Depuis Saint Louis,
les finances de la France ont l’habitude d’être dans le rouge… Et pour
rétablir l’équilibre des comptes, chaque roi a sa recette miracle.
Emprunt, impôts, spoliation, faillite, tout est bon pour remplir les
caisses. Instructif, mais pas forcément transposable !
Aux premiers temps, pas d’impôts ni de taxes
Aux
premiers temps de la monarchie capétienne, le roi est seulement le
premier des nobles. Comme les autres barons du royaume, il vit des
droits seigneuriaux et des produits qu’il tire de ses domaines
personnels.
Son
autorité découle de l’ordre féodal. Pour la guerre, il convoque le ban
et l’arrière-ban : ses vassaux se mettent à sa disposition pendant
quarante jours avec leurs pages et leurs chevaliers.
Le
roi n’a donc que des ressources et des besoins modestes. Pas d’impôts
ni de taxes, si ce n’est des contributions exceptionnelles que l’on
réclame aux bourgeois ou à l’Église en faisant valoir l’urgence du
moment et l’intérêt général.
Des guerres dispendieuses
Dans
la famille des rois dispendieux, je demande Louis IX, notre brave Saint
Louis. Le Trésor part en quenouille avec lui au XIIIe siècle.
La
raison ? Principalement les ruineuses croisades qu’il engage en Terre
Sainte par deux fois mais aussi les précieuses reliques de la Passion
qu’il collectionne pour la Sainte Chapelle, dont la couronne du Christ achetée 40.000 livres, soit l’équivalent du coût de construction de la Sainte Chapelle elle-même !
Sa
première croisade, en 1248, va engloutir pas moins d’un million et demi
de livres alors que les seuls revenus du royaume s’élèvent annuellement
à 250.000 livres. Car la guerre coûte cher et reste la principale cause
des déficits pendant le Moyen Âge, qui voit seigneurs, princes et
souverains se ruiner en permanence pour défendre ou conquérir des
terres.
Fort logiquement, le premier impôt permanent est établi à l’issue de la plus importante de ces guerres, la guerre de Cent ans. Le roi Charles VII
convoque les états généraux, une assemblée de tous les corps constitués
du royaume, et obtient le droit de prélever tous les ans une aide pour
la «taille des lances» (autrement dit l'achat et l'entretien des armes
de guerre).
La boulimie fiscale ne va désormais plus avoir de limite, en lien avec la croissance de l’État et de ses attributions.
Haro sur la dette
Leurs dépenses croissant souvent plus vite que les recettes, les rois remédient au déficit de différentes manières.
- Solution 1 : augmenter les impôts
La
première solution, la plus pratique et la plus efficace, consiste à
augmenter les impôts. C’est ce que fait Saint Louis en taxant ses
sujets, exigeant des villes une contribution exceptionnelle, tout en
levant la fameuse décime (10% de prélèvement) sur les confortables
revenus du clergé – après tout, ils sont les premiers concernés par les
croisades et la protection du tombeau du Christ.
- Solution 2 : dévaluer la monnaie
Deuxième solution, tout aussi efficace mais pas très populaire : récupérer le métal précieux de la monnaie en circulation en «grattant» les pièces puis en refondant le gain. Une astuce largement utilisée par le petit-fils de Saint Louis, Philippe IV le Bel, prince des faux-monnayeurs.
Cette forme primitive de dévaluation sera régulièrement reprise par la suite, sous des formes moins grossières.
- Solution 3 : rançonner les banquiers
Troisième
méthode radicale utilisée par le même Philippe le Bel, la spoliation
des usuriers, juifs ou lombards, ou la taxation extraordinaire de leur
présence sur le sol du royaume pour continuer à exercer leur commerce. Vous payez, sinon vous partez : il fallait y penser.
Le
roi, décidément jamais à cours d’idée pour remplir ses caisses, décide
également de mettre la main sur les biens des riches et puissants
Templiers, en provoquant la chute de cet ordre monastique en 1307 avec l’assentiment passif du pape Clément V.
