La
mémoire française de la Révolution est souvent l’objet de controverses
(pas seulement historiques, loin de là…) et les débats autour du génocide vendéen, relancés par la publication du dernier ouvrage de Reynald Sécher, nous le rappellent quotidiennement ! Pourtant, la Révolution n’a pas été un long fleuve tranquille et a charrié dans son lit de nombreux cadavres,
de la Corse à la Bretagne, en passant évidemment par Lyon, Avignon ou
encore Savenay : si les manuels d’histoire accordent plus d’importance
aux grands principes valorisés par la déclaration des droits de l’homme
et du citoyen de 1789 qu’à leur effective application (pourtant fort…
nuancée !), les populations enracinées restent sensibles aux figures
locales qui ont traversé la période, en y laissant parfois leur vie et
quelques archives pas toujours accessibles, ou les redécouvrent, dans ce
grand mouvement informel de recherche de « la mémoire des siens ».
Ainsi, dimanche 29 avril, la béatification de Pierre-Adrien Toulorge sera-t-elle suivie par 2.000 à 2.500 personnes à Coutances, dans la Manche… Le journal La Croix,
dans son édition du 27 avril, raconte son histoire, si révélatrice et
exemplaire au regard de la période agitée de la Terreur et des enjeux de
sa mémoire souvent contrariée : « Pierre-Adrien Toulorge ou
l’histoire d’un paradoxe : il y a quelques mois encore, dans la Manche,
bien peu connaissaient la figure de ce prêtre guillotiné en 1793, en
pleine Terreur. (…) Comme ses contemporains, il est profondément
déstabilisé par la Révolution. Il cherchera d’ailleurs d’abord à fuir
son destin sur l’île de Jersey. Pris de remords, il rentre sur le
continent, où il prend le maquis et célèbre les sacrements
clandestinement avant d’être arrêté. Lors de son procès, il cherche à
tromper ses juges, avant de revenir sur sa déposition, réalisant qu’on
ne peut sauver sa vie sur un mensonge.
« (…) Marc Beuve, président de l’association des Amis du P. Toulorge, se dit frappé par « la vérité et l’authenticité » du personnage. « Je ne sais pas si j’aurai eu son courage, confesse-t-il. L’accusation
n’avait aucune preuve de son exil. Il faut être gonflé pour se laisser
conduire à l’échafaud alors qu’un mensonge suffirait à vous sauver la
peau. »
Bien
sûr, la béatification est d’abord religieuse, mais cela n’empêche pas
de réfléchir au contexte du martyre de ce prémontré guillotiné pour le
simple fait d’avoir émigré à Jersey : la Terreur, qui est la période la
plus triste et violente de cette Première République qui se voulait
« libératrice » et, bien sûr, éternelle, a usé et abusé de la guillotine
pour s’imposer et imposer sa conception du bien et celle de « l’homme
nouveau » qu’elle entendait promouvoir, envers et contre tout, parfois
contre (presque) tous !
Certains me rétorqueront que toutes les grandes mutations se font dans une certaine tension qui peut s’avérer homicide,
que cela soit la conquête des terres d’Amérique par les conquistadores
ou les révolutions industrielles qui entraînèrent la mort de millions
d’ouvriers et de mineurs (d’ailleurs au double sens du terme !) pour
permettre l’industrialisation des sociétés contemporaines : une tension
nécessaire pour accéder à un autre stade de développement humain,
dit-on… Mais tension n’est pas toujours intention, me semble-t-il ! Or,
dans le cas de la Terreur, l’intention de détruire des hommes mais aussi
des communautés entières est, non seulement avérée, mais revendiquée,
assumée, expliquée : « la fin justifie les moyens »… Il est une notion de « pureté » dans la logique de la Terreur
(qui n’est qu’un moment de la Première République, et qui ne peut être
confondue avec l’intégralité de ce régime auquel Napoléon donne un autre
sens et un autre aboutissement que ceux avancés par ses premiers
promoteurs…), une logique que l’on retrouve, sans doute, dans les
paroles de La Marseillaise pourtant écrites avant même l’établissement de la République : « Qu’un sang impur abreuve nos sillons… ».
Mais, contrairement à certains contre-révolutionnaires, je ne pense pas
que Rouget de Lisle avouait par là-même une intention d’extermination
ni même d’épuration humaine… Son chant est d’abord, on l’oublie un peu,
un chant destiné à rassurer, à motiver les troupes françaises mais aussi
à apeurer les soldats ennemis : les mots utilisés le sont plus
de façon théâtrale qu’avec l’intention de mener une extermination froide
d’ennemis vaincus ou prisonniers…
Or,
la Terreur, elle, n’a pas cette excuse : ce sont bien des hommes
vaincus, qu’elle sort de ses geôles pour les juger avec le couperet
possible (c’est le cas de le dire !) en jugement dernier. Ce sont des hommes qui, dans le cas de ce prêtre, ne sont pas des combattants mais des opposants ou, pire
(car l’intention prêtée à ceux que jugent les tribunaux
révolutionnaires est parfois plus importante que les faits eux-mêmes…), des « suspects ».
Durant la Grande Terreur, la simple suspicion suffisait à envoyer à la guillotine ceux que la République accusait d’être des ennemis « par principe »…
Pierre-Adrien Toulorge, accusé d’avoir simplement émigré, était
coupable, selon le tribunal révolutionnaire, de beaucoup plus que cela :
d’être « naturellement » un mauvais citoyen, un ennemi de la
République, un « impur » qui devait être retranché de la nouvelle
humanité révolutionnaire en étant définitivement tranché…
Aujourd’hui,
la mémoire normande comme celle de l’Eglise lui rendent toute sa place
dans la communauté, religieuse comme française, et sans chercher à juger
ceux qui l’ont condamné : c’est mieux ainsi ! L’histoire ne doit pas être un « champ des vengeurs » après l’avoir été « des martyrs »
: mais elle doit permettre de comprendre ce qui a entraîné tant
d’horreurs et d’éviter, autant que faire se peut, qu’elles se
reproduisent. http://jpchauvin.typepad.fr/
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