Gesell
est né en Belgique en 1862 (à Saint Vith exactement qui, à l’époque,
était situé en Allemagne). Après avoir développé une affaire
d’instruments dentaires en Argentine, il quitta la vie active, revint en
Europe et se fixa en Suisse. Depuis ce pays, il développa des théories
qu’il a résumées dans son livre L’ordre économique naturel. Ses théories
se fondent sur diverses observations. Tout d’abord, la quantité de
monnaie gagée par l’or ne suit pas le rythme de l’accroissement de la
production et de la richesse et cette disproportion est la cause
principale des désastres économiques. D’autre part, la monnaie est
détournée de son véritable emploi pour servir surtout à la
thésaurisation, ce qui provoque un ralentissement des échanges et, la
quantité de denrées restant la même, cela cause la chute des prix.
Contrairement aux marchandises, l’argent ne perd pas de sa valeur. Le
détenteur d’argent peut alors attendre que le commerçant baisse ses
prix. Quant à ce dernier, il se retrouve obligé de couvrir ses frais par
des crédits, sur lesquels il doit payer des intérêts. Celui qui reçoit
ces intérêts peut à nouveau les prêter à un autre. On se retrouve donc
face à une quantité de plus en plus grande de monnaie qui est extraite
du circuit économique. Pour casser ce cercle « vertueux », Gesell
propose que l’argent perde périodiquement de sa valeur, de sorte qu’il
devienne inintéressant de le garder et perde ainsi sa position dominante
par rapport au travail humain ( http://vouloir.hautetfort.com/ ).
◘ Recension : Klaus SCHMITT, Günter BARTSCH (Hrsg.), Silvio Gesell, "Marx" der Anarchisten. Texte zur Befreiung der marktwirtschaft vom Kapitalismus und der Kinder und Mütter vom patriarchalischen Bodenunrecht, Karin Kramer Verlag, Berlin, 1989, 303 p.
Silvio Gesell (1862-1930) était un économiste absolument non-conformiste. Il a pris part aux gouvernements des conseils de Bavière, avec d'autres figures non conventionnelles comme Ernst Niekisch, Erich Mühsam et Gustav Landauer. Natif de Saint-Vith, Gesell développa dans le plus important de ses livres, Die natürliche Wirtschaftsordnung (L'Ordre économique naturel),
un projet de redistribution des terres, de façon à ce que chaque homme
puisse être indépendant et autonome, et vivre en toute indépendance
vis-à-vis des structures abstraites de la modernité bourgeoise. Günther
Bartsch, auteur allemand qui s'est penché sur sa biographie et ses
idées, l'appelait un "a-crate", c'est-à-dire un homme libre de toute
tutelle, qu'elle soit politique, religieuse ou administrative.
Pour
Klaus Schmitt, qui entend redécouvrir Gesell pour le compte de la
gauche non conformiste allemande, tout en critiquant certains aspects de
sa pensée, l'A-crate républicain et conseilliste (räterepublikanisch) fut un des critiques les plus pertinents de la "puissance de Mammon". Gesell, effectivement, voulait briser la toute-puissance de l'argent en introduisant dans la pratique économique des peuples et des États un "argent évanescent" (Schwundgeld) et en théorisant une "Doctrine de l'Argent libre" (Freigeld-Lehre : doctrine de la monnaie franche). Par "argent évanescent", Gesell entendait une monnaie que l'on ne pouvait pas thésauriser et pour laquelle on ne paierait jamais d'intérêt. Pour Gesell, toute thésaurisation
d'argent / de monnaie constituait le "péché capital". Tout argent qui
n'était pas immédiatement investi dans des "choses" (des machines, des
appareils, de la technique, de l'éducation, des terres, du bétail,
etc.), devait, par une impérieuse nécessité morale et économique, perdre
de sa valeur.