À
force de prêter aux princes, l’ordre des Templiers était devenu un
véritable État dans l’État, et surtout une puissance militaire et
financière redoutable face à une couronne sans cesse débitrice. La
manœuvre de Philippe Le Bel permet de renflouer les caisses du Trésor,
d’alléger les dettes et d’éliminer une institution menaçante.
Cette
technique de spoliation est assez courante chez les rois de France :
elle offre l’avantage de désigner facilement un coupable en cas de
tension politique, tout en récupérant un beau magot au passage.
Le jeune Louis XIV, déjà pourvu du trésor considérable amassé illégalement par son parrain, le cardinal Mazarin, n’agit pas autrement en poursuivant son intendant Fouquet et
en raflant au passage ses biens et ses richesses lors d’un procès à
charge, au moment même où les besoins du royaume ne cessent de grimper.
- Solution 4 : faire un «beau» mariage
Quatrième
méthode pratiquée avec art par tous les souverains : les mariages et
les dots – un tour de passe-passe malheureusement impossible sous nos
pauvres Républiques...
Au XVIe siècle, François Ier marie ainsi son fils Henri à Catherine de Médicis,
héritière d’une grande famille florentine, mais dont les quartiers de
noblesse laissent à désirer… L’argent fait taire les plus réticents, car
à l’époque, tout commence à se marchander, même l’honneur, et le
contrat stipule que la dot de la promise viendra fort à propos combler
le déficit royal, à savoir 100.000 écus d’argent et 28.000 écus de
bijoux.
Voilà
Catherine de Médicis reléguée au rang de monnaie d’échange, simple
bouche-trou des finances du royaume – il faut dire que l’ambitieuse
Diane de Poitiers règne en solo sur le cœur du prince Henri.
Pourquoi
se priver en tout cas d’une formule qui marche en évitant d’augmenter
les impôts ? Les Médicis vont récidiver soixante-dix ans plus tard en
apportant une fois de plus une dot conséquente pour que Marie, lointaine cousine de Catherine, entre à son tour dans l’une des cours les plus puissantes du monde en épousant Henri IV en 1600.
Cela
tombe bien, les caisses du royaume sont à nouveau vides après les
guerres de religion et la somme de 600.000 écus d’or proposée par la
famille du Grand-duc de Toscane emporte la décision, au grand
soulagement du ministre Sully.
La
moitié de la somme permet de rembourser illico les dettes contractées
auprès de la banque Médicis. Un bon point pour la France, un mauvais
pour Marie qui devient aux yeux de la cour «la grosse banquière», manière peu élégante de faire allusion à un embonpoint certain.
Les
alliances de sang entre les souverains et les banquiers prouvent en
tout cas la nouvelle puissance de ces derniers. Ces princes de la
finance développent et encouragent la dette publique.
Au
début, cependant, le souverain reste maître chez lui et dicte souvent
ses conditions aux banquiers de Florence ou Venise, sans s’encombrer de
questions d’honneur, valable uniquement pour les liens féodaux. Les rois
font donc appel à eux, mais ne remboursent pas toujours !
- Solution 5 : se déclarer en défaut de paiement
C’est
la cinquième solution, véritable arme de destruction massive à la
disposition de nos princes : le défaut de payement pur et simple, moyen
commode d’effacer une ardoise, au détriment du créancier. Ainsi en 1337,
lorsque le jeune roi d’Angleterre Édouard III
entend faire valoir ses droits sur la couronne de France, il s’adresse
aux banquiers italiens, les Bardi et les Peruzzi, pour financer son
offensive.
Mais
à l’issue de cette offensive, à l’origine de la fameuse guerre de Cent
ans, il se retrouve dans l’incapacité de rembourser et décide carrément
de répudier sa dette au détriment des banques qui n’ont jamais revu leur
argent… C’est le risque du métier.
La
méthode reste toutefois périlleuse car les banquiers y regardent
ensuite à deux fois avant d’avancer de nouveaux fonds. Mais un jour ou
l’autre, ils finissent par se raviser : comment ne pas prêter aux plus
grands souverains d’Europe qui peuvent, par une guerre victorieuse,
rembourser avec de confortables intérêts ? Aux banquiers d’être habiles
et prévoyants, prêtant à l’un, faisant patienter l’autre, agissant dans
l’ombre pour soutenir des stratégies gagnantes ou hasardeuses, comme ce
fut le cas pendant la grande rivalité entre François Ier et Charles
Quint, au cours du XVIe siècle.
