jeudi 10 mai 2012

Antoine de Rivarol

Nous avons abordé dans un précédent article la dimension que Rivarol occupe en France dans le domaine du pamphlet. Nous allons analyser de plus près ce que furent ses idées politiques.
Rappelons qu'il est né le 17 avril 1757 à Bagnols, d'un père de petite noblesse italienne. Il "monte" à Paris vers l'âge de 20 ans et y fait la connaissance de Voltaire et de d'Alembert. Il gagne très vite, dans les salons, la réputation d'un bel esprit et remporte, comme on le sait, en 1783 le concours de l'Académie de Berlin sur l'universalité de la langue française, ce qui lui apporte la célébrité. Il apparaît très vite qu'il n'est pas un philosophe dans la mouvance de Diderot. Très tôt convaincu du rôle de la religion comme soutien de l'Etat, et du caractère pernicieux des opinions "avancées", il se scandalise des audaces du Mariage de Figaro. Son auteur, Beaumarchais, dira à Rivarol, le soir de la première : « Plaignez-moi, mon cher ! J'ai tant couru ce matin auprès des ministres, auprès de la police, que j'en ai les cuisses rompues ! » Rivarol lui répliqua : « Quoi déjà ! », faisant allusion au supplice de la roue, infligé aux criminels, dont on rompait les membres... Rivarol brillait par ses bons mots, ses réparties, ses insolences.
Rivarol est évidemment un adversaire acharné de la Révolution. Burke, qui lit ses articles, dira de ses écrits qu'ils seront célèbres dans l'avenir à l'égal des Annales de Tacite. Les philosophes considèrent que la religion et les gouvernements ne sont que des entraves. Rivarol leur répond : « La religion unit les hommes dans les mêmes dogmes, la politique les unit dans les mêmes principes, et la philosophie les renvoie dans les bois : c'est le dissolvant de la société. » Il dira que l'incrédulité est « un terrible luxe ». Mais aussi que l'on ne peut pas détruire des idées à coups de fusils. Il avait compris, deux siècles avant les "penseurs" de mai 68, qu'une révolution brisant le sens des mots précède toujours un bouleversement politique. Il avait observé que Jean-Jacques Rousseau changeait le sens des mots d'une page à l'autre et dira : « Changer le sens des mots d'une langue faite, c'est altérer la valeur de la monnaie dans un empire, c'est produire la confusion, l'obscurité et la méfiance. » Il usa de cette métaphore pour traduire son idée : « Si l'on dérange les meubles dans la chambre d'un aveugle, on le condamne à se faire une nouvelle mémoire. » Rivarol dénonce par avance les dangers du romantisme, analyse que développera Charles Maurras dans Les amants de Venise et Marcel Aymé dans Le confort intellectuel, qui ont tous deux dénoncé les grands mots vides de sens, les idées humanitaires, notamment, cachant en réalité une profonde indifférence aux souffrances des êtres humains.
Il compare la politique à un sphinx qui dévore ceux qui ne savent pas expliquer ses énigmes. Dans le monde politique, comme dans un moulin mû par l'eau ou le vent, « le Peuple est force, le gouvernement est organe, et leur réunion constitue la puissance publique. » Il y a révolution lorsqu'il y a séparation de la force et de ses organes. Pour qu'il y ait puissance, il faut qu'il y ait union de la force et de l'organe, qui est le gouvernement. Le peuple n'a que des forces, qui, séparées de l'organe, ne tendent qu'à détruire. Donc la souveraineté ne réside pas dans le peuple, mais dans le gouvernement. Il réfute en fait Jean-Jacques Rousseau et sa conception mystique de la souveraineté et conteste la notion de droits qui seraient inhérents à la nature humaine. Puisqu'il n'y a de droits qu'appuyés sur une force, et que celle-ci implique la vie en société et son organisation, c'est une absurdité de croire que l'homme posséderait des droits en dehors de la vie sociale, et qui seraient mis en commun par contrat. Pour Rivarol, le génie en politique consiste à conserver, non à créer. Ce n'est pas la meilleure loi qui est la bonne, mais la plus fixe. Lorsque le droit change en permanence, c'est comme s'il n'existait pas. Ce critique de la philosophie des Lumières, et de la Révolution, qui a bien compris que l'une résultait de l'autre, meurt à l'âge de 44 ans, sans avoir eu, hélas, le temps d'écrire sa « Théorie du corps politique ».
R.S. Rivarol du 3 février 2012

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