsqu’il s’agit de défendre la paix intérieure de la nation, l’unité, l’intégrité de la République : les départements d’Algérie constituent une partie de la République française. » Un point de vue corroboré par le ministre de l’Intérieur, un certain François Mitterrand, qui rappelle que « l’Algérie, c’est la France ». Jusqu’en 1958, même à gauche, ceux qui songent à l’indépendance sont très minoritaires. Comment en serait-il autrement, dès lors que la IVe République engage des moyens militaires et financiers considérables en Algérie ?
En vue de ramener le général de Gaulle au pouvoir, ses partisans exploitent le sentiment Algérie française. Le 13 mai 1958, dans une étonnante ambiance de fraternité franco-musulmane, un comité de salut public constitué à Alger engage un bras de fer avec Paris, appelant de Gaulle au gouvernement. Le 29 mai, le président de la République, René Coty, nomme le Général à la présidence du Conseil. Le 4 juin 1958, à Alger, devant une foule enthousiaste, le Général lâche sa célèbre phrase : « Je vous ai compris. » En apparence, tout donne à penser qu’il poursuivra la politique algérienne de ses prédécesseurs. En octobre 1958, le plan de Constantine prévoit un programme d’investissements économiques sur cinq ans. Et le Général soutient l’armée dans sa lutte contre la rébellion : « Moi vivant, jamais le drapeau FLN ne flottera sur l’Algérie », affirme-t-il encore en août 1959.
La population européenne, les militaires et les musulmans loyalistes sont dès lors convaincus que la France restera en Algérie. Cruel malentendu. Car le 16 septembre 1959, de Gaulle proclame le droit des Algériens à l’autodétermination.
A quel moment s’y est-il résolu ? Ce débat divise les historiens. La plupart, aujourd’hui, estiment que le Général est arrivé au pouvoir en sachant qu’il allait donner l’indépendance à l’Algérie. De Gaulle – il le dira à Alain Peyrefitte – ne croit pas à l’intégration des musulmans et il nourrit de grands projets qui, à ses yeux, supposent de tourner la page coloniale de l’histoire de France. Le chef de l’Etat sait de plus que l’opinion métropolitaine le suivra, comme le prouvera le référendum de janvier 1961 (79 % de voix pour l’autodétermination). L’Algérie française est condamnée.
5 Pieds-noirs et harkis : les drames de l’après-19 mars
Ni l’insurrection des pieds-noirs algérois lors de la semaine des barricades (janvier 1960), ni le putsch des généraux (avril 1961), ni l’irruption brutale de l’OAS dans un jeu désespéré ne feront obstacle au processus enclenché par les discussions ouvertes entre le gouvernement français et le Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA). Au terme de multiples péripéties, ces négociations conduisent à la signature des accords d’Evian, le 18 mars 1962, et au cessez-le-feu proclamé le lendemain, acte ratifié par référendum, en France métropolitaine, par 90 % des suffrages, le 8 avril suivant.
Cependant ni Ahmed Ben Bella, prisonnier en métropole depuis 1956, ni le colonel Houari Boumediene, chef de l’ALN basée en Tunisie et au Maroc, n’ont été associés aux pourparlers d’Evian. Ces deux pionniers de l’indépendance, récusant le GPRA, videront de leur contenu les rares clauses de sauvegarde prévues par les négociateurs français à propos des Européens d’Algérie.
Le 26 mars 1962, une manifestation de pieds-noirs, interdite mais pacifique, est mitraillée par la troupe française, rue d’Isly, à Alger, dans des circonstances controversées : le bilan est de 49 morts et de près de 200 blessés. Dans les villes ou dans le bled, à cette époque, les rapts d’Européens se multiplient. L’historien Jean-Jacques Jordi, qui vient d’étudier ce drame occulté, recense 1 630 personnes enlevées qui n’ont jamais été retrouvées, dont 1 300 entre le 19 mars et la fin de l’année 1962 (3). Selon la formule célèbre, les Français d’Algérie ont le choix entre la valise et le cercueil. Pendant qu’une bataille sans issue entre l’OAS et le FLN embrase les villes d’Algérie, 700 000 pieds-noirs, en quatre mois, franchissent la Méditerranée afin de gagner un pays qu’ils ne connaissent pas et qui ne les attend pas, laissant derrière eux leur véritable patrie, leurs tombes et leurs biens. Le 5 juillet, premier jour de l’indépendance algérienne, 700 Européens sont tués à Oran, sans que l’armée française intervienne (4).