Pour
financer sa politique, l’empereur hypothèque les ressources de
l’Espagne auprès de ses banquiers. Le royaume, déjà en voie
d’appauvrissement, sera conduit à répudier sa dette à plusieurs reprises
au cours du 17e puis du 19e siècles, ne pouvant honorer les échéances…
La
France n’est pas en reste puisqu’elle se déclarera en défaut de
paiement à huit reprises entre le 16e et le 18e siècles - dont quatre
fois sous le règne de Louis XIV. Mais il est vrai qu’à l’époque, le pays
dictait sa loi au monde...
- Solution 6 : fabriquer de la monnaie
La sixième solution est nettement plus contemporaine, puisqu’elle fait appel au mécanisme inflationniste : il s’agit du fameux système Law, du nom de ce banquier écossais inventif qui réussit en 1717 à vendre son idée à un Régent pris à la gorge.
Sur
le papier, le principe est simple : il s’agit de créer une banque qui
va émettre du papier-monnaie (une première en France) garanti par un
capital d’or et d’argent. Devenue banque royale en 1718, la nouvelle
institution rachète la dette de l’État mais obtient en contrepartie de
percevoir les impôts indirects du royaume.
Les
actions s’envolent dans une spéculation sans borne : on achète un jour
et on vend dès le lendemain avec une belle plus-value ; la bulle gonfle
artificiellement pendant que la planche à billets fonctionne à plein
régime, favorisant l’inflation.
Hélas,
le beau scénario s’effondre lorsque les notables se rendent compte
qu’ils ne possèdent que du vent… Lorsqu’ils commencent à demander le
remboursement du papier en or, c’est la banqueroute ! Law s’enfuit en
évitant de peu le lynchage. Il aura tout de même permis de diviser la
dette de moitié.
Après
cette pause, les mauvaises habitudes reprennent. Le gouvernement renoue
avec le déficit alors que la France est au comble de la prospérité,
avec une agriculture, un commerce et des industries en pleine expansion.
Les
guerres – notamment celle d’Amérique sous Louis XVI - coûtent cher au
Trésor de même que les dépenses somptuaires de la Cour.
Mais
les principales causes du déficit sont dans l’injuste répartition de
l’impôt et dans une collecte très défectueuse. Au siècle précédent, on a
étendu les privilèges fiscaux des plus riches au détriment des plus
modestes. On a aussi confié la collecte de l’impôt à des financiers
privés, les «fermiers généraux», ouvrant la voie à de nombreux abus.
Le roi Louis XVI
recule devant l’indispensable réforme qui ferait contribuer plus
largement aux impôts la noblesse et le clergé. Ses hésitations et la
fronde des puissants arc-boutés sur leurs privilèges débouchent sur la
Révolution française.
- Solution 7: spolier les possédants
La
toute jeune Assemblée nationale ne prend pas de gants. Elle proclame
l’égalité de tous devant l’impôt mais n’ayant pas les moyens de faire
rentrer les impôts, adopte une nouvelle solution pour tenter de combler
le déficit public : elle fait main basse sur les biens de l’Église, soit au bas mot trois milliards de livres qui sont proclamés «biens nationaux» (terres, couvents, hôpitaux, écoles, églises…).
Jamais
de transferts aussi massifs de richesses n’ont eu lieu en France,
provoquant toutes sortes de combines et de rachats de biens en
sous-main, avec leur lot de pots-de-vin, pour le plus grand bonheur de
certains aigrefins
Huit
ans après la prise de la Bastille, les problèmes d’endettement ne sont
pas pour autant réglés mais le nouveau gouvernement du Directoire trouve
une solution bien rodée pour renflouer ses caisses : la razzia pure et
simple ; solution habituelle à tous les conquérants, de César à Hitler
en passant par le calife Omar.
