Le 16 avril 1917, les Français lancent une grande offensive en Picardie, sur le Chemin des Dames.
Mal préparée, mal engagée, elle va entraîner un profond ressentiment
chez les soldats et une reprise en main des questions militaires par le
gouvernement.
Le Chemin des Dames
Le Chemin des Dames
désigne un escarpement de 35 kilomètres qui s'étire de Craonne, à
l'est, au moulin de Laffaux, sur la route Soissons-Laon. Son nom évoque
une route qu'avaient coutume d'emprunter les filles de Louis XV.C'est dans ce paysage aujourd'hui souriant qu'a eu lieu la sanglante offensive du Chemin des Dames, une route de crête, orientée est-ouest, à mi-chemin de Laon (au nord) et de Soissons (au sud).
Échec sanglant
L'échec
de l'offensive est consommé en 24 heures malgré l'engagement des
premiers chars d'assaut français (une quarantaine). On n'avance que de
500 mètres au lieu des 10 kilomètres prévus, et ce au prix de pertes
énormes : 30.000 morts en dix jours.
Le général Robert Nivelle, qui a remplacé le général Joseph Joffre à la tête des armées françaises le 12 décembre 1916, en est tenu pour responsable.
Lors
de la conférence interalliée de Chantilly, en novembre 1916, il
assurait à tout un chacun que cette offensive serait l'occasion de la «rupture» décisive tant attendue grâce à une préparation massive de l'artillerie qui dévasterait les tranchées ennemies en profondeur. «Je renoncerai si la rupture n'est pas obtenue en quarante-huit heures» promettait-il aussi !
Mais le lieu choisi, non loin de l'endroit où s'était déroulée la bataille de la Somme
de l'année précédente, n'est pas le moins du monde propice à la
progression des troupes, avec ses trous d'obus et ses chemins défoncés.
Qui
plus est, avant l'attaque, les Allemands ont abandonné leurs premières
tranchées et construit un nouveau réseau enterré à l'arrière, plus
court, de façon à faire l'économie d'un maximum de troupes : la ligne Hindenburg.
Une
offensive parallèle est menée par les Anglo-Canadiens au nord de la
Somme, près d'Arras et de la crête de Vimy. Plus chanceux que leurs
alliés, ils avancent dès le premier jour d'un à cinq kilomètres, les
Allemands ayant allégé leur dispositif pour concentrer leurs efforts sur
le Chemin des Dames.
Désespoir et mutineries
Après
l'attaque du Chemin des Dames, au cours de laquelle sont morts pour
rien 29.000 soldats français, la désillusion est immense chez les poilus. Ils ne supportent plus les sacrifices inutiles et les mensonges de l'état-major.
Des
mutineries éclatent çà et là. En fait de mutineries, il faudrait plutôt
parler d'explosions de colère sans conséquence pratique (aucun soldat
n'a braqué son arme sur un gradé ; aucune compagnie n'a déserté). Elles
surviennent à l'arrière, dans les troupes au repos qui, après s'être
battues avec courage mais inutilement, apprennent que leurs supérieurs
veulent les renvoyer au front sans plus d'utilité.
Le
général Nivelle, qui n'a pas tenu sa promesse d'arrêter les frais au
bout de 48 heures, est limogé le 29 avril 1917 et remplacé par le
général Pétain, auréolé par ses succès de l'année précédente à Verdun.
Il s'en faut de beaucoup que ce changement ramène la discipline dans
les rangs et les mutineries se reproduisent en assez grand nombre
jusqu'à la fin du printemps.
Le
nouveau commandant en chef s'applique en premier lieu à redresser le
moral des troupes. Il sanctionne, semble-t-il, avec modération les faits
d'indiscipline collective, limitant à quelques dizaines le nombre
d'exécutions...
L'historien
Guy Pedroncini chiffre le nombre de condamnations à 3.500 environ et
les exécutions effectives à 60 ou 70. Les autres condamnés voient leur
peine commuée en travaux forcés (ils échappent du même coup à la guerre
!). L'historien Jean-Baptiste Duroselle évalue à 250 le total des
mutineries sur le front français au printemps 1917. Elles auraient
impliqué un maximum de 2.000 soldats et se seraient soldées par 27
exécutions pour faits d'indiscipline collective.
À
l'arrière, notons-le, on sévit avec moins de ménagement contre les
défaitistes et les supposés traîtres. Ainsi fusille-t-on une pitoyable
demi-mondaine, Mata-Hari.
Il
y eut au total pendant la Grande Guerre autour de 600 soldats français
condamnés à mort et passés par les armes, 330 anglais, 750 italiens, 48
allemands (ce dernier chiffre est sans doute sous-estimé quoique les
tribunaux allemands, à la différence des français, admissent les
circonstances atténuantes en cas d'abandon de poste).
Ces
exécutions pour abandon de poste en présence de l'ennemi, mutilation
volontaire ou... crime de droit commun (viol, rapine, meurtre), eurent
surtout lieu dans la première année du conflit, parfois même sans
jugement, quand le général Joffre cherchait dans la troupe des
responsables à la faillite de son plan XVII.
Jean-Jacques Becker, spécialiste de la Grande Guerre, rappelle cependant que le commandement français n'a pas procédé à des «fusillés pour l'exemple».
En d'autres termes, il n'y a pas eu de soldats pris au hasard et
fusillés pour sanctionner l'indiscipline de leur unité. Au contraire de
l'armée italienne où le général Luigi Cardona, responsable du désastre
de Caporetto, n'a pas craint de sanctionner les défaillances de la
troupe par «décimation», à la façon de la Rome antique. Notons
aussi que l'armée australienne s'interdisait les condamnations à mort
comme le rappelle Nicolas Offenstadt dans Les fusillés de la Grande Guerre (Odile Jacob, 1999).
En
France, dans les années 1920, beaucoup de fusillés furent réhabilités à
la demande de leurs compagnons survivants ou de leurs familles et l'on
construisit même des monuments en leur souvenir, par exemple à Vingré
(Aisne). La plupart ont aussi leur nom sur le monument aux morts de leur
village, les concepteurs de ces monuments s'étant rarement appesantis
sur les conditions de leur disparition... Les Anglais ont quant à eux
attendu 1993 pour une démarche de «pardon» à l'égard de leurs fusillés.
Les
mutineries du printemps 1917 sont passées pratiquement inaperçues des
contemporains et n'ont suscité l'intérêt des historiens qu'à partir des
années 1930.
Les soldats fusillés de 1914-1915 ont inspiré au cinéaste américain Stanley Kubrick Les sentiers de la gloire
(1957), avec Kirk Douglas dans le rôle principal. Remarquable sur le
plan cinématographique, ce film est très éloigné de la réalité de la
guerre. Un autre film, français celui-là, évoque des soldats jetés sur
les lignes ennemies pour s'être volontairement mutilés : Un long dimanche de fiançailles
(Jean-Pierre Jeunet, 2004). Le fait de punir de la sorte des insoumis
s'est peut-être produit mais rien ne l'atteste selon Jean-Jacques
Becker.
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