Plus
tard, cette idée maîtresse de Gesell allait être reprise par le père du
distributisme canadien et anglo-saxon, C. H. Douglas, et par le poète Ezra Pound,
qui voyait dans le gouvernement américain l'instrument du "Démon
Mammon". Douglas, au Canada, a élaboré des projets de fermes
fonctionnant selon les règles du distributisme. Ces entreprises
agricoles fonctionnent encore aujourd'hui en circuit propre. Pound, pour
sa part, a voué une haine intransigeante, absolue, une haine de poète,
contre l'argent et les systèmes bancaires. Il a exprimé ce refus absolu
en apportant son soutien à la "République de Salo" de Mussolini, à la
fin de la Deuxième Guerre mondiale. Pound a tenté de convaincre ses
compatriotes américains de ne pas faire la guerre à Mussolini et au
fascisme républicain de 1943-45. Après la fin des hostilités en Europe,
Pound a été enfermé pendant douze ans dans un asile psychiatrique aux
États-Unis. Il est revenu indompté de cet enfer pour aller vivre au
Tyrol du Sud chez sa fille Mary de Rachewiltz (cf. NdSE n°30-31). Il y est mort en 1972.
Outre
ses doctrines économiques relatives à l'argent évanescent et/ou à
l'argent libre, Gesell a également théorisé un anarcho-féminisme, où il
voulait protéger les enfants et les femmes contre l'exploitation
masculine. Cette variante pratique des spéculations sur le grand
archétype matriarcal, initié par Bachofen,
impliquait une critique assez serrée du patriarcat (et des formes de
droit patriarcal), car, à ses yeux, cette forme dominante du droit
rendait la position des enfants particulièrement faible dans la société.
Dans cette mesure, Gesell a été le précurseur du droit des enfants.
Sur
le plan pratique, cet anarcho-féminisme signifiait l'introduction d'une
rente pour les mères. « Gesell et ses disciples voulaient confier
l'ensemble des terres aux mères et leur accorder, ainsi qu'à leurs
enfants jusqu'à l'âge de 18 ans, une rente foncière. Une fédération des
mères devait ainsi gérer l'ensemble du sol national, et plus tard, dans
un avenir lointain, l'ensemble des terres de la planète (Š) et le louer
via des contrats de métairie aux plus offrants. Par l'application de
cette procédure, chaque personne individuelle, ou chaque groupe
particulier (p. ex. un compagnonnage) auraient bénéficié des mêmes
chances que les autres, pourrait exploiter un lopin de terre, sans être
exploiter par des parasites privés ou étatiques » (p. 124). Gesell a
donné une appellation scientifique à ce système : le "matriarcat physiocratique".
Outre
deux très longues contributions de Bartsch et de Schmitt, cet ouvrage
collectif sur Gesell comprend également des textes de Gustav Landauer
(intitulé : Sehr wertvolle Vorschläge ; Des propositions très valables) et d'Erich Mühsam (intitulé Ein Wegbahner : Nachruf zum Tode Gesells 1930 ; Un précurseur : Rappel après la mort de Gesell, 1930).
Conclusion : Ce
livre nous aide à comprendre la complexité, la variété et les
recoupements entre les idées qui ont animé la République des Conseils en
Bavière après la Première Guerre mondiale. Si Niekisch a été
redécouvert et largement commenté, en revanche, sa proximité
existentielle avec des personnages comme Landauer, Mühsam et Gesell n'a
guère été explorée. Il me paraît intéressant également d'analyser les
rapports entre Gesell, Douglas et Pound et de procéder à des études
comparatives. Enfin, il me paraîtrait opportun de comparer les doctrines
de Gesell avec les théories nationales-révolutionnaires d'un Henning
Eichberg, formulées dans les années 60 et 70 et, ensuite, à partir de
1980, diffusées via la revue Wir Selbst. On sait qu'Eichberg a
toujours mis l'accent sur la dimension maternelle. Il évoquait notamment
la notion de "matrie", maternelle et protectrice, qu'il opposait à la
notion de "patrie", posée parfois comme patriarcale et répressive. Ce
sont là autant de similitudes que l'historien des idées ne saurait
négliger.
► Robert Steuckers, janvier 2000. http://robertsteuckers.blogspot.com/
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