Ainsi,
lorsque le général Bonaparte lance son armée dans les terres et les
cités opulentes du nord de l’Italie, il organise les pillages de
monastères et d’églises, fond sur place l’or et l’argent, rançonne les
villes et impose des contributions aux territoires conquis, tel un
nouvel Alexandre.
On estime à 46 millions de francs le butin saisi en Italie
pendant la seule année 1796, une somme, à comparer au déficit global
des finances de l’époque : 240 millions. La morale est simple : quand on
ne peut vraiment plus payer, on finit toujours par se servir chez les
autres.
Le
gouvernement français n'en est pas moins obligé en 1801 de se déclarer
une nouvelle fois en défaut de paiement. Mais il ne réemploiera plus
jamais cette arme de destruction massive... jusqu'à nos jours.
La dette, plus actuelle que jamais
Après
la chute de l’Empire, en 1815, il n’est plus question pour les Français
de razzias ou de spoliations. Le temps est à la paix et au travail. Les
gouvernements de la Restauration s'attellent à rembourser les dettes et
les réparations héritées de l'Empire. Pour cela, ils réduisent les
dépenses militaires. Ca tombe bien, la conjoncture a rarement été aussi pacifique. D'autre part, ils recourent à l'emprunt.
Très vite la révolution industrielle éloigne le spectre de la dette.
Quand la France, défaite par l’Allemagne en 1871, se voit imposer un très lourd tribut de
cinq milliards de francs, elle se flatte de le régler en avance sur les
échéances, tant est élevée l’épargne nationale. Paris est alors la
deuxième place financière du monde derrière Londres (heureuse
époque...).
Tout
se gâte avec la Grande Guerre de 1914-1918. Menacée dans sa survie, la
France mobilise ses ressources humaines mais aussi financières. Il n’y a
pas de rigueur budgétaire qui vaille. Heureusement, aucune «règle d’or» constitutionnelle
ne vient entraver l'action du gouvernement. Celui-ci s’endette donc
massivement auprès des États-Unis pour se pourvoir en armements et en
biens de première nécessité, sans regarder à la dépense.
La victoire ne règle rien car l’Allemagne vaincue tarde à verser les «réparations»
qui lui sont réclamées tandis que les États-Unis ne voient pas de
raison d’annuler leurs créances auprès de leurs alliés français et
britanniques.
Depuis
lors, les gouvernements français sont régulièrement confrontés à des
déficits budgétaires et à des solutions plus ou moins idoines qui ne
sont pas sans rappeler celles de l’ancienne monarchie de droit divin :
impôts nouveaux, inflation rampante, dévaluation, émission de monnaie
papier, nationalisation du secteur bancaire…
Rigueur budgétaire contre instabilité monétaire
La
fin de la Grande Guerre inaugure une crise prolongée en Europe, tant
chez les vaincus que chez les vainqueurs, la France et l’Angleterre. Les
budgets connaissent des déficits structurels et les balances
commerciales connaissent des déficits structurels.
En 1928, deux ans après un plan de rigueur efficace, le gouvernement Poincaré se résout à l'inévitable : la dévaluation, au grand scandale de ceux qui faisaient de la stabilité du «franc germinal» hérité de Bonaparte le symbole de la grandeur française.
Mais cette dévaluation arrive trop tard. La crise boursière qui explose à Wall Street
l’année suivante entraîne le monde dans la récession et le chômage.
Arrimés à la stabilité de leur monnaie, les gouvernements ne voient
d’autre réponse que la «déflation», autre nom de la rigueur budgétaire, laquelle n’arrange rien.
Après la Seconde Guerre mondiale, les «Trente Glorieuses» offrent à la France et à l’Europe une nouvelle embellie.
Mais les déficits budgétaires reviennent dès les années 1970 avec une forme de «privatisation de l’impôt».
Le gouvernement fait appel aux financiers privés pour solder ses fins
de mois. Il engage aussi la privatisation des services publics. Comme au
temps de Louis XIV et des fermiers généraux, l'État offre ainsi aux
détenteurs de capitaux des rentes de situation plus confortables que
l’investissement dans l’industrie...
Marc Fourny http://www.herodote.net
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