Parallèlement, une autre tragédie se déroule. A partir du 19 mars, les 150 000 supplétifs musulmans de l’armée française sont désarmés. Pour le FLN, les harkis sont des traîtres. Afin de protéger leurs hommes, certains officiers français les font passer en métropole avec leurs familles. Le 12 mai, Louis Joxe, ministre des Affaires algériennes et négociateur d’Evian, ordonne de les renvoyer en Algérie. A partir de juillet 1962, les anciens harkis, abandonnés par la France, sont systématiquement assassinés par les vainqueurs, dans des conditions d’une horreur inimaginable. L’historien Maurice Faivre évalue le nombre de victimes de ce massacre entre 60 000 et 80 000 hommes, femmes et enfants (5).
Cent trente ans de souveraineté française sur l’Algérie ont pris fin dans les larmes et le sang. Ce désastre pouvait-il être évité ? En retracer les tenants et aboutissants, en tout cas, nécessite de dire toute la vérité : dans l’histoire des peuples, le bien ou le mal sont rarement d’un seul côté.
Jean Sévillia http://www.jeansevillia.com
(1) La France en Algérie, 1830-1954, de Guy Pervillé, Vendémiaire.
Ni l’insurrection des pieds-noirs algérois lors de la semaine des barricades (janvier 1960), ni le putsch des généraux (avril 1961), ni l’irruption brutale de l’OAS dans un jeu désespéré ne feront obstacle au processus enclenché par les discussions ouvertes entre le gouvernement français et le Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA). Au terme de multiples péripéties, ces négociations conduisent à la signature des accords d’Evian, le 18 mars 1962, et au cessez-le-feu proclamé le lendemain, acte ratifié par référendum, en France métropolitaine, par 90 % des suffrages, le 8 avril suivant.
Cependant ni Ahmed Ben Bella, prisonnier en métropole depuis 1956, ni le colonel Houari Boumediene, chef de l’ALN basée en Tunisie et au Maroc, n’ont été associés aux pourparlers d’Evian. Ces deux pionniers de l’indépendance, récusant le GPRA, videront de leur contenu les rares clauses de sauvegarde prévues par les négociateurs français à propos des Européens d’Algérie.
Le 26 mars 1962, une manifestation de pieds-noirs, interdite mais pacifique, est mitraillée par la troupe française, rue d’Isly, à Alger, dans des circonstances controversées : le bilan est de 49 morts et de près de 200 blessés. Dans les villes ou dans le bled, à cette époque, les rapts d’Européens se multiplient. L’historien Jean-Jacques Jordi, qui vient d’étudier ce drame occulté, recense 1 630 personnes enlevées qui n’ont jamais été retrouvées, dont 1 300 entre le 19 mars et la fin de l’année 1962 (3). Selon la formule célèbre, les Français d’Algérie ont le choix entre la valise et le cercueil. Pendant qu’une bataille sans issue entre l’OAS et le FLN embrase les villes d’Algérie, 700 000 pieds-noirs, en quatre mois, franchissent la Méditerranée afin de gagner un pays qu’ils ne connaissent pas et qui ne les attend pas, laissant derrière eux leur véritable patrie, leurs tombes et leurs biens. Le 5 juillet, premier jour de l’indépendance algérienne, 700 Européens sont tués à Oran, sans que l’armée française intervienne (4).
Parallèlement, une autre tragédie se déroule. A partir du 19 mars, les 150 000 supplétifs musulmans de l’armée française sont désarmés. Pour le FLN, les harkis sont des traîtres. Afin de protéger leurs hommes, certains officiers français les font passer en métropole avec leurs familles. Le 12 mai, Louis Joxe, ministre des Affaires algériennes et négociateur d’Evian, ordonne de les renvoyer en Algérie. A partir de juillet 1962, les anciens harkis, abandonnés par la France, sont systématiquement assassinés par les vainqueurs, dans des conditions d’une horreur inimaginable. L’historien Maurice Faivre évalue le nombre de victimes de ce massacre entre 60 000 et 80 000 hommes, femmes et enfants (5).
Cent trente ans de souveraineté française sur l’Algérie ont pris fin dans les larmes et le sang. Ce désastre pouvait-il être évité ? En retracer les tenants et aboutissants, en tout cas, nécessite de dire toute la vérité : dans l’histoire des peuples, le bien ou le mal sont rarement d’un seul côté.
Jean Sévillia http://www.jeansevillia.com
(1) La France en Algérie, 1830-1954, de Guy Pervillé, Vendémiaire.
(2) La Victoire taboue. Algérie, la réussite tactique de l’armée française, de Christophe Dutrône, Editions du Toucan.
(3) Un silence d’Etat. Les disparus civils européens de la guerre d’Algérie, de Jean-Jacques Jordi, Editions Soteca.
(4) Oran, 5 juillet 1962. Un massacre oublié, de Guillaume Zeller, Tallandier.
(5)
Harkis, soldats abandonnés, témoignages, préface de Pierre
Schoendoerffer et introduction du général Maurice Faivre, XO Editions.
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